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Date : 20221031


Dossier : T-1751-21

Référence : 2022 CF 1484

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2022

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

ZACHEUS JOSEPH TROUT

demandeur

et

CONSEIL DES FEMMES DE PIMISIKAMAK OKIMAWIN, alias Nation crie de Pimicikamak ou Première Nation de Cross Lake, et CHRISTIE SCOTT, en sa qualité de directrice générale des élections de Pimicikamak Okimawin

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision du conseil des femmes de la Nation crie de Pimicikamak [le conseil des femmes] de retirer le nom de Zacheus Trout [le demandeur] de la liste des candidats qui souhaitent être élus au conseil exécutif de la Nation crie de Pimicikamak dans le cadre d’une élection partielle, l’empêchant de se présenter comme candidat à cette fonction.

Contexte

[2] Le demandeur est membre de la Nation crie de Pimicikamak, également connue sous le nom de Bande de Cross Lake. Il a cherché à se présenter comme candidat au poste de conseiller au conseil exécutif lors d’une élection partielle de la Nation crie de Pimicikamak qui était prévue pour le 2 décembre 2021 [l’élection].

[3] Les élections de la Nation crie de Pimicikamak sont régies par la Pimicikamak Election Law [la Loi électorale]. La Loi électorale énonce les rôles et les responsabilités du chef et des conseillers élus (art 20 à 29) et prévoit également que, sauf dans les cas où la Loi électorale est modifiée explicitement ou implicitement, le droit traditionnel est maintenu par la Loi électorale (art 3). De plus, pour plus de certitude, la Loi électorale prévoit également que le conseil des aînés peut continuer de nommer le chef traditionnel, que le conseil des femmes peut continuer de nommer sa chef des femmes et que le conseil des jeunes peut continuer de nommer le chef des jeunes (art 7 à 9).

[4] Le demandeur a satisfait aux exigences de mise en candidature énoncées dans la Loi électorale, et le 27 octobre 2021, il a été dûment nommé pour se présenter comme candidat au poste de conseiller. Toutefois, dans une lettre datée du 28 octobre 2021, les membres de la Nation crie de Pimicikamak ont interjeté appel de la nomination du demandeur devant le conseil des femmes, conformément à l’article 49 de la Loi électorale. Ils ont affirmé que le demandeur [traduction] « n’avait pas respecté fidèlement les obligations fiduciaires du code de déontologie et n’était pas attentif au respect des lois de la nation », puisqu’il entretenait une relation conjugale avec deux femmes. Le demandeur n’a pas été informé de cet appel.

[5] Le 5 novembre 2021, la directrice générale des élections [la DGE] a publié une liste des personnes nommées comme candidat à l’élection. Bien qu’il ait été dûment nommé, le nom du demandeur n’était pas inclus dans cette liste. Le demandeur allègue que la DGE n’a fourni aucun motif pour le retrait de son nom de la liste des candidats, même après qu’il eut demandé une explication pour l’omission.

[6] Le 8 novembre 2021, le demandeur, par l’entremise de son avocat, a écrit au conseil des femmes pour interjeter appel de ce qui lui semblait être une décision de la DGE interdisant sa candidature à l’élection. N’ayant reçu aucune réponse, le 18 novembre 2021, l’avocat du demandeur a de nouveau écrit au conseil des femmes pour demander une décision concernant l’appel du demandeur et l’informer que, si une décision n’était pas rendue au plus tard le 22 novembre 2022, le demandeur déposerait une demande auprès de la Cour afin d’obtenir un bref de mandamus et un sursis de l’élection jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue à l’égard des questions qu’il avait soulevées dans son appel.

[7] Le 22 novembre 2021, un représentant du conseil des femmes a informé l’avocat du demandeur que son nom continuerait de ne pas figurer sur le bulletin de vote, et que des motifs seraient fournis.

[8] Le 22 novembre 2021, le demandeur a déposé son avis de demande de contrôle judiciaire en l’espèce.

[9] Dans une lettre datée du 26 novembre 2021, le conseil des femmes a répondu à la lettre du 8 novembre 2021 du demandeur. Dans cette lettre, le conseil des femmes a informé le demandeur de l’existence de l’appel du 28 octobre 2021 concernant la nomination de ce dernier. Le conseil des femmes a indiqué qu’il avait examiné les motifs de cet appel et conclu que le nom du demandeur devait être radié de la liste des candidats.

[10] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 26 novembre 2021 par le conseil des femmes. Par une ordonnance datée du 1er décembre 2021, sur consentement des parties, l’élection a été reportée jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue à l’égard de la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l’égard de cette décision.

Dispositions législatives pertinentes

Pimicikamak Election Law (2 juillet 1999)

[traduction]

Définitions et interprétation

[…]

4. Dans la présente loi, à moins qu’une intention différente ne soit exprimée :

[…]

« candidat » s’entend de la personne qualifiée dûment nommée pour se présenter au poste de chef ou de conseiller;

[…]

« électeur » s’entend d’un citoyen âgé d’au moins 18 ans;

[…]

« Nation » s’entend de la Nation crie de Pimicikamak;

[…]

« réside habituellement » s’entend du maintien d’une résidence permanente, même si la résidence réelle peut, pour une raison temporaire, être ailleurs;

[…]

« personne qualifiée » s’entend d’un électeur qui réside habituellement sur le territoire traditionnel de la Nation;

[…]

Élection du chef et du conseil

10. Le chef et le conseil de la Nation sont élus aux dates et par les moyens prévus par la présente loi.

Mises en candidature

[…]

48. Le lendemain de la fin de l’assemblée de mise en candidature, le directeur général des élections affiche publiquement les noms des personnes dûment nommées aux postes de chef et de conseiller.

Appels

49. Tout électeur peut interjeter appel, par avis écrit au conseil des femmes dans les 24 heures suivant la clôture de l’assemblée de mise en candidature, de la décision du directeur général des élections d’inscrire tout nom sur la liste des personnes dûment nommées ou de retirer son propre nom de celle-ci, et l’avis doit énoncer les motifs de l’appel.

50. Le conseil des femmes doit demander et examiner les motifs du directeur général des élections.

51. La décision écrite du conseil des femmes à l’égard de l’appel, transmise au directeur général des élections, est finale et lie toutes les personnes.

[…]

Élection partielle

111. À tout moment après qu’un poste de conseiller devient vacant, le directeur général des élections peut, par écrit, ordonner au directeur général des élections de tenir une élection partielle conformément aux principes énoncés dans la présente loi.

[…]

Appels

115. Sauf disposition contraire de la présente loi, un candidat peut interjeter appel de toute décision du directeur général des élections devant la chef des femmes, par écrit, dans les 24 heures suivant la date à laquelle la décision a été rendue.

116. Le conseil des femmes peut, sans préavis, entendre ou ne pas entendre toute personne en appel en vertu de l’article précédent, et sa décision est finale et lie toutes les personnes.

117. Un candidat qui est lésé par la procédure du conseil des femmes en vertu de l’article précédent peut présenter une requête auprès du conseil des aînés.

118. Le conseil des aînés peut fournir des directives pour la procédure future, mais ne devrait pas autrement intervenir dans la décision du conseil des femmes.

Décision faisant l’objet du contrôle

[11] Dans sa lettre du 26 novembre 2021, le conseil des femmes indique que le processus de l’élection partielle a été mené conformément à la Loi électorale.

[12] Il indique que, le 28 octobre 2021, il a reçu une lettre d’appel de membres du conseil des aînés et d’autres membres de la communauté concernant la mise en candidature du demandeur. La lettre de décision indique que le processus d’appel pour le processus de mise en candidature est énoncé aux articles 49, 50 et 51 de la Loi électorale, dont les dispositions étaient reproduites. La lettre de décision indique que la lettre d’appel des membres du conseil des aînés et d’autres membres de la communauté a été reçue dans les 24 heures suivant la clôture de l’assemblée de mise en candidature et qu’elle indiquait que les personnes qui ont interjeté appel de la mise en candidature croyaient que le [traduction] « comportement [du demandeur] constitue un manquement à ses obligations, une violation du code de déontologie et un manquement aux traditions culturelles de Pimicikamak ». La décision indique que le conseil des femmes a examiné les motifs d’appel énoncés dans la lettre du 28 octobre 2021 et qu’il a conclu que le nom du demandeur devait être radié de la liste des candidats.

[13] La lettre de décision indique que les motifs de sa décision n’ont pas été immédiatement fournis parce que le conseiller juridique de l’époque [traduction] « a refusé d’aider de quelque façon que ce soit à préparer la lettre » et que le conseil des femmes ne voulait pas fournir de lettre qui n’avait pas d’abord été examinée et vérifiée par un conseiller juridique.

[14] La lettre indique en outre ce qui suit :

[traduction]

La décision du conseil des femmes était fondée sur sa connaissance individuelle et collective des motifs énoncés dans la lettre, comme il les comprenait. Il n’a tenu compte que de ce qu’il avait vécu lui-même. Il a également rejeté la position de M. Trout selon laquelle la relation qu’il entretient avec son épouse, Veronica Trout (Veronica), et Patricia Turner (Patricia), qui est mariée à une autre personne, n’est qu’une pratique cérémoniale traditionnelle. Le conseil des femmes est arrivé à sa décision sans préjudice, comme en témoigne le fait que M. Trout se soit présenté avec succès à l’élection précédente.

La liste suivante comprend, sans toutefois s’y limiter, les facteurs dont le conseil des femmes a tenu compte pour en arriver à sa décision :

- M. Trout a tenu un événement qu’il a déclaré être une cérémonie traditionnelle d’accueil de Patricia dans ce clan, mais à toutes fins utiles, il s’agissait en fait d’une cérémonie de mariage entre lui-même, Veronica et Patricia;

- Patricia était une collègue d’un conseiller du conseil des femmes. Le conseiller a une connaissance directe de la relation entre Patricia et M. Trout. Patricia a informé le conseiller que M. Trout, Patricia et Veronica dorment tous dans le même lit, avec M. Trout entre eux;

- l’un des fils de M. Trout a informé le conseil des femmes qu’il avait des préoccupations au sujet du bien-être de Patricia et de Veronica, ayant souvent été témoin de leur détresse émotionnelle;

- pendant la pandémie de COVID-19, Patricia s’est faussement fait passer pour une infirmière pour être autorisée à monter à bord d’un avion pour entrer à Cross Lake, alors que la communauté était en confinement. Une fois découverte, Patricia a été escortée hors de la communauté de Cross Lake. Le conseil des femmes ignore quels moyens ou quelles ententes ont été pris pour permettre à Patricia de retourner dans la communauté et de résider avec M. Trout;

- comme il a été indiqué ci-dessus, Patricia est mariée à une personne de Norway House. Patricia et son époux ont plusieurs enfants ensemble. L’époux et les enfants de Patricia résident à Norway House, tandis que Patricia réside à Cross Lake avec M. Trout;

- M. Trout a facturé Pimicikamak Okimawin, sous le nom du clan White Buffalo, pour des services traditionnels qui n’ont pas été demandés par Pimicikamak Okimawin.

Les facteurs ci-dessus, et le fait que M. Trout se soit présenté avec succès dans le passé, montrent que le conseil des femmes n’a pas agi sans considération ou de manière précipitée ou préjudiciable au moment de décider qu’il ne serait pas approprié d’accorder à M. Trout le privilège de se présenter comme chef communautaire en raison de son comportement de longue date, en particulier la cérémonie de mariage qui a eu lieu cet été. Le conseil des femmes a exercé son pouvoir avec soin et de manière raisonnable et délibérée conformément à la Loi électorale.

[…]

Notre position est présentée du point de vue du maintien du droit traditionnel (écrit et non écrit), de la Loi électorale et de la première loi écrite de Pimicikamak. De plus, le conseil des femmes a compétence exclusive sur les élections de Pimicikamak. Par conséquent, le conseil des femmes a l’obligation fiduciaire de protéger la communauté contre les personnes qui adoptent un comportement comme décrit ci-dessus. En effet, le conseil des femmes protège la communauté non seulement des personnes ayant un comportement inapproprié, mais aussi contre les personnes ayant un comportement qui enfreint les lois et les mœurs traditionnelles. L’obligation fiduciaire du conseil des femmes envers la communauté l’empêche d’autoriser des personnes comme M. Trout à se présenter à un poste, puisque cela pourrait les mettre dans une position où ils seraient un exemple de chef communautaire et moral.

[…]

Questions en litige et norme de contrôle

[15] À mon avis, les principales questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

  1. La décision a-t-elle été rendue de manière à manquer à l’obligation d’équité procédurale?

  2. La décision était-elle raisonnable?

[16] Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). Cela dit, dans l’affaire Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CFCP], la Cour d’appel fédérale a conclu que, même si l’exercice de contrôle requis peut être particulièrement bien reflété, bien que de manière imparfaite, dans la norme de la décision correcte, certaines questions d’équité procédurale ne se prêtent pas à une analyse de la norme de contrôle applicable. Au contraire, la Cour doit décider si les procédures étaient équitables eu égard à l’ensemble des circonstances. En fait, « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (CFCP, aux para 54-56); voir aussi Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).

[17] Par la suite, dans l’affaire Première Nation d’Ahousaht c Canada (Affaires indiennes et du Nord), 2021 CAF 135 [Ahousaht], la Cour d’appel fédérale a reformulé cet énoncé comme suit :

[31] La norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte : Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, para. 79. Ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt Vidéotron Ltée c. Canada (Services partagés), 2019 CAF 307, 313 A.C.W.S. (3d) 299, para. 12 :

Les questions relatives à l’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. Même s’il est vrai qu’« aucune norme de contrôle n’est appliquée » lorsqu’un tribunal examine des questions liées à l’équité procédurale, car la question est alors de savoir « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances », l’examen fait par notre Cour de ces questions est [traduction] « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2018] A.C.F. no 382, au paragraphe 54).

[18] Par conséquent, je crois comprendre que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte, ou du moins, essentiellement la norme de la décision correcte.

[19] Pour évaluer le bien-fondé d’une décision administrative, comme celle du conseil des femmes, la norme de contrôle de la décision raisonnable est présumée s’appliquer (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25, 31, 48 et 49 [Vavilov]; voir aussi Thomson c Canada (Procureur général), 2021 CF 606 au para 32; Première Nation de Taykwa Tagamou Nation c Linklater, 2020 CF 220 aux para 34-36). Au moment d’appliquer la norme de la décision raisonnable, la cour de révision se demande si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci (Vavilov, au para 99).

Question préliminaire

[20] Dans leurs observations écrites, les défendeurs indiquent que l’article 117 de la Loi électorale prévoit que [traduction] « la personne maltraitée » peut [traduction] « faire appel » auprès du conseil des aînés, mais que le demandeur ne l’a pas fait. Les défendeurs soutiennent que le demandeur n’a pas respecté les exigences du droit coutumier et de la Loi électorale, et qu’il a demandé un contrôle judiciaire sans avoir pris les mesures préliminaires nécessaires.

[21] Dans la mesure où les défendeurs laissent entendre que le demandeur n’a pas épuisé toutes les voies d’appel disponibles, et que, par conséquent, sa demande de contrôle judiciaire est prématurée, je ne suis pas d’accord.

[22] La décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire est la décision rendue par le conseil des femmes en réponse à l’appel interjeté le 28 octobre 2021 par certains membres du conseil des aînés et d’autres membres de la communauté. Comme l’indique la décision, l’appel d’une mise en candidature est régi par les articles 49 à 51 de la Loi électorale. En d’autres termes, tout électeur peut interjeter appel, par avis écrit au conseil des femmes dans les 24 heures suivant la clôture de l’assemblée de mise en candidature, de la décision du DGE d’inscrire tout nom sur la liste des personnes dûment nommées ou de retirer leur propre nom de celle-ci, et l’avis d’appel doit en énoncer les motifs. La décision concerne l’appel interjeté le 28 octobre 2021 et la demande de contrôle judiciaire concerne cette décision. Les articles 49 à 51 s’appliquent donc. L’article 51 prévoit que la décision écrite du conseil des femmes est définitive et lie toutes les personnes.

[23] Par conséquent, le demandeur n’a aucun autre droit d’appel; sa demande de contrôle judiciaire n’est donc pas prématurée.

[24] Les défendeurs ne renvoient pas aux dispositions relatives à l’appel d’une mise en candidature qui figurent aux articles 49 à 51. Ils s’appuient plutôt sur les articles 115 à 118 de la Loi électorale. Toutefois, ces dispositions concernent les appels de toute décision d’un DGE qui sont interjetés par un candidat dans le contexte d’une élection partielle. Bien que le demandeur ait interjeté appel par une lettre datée du 8 novembre 2021, cet appel était fondé sur sa compréhension, à l’époque, selon laquelle la DGE avait pris la décision d’interdire sa candidature à l’élection en supprimant son nom de la liste de candidats. Il n’était pas au courant de l’appel du 28 octobre 2021 ou n’avait pas été informé que c’était le conseil des femmes qui avait pris la décision de radier son nom de la liste de candidats, et non la DGE. Rien dans le dossier dont je suis saisie ne prouve l’existence d’une décision du conseil des femmes correspondant à l’appel du demandeur.

[25] En outre, quoi qu’il en soit, et contrairement à l’argument du demandeur, l’article 117 de la Loi électorale ne prévoit aucun droit d’appel devant le conseil des aînés. L’article 117 prévoit qu’un candidat qui est lésé par la procédure du conseil des femmes en vertu de l’article 116 peut présenter une requête auprès du conseil des aînés. Toutefois, l’article 118 prévoit que le conseil des aînés peut fournir des directives pour la procédure future, mais ne devrait pas autrement intervenir dans la décision du conseil des femmes. En d’autres termes, non seulement l’article 117 ne s’applique pas à la situation factuelle en l’espèce mais, même si c’était le cas, le fait de présenter une requête au conseil des aînés n’est pas non plus un autre recours adéquat.

Équité procédurale

[26] Le demandeur soutient que le conseil des femmes a manqué à l’obligation d’équité procédurale à son égard, puisqu’il ne l’a pas informé de l’appel du 28 octobre 2021 et ne lui a pas donné une occasion valable d’être entendu, voire tout simplement une occasion d’être entendu. Il n’a été informé de l’existence de l’appel du 28 octobre 2021 contre sa mise en candidature que lorsque la décision a été rendue en réponse à sa demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, il ne pouvait connaître les arguments contre lui et, quoi qu’il en soit, n’avait pas eu l’occasion de répondre aux allégations contre lui.

[27] Selon une interprétation très libérale des observations des défendeurs, on peut comprendre que ces derniers contestent que la décision ait été rendue de manière à manquer à l’équité procédurale. En fait, les défendeurs n’abordent pas directement cette question, mais ne renvoie qu’à la décision Cardinal c Première Nation des Cris de Bigstone, 2018 CF 822 au paragraphe 40, citant la phrase « [l]’équité procédurale ne nécessite pas toujours que la personne ait droit à une audience », et à la décision Pastion c Première nation Dene Tha’, 2018 CF 6448 au paragraphe 7, qui indique que « le conseil “est choisi selon la coutume de [la bande]” », puis il affirme que le conseil des femmes a agi conformément à sa règle en droit coutumier. Les défendeurs se fondent également sur l’article 116 de la Loi électorale qui prévoit que [traduction] « [l]e conseil des femmes peut, sans préavis, entendre ou ne pas entendre toute personne en appel en vertu de l’article précédent, et sa décision est finale et lie toutes les personnes ».

Analyse

[28] Il n’est pas contesté que le demandeur a satisfait aux exigences de la Loi électorale, ce qui lui a permis d’être nommé pour se présenter comme candidat au poste de conseiller de la Nation crie de Pimicikamak. La Loi électorale définit un [traduction] « candidat » comme une personne qualifiée qui est dûment nommée pour se présenter au poste de chef ou de conseiller (art 4). Une [traduction] « personne qualifiée » est définie comme un électeur qui réside habituellement sur le territoire traditionnel de la Nation crie de Pimicikamak (Loi électorale, art 4). Le terme [traduction] « réside habituellement » s’entend du maintien d’une résidence permanente, même si la résidence réelle peut, pour une raison temporaire, être ailleurs, et [traduction] « [l’]électeur » est défini comme un citoyen âgé d’au moins 18 ans (Loi électorale, art 4). Il n’est pas non plus contesté que le demandeur a été dûment nommé conformément aux exigences des articles 37 à 48 de la Loi électorale.

[29] Le 13 décembre 2021, les défendeurs ont déposé ce qui est décrit à première vue par Mme Betty Lou Halcrow, chef du conseil des femmes de la Nation crie de Pimicikamak, comme des copies véridiques et complètes : du certificat de candidature à l’élection partielle du demandeur pour le poste de membre du conseil exécutif; de l’appel du 28 octobre 2021; et de la décision du 26 novembre 2021. En réponse à la demande de contrôle judiciaire, les défendeurs ont déposé deux affidavits de Betty Lou Halcrow : le premier souscrit le 13 janvier 2022 [l’affidavit no 1 de Mme Halcrow], et le deuxième souscrit le 4 février 2022 [l’affidavit no 2 de Mme Halcrow]. Mme Halcrow a également été contre-interrogée au sujet de ses affidavits, dont la transcription est versée au dossier du demandeur.

[30] En contre-interrogatoire, Mme Halcrow a confirmé que le certificat de candidature à l’élection partielle, l’appel du 28 octobre 2021 et la décision du 26 novembre 2021 étaient les seuls documents sur lesquels le conseil des femmes s’est fondé pour prendre la décision. Je fais remarquer qu’il est difficile de voir comment le conseil des femmes pourrait s’appuyer sur sa propre décision pour prendre cette décision. Quoi qu’il en soit, le dossier ne contient aucun autre document ou autre renseignement sur lequel le conseil des femmes s’est appuyé pour prendre sa décision. Aucun dossier certifié du tribunal officiel n’a été déposé.

[31] L’affidavit no 1 de Mme Halcrow comprend la déclaration selon laquelle la DGE n’a pas décidé de retirer le nom du demandeur du bulletin de vote (c’est-à-dire vraisemblablement la liste de candidats), mais plutôt que son nom a plutôt été retiré par la DGE à la demande du conseil des femmes. L’affidavit comprend en outre une déclaration selon laquelle [traduction] « la seule décision que la DGE a prise a été d’inscrire le nom de M. Trout sur la liste des candidats puisqu’il avait satisfait à toutes les exigences nécessaires pour être inscrit sur la liste ». L’affidavit indique que le conseil des femmes a décidé de retirer son nom [traduction] « en réponse, mais sans s’y limiter, à un appel écrit de membres de la communauté de Pimicikamak ». L’affidavit indique également que le demandeur a été informé oralement des motifs pour lesquels il a été exclu de l’élection, mais il ne précise pas quand cet avis oral a été donné, par qui, ou les détails de celui-ci. L’affidavit, qui renvoie à l’avis de demande de contrôle judiciaire et y répond, indique que [traduction] « le conseil des femmes ne “tient pas d’audience” généralement dans le cadre de son processus d’appel ».

[32] L’affidavit indique également ce qui suit :

[traduction]

17. Le conseil des femmes a examiné attentivement l’appel interjeté par les membres de la communauté de Pimicikamak Okimawin contre la mise en candidature de M. Trout.

 

18. Le conseil des femmes a conclu que le comportement de M. Trout n’était pas acceptable ou qu’il était devenu une personne qui pourrait éventuellement devenir un chef élu et influencer sa communauté, et il a décidé de faire droit à l’appel.

19. Le conseil des femmes a tenu compte, sans s’y limiter, des facteurs suivants au moment de prendre sa décision :

a) la polygamie de M. Trout;

b) le fils de M. Trout se dit préoccupé pour le bien-être des femmes qui vivent avec M. Trout;

c) une des femmes qui vit avec M. Trout a été retirée de la communauté de Cross Lake pour s’être fait passer pour une infirmière pendant un confinement lié à la pandémie, pour ensuite retourner pour résider avec M. Trout grâce à des ententes incertaines;

d) une des femmes qui vit avec M. Trout est mariée et a des enfants avec une personne résidant dans une autre communauté;

e) pendant son mandat au sein de la communauté, M. Trout a facturé Pimicikamak Okimawin, sous le nom du clan white Buffalo, pour des services traditionnels qui n’avaient pas été demandés par Pimicikamak Okimawin.

[33] Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec le demandeur pour dire que le conseil des femmes a manqué à l’obligation d’équité procédurale à son égard en rendant la décision.

[34] En ce qui concerne le contenu de l’obligation d’équité procédurale envers le demandeur, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov :

[77] Il est de jurisprudence constante que l’équité procédurale n’exige pas que toutes les décisions administratives soient motivées. L’obligation d’équité procédurale en droit administratif est « éminemment variable », intrinsèquement souple et tributaire du contexte : Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, p. 682; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 22‑23; Moreau‑Bérubé, par. 74‑75; Dunsmuir, par. 79. Dans le cas d’un contexte décisionnel administratif qui donne lieu à une obligation d’équité procédurale, les exigences procédurales applicables sont déterminées eu égard à l’ensemble des circonstances : Baker, par. 21. Dans l’arrêt Baker, la Cour a dressé une liste non exhaustive de facteurs qui servent à définir le contenu de l’obligation d’équité procédurale dans un cas donné, notamment la nécessité de fournir des motifs écrits. Parmi ces facteurs, mentionnons (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif; (3) l’importance de la décision pour l’individu ou les individus visés; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) les choix de procédure faits par le décideur administratif lui‑même : Baker, par. 23‑27; voir également Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine c. Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, [2004] 2 R.C.S. 650, par. 5. Parmi les cas où des motifs écrits sont généralement nécessaires, on compte les situations où le processus décisionnel accorde aux parties le droit de participer, où une décision défavorable aurait une incidence considérable sur l’intéressé, ou encore celles où il existe un droit d’appel : Baker, par. 43; D. J. M. Brown et l’honorable J. M. Evans, avec l’aide de D. Fairlie, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), vol. 3, p. 12‑54.

[35] À mon avis, il n’est pas nécessaire d’entreprendre une analyse approfondie du contenu de l’obligation d’équité procédurale envers le demandeur en l’espèce parce que, même lorsque les droits procéduraux qui s’appliquent sont limités, ceux‑ci comprennent le droit de recevoir un avis et d’avoir la possibilité de présenter des observations (voir, par exemple, Tsetta c Conseil de Bande de la Première Nation des Dénés Couteaux-Jaune, 2014 CF 396 au para 39; Première nation Peguis c Bear, 2017 CF 179 au para 62; Morin c Nation crie d’Enoch, 2020 CF 696 au para 34; Première Nation Carry the Kettle c Kennedy, 2021 CF 462 au para 68).

[36] Dans l’arrêt Bruno c Canada (Commission d’appel en matière électorale de la Nation Crie de Samson), 2006 CAF 249 aux para 21-22 [Samson], la Cour d’appel fédérale a appliqué les facteurs de l’arrêt Baker (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 à la p 836 [Baker]) pour déterminer le contenu de l’obligation d’équité dans un appel d’une élection d’une Première Nation tenue conformément à un code électoral coutumier. La Cour d’appel a jugé que des garanties procédurales de base devaient exister et que la commission d’appel avait omis de donner la possibilité au défendeur en appel de présenter des observations. La Cour d’appel a également souligné que la possibilité de répondre n’exigeait pas de tenir une audience, mais qu’en ne permettant pas au défendeur de fournir une réponse, la commission avait rendu sa décision sur la foi d’un dossier factuel incomplet.

[37] Compte tenu de la jurisprudence claire, je conclus que, même si l’équité procédurale peut ne pas toujours exiger qu’une audience soit tenue, dans les circonstances de l’appel du 28 octobre 2021 contre sa mise en candidature, le demandeur avait le droit d’en être avisé et d’avoir la possibilité de présenter des observations, ainsi que le droit à un examen approfondi de ces observations (voir Gadwa c Kehewin Première Nation, 2016 CF 597 aux para 53-54; Okemow c Nation Crie de Lucky Man, 2017 CF 46 au para 30; Shirt c Nation Crie de Saddle Lake, 2022 CF 321 au para 78; Labelle c Première Nation Chiniki, 2022 CF 456 au para 96).

[38] Ce n’est pas ce qui s’est produit. À cet égard, le demandeur a déposé un affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, souscrit le 10 janvier 2022. L’exactitude de son contenu n’est pas contestée dans l’ensemble.

[39] Il n’est pas contesté que le conseil des femmes a reçu l’appel le 28 octobre 2021. Cela n’est pas contesté et je ne suis pas non plus saisie d’éléments de preuve indiquant que le conseil des femmes a informé le demandeur qu’un appel avait été interjeté ou que l’appel du 28 octobre 2021 avait été transmis au demandeur avant que le conseil des femmes ne rende sa décision. En fait, lorsqu’il a déposé son avis de demande de contrôle judiciaire, le demandeur avait toujours l’impression que c’était la DGE qui avait pris la décision de retirer son nom de la liste des candidats. Ce n’est qu’en réponse à la demande de contrôle judiciaire que le conseil des femmes a divulgué l’appel du 28 octobre 2021. En outre, le conseil des femmes n’a fourni ses motifs écrits que le 26 novembre 2021 – encore une fois, après que le demandeur eut présenté sa demande de contrôle judiciaire. L’affidavit du demandeur indique que le 22 novembre 2021, George Musswagon, en sa qualité de représentant du conseil des femmes, a informé l’avocat du demandeur que son nom demeurerait absent du bulletin de vote et que des motifs suivraient. Le 26 novembre 2021, le conseil des femmes a rendu sa décision en expliquant les motifs pour lesquels il a retiré le nom du demandeur de la liste des candidats.

[40] À mon avis, dans ces circonstances, il est clair que le demandeur n’a pas été avisé de l’appel; par conséquent, il n’a pas été en mesure de savoir qu’il y avait eu une autre affaire contre lui, et on lui a refusé toute possibilité de présenter des observations en réponse.

[41] Les observations écrites des défendeurs indiquent qu’il est important d’examiner l’affidavit du demandeur dans lequel il a déclaré que la décision semblait être motivée par une allégation selon laquelle il avait épousé une deuxième femme, Patricia Turner, et que cette allégation était fausse. Toutefois, lorsqu’il a été contre-interrogé au sujet de son affidavit, son avocat lui a conseillé de ne pas répondre aux questions concernant l’allégation selon laquelle le demandeur entretient une relation polygame avec Mme Turner. Je fais remarquer en passant, ici, que même si les défendeurs prétendent citer un passage du contre-interrogatoire du demandeur, aucune copie de la transcription n’a été fournie. Quoi qu’il en soit, selon les défendeurs, la seule conclusion à tirer du refus du demandeur de répondre est qu’il avait une relation polygame, comme en a conclu le conseil des femmes dans sa réponse à l’appel du 28 octobre.

[42] Je fais remarquer que cet argument comprend la plupart des observations écrites et orales des défendeurs. Toutefois, à mon avis, cela n’est pas la question. Le fait est que le conseil des femmes n’a même pas informé le demandeur de l’appel. Qu’il ait ou non le droit de s’appuyer sur des renseignements apparemment recueillis dans le cadre de sa discussion interne avec ses propres membres – qui semblent refléter les interactions que ces membres ont pu avoir avec d’autres membres de la communauté, bien que les détails de ces interactions ne soient pas précisés –, le conseil des femmes n’a fourni au demandeur aucun avis de l’appel, il ne l’a pas informé des préoccupations du conseil des femmes et des motifs de celles-ci, et il ne lui a pas donné la possibilité de répondre à ces préoccupations. Si le conseil des femmes l’avait fait, et si le demandeur avait alors refusé de répondre à l’allégation de polygamie, il se pourrait que le conseil des femmes ait pu faire une déduction quant à l’effet qu’il propose maintenant. Toutefois, le conseil des femmes n’a pas pu faire une déduction quant à la polygamie pour étayer sa décision en se fondant sur un contre-interrogatoire d’un affidavit qui n’existait même pas au moment de prendre sa décision, comme il semble maintenant le suggérer. Je rejette également l’argument de l’avocat des défendeurs selon lequel le contre-interrogatoire a permis au demandeur de répondre à l’appel. Le contre-interrogatoire a été mené après que la décision eut été rendue et ne peut pas remédier au manquement à l’équité procédurale.

[43] À cet égard, je tiens également à souligner que le conseil des femmes a manifestement rendu sa décision le 5 novembre 2021, date à laquelle la DGE a publié une liste des personnes nommées pour se présenter comme candidat à l’élection – liste qui ne comprenait pas le nom du demandeur. La preuve par affidavit de Mme Halcrow indique que le conseil des femmes a demandé à la DGE de ne pas inscrire le nom du demandeur sur cette liste. Ainsi, il est quelque peu malhonnête pour le conseil des femmes d’affirmer maintenant que ses motifs écrits ont été retardés parce que son conseiller juridique de l’époque refusait d’aider de quelque façon que ce soit à préparer la lettre et que, [traduction] « dans un effort pour être aussi raisonnable et judicieux que possible », il ne voulait pas fournir une lettre qui n’avait pas été d’abord examinée et vérifiée par un autre conseiller juridique. Le conseil des femmes avait déjà rendu sa décision et l’avait fait sans en aviser le demandeur, sans lui donner la possibilité de connaître la preuve établie contre lui et sans lui donner la possibilité de répondre.

[44] Les défendeurs soutiennent également qu’il est d’une importance cruciale de se référer aux articles 115 à 117 de la Loi électorale parce que, conformément à l’article 116, le conseil des femmes peut entendre ou ne pas entendre une personne en appel en vertu de ces dispositions. Encore une fois, comme je l’ai mentionné ci-dessus, et comme l’a explicitement reconnu le conseil des femmes dans sa décision, l’appel concernant le retrait du nom du demandeur était régi par les dispositions d’appel énoncées aux articles 49 à 51 de la Loi électorale, et non aux articles 115 à 117.

[45] Enfin, bien qu’il soit vrai que les articles 49 à 51, qui concernent les appels de mises en candidature, n’obligent pas le conseil des femmes à « [tenir une] audience » ou autrement à tenir une audience au moment d’évaluer un appel, les principes fondamentaux de l’équité procédurale s’appliquent toujours. Cela signifie que le demandeur aurait dû être informé de l’affaire contre lui et avoir une occasion raisonnable et valable de répondre. Cela peut ou non nécessiter une audience. Des observations écrites en réponse auraient pu suffire si le conseil des femmes avait divulgué l’appel ainsi que ses propres discussions et connaissances internes – décrites dans la décision comme étant ses [traduction] « connaissances individuelles et collectives » – sur lesquelles il avait l’intention de s’appuyer pour prendre sa décision. Toutefois, le conseil des femmes n’a pas respecté ces principes fondamentaux de l’équité procédurale, privant ainsi le demandeur de l’équité procédurale et de la possibilité de se présenter comme candidat à une élection. Pour ce motif, sa décision ne peut être maintenue.

Caractère raisonnable

[46] Étant donné que j’ai conclu que le conseil des femmes a manqué à l’obligation d’équité procédurale envers le demandeur, je n’ai pas à examiner les observations du demandeur quant au caractère raisonnable de la décision, qui comprend le pouvoir ou la compétence du conseil des femmes. Je fais remarquer en passant que les défendeurs n’ont pas directement abordé le caractère raisonnable de la décision.

[47] Je comprends que le demandeur ait choisi de concentrer ses observations sur le caractère raisonnable de la décision et, à son avis, que l’affaire porte principalement sur l’identité des électeurs qui doivent prendre une décision quant à l’aptitude d’un candidat, et non sur le rôle du conseil des femmes en tant que [traduction] « police morale ». Lorsqu’il a comparu devant moi, le motif invoqué à l’appui était que, si la Cour était d’accord avec les arguments du demandeur concernant le caractère déraisonnable de la décision, qui sont principalement fondés sur une absence de compétence, cela appuierait l’argument du demandeur selon lequel la question ne devrait pas être renvoyée au conseil des femmes, plutôt que l’argument selon lequel la Cour devrait ordonner que la DGE réinscrive le nom du demandeur sur la liste des candidats. Pour les motifs énoncés ci-dessous dans la section « Réparation » de la présente décision, je ne suis pas convaincue par cet argument. En outre, l’absence manifeste d’équité procédurale est déterminante.

Réparation

[48] Étant donné qu’il a maintenant été déterminé que c’est le conseil des femmes qui a rendu la décision et que celui-ci a maintenant fourni les motifs de la décision, bien qu’après le début du contrôle judiciaire, les réparations demandées par le demandeur, à savoir un bref de mandamus obligeant la DGE à prendre une décision et l’annulation de la décision de la DGE, ne sont plus pertinentes. La dernière réparation demandée dans l’avis de demande de contrôle judiciaire est un bref de certiorari annulant la décision du conseil des femmes.

[49] Dans ses observations écrites, le demandeur soutient que la Cour devrait également ordonner à la DGE d’inscrire le nom du demandeur sur le bulletin de vote de l’élection ou, subsidiairement, ordonner au conseil des femmes de réexaminer la décision. Le demandeur soutient que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de ne pas renvoyer une question à un décideur si le décideur ne pouvait arriver qu’à une seule décision dans cette affaire (citant Vavilov, aux para 142, 195 et 196). Par conséquent, il soutient que, si la Cour est d’accord avec les observations du demandeur, la seule décision raisonnable serait de permettre que le nom du demandeur soit inscrit sur le bulletin de vote en ordonnant à la DGE de le faire.

[50] Les défendeurs n’ont formulé aucune observation écrite à ce sujet. Lors de leur comparution devant moi, ils ont laissé entendre que, si la Cour se prononçait en faveur du demandeur, la question devrait alors être renvoyée au conseil des femmes pour réexamen.

[51] À mon avis, il ne s’agit pas d’une circonstance où la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et ne pas renvoyer la décision au conseil des femmes. Comme le soutient le demandeur, la Cour suprême du Canada dans l’affaire Vavilov a conclu qu’il peut être approprié de refuser de renvoyer une affaire au décideur lorsqu’il devient évident aux yeux de la Cour, lors de son contrôle judiciaire, qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien (au para 142). Toutefois, la présente affaire n’est pas une situation de va-et-vient où il y a eu de multiples contrôles judiciaires et réexamens. Il ne me semble pas non plus qu’il soit inévitable que le nom du demandeur soit inscrit de nouveau sur la liste des candidats et, par conséquent, sur le bulletin de vote.

[52] Le conseil des femmes avait un pouvoir explicite, en vertu de la Loi électorale, de rendre des décisions à l’égard d’appels de mises en candidature, décisions qui sont considérées comme finales et exécutoires (art 50 et 51). Bien qu’il soit vrai que le demandeur satisfait à toutes les exigences de mise en candidature énoncées dans la Loi électorale, cette dernière ne prescrit pas la portée d’un appel de la décision d’un DGE. Autrement dit, il ne limite pas les motifs d’appel à la question de savoir si un candidat satisfait aux exigences de mise en candidature, comme le fait valoir le demandeur. Les articles 49 à 51, qui concernent les appels, ne précisent pas les motifs pour lesquels un appel de la décision de la DGE d’inscrire un nom sur la liste des personnes nommées (ou de retirer le nom de l’électeur) peut être interjeté, ainsi que les facteurs dont le conseil des femmes peut tenir compte au moment d’évaluer les motifs d’appel invoqués.

[53] Je reconnais l’argument du demandeur selon lequel ces limites quant aux motifs d’appel devraient être considérées comme implicites lorsque la Loi électorale est considérée sous l’angle de la démocratie et en harmonie avec les valeurs et les droits de la Charte. Toutefois, je ne suis pas convaincue par l’argument du demandeur selon lequel le conseil des femmes a nécessairement agi au-delà de la portée de ses pouvoirs en tenant compte de facteurs autres que la question de savoir si le demandeur était qualifié, dûment nommé ou assujetti à une incapacité permanente, qui, selon le demandeur, sont les seuls facteurs ou motifs d’appel applicables.

[54] Cela dit, si le conseil des femmes s’appuie sur le droit coutumier pour appuyer son évaluation de ces facteurs externes dans le cadre de l’appel – comme il semble le laisser entendre dans la décision –, cette coutume doit manifestement exister. Le conseil des femmes est également tenu d’évaluer de façon raisonnable tous les éléments de preuve dont il est saisi. Dans le contexte de son réexamen de la présente affaire, cela comprendra tout élément de preuve déposé par le demandeur lorsqu’il aura la possibilité de le faire. En outre, tout autre élément de preuve sur lequel s’appuie le conseil des femmes doit être versé à son dossier et être fourni au demandeur pour lui permettre de répondre à l’appel. De plus, en fin de compte, le réexamen doit être raisonnable.

Dépens

[55] Aucune des parties n’a présenté d’observations concernant le montant des dépens.

[56] En tant que partie ayant eu gain de cause, le demandeur a droit à ses dépens, qui seront payés par le conseil des femmes, en conformité avec la colonne III du Tarif B (Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, art 400(1), (3) et (4)).


JUDGMENT dans le dossier T-1751-21

LA COUR STATUE que :

  1. la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. la décision rendue le 26 novembre 2021 par le conseil des femmes de la Nation crie de Pimicikamak de retirer le nom du demandeur de la liste des candidats dûment nommés pour se présenter comme candidat à l’élection est annulée;

  3. le Conseil des femmes doit, dans les 30 jours suivant la date de la présente décision, fournir au demandeur tous les facteurs sur lesquels il a l’intention de se fonder pour évaluer l’appel du 28 octobre, y compris la source des renseignements sur lesquels il compte se fonder et les détails de cette source, et lui donner une occasion valable de répondre;

  4. la Nation crie de Pimicikamak paiera les dépens du demandeur en conformité avec la colonne III du Tarif B (Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, art 400(4)).

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1751-21

 

INTITULÉ :

ZACHEUS JOSEPH TROUT c CONSEIL DES FEMMES DE PIMICIKAMAK OKIMAWIN, ALIAS NATION CRIE DE PIMICIKAMAK OU PREMIÈRE NATION DE CROSS LAKE, ET CHRISTIE SCOTT, EN SA QUALITÉ DE DIRECTRICE GÉNÉRALE DES ÉLECTIONS DE PIMICIKAMAK OKIMAWIN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Par vidéoconférence au moyen de Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 octobre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 OCTOBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Mohsen Seddigh

Adil Abdulla

 

Pour le demandeur

 

Robert L. Tapper, c.r.

Garry Suderman

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sotos LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Tapper Cuddy LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour les défendeurs

 

 

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