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Date : 20221031


Dossier : IMM-2060-22

Référence : 2022 CF 1486

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 31 octobre 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

HARDEV SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Hardev Singh, est un citoyen indien célibataire de 24 ans qui habite avec ses parents dans son pays d’origine. Le père du demandeur est propriétaire d’une terre agricole de quatre acres au Pendjab. En 2016, le demandeur a commencé à travailler à la ferme de son père.

[2] En mars 2021, après avoir obtenu une offre d’emploi et une étude d’impact sur le marché du travail favorable, le demandeur a présenté une demande de permis de travail dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires [PTET] afin de pouvoir travailler comme manœuvre agricole dans une bleuetière à Langley, en Colombie‑Britannique, pendant deux ans.

[3] Dans une lettre datée du 17 février 2022, un agent d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de permis de travail du demandeur puisqu’il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour comme l’exige le paragraphe 200(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

[4] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agent. Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que la décision de l’agent est raisonnable. La demande sera rejetée.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[5] Le demandeur soulève les questions suivantes : L’agent a-t-il (1) entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, (2) agi sans tenir compte de la preuve au dossier et (3) omis de fournir des motifs suffisants pour justifier le rejet de la demande de permis de travail?

[6] À l’audience, le demandeur n’a pas donné suite à ses arguments concernant l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire et le caractère suffisant des motifs de la décision de l’agent, et j’estime qu’il n’est pas nécessaire que je les examine. La seule question dont je suis saisie est de savoir si la décision contestée est raisonnable.

[7] Les parties conviennent que la décision de l’agent doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 SCC 65 [Vavilov].

[8] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse : Vavilov, aux para 12-13. La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le résultat obtenu et le raisonnement suivi : Vavilov, au para 15. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont le décideur était saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes touchées par ses conséquences : Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135.

[9] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle suscite ne justifient pas toutes une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui-ci : Vavilov, au para 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

[10] Le demandeur fait valoir que l’agent a tiré deux conclusions déraisonnables. Il affirme que l’agent a déraisonnablement conclu que ses liens économiques avec l’Inde étaient insuffisants, ce qui l’a amené à tirer une autre conclusion déraisonnable quant à la volonté du demandeur de rester au Canada.

[11] L’agent a consigné les motifs du rejet de la demande de permis de travail dans le Système mondial de gestion des cas :

[TRADUCTION]

Le demandeur est un homme célibataire d’âge adulte. Il vit avec ses parents. Il travaille à la ferme familiale. Selon ses relevés bancaires, il a un revenu annuel équivalent à environ 4 000 $ CA. Il a peu d’actifs ou de biens. Même si le demandeur a des liens familiaux, il n’a pas de liens économiques. Je ne suis pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de son séjour autorisé. Le permis de travail est refusé au titre de l’alinéa 200(1)b) du Règlement.

[12] J’examinerai séparément les deux arguments du demandeur.

A. Les conclusions de l’agent au sujet des liens économiques du demandeur étaient raisonnables

[13] Le demandeur soutient que l’agent a mené un examen incomplet de sa situation. Il avance que l’agent s’est concentré indûment sur ses liens économiques avec l’Inde, à savoir sa situation financière ou le fait qu’il avait peu d’actifs personnels, et qu’il n’a pas tenu compte du jeune âge du demandeur lorsqu’il a conclu que ses revenus annuels de 4 000 $ CA étaient trop faibles.

[14] En outre, le demandeur soutient que l’agent a omis de tenir compte des documents financiers qu’il a déposés pour démontrer la valeur nette des actifs de son père, dont il héritera.

[15] Le demandeur indique également que, puisque la terre agricole appartient à son père, les revenus d’exploitation de la ferme familiale sont déclarés au nom de son père, comme le démontrent les déclarations de revenus de ce dernier. Le demandeur ajoute que sa participation à l’exploitation de la ferme familiale et l’affidavit souscrit par son père déclarant que le demandeur retournera en Inde à l’expiration de son visa montrent qu’il a des liens économiques solides avec l’Inde.

[16] À mon avis, les arguments du demandeur ne sont pas convaincants.

[17] Dans sa demande de permis de travail présentée dans le cadre du PTET, le demandeur n’a pas mentionné qu’il hériterait des actifs de son père. Le demandeur ne peut donc pas reprocher à l’agent de ne pas avoir tenu compte d’actifs qui ne lui appartiennent pas. De plus, le demandeur n’a fourni aucune explication dans sa demande de permis de travail sur le fait que les revenus générés par la terre agricole étaient distincts de ses propres revenus. Il ne peut pas produire devant la Cour des éléments de preuve qui n’ont pas été soumis à l’agent.

[18] De plus, comme le fait valoir le défendeur, et je partage son avis, les arguments du demandeur se résument à un désaccord sur la manière dont l’agent a apprécié la preuve dont il disposait. Selon les notes consignées au Système mondial de gestion des cas, l’agent était au fait des détails de la demande, mais il n’était pas convaincu, compte tenu de son appréciation de la preuve relative aux actifs et à la situation financière du demandeur en Inde, que celui-ci quitterait le Canada à la fin de son séjour. Comme notre Cour l’a conclu au paragraphe 24 de la décision Aghaalikhani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 1080, les agents sont « présumé[s] avoir pondéré et considéré l’ensemble de la preuve qui [leur] a été présentée » à moins que le contraire ne soit établi. Le demandeur n’a tout simplement pas établi que des éléments de preuve ont été omis.

B. L’agent n’a pas commis d’erreur quant à la volonté du demandeur de rester au Canada

[19] Le demandeur est d’avis que la conclusion de l’agent selon laquelle il serait motivé de rester au Canada après l’expiration de son visa est conjecturale. Il avance qu’aucune preuve ne figure au dossier pour démontrer des liens avec le Canada. Au contraire, le demandeur soutient que la preuve montre qu’il a des liens familiaux solides en Inde, ce que l’agent a reconnu. Le demandeur fait valoir qu’il était déraisonnable pour l’agent, sur la base de cette preuve, de conclure que l’incitatif financier que lui procurerait un travail au Canada serait un motif suffisant pour qu’il demeure au Canada au-delà de la période de séjour autorisée.

[20] Le demandeur s’appuie sur diverses décisions dans lesquelles la Cour a conclu qu’il était déraisonnable de présumer qu’un ressortissant étranger ne quitterait probablement pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, notamment la décision Momi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 162 [Momi]. Au paragraphe 21 de cette décision, le juge Roy a conclu que « le fait que le demandeur ait un [TRADUCTION] “emploi permanent” au Canada ne permet pas de tirer l’inférence selon laquelle il violera la loi et qu’il restera au pays après l’expiration du permis de travail » lorsqu’il n’y a aucune preuve démontrant que le « demandeur [a] des liens avec le Canada qui pourraient, à eux seuls, le tenter à rester ici ».

[21] Le demandeur insiste également sur les raisons qui l’inciteront à retourner en Inde, notamment le fait qu’il héritera de la terre de son père et qu’il reprendra l’exploitation de l’entreprise agricole. Il invoque la décision Dhanoa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 729 [Dhanoa], pour faire valoir qu’il ne faut pas présumer que son intention de venir au Canada pour y acquérir une expérience internationale et bénéficier d’avantages financiers l’emporte sur ses liens avec l’Inde. Le demandeur cite le paragraphe 16 de la décision Dhanoa :

Il est plutôt moralisateur de laisser entendre que notre société est plus attrayante pour lui que l’Inde, où il serait au sein de sa famille, simplement parce qu’il aurait 30 pièces d’argent de plus dans ses poches.

[22] Le demandeur invoque aussi les paragraphes 11 et 12 de la décision Brar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 697 [Brar], citée par le défendeur, pour affirmer que la preuve de l’établissement ne se limite pas aux économies déposées dans un compte bancaire, mais peut inclure les documents d’évaluation foncière de la terre que détient le demandeur.

[23] Enfin, le demandeur renvoie à la jurisprudence qui établit que « [l]a possibilité d’améliorer sa situation financière ou de vivre une expérience professionnelle ne peut, en soi, constituer un motif valable pour rejeter une demande » : Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 au para 12 [Chhetri].

[24] Je conviens que l’incitatif financier à lui seul ne devrait pas être suffisant pour constituer un motif valable pour rejeter la demande de permis de travail présentée dans le cadre du PTET, mais les décisions citées par le demandeur peuvent être distinguées de l’espèce.

[25] Par exemple, dans l’affaire Chhetri, en plus des mesures incitatives de nature économique qui ont joué un rôle déterminant dans la décision de l’agent, d’autres aspects de la décision ont amené la Cour à conclure qu’elle était déraisonnable : au para 15. Dans l’affaire Momi, le demandeur avait vécu et travaillé en Australie et n’avait pas prolongé son séjour après l’expiration de son visa : aux para 16, 25. Enfin, dans l’affaire Dhanoa, le demandeur était marié et avait deux enfants restés en Inde. Il avait fourni la preuve que la moitié de la ferme familiale pourrait lui être dévolue : au para 3.

[26] J’ai déjà souligné que le demandeur n’a fourni aucune preuve qu’il hériterait de la terre de son père. Je fais aussi remarquer que le demandeur n’a pas fait mention de ses liens familiaux en Inde dans sa demande de permis de travail. L’affidavit du père du demandeur, dans lequel il a déclaré que son fils retournera en Inde, est la seule preuve de la volonté du demandeur. Ces éléments distinguent l’espèce des affaires Brar et Dhanoa.

[27] Je partage l’avis du défendeur selon lequel la présente affaire correspond davantage à l’affaire Perez Pena c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 796, dans laquelle notre Cour a jugé qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour autorisé puisqu’il n’avait pas de conjointe, d’enfants ou d’actifs corporels dans son pays d’origine : aux para 13 et 17. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, pour établir qu’il retournerait en Inde, le demandeur devait fournir des éléments de preuve montrant plus que le fait que des membres de sa famille immédiate se trouvent dans ce pays.

[28] Je conclus que la décision de l’agent est raisonnable compte tenu de la preuve fournie par le demandeur. Il incombe au demandeur de présenter la meilleure preuve possible pour démontrer qu’il répond aux exigences prévues par la loi : Sulce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1132 au para 10. La décision de l’agent est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des faits et du droit.

IV. Conclusion

[29] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[30] Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2060-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2060-22

 

INTITULÉ :

HARDEV SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 Octobre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 OCTOBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Neha Bains

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mary Murray

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Neha Bains

Avocate

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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