Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20221018


Dossier : IMM‑2861‑21

Référence : 2022 CF 1420

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 18 octobre 2022

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

VAN VU LY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Van Vu Ly sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAI a rejeté l’appel de M. Ly concernant le refus d’un agent des visas (l’agent) de faire droit à la demande de parrainage de son épouse, Thuy Van Lam Do, en vue de l’obtention de la résidence permanente au Canada.

[2] La SAI a confirmé la décision de l’agent selon laquelle le mariage n’était pas authentique et visait principalement des fins d’immigration, ce qui est contraire au paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

[3] M. Ly est citoyen canadien, originaire du Cambodge. Il avait 53 ans au moment de la demande de parrainage conjugal. Mme Do est une citoyenne du Vietnam. Au moment de la demande, elle avait 33 ans. Tous deux ont des enfants issus de relations antérieures, ainsi qu’une fille commune née au Vietnam le 5 octobre 2020.

[4] Les conclusions défavorables de la SAI en matière de crédibilité étaient raisonnables. La décision est justifiée, intelligible et transparente, et appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[5] M. Ly est arrivé au Canada en 1987 en tant que réfugié. Il est devenu citoyen canadien en 1994.

[6] En 2016, M. Ly a demandé à l’épouse de son frère de l’aider à trouver une nouvelle épouse. Il a été présenté à Mme Do par téléphone en août 2017 et ils ont entamé une relation à distance peu de temps après.

[7] M. Ly a demandé Mme Do en mariage par téléphone en octobre 2017. Il s’est ensuite rendu au Vietnam en novembre 2017 et a épousé Mme Do en décembre de la même année.

[8] M. Ly a déposé une demande de parrainage de Mme Do en mars 2018. L’agent a interrogé M. Ly et Mme Do le 26 août 2019, et a rejeté la demande le 4 septembre 2019.

[9] L’agent a souligné la différence d’âge de 20 ans entre les deux époux, les circonstances entourant leur rencontre, l’évolution rapide de leur relation et les antécédents de M. Ly en matière de regroupement familial. Il a été marié deux fois auparavant et a parrainé ses deux épouses précédentes pour qu’elles viennent au Canada. Son second mariage a duré environ quatre ans et demi et s’est terminé quatre mois seulement après que sa femme a obtenu le statut de résidente permanente.

[10] La SAI a rejeté l’appel de la décision de l’agent déposé par M. Ly, concluant que ce dernier et Mme Do « n’[avaient] pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir que leur mariage est authentique et qu’il ne visait pas principalement à permettre à la demandeure et à ses enfants d’obtenir le statut de résident permanent au Canada ».

[11] Selon la SAI, M. Ly et Mme Do manquaient de crédibilité, et elle a tiré des conclusions défavorables en raison des éléments suivants :

  • a)la rapidité avec laquelle la relation est passée de la première rencontre au mariage;

  • b)l’absence de preuve documentaire attestant de la communication entre les parties avant le mariage;

  • c)l’absence des deux fils de Mme Do au mariage;

  • d)la connaissance générale limitée de M. Ly concernant les enfants de Mme Do;

  • e)la divergence entre les déclarations du couple selon lesquelles ils n’ont discuté de leur lieu de résidence qu’après le mariage, et les tentatives de Mme Do d’obtenir des documents en vue d’une demande de résidence permanente au Canada avant le mariage;

  • f)les incohérences dans le témoignage sur la manière dont Mme Do a obtenu une lettre de consentement de son premier mari pour emmener leurs enfants au Canada et sur le moment où elle l’a obtenue; et

  • g)l’absence d’explications raisonnables pour ces incohérences.

[12] La SAI a reconnu que M. Ly avait rendu visite à Mme Do au Vietnam au moins trois fois après le mariage, et qu’ils avaient eu un enfant ensemble. Des éléments de preuve documentaire confirment que les parties ont maintenu le contact et la communication après le mariage. La SAI a admis que cela pouvait démontrer que la relation était devenue authentique au fil du temps. Toutefois, cela n’était pas suffisant pour l’emporter sur le fait que l’intention première de Mme Do en contractant le mariage était d’obtenir un avantage en matière d’immigration.

III. Question en litige

[13] La seule question que soulève la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SAI est raisonnable.

IV. Analyse

[14] La décision de la SAI est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au para 10). La Cour n’interviendra que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[15] Les critères de justification, d’intelligibilité et de transparence sont remplis si les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement qui a mené à la décision et d’établir si la conclusion appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov aux para 85 et 86, citant Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[16] Le paragraphe 4(1) du Règlement prévoit ce qui suit :

Notion de famille

Mauvaise foi

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi; b) n’est pas authentique.

Family Relationships

Bad faith

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common‑law partnership or conjugal partnership

a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) is not genuine.

[17] Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Moise, 2017 CF 1004, le juge Yvan Roy a confirmé que le paragraphe 4(1) du Règlement exige que le demandeur démontre, selon la prépondérance des probabilités, que le mariage est authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut en matière d’immigration. L’authenticité du mariage est évaluée au moment de la décision de l’agent des visas. L’intention à l’origine du mariage est évaluée au moment du mariage (aux para 15‑16) :

[…] En effet, un mariage sera disqualifié si l’une ou l’autre des conditions prévues à l’alinéa 4(1)a) et b) ne sont pas satisfaites (Mahabir c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 546 et Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1077). C’est dire que [le demandeur] doit satisfaire aux deux conditions. Un mariage contracté aux fins de l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sera vicié même s’il est devenu authentique par la suite. Par ailleurs, le mariage contracté validement peut devenir vicié aux fins d’immigration lorsqu’il perd son caractère authentique.

À sa face même, la disposition prévoit deux temps différents où les évaluations doivent être faites. Pour ce qui est de l’authenticité du mariage, le Règlement parle au présent ce qui fait en sorte que l’évaluation de l’authenticité de celui‑ci a lieu au moment où la décision est prise. D’autre part, l’évaluation de l’intention avec laquelle le mariage a été contracté, à savoir principalement pour l’acquisition d’un statut ou d’un privilège, est au passé. En français, on dit qui « visait » alors qu’en anglais, on utilise le « was entered »; c’est donc au moment où le mariage est contracté que l’évaluation se fait.

[18] M. Ly affirme que la décision de la SAI était déraisonnable parce qu’elle [traduction] [« ne tenait pas compte de l’ensemble des éléments de preuve ». Il soutient que la SAI a mal interprété les éléments de preuve et les a laissés de côté, qu’elle a fondé ses conclusions sur des hypothèses injustifiées et qu’elle n’a pas accordé suffisamment de poids aux facteurs favorables démontrant que le mariage était authentique et qu’il ne visait pas principalement des fins d’immigration.

[19] Par exemple, M. Ly affirme qu’il n’était pas nécessairement incohérent pour Mme Do de commencer à rassembler des documents à l’appui d’une demande de résidence permanente avant le mariage, même si le couple a déclaré n’avoir discuté du lieu de résidence qu’après le mariage :

[traduction]

Il est tout à fait compréhensible que [Mme Do] ait obtenu des documents pendant qu’elle le pouvait, parce qu’une occasion s’est présentée; en l’occurrence, l’ex‑mari l’a contactée, parce qu’il était possible qu’elle déménage au pays dans l’avenir pour être avec lui, bien que la décision n’ait pas été prise à ce moment‑là. Le commissaire a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables au sujet d’une conduite et en trouvant des incohérences là où il n’y en a pas. Même si la demanderesse avait l’intention de s’installer au Canada et qu’elle a fait des démarches préliminaires au cas où il serait décidé plus tard qu’elle s’installerait au Canada, cela ne devrait pas suffire pour conclure que l’objectif principal de la demanderesse est d’immigrer au Canada.

[20] M. Ly soutient également que la SAI a mal interprété les circonstances entourant la demande de son épouse en vue d’obtenir une lettre de consentement de son ancien mari pour permettre à leurs enfants de se rendre au Canada. Il affirme qu’un autre document était nécessaire à des fins d’immigration, et que ce document n’a été obtenu que deux mois après le mariage.

[21] Je conviens avec le défendeur que M. Ly demande essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve et de substituer son opinion à celle de la SAI. Ce n’est pas là l’objectif d’un contrôle judiciaire (Ta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 323 au para 12, citant Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 877 au para 17). La SAI a raisonnablement conclu que les nombreuses incohérences dans les éléments de preuve et l’absence d’explications claires, cohérentes et convaincantes minaient la crédibilité de M. Ly et de Mme Do.

[22] La SAI n’a pas fondé ses conclusions défavorables en matière de crédibilité sur des hypothèses injustifiées ou sur des suppositions infondées quant à la nature d’un mariage authentique. Selon la SAI :

Les relations humaines sont difficiles à juger, même dans les meilleures circonstances. Il ne m’appartient pas d’exiger qu’un certain laps de temps s’écoule avant un mariage ni que les discussions sur l’avenir d’un couple aient lieu plus tôt que plus tard. Cependant, lorsqu’il y a des incohérences internes et des incohérences entre les témoins et les documents et lorsque les explications ne permettent pas de comprendre les décisions prises dans le cadre d’une relation, de graves préoccupations quant à la crédibilité sont soulevées.

[23] M. Ly soutient que la SAI a fondé à tort ses conclusions défavorables en matière de crédibilité sur l’absence d’éléments de preuve corroborant ses communications avec Mme Do avant leur mariage (citant Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 162 au para 28). Il s’appuie sur la décision du juge Sébastien Grammond dans l’affaire Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968, pour affirmer qu’un décideur ne peut exiger des éléments de preuve corroborants que dans les cas suivants a) il établit clairement un motif indépendant pour exiger la corroboration, comme des doutes quant à la crédibilité, ou b) on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les éléments de preuve soient accessibles et le demandeur a omis de donner une explication raisonnable pour ne pas avoir pu les obtenir (au para 36).

[24] En l’espèce, la SAI a fourni une explication claire au sujet de ses préoccupations concernant l’absence de documents corroborant les communications antérieures au mariage :

J’estime également que l’appelant et la demandeure ont noué cette relation très rapidement et qu’il y a peu d’éléments de preuve corroborants concernant la façon dont ces deux connaissances sont passées d’une première rencontre à une demande en mariage en seulement deux mois. Il y a une absence flagrante d’éléments de preuve liés aux communications au sein du couple durant les mois précédant le voyage du mariage. L’appelant et la demandeure ont témoigné au sujet de leurs communications par Facebook Messenger, mais de tels éléments de preuve n’ont pas été produits au bureau des visas et n’ont pas été communiqués aux fins de l’audience. Le couple explique que la demandeure a changé de téléphone et mentionne la perte d’un mot de passe de Facebook. La raison pour laquelle l’appelant n’a toujours pas fourni les relevés de clavardage tirés de son compte n’est pas claire. En outre, comme Facebook Messenger est une application en ligne, il n’est pas nécessaire de posséder le téléphone original pour récupérer des relevés de clavardage.

[25] M. Ly affirme également que la preuve quant à la nature continue de la relation aurait dû être utilisée pour juger si celle‑ci était authentique au moment du mariage. Il existe des éléments de preuve postérieurs au mariage démontrant le soutien financier de M. Ly à Mme Do, des communications continues, des voyages de M. Ly au Vietnam, les interactions avec la famille et des amis et, plus important encore, un enfant issu de la relation.

[26] M. Ly s’appuie sur la décision Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 122, dans lequel le juge Robert Barnes a fait observer que, dans l’évaluation de la légitimité d’un mariage, il convient d’accorder une grande importance à la naissance d’un enfant, ce qui peut donner lieu à une présomption favorable à l’authenticité du mariage (au para 8) :

[…] Lorsqu’il n’y a pas de doute sur la paternité, il serait raisonnable d’adopter une présomption favorable à l’authenticité du mariage en cause. Il y a de nombreuses raisons d’accorder une grande importance à un tel événement, notamment l’improbabilité que les parties à un faux mariage s’imposent les responsabilités à vie associées au fait d’élever un enfant. […]

[27] Toutefois, la présence d’un enfant n’est pas déterminante. Comme l’a déclaré le juge Nicholas McHaffie dans l’affaire Kusi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 68, la SAI a la possibilité de conclure que les questions de crédibilité l’emportent sur la présence d’un enfant : « [...] la pondération des éléments de preuve et des facteurs à l’appui d’une conclusion d’authenticité revient à la SAI. La Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau les éléments de preuve et ne peut intervenir que lorsque l’appréciation des éléments de preuve est déraisonnable » (au para 29, citant Vavilov au para 125).

[28] Je suis convaincu que la SAI a accordé l’importance qu’il fallait à la présence d’un enfant dans la relation, en reconnaissant qu’il s’agit du facteur favorable le plus important. En effet, il semble que la SAI ait appliqué la présomption d’authenticité, mais a conclu que cela était insuffisant pour démontrer que le mariage ne visait pas principalement des fins d’immigration :

Fait plus important encore, l’appelant et la demandeure ont eu un enfant en octobre 20201. Malgré de tels éléments de preuve, et plus particulièrement la naissance d’un enfant, je ne peux pas conclure que ces facteurs, qui dans l’ensemble semblent confirmer l’authenticité de la relation, l’emportent sur les préoccupations liées à l’intention principale des parties au début de la relation. Ces éléments de preuve favorables donnent peut‑être à penser que la relation est devenue [traduction] «authentique» au fil du temps, mais, pour satisfaire aux deux volets du critère, la relation doit être authentique depuis le début. Par conséquent, j’estime que l’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir que les deux volets du critère lié aux relations de mauvaise foi ne s’appliquent pas à son mariage, comme l’exige le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[29] La décision de la SAI est justifiée, intelligible et transparente, et appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

V. Conclusion

[30] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie‑France Blais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2861‑21

 

INTITULÉ :

VAN VU LY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 SEPTEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 OCTOBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Marvin Moses

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marvin Moses Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.