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Date : 20221101


Dossier : IMM‑6351‑21

Référence : 2022 CF 1491

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

AMANDA OYENMWEN EFIONAYI

UYI BRUCE OSA (UN MINEUR)

TIFFANY OSHIORIAMHE AZONOBO (UNE MINEURE)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision du 27 juillet 2021 par laquelle un agent d’immigration principal (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs, fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la décision).

[2] La demanderesse principale est citoyenne du Nigéria et mère de trois enfants. Lorsque la décision quant à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été rendue, ses enfants avaient quatorze, six et deux ans. Le benjamin est un citoyen naturalisé canadien qui n’est pas partie à la demande.

[3] Pour les motifs qui suivent, la décision doit être annulée. L’analyse de l’intérêt supérieur des enfants effectuée par l’agent était déraisonnable et il est difficile de déterminer la mesure dans laquelle l’agent s’est servi de cette analyse dans son évaluation globale.

II. Contexte factuel

[4] La demanderesse principale et ses enfants (seulement deux d’entre eux étaient nés à ce moment) sont arrivés au Canada en janvier 2018 pour y revendiquer l’asile.

[5] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande des demandeurs en novembre 2018.

[6] En février 2020, après le rejet de l’appel par la Section d’appel des réfugiés (la SAR), la demanderesse principale a soumis une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Elle estimait que l’intérêt supérieur de ses trois enfants, les difficultés auxquelles ses enfants et elle‑même seraient confrontés s’ils étaient renvoyés au Nigéria et leur degré d’établissement au Canada justifiaient l’octroi d’une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

III. Décision

[7] Pour rejeter la demande, l’agent a jugé que le degré d’établissement des demandeurs au Canada était [traduction] « modeste et banal » et a accordé beaucoup de poids à ce facteur dans l’évaluation globale de la demande. Selon l’agent, bien que la demanderesse principale avait établi quelques relations solides au Canada, elle avait des relations encore plus solides au Nigéria en raison de l’existence de liens familiaux. L’agent faisait référence à la mère de la demanderesse principale. Cette dernière avait cependant affirmé avoir peu de contacts avec sa mère et ne pas pouvoir compter sur elle pour l’aider à se réinstaller au Nigéria.

[8] En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a conclu que les deux enfants cadets (âgés de deux et de six ans) ne souffriraient pas d’un retour au Nigéria, car ils [traduction] « devraient être en mesure de s’adapter assez facilement au changement dans les conditions du pays s’ils sont accompagnés de la personne qui pourvoit le plus à leurs besoins et qui est au cœur de leur socialisation ».

[9] L’agent a également conclu que [traduction] « les difficultés liées au retour au Nigéria auxquelles les enfants pourraient faire face seraient atténuées par la présence de leur grand‑mère ».

[10] L’agent a reconnu que Bruce, l’enfant de 14 ans, pourrait [traduction] « éprouver des difficultés », mais il estimait que celles‑ci seraient atténuées par l’existence de liens familiaux au Nigéria.

IV. Question en litige

[11] Selon la demanderesse principale, la seule question en litige concerne le caractère raisonnable des conclusions de l’agent à la lumière de l’ensemble de la preuve.

[12] Dans la présente affaire, la question déterminante porte sur l’évaluation par l’agent de l’intérêt supérieur des enfants.

V. Norme de contrôle

[13] La norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]. Bien qu’il existe certaines exceptions à cette présomption, elles ne s’appliquent pas dans le cas de la présente demande.

[14] Il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision : Vavilov, aux para 75 et 100.

[15] Une décision est raisonnable si le processus décisionnel est justifié, transparent et intelligible et donne lieu à un résultat qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47; Vavilov, au para 86.

[16] Il est nécessaire de prendre en considération la décision dans son ensemble au moment d’en évaluer le caractère raisonnable. Toute lacune relevée dans la décision doit être grave, et plus que simplement superficielle ou accessoire par rapport au fond de la décision : Vavilov, au para 100.

VI. Analyse

[17] Le dossier sous‑jacent ne comprend pas de fondement factuel étayant les conclusions de l’agent à l’égard de l’intérêt supérieur des enfants, qui ont aussi servi à justifier les conclusions relatives à l’établissement et aux difficultés.

[18] Selon les observations que la demanderesse principale a présentées à l’agent, [traduction] : « le seul lien de Mme Efionayi au Nigéria est celui qui l’attache à sa mère, avec qui elle a peu de contacts et sur qui elle ne peut pas compter pour l’aider à y déménager et à s’y réinstaller avec ses trois enfants. »

[19] Dans le rapport psychologique dont disposait l’agent, il était indiqué que la mère de la demanderesse principale s’était remariée et habitait maintenant dans une autre ville. Elle ne serait pas en mesure d’héberger et de protéger les enfants de la demanderesse principale. Le père de celle‑ci, qui avait été sa principale source de soutien – tant sur le plan émotionnel que le plan financier – est décédé.

[20] En outre, dans les formulaires de demande de la demanderesse principale, il est indiqué que la mère de celle‑ci est le seul membre de sa famille immédiate encore en vie au Nigéria.

[21] Nonobstant ces éléments factuels, et sans aucune mention à cet égard, l’agent a affirmé ce qui suit :

[traduction]

La mère de la demanderesse principale vit au Nigéria. Je note qu’elle est la grand‑mère des demandeurs à charge ainsi que du benjamin de la famille. Malgré les amitiés cultivées par les demandeurs au Canada, j’estime que ces relations ne peuvent pas être mises sur le même pied d’égalité que la présence d’un membre de la famille qui pourra s’occuper à l’occasion des enfants lorsque la demanderesse principale ne sera pas en mesure de le faire. Comme la demanderesse principale a peu de relations solides au Canada, je suis d’avis qu’elle profiterait de liens familiaux plus solides au Nigéria. J’accorde un certain poids à ce facteur.

[22] Il semble que la conclusion de l’agent soit fondée uniquement sur le fait que la mère de la demanderesse principale soit en vie et habite au Nigéria. L’agent n’explique pas pourquoi il a conclu que la grand‑mère pourrait s’occuper à l’occasion des enfants lorsque la demanderesse principale ne sera pas en mesure de le faire.

[23] Dans la décision, il n’est pas question de l’observation de la demanderesse principale à savoir qu’elle ne peut pas compter sur le soutien de sa mère. Au contraire, l’agent a conclu que [traduction] « les difficultés liées au retour auxquelles les enfants pourraient faire face au Nigéria seraient atténuées par la présence de leur grand‑mère. »

[24] L’agent ne s’est pas non plus demandé si le nouvel époux de la mère accepterait que sa belle‑fille et les trois jeunes enfants de celle‑ci fassent maintenant partie de leur vie.

[25] Dans les observations écrites de la demanderesse principale, il est indiqué que [traduction] « au Nigéria, 46,7 % de la population vit dans la pauvreté extrême et le taux de chômage est de 23 %. Si [la demanderesse principale] est forcée de retourner au Nigéria, il ne fait aucun doute que cette mère monoparentale de trois enfants fera partie de ces statistiques. Le père des enfants est absent de leur vie et [la demanderesse principale] a affirmé qu’elle ne recevra aucune aide ni assistance au Nigéria. »

[26] L’agent a toutefois conclu que [traduction] « la demanderesse n’a pas fourni de raison pour expliquer pourquoi elle ne pourrait pas vivre sous le même toit que sa mère. À la lumière des renseignements dont je dispose, j’estime qu’il est peu probable que la demanderesse demeure longtemps sans emploi et que les demandeurs vivent dans la pauvreté extrême s’ils retournent au Nigéria. »

VII. Conclusion

[27] La demanderesse principale avait fourni à l’agent plusieurs raisons expliquant pourquoi elle ne pourrait pas vivre sous le même toit avec sa mère. L’agent a passé sous silence les observations que la demanderesse principale avait présentées dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en ce qui concerne sa mère et n’a pas non plus fait référence aux observations figurant dans le rapport psychologique qui portaient sur la relation entre la demanderesse principale et sa mère. Après examen du dossier sous‑jacent, force m’est de conclure que l’agent a écarté ou ignoré ces observations cruciales et a formulé des conclusions qui vont à l’encontre des éléments de preuve.

[28] L’agent a invoqué à de nombreuses reprises ses conclusions à l’égard de la mère de la demanderesse principale pour étayer ses conclusions concernant l’intérêt supérieur des enfants, le degré d’établissement et, dans une certaine mesure, les difficultés.

[29] Il est impossible de savoir si l’agent serait arrivé à la même décision s’il n’avait pas commis d’erreur.

[30] Je juge que l’agent s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte, ce qui a compromis le caractère raisonnable de la décision : Vavilov, au para 126.

[31] La présente demande est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[32] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et j’estime que les faits de la présente affaire n’en soulèvent aucune.

[33] Aucuns dépens ne sont adjugés.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6351‑21

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  2. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6351‑21

 

INTITULÉ :

AMANDA OYENMWEN EFIONAYI, UYI BRUCE OSA (UN MINEUR), TIFFANY OSHIORIAMHE AZONOBO (UNE MINEURE) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 27 OCTOBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

lE 1ER NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Kingsley I. Jesuorobo

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley I. Jesuorobo

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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