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Date : 20221011


Dossier : T‑1489‑19

Dossier : T‑411‑21

Référence : 2022 CF 1390

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2022

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

9209654 CANADA INC.

demanderesse

et

PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente décision concerne deux demandes de contrôle judiciaire. La demande portant le numéro de dossier de la Cour T‑1489‑19, que la demanderesse 9209654 Canada Inc., a introduite le 11 septembre 2019, remet en cause deux décisions rendues par l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] le 15 août 2019 et le 20 août 2019 [respectivement, la décision du 15 août et la décision du 20 août et, ensemble, les décisions rendues en août]. Ces décisions sont décrites comme visant à modifier, à compléter ou à mettre à jour un relevé détaillé de rajustement établi au nom de la demanderesse le 10 juillet 2019 [la décision initiale].

[2] La demande portant le numéro de dossier de la Cour T‑411‑21, que la demanderesse a introduite le 5 mars 2021, vise à contester la décision initiale, qui exigeait de la demanderesse qu’elle paie des droits et des intérêts pour avoir importé du poulet surgelé, le 11 juillet 2013, sans payer les droits applicables.

[3] Pour les motifs expliqués plus en détail ci‑dessous, les demandes sont rejetées. Indépendamment des décisions rendues en août, je conclus que la décision initiale est raisonnable, car les explications fournies à la demanderesse étaient suffisantes. Aussi, l’analyse du caractère raisonnable des décisions rendues en août n’a peut‑être aucun effet concret, mais je l’ai quand même réalisée et j’ai conclu que ces décisions étaient également raisonnables, puisque l’ASFC pouvait s’appuyer sur une exception à la règle du functus officio pour les prendre.

II. Contexte

[4] Les présentes demandes de contrôle judiciaire tirent leur origine du fait que la demanderesse a tenté de se prévaloir du Programme d’exonération des droits [le PED], instauré en vertu de l’article 89 du Tarif des douanes, LC 1997, c 36 [le Tarif], qui est l’un des programmes d’encouragement commercial offerts aux entreprises canadiennes. Le PED a pour but de favoriser la capacité concurrentielle des entreprises canadiennes à l’échelle internationale en les exemptant du paiement de droits sur les marchandises importées, si celles‑ci sont par la suite exportées dans le délai prescrit. Pour pouvoir participer au PED, les entreprises doivent obtenir un certificat, souvent appelé « licence » dans le dossier de la présente requête, avant d’importer les marchandises.

[5] Le défendeur, le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, allègue que, à trois occasions distinctes, la demanderesse a importé des marchandises qu’elle a déclarées comme étant admissibles à l’exonération des droits de douane au titre d’une licence délivrée en vertu de l’article 90 du Tarif, en dépit du fait qu’elle ne détenait pas ladite licence. Cependant, les présentes demandes ne concernent qu’une seule importation qui a eu lieu le 11 juillet 2013, car le défendeur reconnaît que les demandes de remboursement de droits faites à l’égard des importations antérieures sont prescrites.

[6] En 2018, l’ASFC a procédé, à l’endroit d’une entreprise tierce, à une vérification de l’observation des programmes commerciaux et de l’utilisation de sa licence en vertu de l’article 90 du Tarif. Au cours de sa vérification, l’ASFC a découvert qu’à l’occasion de l’importation de 2013 mentionnée précédemment, la demanderesse avait utilisé la licence de cette tierce partie pour importer les marchandises en question au Canada sans payer de droits.

[7] Le 19 février 2018, l’ASFC a envoyé une lettre à la demanderesse dans laquelle elle alléguait que celle‑ci avait utilisé la licence d’une tierce partie pour importer des marchandises sans payer les droits exigibles, et ce, à trois occasions distinctes, y compris lors de l’importation de 2013. Elle demandait à la demanderesse de modifier les déclarations douanières qu’elle avait produites à l’égard des transactions liées à chaque importation et de payer les droits et les intérêts exigibles.

[8] Le 26 février 2018, l’ASFC a envoyé à la demanderesse une nouvelle lettre dans laquelle elle limitait sa demande précédente à l’importation faite en 2013 parce que le délai de prescription de six ans applicable aux deux autres importations était écoulé. Elle a demandé à nouveau à la demanderesse de modifier sa déclaration et de payer les droits et intérêts afférents à l’importation de 2013. L’ASFC a communiqué de nouveau avec la demanderesse à ce sujet entre février 2018 et juin 2019.

[9] Le défendeur affirme qu’entre juin et juillet 2019, l’ASFC a tenté d’envoyer à la demanderesse un avis de cotisation relativement à l’importation de 2013, mais qu’elle a eu des difficultés parce que le numéro d’entreprise qui figurait dans son système n’était plus en vigueur. Le 10 juillet 2019, juste avant l’expiration du délai de prescription de six ans applicable, l’ASFC a rendu la décision initiale sur l’importation de 2013. En voici un extrait :

[TRADUCTION] La cliente, également connue sous le nom de Janes Family Foods, a importé du poulet surgelé au Canada au moyen d’une licence d’exonération des droits qui ne lui appartenait pas. Selon le Programme d’exonération des droits, seule l’entreprise à laquelle la licence a été délivrée peut l’utiliser pour importer des marchandises. La licence no 87‑016T0567 appartient à Cara Operations. Le 11 juillet 2013, Janes Family Foods a utilisé sans autorisation la licence no 87‑016T0567 pour importer des marchandises au Canada en franchise de droits. Les droits exonérés s’élevaient à 230 634,46 $. Janes Family Foods n’a pas corrigé l’inscription et n’a pas informé l’ASFC de l’utilisation non autorisée de la licence. La question a été soulevée durant une vérification de la licence no 87‑016T0567 et de Cara Operations. Cara Operations ne savait pas que sa licence avait été utilisée sans autorisation.

Il est possible de demander le réexamen de la décision dans les 30 jours suivant la date du présent avis de décision, au moyen du formulaire B2, conformément au paragraphe 60(1) de la Loi sur les douanes. Le président peut, dans des circonstances exceptionnelles, proroger le délai d’une année en vertu de l’article 60.1 de la Loi sur les douanes.

La correction que vous avez produite en vertu de l’article 32.2 de la Loi sur les douanes a été acceptée, et fera donc l’objet d’une révision en vertu de l’alinéa 59(1)a) de la Loi sur les douanes. Le présent avis est donné en vertu du paragraphe 59(2) de la Loi sur les douanes. L’Agence des services frontaliers du Canada se réserve le droit de procéder à une révision à une date ultérieure en vertu de l’alinéa 59(1)b) de la Loi sur les douanes.

[10] Janes Family Foods, ainsi nommée dans la décision initiale, est le nom commercial de la demanderesse, qui comparaît en l’espèce en tant que société à dénomination numérique. Cara Operations est la tierce partie dont il a été question plus tôt dans les présents motifs.

[11] Le défendeur soutient en l’espèce que la décision initiale renvoie aux dispositions de la Loi sur les douanes, LRC (1985), c 1 (2e suppl) [la Loi], mais qu’il s’agit d’une erreur et qu’elle aurait dû plutôt renvoyer aux dispositions du Tarif. Les dispositions de la Loi auxquelles la décision renvoie prévoient un processus d’examen administratif en plusieurs étapes, lequel s’applique aux questions relatives au classement tarifaire, à la valeur en douane, à l’origine et à la conformité des marques des marchandises importées, et elles ne concernent aucunement le PED dont il est question en l’espèce.

[12] Dans des courriels du 30 juillet 2019 et du 1er août 2019, en réponse aux questions du courtier en douanes de la demanderesse au sujet de la décision initiale, l’ASFC a précisé que la décision initiale était fondée sur les articles 89 et 118 du Tarif.

[13] Le 15 août 2019, l’ASFC a rendu une décision (la décision du 15 août), que le défendeur qualifie de modification ou de complément à la décision initiale se présentant sous forme d’un relevé détaillé de rajustement révisé. L’ASFC y mentionne que cette décision vise à modifier la disposition au titre de laquelle le relevé détaillé de rajustement a été établi (c.‑à‑d. la décision initiale) en la remplaçant par le paragraphe 118(1) du Tarif.

[14] Le 20 août 2019, l’ASFC a rendu une décision (la décision du 20 août), qui consiste en un relevé détaillé de rajustement distinct sur lequel sont répartis les droits et les intérêts exigibles, et où l’ASFC reconnaît avoir reçu de la demanderesse la somme indiquée dans la décision initiale.

[15] La demanderesse a par la suite fait plusieurs démarches liées à ces décisions, en plus de présenter les demandes de contrôle judiciaire actuellement à l’étude. Le 9 septembre 2019, elle a demandé le réexamen de la décision initiale en vertu de l’article 60 de la Loi. Le 16 septembre 2019, l’ASFC l’a informée qu’elle ne pouvait pas procéder à ce réexamen, puisque la décision n’avait fait l’objet d’aucune révision en vertu de l’article 59 de la Loi. Le 5 décembre 2019, la demanderesse a déposé un avis d’appel devant le Tribunal canadien du commerce extérieur [TCCE], dans lequel elle prétendait que le défendeur avait refusé d’exercer sa compétence en ne prenant pas de décision en vertu de l’article 60 de la Loi. Le 8 février 2021, le Tribunal a rejeté l’appel de la demanderesse pour défaut de compétence (9029654 Canada Inc. (Sofina Fine Foods) c Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, (8 février 2021) AP‑2019‑038 [TCCE]).

[16] Comme je l’ai mentionné, le 11 septembre 2019, la demanderesse a déposé à la Cour son premier avis de demande de contrôle judiciaire des décisions rendues en août (dossier de la Cour no T‑1489‑19). Le 5 mars 2021, la demanderesse a déposé son deuxième avis de demande en vue de contester la décision initiale du défendeur (dossier de la Cour no T‑411‑21). Ces demandes ont été regroupées par ordonnance rendue le 10 mai 2021 et ont été instruites conjointement le 27 septembre 2022.

[17] Je souligne que les arguments avancés par les parties dans les présentes demandes ne portent pas le sur bien‑fondé de la thèse défendue par l’ASFC, à savoir que la demanderesse a utilisé illégalement la licence de la tierce partie pour importer du poulet sans payer de droits. La demanderesse insiste sur le fait que, bien qu’elle n’ait présenté aucun argument en ce sens, elle n’admet pas la validité de la thèse défendue par l’ASFC. Dans les présentes demandes, elle s’attache plutôt à l’erreur que l’ASFC a commise dans la décision initiale en citant la mauvaise disposition législative à l’appui de la cotisation, et aux tentatives que l’ASFC a ensuite faites pour corriger cette erreur au moyen des décisions qui ont été rendues en août, après l’expiration du délai de prescription applicable.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[18] La demanderesse affirme que ses demandes de contrôle judiciaire soulèvent les questions suivantes :

  1. Le défendeur a‑t‑il pris une décision fondée sur l’article 59 de la Loi?

  2. La demanderesse a‑t‑elle le droit d’interjeter appel de la décision fondée sur l’article 59?

  3. Le défendeur avait‑il le droit de refuser de statuer sur l’appel interjeté par la demanderesse en vertu de l’article 60 de la Loi?

  4. La décision fondée sur l’article 59, par laquelle la demanderesse s’est vue imposer des droits et des intérêts supplémentaires, est‑elle juste et valable?

  5. Peut‑on corriger la disposition sur laquelle repose la cotisation, soit le paragraphe 59(1) de la Loi, en la remplaçant par le paragraphe 118(1) du Tarif?

[19] Le défendeur soutient que les présentes demandes portent sur le caractère raisonnable de la décision initiale, qui a ensuite été modifiée ou complétée par les décisions rendues en août, notamment compte tenu de l’effet du délai de prescription. Cela étant, le défendeur fait valoir que, nonobstant le fait que la demanderesse ait contesté de façon distincte la décision initiale, la décision du 15 août et la décision du 20 août, une seule décision a été prise par l’ASFC finalement : la décision initiale, dans sa version modifiée ou complétée par les décisions rendues en août.

[20] Les parties s’entendent sur la norme de contrôle qui s’applique aux présentes demandes, à une exception près. Elles s’appuient toutes deux sur les principes du functus officio, et la demanderesse fait valoir que l’interprétation de cette règle est une question de droit qui est assujettie à la norme de la décision correcte. Le défendeur soutient quant à lui que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à cette question, et les parties s’entendent pour dire que, pour le reste, les présentes demandes sont régies par la norme de la décision raisonnable.

[21] Sur le point en litige, la demanderesse s’appuie sur l’arrêt Canadian Association of Film Distributors and Exporters c Society for Reproduction Rights of Authors, Composers and Publishers in Canada (Sodrac) Inc., 2014 CAF 235 [SODRAC] au para 58, dans lequel la Cour d’appel fédérale a conclu que l’interprétation de la règle du functus officio est une question de droit qui fait appel à la norme de la décision correcte. Je suis toutefois d’accord avec le défendeur sur ce point, à savoir que cette décision a été écartée par l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] de la Cour suprême du Canada. Aux paragraphes 16 à 18 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême explique la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable au processus décisionnel administratif et les exceptions à cette présomption, notamment certaines catégories de questions auxquelles la norme de la décision correcte s’applique. Les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble font partie de ces exceptions. Cependant, comme le fait valoir le défendeur, la demanderesse n’a avancé aucun argument tendant à démontrer que l’interprétation de la règle du functus officie relève de cette exception ou d’une autre exception.

[22] Par conséquent, j’appliquerai la norme de la décision raisonnable dans les présentes demandes. Cela étant, et compte tenu des observations écrites et orales des deux parties, je considère que les questions suivantes établissent le cadre permettant de trancher les présentes demandes, et notamment d’examiner les arguments principaux de la demanderesse qu’il est possible de dégager à partir des questions qu’elle a formulées et qui sont énoncées ci‑dessus :

  1. La décision initiale est‑elle raisonnable?

  2. Dans la mesure où elles doivent être examinées de façon distincte de la décision initiale, les décisions rendues en août sont‑elles raisonnables?

IV. Analyse

A. Législation

[23] Il est question des dispositions suivantes de la Loi et du Tarif dans les arguments qui sont soulevés dans les présentes demandes :


Loi sur les douanes, SRC (1985), ch 1 (2e suppl.)

Customs Act, R.S.C. 1985, c. 1 (2nd Supp.)

 

Correction de la déclaration d’origine

Correction to declaration of origin

 

32.2 (1) L’importateur ou le propriétaire de marchandises ayant fait l’objet d’une demande de traitement tarifaire préférentiel découlant d’un accord de libre‑échange, ou encore la personne autorisée, sous le régime de l’alinéa 32(6)a) ou du paragraphe 32(7), à effectuer la déclaration en détail ou provisoire des marchandises, qui a des motifs de croire que la déclaration de l’origine de ces marchandises effectuée en application de la présente loi est inexacte doit, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant sa constatation :

32.2 (1) An importer or owner of goods for which preferential tariff treatment under a free trade agreement has been claimed or any person authorized to account for those goods under paragraph 32(6)(a) or subsection 32(7) shall, within ninety days after the importer, owner or person has reason to believe that a declaration of origin for those goods made under this Act is incorrect,

 

a) effectuer une déclaration corrigée conformément aux modalités de présentation et de temps réglementaires et comportant les renseignements réglementaires;

(a) make a correction to the declaration of origin in the prescribed manner and in the prescribed form containing the prescribed information; and

 

(b) verser tout complément de droits résultant de la déclaration corrigée et les intérêts échus ou à échoir sur ce complément.….

b) pay any amount owing as duties as a result of the correction to the declaration of origin and any interest owing or that may become owing on that amount.….

Révision et réexamen

Re‑determination or further re‑determination

 

59 (1) L’agent chargé par le président, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie d’agents, de l’application du présent article peut :

59 (1) An officer, or any officer within a class of officers, designated by the President for the purposes of this section may

 

a) dans le cas d’une décision prévue à l’article 57.01 ou d’une détermination prévue à l’article 58, réviser l’origine, le classement tarifaire ou la valeur en douane des marchandises importées, ou procéder à la révision de la décision sur la conformité des marques de ces marchandises, dans les délais suivants :

(a) in the case of a determination under section 57.01 or 58, re‑determine the origin, tariff classification, value for duty or marking determination of any imported goods at any time within

 

(i) dans les quatre années suivant la date de la détermination, d’après les résultats de la vérification ou de l’examen visé à l’article 42, de la vérification prévue à l’article 42.01 ou de la vérification de l’origine prévue à l’article 42.1,

(i) four years after the date of the determination, on the basis of an audit or examination under section 42, a verification under section 42.01 or a verification of origin under section 42.1, or

(ii) dans les quatre années suivant la date de la détermination, si le ministre l’estime indiqué;

(ii) four years after the date of the determination, if the Minister considers it advisable to make the redetermination; and

 

b) réexaminer l’origine, le classement tarifaire ou la valeur en douane dans les quatre années suivant la date de la détermination ou, si le ministre l’estime indiqué, dans le délai réglementaire d’après les résultats de la vérification ou de l’examen visé à l’article 42, de la vérification prévue à l’article 42.01 ou de la vérification de l’origine prévue à l’article 42.1 effectuée à la suite soit d’un remboursement accordé en application des alinéas 74(1) c.1), c.11), e), f) ou g) qui est assimilé, conformément au paragraphe 74(1.1), à une révision au titre de l’alinéa a), soit d’une correction effectuée en application de l’article 32.2 qui est assimilée, conformément au paragraphe 32.2(3), à une révision au titre de l’alinéa a).

 

(b) further re‑determine the origin, tariff classification or value for duty of imported goods, within four years after the date of the determination or, if the Minister deems it advisable, within such further time as may be prescribed, on the basis of an audit or examination under section 42, a verification under section 42.01 or a verification of origin under section 42.1 that is conducted after the granting of a refund under paragraphs 74(1)(c.1), (c.11), (e), (f) or (g) that is treated by subsection 74(1.1) as a re‑determination under paragraph (a) or the making of a correction under section 32.2 that is treated by subsection 32.2(3) as a re‑determination under paragraph (a).

 

Avis de la détermination

Notice requirement

 

(2) L’agent qui procède à la décision ou à la détermination en vertu des paragraphes 57.01(1) ou 58(1) respectivement ou à la révision ou au réexamen en vertu du paragraphe (1) donne sans délai avis de ses conclusions, motifs à l’appui, aux personnes visées par règlement

.….

(2) An officer who makes a determination under subsection 57.01(1) or 58(1) or a re‑determination or further redetermination under subsection (1) shall without delay give notice of the determination, re‑determination or further re‑determination, including the rationale on which it is made, to the prescribed persons

.….

Demande de révision ou de réexamen

Request for re‑determination or further redetermination

60 (1) Toute personne avisée en application du paragraphe 59(2) peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la notification de l’avis et après avoir versé tous droits et intérêts dus sur des marchandises ou avoir donné la garantie, jugée satisfaisante par le ministre, du versement du montant de ces droits et intérêts, demander la révision ou le réexamen de l’origine, du classement tarifaire ou de la valeur en douane, ou d’une décision sur la conformité des marques

.….

60 (1) A person to whom notice is given under subsection 59(2) in respect of goods may, within ninety days after the notice is given, request a re‑determination or further re‑determination of origin, tariff classification, value for duty or marking. The request may be made only after all amounts owing as duties and interest in respect of the goods are paid or security satisfactory to the Minister is given in respect of the total amount owing

.….

Tarif des douanes, LC 1997, ch 36

Customs Tariff, SC 1997, c 36

Exonération

Relief

89 (1) Sous réserve du paragraphe (2), des articles 95, 98.1 et 98.2 et des règlements visés à l’article 99 et sur demande présentée dans le délai réglementaire en conformité avec le paragraphe (4) par une personne appartenant à une catégorie réglementaire, des marchandises importées peuvent, dans les cas suivants, être exonérées, une fois dédouanées, des droits qui, sans le présent article, seraient exigibles :

89 (1) Subject to subsection (2), sections 95, 98.1 and 98.2 and any regulations made under section 99, if an application for relief is made within the prescribed time, in accordance with subsection (4), by a person of a prescribed class, relief may be granted from the payment of duties that would but for this section be payable in respect of imported goods that are

 

a) elles sont ultérieurement exportées dans le même état qu’au moment de leur importation;

(a) released and subsequently exported in the same condition in which they were imported;

b) elles sont transformées au Canada et

ultérieurement exportées;

(b) released, processed in Canada and subsequently exported;

c) elles sont directement consommées ou absorbées lors de la transformation au Canada

de marchandises ultérieurement exportées;

(c) released and directly consumed or expended in the processing in Canada of goods that are subsequently exported;

d) la même quantité de marchandises nationales ou importées de la même catégorie est transformée au Canada et ultérieurement exportée;

(d) released, if the same quantity of domestic or imported goods of the same class is processed in Canada and subsequently exported; or

e) la même quantité de marchandises nationales ou importées de la même catégorie est directement consommée ou absorbée lors de la transformation au Canada de marchandises ultérieurement exportées.

.…

(e) released, if the same quantity of domestic or imported goods of the same class is directly consumed or expended in the processing in Canada of goods that are subsequently exported.

.…

Certificat

Certificate

90 (1) Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile peut, sous réserve des règlements visés à l’alinéa 99e), délivrer un certificat numéroté à une personne appartenant à l’une des catégories réglementaires énumérées à l’article 89.

 

90 (1) Subject to regulations made under paragraph 99(e), the Minister of Public Safety and Emergency Preparedness may issue a numbered certificate to a person of a prescribed class referred to in section 89.

 

Modification du certificat

Amendment, suspension, etc., of certificate

(2) Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile peut, sous réserve des règlements visés à l’alinéa 99e), modifier, suspendre, renouveler, annuler ou rétablir le certificat.

….

(2) The Minister of Public Safety and Emergency Preparedness may, subject to regulations made under paragraph 99(e), amend, suspend, renew, cancel or reinstate a certificate issued under subsection (1).

….

Inobservation des conditions

Failure to comply with conditions

 

118 (1) Si, en cas d’exonération ou de remise accordée en application de la présente loi, sauf l’article 92, ou de remise accordée en application de l’article 23 de la Loi sur la gestion des finances publiques, une condition de l’exonération ou de la remise n’est pas observée, la personne défaillante est tenue, dans les quatre‑vingt‑dix jours ou dans le délai réglementaire suivant le moment de l’inobservation, de :

118 (1) If relief from, or remission of, duties is granted under this Act, other than under section 92, or if remission of duties is granted under section 23 of the Financial Administration Act and a condition to which the relief or remission is subject is not complied with, the person who did not comply with the condition shall, within 90 days or such other period as may be prescribed after the day of the failure to comply,

a) déclarer celle‑ci à un agent d’un bureau de douane;

(a) report the failure to comply to an officer at a customs office; and

b) payer à Sa Majesté du chef du Canada les droits faisant l’objet de l’exonération ou de la remise, sauf si elle peut produire avec sa déclaration les justificatifs, que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile juge convaincants, pour établir un des faits suivants :

(b) pay to Her Majesty in right of Canada an amount equal to the amount of the duties in respect of which the relief or remission was granted, unless that person can provide evidence satisfactory to the Minister of Public Safety and Emergency Preparedness that

(i) au moment de l’inobservation de la condition, un drawback ou un remboursement aurait été accordé si les droits avaient été payés,

i) at the time of the failure to comply with the condition, a refund or drawback would otherwise have been granted if duties had been paid, or

(ii) les marchandises sont admissibles à un autre titre à l’exonération ou à la remise prévue par la présente loi ou à la remise prévue par la Loi sur la gestion des finances publiques.

ii) the goods in respect of which the relief or remission was granted qualify in some other manner for relief or remission under this Act or the Financial Administration Act.

B. La décision initiale est‑elle raisonnable?

[24] Je commencerai mon examen du caractère raisonnable de la décision initiale par les arguments de la demanderesse, selon qui la décision initiale est fondée sur l’article 59 de la Loi, qu’elle avait le droit d’interjeter appel de la décision prise en vertu de l’article 59, et que le défendeur ne pouvait pas refuser de statuer sur l’appel qu’elle avait interjeté en vertu de l’article 60 de la Loi.

[25] Tenant compte en particulier de la façon dont la demanderesse a articulé sa thèse à l’audience, j’estime qu’aucun de ces arguments n’est fondé. L’avocat de la demanderesse a expliqué en commençant sa plaidoirie que l’article 59 de la Loi n’était pas la disposition au titre de laquelle l’ASFC pouvait prendre sa décision initiale. C’est plutôt l’article 118 du Tarif qui confère à l’ASFC le pouvoir d’établir la cotisation assortissant la décision initiale. Par ailleurs, il ne fait aucun doute que la mention, dans la décision initiale, selon laquelle la demanderesse a déposé une déclaration corrigée en vertu de l’article 32.2, était erronée. Les parties s’entendent sur ces points, et c’est sur ceux‑ci que reposaient leurs arguments oraux. La Cour irait à l’encontre des thèses défendues par les deux parties si elle concluait que la décision initiale est une décision fondée sur l’article 59 de la Loi. Qui plus est, et comme les deux parties en conviennent, l’article 59 se rapporte aux décisions relatives à l’origine, au classement tarifaire, à la valeur en douane et à la conformité des marques des marchandises importées, et il est on ne peut plus évident que la cotisation qui fait l’objet de la décision initiale n’a rien à voir avec l’un ou l’autre de ces motifs.

[26] Compte tenu du fait que la décision initiale n’est pas fondée sur l’article 59, l’argument de la demanderesse, selon lequel elle avait le droit d’interjeter appel de cette décision, n’est pas fondé. Le droit d’appel auquel la demanderesse fait référence (qui est en principe le droit conféré par l’article 60 de la Loi de demander une révision) s’applique aux décisions prises en vertu de l’article 59 relativement à l’origine, au classement tarifaire, à la valeur en douane et à la conformité des marques des marchandises importées. Étant donné que la décision initiale n’est pas une décision prise en vertu de l’article 59 de la Loi, elle n’est pas visée par le processus établi à l’article 60 de la Loi. Il s’ensuit tout aussi naturellement que le défendeur avait le droit de refuser de rendre une décision sur l’appel que la demanderesse avait interjeté en vertu de l’article 60 de la Loi, l’une des mesures qu’elle avait prises en vue de contester la décision initiale.

[27] En tirant ces conclusions, je suis aussi conscient que les demandes dont la Cour est actuellement saisie sont des demandes de contrôle judiciaire de la décision initiale et des décisions rendues en août. Elles ne portent pas sur les décisions que l’ASFC pourrait avoir prises au sujet des démarches faites par la demanderesse au titre de l’article 60 de la Loi. J’énonce néanmoins ces conclusions pour démontrer que j’ai tenu compte des arguments de la demanderesse.

[28] S’agissant de l’analyse de fond, j’estime que la question principale dont la Cour est saisie est celle de savoir si la décision initiale peut être qualifiée de raisonnable, même si la disposition législative sur laquelle repose la cotisation est erronée. Pour contester le caractère raisonnable de la décision, la demanderesse s’appuie en grande partie sur le témoignage de l’agent de l’ASFC qui a établi la cotisation et sur les communications auxquelles il a pris part. Cet agent, M. Victor Tressler, qui est agent principal de l’observation commerciale à la Direction générale des opérations de l’ASFC, a signé l’affidavit sur lequel le défendeur s’appuie dans les présentes demandes, et il a été contre‑interrogé par l’avocat de la demanderesse. S’appuyant sur la transcription de ce contre‑interrogatoire et sur la preuve contenue dans le dossier certifié du tribunal, la demanderesse renvoie la Cour à ce qui suit :

  1. Le 9 juillet 2019, Scott McCormick, conseiller principal en matière de programmes à la Direction générale des programmes de l’ASFC, a ajouté M. Tressler en copie conforme à un courriel, dans lequel il était mentionné que l’ASFC envisageait d’envoyer une cotisation à la demanderesse en vertu du paragraphe 118(1) du Tarif.

  2. En contre‑interrogatoire, M. Tressler a affirmé qu’il avait relu le texte de la version préliminaire de la décision initiale qu’il avait personnellement rédigé (aussi appelé « notes de l’agent »), où il était indiqué que l’importatrice avait utilisé une licence sans autorisation, sans toutefois remarquer que la partie qui avait été générée par ordinateur mentionnait que la cotisation était établie au titre de l’article 59 de la Loi.

  3. M. Tressler a expliqué qu’il avait fini sa journée de travail lorsqu’il a apporté la dernière touche à la décision initiale et que, dans la hâte de produire le document dans le délai prescrit, il avait commis une erreur en sélectionnant la disposition législative proposée dans le menu déroulant du système, c.‑à‑d. l’article 59 de la Loi au lieu de l’article 118 du Tarif.

  4. M. Tressler s’est rendu compte de cette erreur après avoir reçu les demandes de renseignements que le courtier en douanes de la demanderesse a envoyées par courriel à la fin de juillet 2019. Après avoir reçu ces courriels et communiqué avec son gestionnaire, M. Tressler a compris que l’erreur devait être corrigée. Cette correction n’a été faite que le 15 août 2019 (au moyen de la décision du 15 août).

[29] La demanderesse s’appuie sur ce témoignage pour affirmer que M. Tressler a été négligent, ou pire, en ne suivant pas les conseils de M. McCormick, en ne relisant pas avec suffisamment d’attention la version préliminaire de la décision initiale afin de s’assurer que la bonne disposition législative y était mentionnée, et en omettant de déceler et de corriger l’erreur plus rapidement.

[30] Le défendeur reconnaît, tout comme son témoin M. Tressler, que cette erreur a été commise. Cependant, je ne suis pas convaincu que les arguments avancés par la demanderesse, qui soutient que les circonstances dans lesquelles l’erreur a été commise constituent en quelque sorte un manquement à la norme de diligence, sont particulièrement utiles compte tenu du rôle qui incombe à la Cour lors d’un contrôle judiciaire, soit d’examiner le caractère raisonnable de la décision.

[31] L’arrêt Vavilov est l’arrêt de principe concernant la nature de l’examen du caractère raisonnable des décisions administratives. Comme la Cour suprême l’a expliqué, une décision raisonnable, à l’égard de laquelle la cour de révision doit faire preuve de retenue, doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (au para 85). Les décisions administratives doivent être justifiées, intelligibles et transparentes non pas dans l’abstrait, mais pour les individus qui en font l’objet (au para 95). Cependant, les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Le fait que les motifs de la décision ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire ne constitue pas un fondement justifiant à lui seul d’infirmer la décision. On ne peut dissocier non plus le contrôle d’une décision administrative du cadre institutionnel dans lequel elle a été rendue ni de l’historique de l’instance (au para 91).

[32] Il ressort clairement de l’arrêt Vavilov que le fait qu’une décision ne fasse pas expressément référence au fondement législatif sur lequel elle repose ne permet pas à lui seul de conclure que la décision n’est pas raisonnable. Or, en l’espèce, non seulement la disposition législative applicable n’est pas mentionnée, mais la décision renvoie erronément à une disposition législative non applicable. Il faut donc examiner la décision initiale dans son ensemble en tenant compte du dossier sur lequel elle repose, afin de déterminer si elle fournit à la demanderesse la justification que requiert le contrôle selon la norme du caractère raisonnable.

[33] Dans la décision initiale elle‑même (dont les parties importantes sont reproduites ci‑dessus), il est mentionné au paragraphe que M. Tressler décrit comme étant les notes de l’agent (le premier paragraphe de la partie reproduite) que la demanderesse a importé du poulet surgelé au Canada au moyen d’une licence d’exonération des droits qui ne lui appartenait pas. Il y est aussi indiqué que les droits exonérés s’élèvent à 230 634,46 $ et que la demanderesse n’a ni corrigé l’inscription ni informé l’ASFC de l’utilisation non autorisée de la licence.

[34] Le dossier soumis à la Cour contient également des communications échangées entre l’ASFC et la demanderesse, la première datant de février 2018, dans lesquelles l’ASFC mentionne que la demanderesse a bénéficié d’une remise de droits au titre d’une licence qu’elle n’était pas autorisée à utiliser. Les 19 février 2018 et 26 février 2018, l’ASFC a écrit à la demanderesse pour lui expliquer la nature du PED et l’informer qu’elle avait, selon ses dossiers, utilisé sans autorisation une licence au titre du PED lors de certaines transactions que l’ASFC décrivait. L’ASFC informait la demanderesse que, s’agissant de ces transactions, elle devait acquitter l’ensemble des droits et taxes applicables, à défaut de quoi l’ASFC lui ferait parvenir un avis de cotisation pour les droits et taxes exigibles, y compris les intérêts. Comme je l’ai mentionné dans les présents motifs, la différence entre les deux lettres est que la seconde ne visait que la transaction qui n’était plus prescrite.

[35] Le dossier contient également d’autres documents, que M. Tressler a décrits comme étant un registre des événements et un échéancier des événements, et qui, a‑t‑il expliqué, renvoient à d’autres échanges que l’ASFC et la demanderesse ont eus entre février 2018 et juin 2019 au sujet de l’utilisation non autorisée de la licence au titre du PED. On y trouve des notes qui ne reprennent pas nécessairement textuellement les échanges qui ont eu lieu, et il semble que certains de ces échanges aient eu lieu au sein de l’ASFC ou avec le détenteur de licence tiers plutôt qu’avec la demanderesse. Cependant, d’autres communications semblent avoir eu lieu avec la demanderesse et viennent d’une certaine façon confirmer ce que le défendeur prétend, à savoir que l’ASFC avait informé la demanderesse, avant que la décision initiale soit rendue, de la nature de la cotisation dont elle faisait l’objet.

[36] Je souligne que je n’ai relevé aucune référence évidente à l’article 118 du Tarif dans ces communications entre l’ASFC et la demanderesse. Cependant, le défendeur s’appuie également sur une communication qui a eu lieu avec le courtier en douanes de la demanderesse, le 1er août 2022, soit environ trois semaines après que la décision initiale eut été rendue. L’ASFC y explique que la demanderesse a utilisé une licence d’exonération des droits sans autorisation et fait expressément référence au paragraphe 118(1) du Tarif. Le défendeur souligne que cette lettre de l’ASFC fait suite à une demande de renseignements soumise par le courtier en douanes de la demanderesse, et il renvoie la Cour à la décision Kik Custom Products Inc. c ASFC, 2020 CF 462 [Kik] aux para 62 à 69, qui fait autorité en matière de communications postérieures à la décision dans l’examen du caractère raisonnable.

[37] Le raisonnement exposé par la Cour dans la décision Kik porte notamment sur la règle du functus officio (au para 67). Je reviendrai sur cette règle plus tard dans les présents motifs lorsque j’analyserai le caractère raisonnable des décisions rendues en août. Cependant, la Cour a tenu compte dans cette affaire des lettres échangées après la publication de la décision pour faciliter son évaluation du caractère raisonnable de la décision contrôlée, mais aussi du fait que c’était les représentants de la demanderesse, en son nom, qui étaient à l’origine de cet échange. Ces représentants avaient en l’occurrence demandé à l’agent de l’ASFC qui avait pris la décision des précisions au sujet de cette décision. La Cour a conclu que, puisqu’elle à l’origine de ces communications, la demanderesse ne pouvait pas demander qu’elles ne soient pas prises en compte dans l’évaluation du caractère raisonnable de la décision de l’agent (au para 68). La Cour a également conclu qu’il importait de ne pas perdre de vue que, dans un contrôle judiciaire, la question fondamentale était de savoir si, pour la demanderesse, la décision de l’agent était justifiée (au para 89, appliquant l’arrêt Vavilov au para 95).

[38] J’estime que ce raisonnement est valable et qu’il justifie que je m’appuie sur la communication qui a eu lieu, le 1er août 2019, entre l’ASFC et le courtier en douanes de la demanderesse, dans mon examen du caractère raisonnable de la décision initiale. Comme la Cour l’a expliqué au paragraphe 65 de la décision Kik, ce genre de communication postérieure à la décision d’un décideur, qui aide à expliquer les motifs de la décision, se distingue du type de justification postérieure à la décision qui est parfois donnée en réponse à une demande de contrôle judiciaire et que le décideur n’avait peut‑être même pas en tête au moment de prendre sa décision.

[39] À mon avis, considérées ensemble, la décision initiale et les parties du dossier qui sont examinées ci‑dessus, et qui sont antérieures et postérieures à la décision initiale, montrent clairement le raisonnement qui sous‑tend la décision, de sorte que celle‑ci résiste à l’application de la norme du caractère raisonnable. En effet, même sans les communications postérieures à la décision, je conclurais que le dossier étaye le caractère raisonnable de la décision initiale. Autrement dit, même en tenant compte de la disposition législative erronée au titre de laquelle l’ASFC a établi la cotisation, j’estime que l’explication donnée par cette dernière quant au fondement factuel de sa décision est suffisante pour que la demanderesse comprenne pourquoi la cotisation a été établie.

[40] Par conséquent, je conclus que la décision initiale est raisonnable, et je rejette la demande de contrôle judiciaire par laquelle la demanderesse conteste la décision.

[41] Avant de passer à une autre question, je souligne que la demanderesse a fait valoir que le renvoi à une disposition erronée dans la décision initiale lui a causé un préjudice parce que, comme c’est l’article 59 de la Loi qui était mentionné, elle a payé les droits exigés afin de pouvoir présenter une demande de révision. Cet argument est fondé sur le paragraphe 60(1) de la Loi, qui exige que le montant des droits et intérêts dus soit versé avant de pouvoir demander la révision de la décision. Le paragraphe 118(1) du Tarif n’exige aucun paiement comme condition préalable à une demande de contrôle judiciaire d’une cotisation.

[42] Le défendeur a présenté plusieurs observations en réponse à cet argument. Il a entre autres fait valoir que, après avoir reçu la décision initiale, la demanderesse aurait pu demander un avis juridique quant à la nature de la décision et à la procédure à suivre, et aux conditions à remplir, pour pouvoir la contester. Il a aussi fait valoir la position de l’ASFC selon qui, la cotisation établie au titre de l’article 118(1) du Tarif exigeait de la demanderesse qu’elle paie les droits exigibles, et que celle‑ci ne saurait prétendre qu’elle a subi un préjudice parce qu’elle s’est acquittée de cette dette. Le défendeur souligne également que la Cour est actuellement saisie d’une demande de contrôle judiciaire et non d’une action en dommages‑intérêts.

[43] Bien que toutes ces observations soient valables, la plus déterminante est celle selon laquelle la Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, ce qui signifie qu’elle doit déterminer si la décision est justifiée conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Vavilov, qui ont été examinés plus tôt dans les présents motifs. J’estime que l’argument de la demanderesse n’est pas particulièrement pertinent pour cette analyse.

C. Dans la mesure où elles doivent être examinées indépendamment de la décision initiale, les décisions rendues en août sont‑elles raisonnables?

[44] Puisque j’ai conclu que la décision initiale était raisonnable, il n’y a peut‑être aucun effet concret à ce que la Cour s’intéresse au caractère raisonnable des décisions rendues en août. La décision initiale a été rendue dans le délai de prescription applicable de six ans et, comme j’ai conclu qu’elle était raisonnable sans devoir recourir aux modifications, compléments d’information, mises à jour ou autres pouvant découler des décisions rendues en août, il n’y a aucune raison pour que la Cour modifie la cotisation que l’ASFC a établie à l’égard de la demanderesse.

[45] Cependant, étant donné que la demanderesse a sollicité de façon distincte le contrôle judiciaire des décisions rendues en août, j’examinerai brièvement les principaux arguments avancés par les parties à ce sujet. Je souligne que, bien que la demande portant le numéro de dossier de la Cour T‑1489‑19 vise à contester autant la décision du 15 août que celle du 20 août, les arguments avancés par les parties portent principalement sur la première décision puisqu’il s’agit de celle dans laquelle l’ASFC s’est expressément fondée sur le paragraphe 118(1) du Tarif. Mon analyse sera également axée sur ces arguments.

[46] La demanderesse s’appuie principalement sur la règle du functus officio. Comme l’a expliqué la Cour suprême dans l’arrêt Chandler c Alberta Association of Architects, [1989] 2 RCS 848 [Chandler] à la p 860, il s’agit d’une règle générale portant qu’on ne saurait revenir sur une décision judiciaire définitive, sous réserve de deux exceptions : (a) lorsqu’il y a eu lapsus en la rédigeant; (b) lorsqu’il y a eu erreur dans l’expression de l’intention manifeste de la cour. La demanderesse soutient qu’aucune de ces exceptions ne s’applique en l’espèce, et que l’ASFC a donc déraisonnablement conclu qu’elle avait le pouvoir de rendre la décision du 15 août.

[47] La demanderesse s’appuie en grande partie sur l’arrêt SODRAC, dans lequel la Cour d’appel fédérale a jugé que la Commission du droit d’auteur avait commis une erreur en concluant qu’elle avait le pouvoir de rouvrir un dossier afin de corriger une erreur manifeste dans sa décision (au para 69). Interprétant le terme erreur « manifeste » comme s’entendant d’une erreur qui est évidente (voir Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 au para 46), la demanderesse soutient qu’en ne renvoyant pas à la bonne disposition législative, l’ASFC a commis une erreur manifeste. C’est pourquoi elle soutient que l’ASFC ne pouvait pas essayer de corriger cette erreur par la décision du 15 août.

[48] À mon avis, l’argument de la demanderesse témoigne d’une mauvaise compréhension de de l’analyse exposée dans l’arrêt SODRAC. Ce n’est pas parce que l’erreur que la Commission avait commise dans sa décision initiale pouvait être qualifiée de manifeste que la Commission n’avait pas le pouvoir de revenir sur sa décision. De toute évidence, les erreurs du type de celles qui relèvent des exceptions à la règle du functus officio qui sont mentionnées dans l’arrêt Chandler sont susceptibles d’être des erreurs manifestes. Toute erreur relevant de l’une ou l’autre des catégories mentionnées dans l’arrêt Chandler peut être évidente ou pas. Ce qui importe, ce n’est pas de savoir si une erreur donnée peut être qualifiée d’évidente une fois découverte, mais plutôt si l’erreur relève de l’une des deux catégories. Dans l’arrêt SODRAC, la Cour d’appel fédérale a conclu que la Commission ne pouvait pas rouvrir sa décision, non pas parce que l’erreur qu’elle avait commise était manifeste, mais parce qu’elle s’était appuyée sur le fait que l’erreur était manifeste pour conclure qu’elle avait le pouvoir de modifier sa décision, même si l’erreur en question ne comptait pas parmi les exceptions reconnues à la règle du functus officio.

[49] Passons aux exceptions reconnues dans l’arrêt Chandler. Le défendeur ne prétend pas que le renvoi à la mauvaise disposition législative dans la décision initiale relève de la première exception, en ce qu’il s’agirait d’un lapsus ou d’une erreur d’écriture. Cependant, il affirme que la seconde exception s’applique, puisque le dossier démontre que l’ASFC avait manifestement l’intention d’établir une cotisation en vertu de l’article 118 du Tarif parce que la demanderesse n’avait pas payé les droits applicables après avoir utilisé sans droit la licence d’une tierce partie au titre du PED.

[50] Je souligne que le défendeur invoque aussi des décisions selon lesquelles la règle du functus officio ne s’applique pas à tous les décideurs administratifs de type non juridictionnel, comme l’ASFC, ou encore qu’elle s’applique beaucoup moins strictement à ces décideurs (voir Kik, au para 67, citant l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kurukkal, 2010 CAF 230 au paragraphe 3). Bien que la demanderesse n’ait soulevé aucun argument convaincant à l’encontre de ces décisions, je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si, ou dans quelle mesure, la règle du functus officio s’applique dans l’affaire qui nous occupe.

[51] En fait, même si la règle du functus officio s’applique, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le dossier démontre que l’ASFC avait l’intention manifeste requise pour pouvoir invoquer la seconde exception de l’arrêt Chandler. Pour arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte de l’observation de la demanderesse selon laquelle, en examinant le dossier afin d’y trouver la preuve de l’intention de l’ASFC, la Cour ne doit pas tenir compte des éléments de preuve qui sont postérieurs à la décision initiale. La demanderesse se fonde à cet égard sur l’arrêt MacDonald c Canada, 2020 CSC 6 [MacDonald] au para 22 :

22 Un long courant jurisprudentiel permet de conclure que la qualification d’un contrat dérivé comme opération de couverture dépend de l’objet du contrat. L’objet est déterminé objectivement (Enterprises Ludco Ltée c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1082, par. 54). Bien que les manifestations subjectives de l’objet puissent parfois être pertinentes, l’intention déclarée du contribuable n’est pas décisive, comme l’a fait remarquer le juge en chef Noël. La conduite du contribuable est généralement plus révélatrice que ses [traduction] « déclarations ex post facto » (Vern Krishna, Income Tax Law (2e éd. 2012), p. 161; voir aussi Jinyan Li, Joanne Magee et J. Scott Wilkie, Principles of Canadian Income Tax Law (9e éd. 2017), p. 296). Comme le démontre la jurisprudence, le principal indice qui permet de déterminer l’objet d’un contrat dérivé est le rattachement entre le contrat dérivé et l’élément d’actif, l’élément de passif ou l’opération sous‑jacents censément couverts. Plus le contrat dérivé sera étroitement lié à ce qui est censé être couvert, plus forte sera l’inférence selon laquelle l’objet du contrat dérivé était la couverture.

[52] Il ressort de ce passage que l’arrêt MacDonald ne traite pas directement de la question de savoir si un tribunal, dans son examen de l’intention manifeste d’un décideur afin de déterminer si l’exception la règle du functus officio s’applique, devrait tenir compte des éléments de preuve postérieurs à la décision. Cependant, il existe une autre décision qui peut être interprétée de façon à appuyer la position de la demanderesse. Dans l’arrêt Nova Scotia Government and General Employees Union v Capital District Health Authority, 2006 NSCA 85 au para 42, le juge Cromwell (qui siégeait alors à la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse) a donné les indications suivantes sur la façon d’appliquer cette exception :

[traduction]

42. Énoncer cette exception est une chose. L’appliquer en est une autre. Bien que je ne tente pas d’expliquer de façon exhaustive la façon dont l’exception devrait s’appliquer, je ne risque pas de me tromper en disant que le meilleur indice de l’« intention manifeste » du tribunal se trouvera généralement dans les motifs de sa décision initiale. À moins qu’une certaine discordance ou contradiction entre le choix censément erroné des mots et cette intention ne ressorte à l’évidence, la formulation choisie par le tribunal dans sa décision initiale devrait rester inchangée. Par exemple, dans Rogers Sugar, l’arbitre n’avait pas expressément mentionné dans sa décision initiale qu’il était pertinent de tenir compte des fractions d’années dans le calcul de l’indemnité de départ, mais sa décision elle‑même semblait ne pas tenir compte du droit aux fractions d’années que la convention collective précédente avait accordé. Il était évident que telle ne pouvait pas avoir été son intention, et la cour a conclu qu’il avait le pouvoir de corriger cette erreur. De même, dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office national des transports) (1989), 96 N.R. 378 (C.A.F.), la cour a examiné avec soin l’ensemble de la décision initiale de l’Office afin de déterminer s’il y avait une erreur dans l’expression litigieuse de son intention manifeste. La cour s’est demandé si « pris en eux‑mêmes, ces mots [pouvaient] fort bien correspondre à l’intention globale qui sembl[ait] s’exprimer ailleurs […] », au par. 20. Pour réaliser cette analyse, la décision initiale doit être lue en entier et dans le contexte des questions soumises à la cour et des positions des parties : Joyce, précité; Rogers, précité.

[53] Bien que le juge Cromwell souligne que les explications offertes dans ce passage ne se veulent pas exhaustives, il explique qu’en cherchant à dégager l’intention manifeste du décideur, la cour doit se concentrer sur les motifs de la décision, mais dans le contexte des questions soumises à la cour et des positions des parties. Bien que par ces termes, ce passage n’exclut pas la possibilité de recourir à des parties du dossier non prises en compte dans la décision, je ne l'interprète pas comme voulant dire nécessairement qu’il serait possible de tenir compte d’événements ultérieurs au prononcé de la décision. Je considère également qu’une telle limite est logique. Comme la nature de l’exercice consiste à dégager l’intention du décideur, dans le but précis de se prononcer sur la validité des mesures prises après que la décision ait été prise, il s’ensuit que les événements postérieurs à la décision ne devraient pas normalement faire partie de l’analyse de l’intention.

[54] Cela dit, la preuve qui m’a été présentée en l’espèce, et en fonction de laquelle j’ai conclu ci‑dessus que la décision initiale était justifiée et donc raisonnable, appuie également la conclusion selon laquelle l’ASFC avait manifestement l’intention d’imposer des droits à la demanderesse du fait que celle‑ci avait utilisé une licence d’exonération des droits sans autorisation. J’ai mentionné précédemment dans les présents motifs que, même en l’absence des communications postérieures à la décision, je conclurais que le dossier étaye le caractère raisonnable de la décision initiale, en ce sens qu’il fournit une explication suffisante pour que la demanderesse comprenne les raisons sous‑tendant la cotisation de l’ASFC. De même, je conclus que la décision initiale, complétée par le dossier antérieur à la décision, laisse voir l’intention manifeste qu’avait l’ASFC lorsqu’elle a établi la cotisation et qu’elle étaye la conclusion selon laquelle il était par conséquent raisonnable pour l’ASFC, compte tenu de l’exception reconnue dans l’arrêt Chandler, de prendre la décision du 15 août afin de mentionner la bonne disposition législative.

[55] En conséquence, je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans les décisions rendues en août, et la demande de contrôle judiciaire de ces décisions doit aussi être rejetée.

V. Dépens

[56] À l’audition de la présente demande, j’ai invité les parties à tenter de s’entendre sur une somme forfaitaire à accorder au titre des dépens à la partie ayant eu gain de cause. Les avocats m’ont informé que les parties s’étaient entendues sur une somme de 5 000 $. J’estime que cette somme est appropriée et, dans mon jugement, j’adjugerai cette somme au défendeur au titre des dépens.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS T‑1489‑19 ET T‑411‑21

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Les demandes de la demanderesse sont rejetées.

  2. La somme forfaitaire de 5000 $ est adjugée au défendeur au titre des dépens.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1489‑19 et T‑411‑21

INTITULÉ :

9209654 CANADA INC. c PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 septembre 2022

Jugement et motifs :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 11 octobre 2022

COMPARUTIONS :

Michael Kaylor

Pour la demanderesse

David Di Sante

POUR Le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lapointe Rosenstein Marchand Melançon, S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR Le défendeur

 

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