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Date : 20221121


Dossier : T-268-22

Référence : 2022 CF 1592

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2022

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

MANSOOR KHAWAJA

demandeur

et

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le présent jugement porte sur la requête écrite du défendeur en vue d’obtenir un jugement sommaire, déposée conformément aux articles 213, 215 et 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles].

[2] Le demandeur, Mansoor Khawaja, agit pour son propre compte. Il est instructeur de vol et réside dans la province de l’Alberta. En 2017, il a obtenu une qualification d’instructeur de vol de classe 4 après avoir réussi un examen et un test en vol. Le demandeur n’était pas d’accord, estimant qu’il était admissible à l’obtention d’une qualification de classe 3. En 2018, après avoir satisfait à d’autres exigences et déposé une demande d’une qualification de classe 3, le demandeur s’est vu accorder par Transports Canada la classification recherchée.

[3] Le 15 février 2022, le demandeur a intenté une poursuite contre Transports Canada. La demande du demandeur repose sur l’allégation selon laquelle Transports Canada lui a accordé la qualification de classe 3 en 2018 plutôt qu’avril 2017. Il sollicite un jugement déclaratoire portant que Transports Canada (i) lui a accordé la mauvaise qualification d’instructeur de vol; (ii) n’a pas respecté les modalités de l’Accord de libre-échange nord-américain [ALENA]/l’Accord Canada‑États-Unis–Mexique [ACEUM]; (iii) n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire; (iv) a commis un abus de confiance; (v) n’a pas répondu aux questions du demandeur sur l’ALENA/l’ACEUM; (vi) a contrevenu à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, constituant la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Charte]. Le demandeur affirme en outre qu’il existe une ambiguïté dans les règles de l’aviation civile et que Transports Canada n’a pas transmis de l’information à l’interne. Le demandeur allègue avoir fait l’objet d’un traitement inapproprié, injuste et inhumain de la part de Transports Canada, ainsi que d’actes discriminatoires et d’un harcèlement intentionnels. Le demandeur demande diverses mesures de réparation de nature administrative ainsi que des dommages-intérêts de 390 000 $ pour la perte de revenus et de 600 000 $ pour préjudice moral.

[4] Le défendeur soutient que la Cour devrait prononcer un jugement sommaire rejetant la demande en application du paragraphe 215(1) des Règles au motif qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse, pour les raisons suivantes : (i) les réparations de droit administratif recherchées par le demandeur ont été déposées de manière irrégulière, inopportune et sont sans objet; (ii) la demande est une demande de contrôle judiciaire voilée; (iii) aucune cause d’action raisonnable de droit privé n’a été plaidée; (iv) la théorie du demandeur fondée sur l’ALENA/l’ACEUM n’est pas fondée; (v) la demande est prescrite conformément à la Limitations Act, RSA 2000, c L-12, de l’Alberta [la Limitations Act] parce que l’action a été intentée plus de deux ans suivant la date à laquelle la cause d’action a pris naissance.

[5] Le demandeur réplique en faisant valoir que (i) le rejet sa demande équivaudrait à une erreur judiciaire; (ii) qu’il est de son devoir de signaler les divergences de droit à la Cour fédérale, en s’appuyant sur l’alinéa 16a) (propositions du public) des Règles; (iii) que le dossier du défendeur montre que ses préoccupations concernant l’ambiguïté du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433, n’ont jamais été officiellement présentées au personnel concerné de Transports Canada; (iv) que son argument fondé sur l’ALENA/l’ACEUM est bien fondé; (v) qu’il a correspondu avec Transports Canada en temps opportun; (vi) que la demande n’est pas prescrite parce qu’il [traduction] « [a] continuellement abordé tous les recours possibles pour la résolution de la question en cause, [qu’il s’est aussi] adressé au ministre des Transports, avant de finalement se tourner vers l’honorable Cour ».

[6] Pour les motifs qui suivent, je suis persuadée que le défendeur s’est acquitté de son fardeau de preuve et a démontré qu’il n’y a pas de véritable question à trancher. Par conséquent, la requête du défendeur est accueillie et l’action du demandeur est rejetée.

II. Modification de la désignation du défendeur et de l’intitulé de l’affaire

[7] Le défendeur demande que Transports Canada soit mis hors de cause en tant que défendeur en l’espèce et que la Couronne soit désignée à ce titre, pour le motif qu’un ministère n’est pas doté d’une personnalité juridique indépendante et ne peut être poursuivi en justice.

[8] Je suis d’accord avec le défendeur et je fais droit à sa demande. L’intitulé de la cause sera modifié de manière à ce que « Sa Majesté le Roi du chef du Canada soit désigné à titre de défendeur ».

III. Éléments de preuve

[9] Le défendeur s’appuie sur l’affidavit de Mme Fyke, chef d’équipe des services à Transports Canada, auquel sont joints des documents relatifs aux qualifications d’instructeur de vol de classe 4 et de classe 3 du demandeur. À l’affidavit est également jointe la correspondance entre le demandeur et Transports Canada de 2016 à 2020, et entre le demandeur et le ministre des Transports en 2021. Plus de 180 pages d’éléments de preuve ont été déposées par le défendeur.

[10] Le demandeur s’appuie sur son propre affidavit auquel il joint une lettre de Transports Canada datée du 18 novembre 2021, répondant à sa demande d’accès à l’information au sujet de la correspondance entre Mme Fyke et [traduction] « l’administration centrale de Transports Canada » concernant [traduction] « des préoccupations de la part de Mansoor Khawaja à l’égard de l’interprétation du RCA », échangée au cours d’une période de 11 mois commençant le 14 octobre 2019. La lettre d’une page indiquait qu’aucun document répondant à la demande n’avait été trouvé.

IV. Question en litige

[11] La question que la Cour doit trancher est de savoir s’il existe une véritable question litigieuse.

V. Analyse

A. Le critère de la requête en jugement sommaire

[12] Avant d’examiner le bien-fondé de la requête du défendeur, il convient de rappeler le droit régissant les requêtes en jugement sommaire devant la Cour fédérale.

[13] Le jugement sommaire a pour objectif de permettre à la Cour de statuer sommairement sur des affaires qui ne devraient pas faire l’objet d’un procès parce qu’il n’y a pas de véritable question à trancher, ce qui permet de conserver les ressources judiciaires et d’améliorer l’accès à la justice (Milano Pizza Ltd c 6034799 Canada Inc, 2018 CF 1112, au paragraphe 25, [Milano Pizza]; Canmar Foods Ltd c TA Foods Ltd, 2021 CAF 7, au paragraphe 23, [Canmar Foods]; Manitoba c Canada, 2015 CAF 57, aux paragraphes 15 à 17; Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, au paragraphe 34, [Hryniak]).

[14] Le jugement sommaire est « un moyen d’éviter les délais et les frais liés à un procès dans les cas où les demandes ou les défenses ne sont pas fondées ». Or, il « ne devrait toutefois pas priver une partie de son droit à un procès, à moins qu’il ne soit clairement démontré qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse, par rapport à la demande ou à la défense, que le juge doit trancher ». (Oriji c Canada, 2006 CF 1539, au paragraphe 31, [Oriji]). Récemment, dans l’arrêt Canmar Foods, la Cour d’appel fédérale a déclaré que la raison d’être et l’objectif des jugements sommaires ont été bien résumés dans le paragraphe suivant par la Cour suprême dans l’affaire Canada (Procureur général) c Lameman, 2008 CSC 14, [Lameman] :

[10] [...] La règle du jugement sommaire sert une fin importante dans le système de justice civile. Elle permet d’empêcher les demandes et les défenses qui n’ont aucune chance de succès de se rendre jusqu’à l’étape du procès. L’instruction de prétentions manifestement non fondées a un prix très élevé, en temps et en argent, pour les parties au litige comme pour le système judiciaire. Il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et avantageux pour les parties, que les demandes qui n’ont aucune chance de succès soient écartées tôt dans le processus. Inversement, la justice exige que les prétentions qui soulèvent de véritables questions litigieuses susceptibles d’être accueillies soient instruites.

[15] Le paragraphe 215(1) des Règles énonce que la Cour rend un jugement sommaire si elle « est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense ». Le critère d’une requête en jugement sommaire ne consiste pas à savoir si une partie ne peut pas obtenir gain de cause au procès, mais plutôt à savoir « si l’affaire est clairement sans fondement » (Canmar Foods, au paragraphe 24) ou si « l’affaire est douteuse au point de ne pas mériter d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès » (Oriji, au paragraphe 35; Milano Pizza, au paragraphe 33; Conseil Kaska Dena c Canada, 2018 CF 218 au paragraphe 21; Canmar Foods, au paragraphe 24). Ainsi, il « faut éviter les délais et les frais liés à un procès dans les cas où les demandes ne sont manifestement pas fondées » (Oriji, au paragraphe 35).

[16] Concernant le critère, « [m]anifestement, […] il incombe au requérant un lourd fardeau » (Canmar Foods, au paragraphe 24). Il incombe à la partie qui demande un jugement sommaire d’établir l’absence de véritable question à trancher, mais l’article 214 des Règles exige que la partie adverse expose des faits précis et produise des éléments de preuve démontrant qu’il existe une véritable question à trancher. En d’autres termes, bien que le fardeau de la preuve incombe aux défendeurs dans la présente affaire, les deux parties doivent présenter leurs meilleurs arguments (Canmar Foods, au paragraphe 27; Milano Pizza, au paragraphe 34; Oriji, au paragraphe 33).

[17] Il est bien établi que notre Cour peut accorder un jugement sommaire sur la base d’un délai de prescription expiré (Warner c Canada, 2019 CF 329, au paragraphe 18, [Warner]; Canada (Procureur général) c Utah, 2020 CAF 224 [Utah]; Lameman, au paragraphe 12). Si un délai de prescription est en vigueur, le succès de la demande est tellement douteux que celle‑ci ne mérite pas d’être examinée dans le cadre d’un éventuel procès (Warner, au paragraphe 18).

B. La demande du demandeur est prescrite

[18] J’examinerai d’abord la question du délai de prescription, car j’estime qu’elle est déterminante.

[19] Le défendeur soutient que la Couronne dispose d’une défense solide, car les faits allégués dans la demande se sont produits et pouvaient ainsi faire l’objet d’une cause d’action avant le 28 novembre 2019. Étant donné que la demande a été déposée le 15 février 2022 et compte tenu de la suspension de 75 jours des délais de prescription en raison de la COVID-19, la demande n’a pas été intentée dans le délai imparti sur la base du délai de deux ans prévu à l’alinéa 3(1)a) de la Limitations Act qui commence à courir à partir de la date à laquelle la cause d’action a pris naissance.

[20] Le demandeur soutient que sa demande n’est pas prescrite parce qu’il [traduction] « [a] continuellement abordé tous les recours possibles pour la résolution de la question en cause, [qu’il s’est aussi] adressé au ministre des Transports, avant de finalement se tourner vers l’honorable Cour ». Hormis l’observation qui précède, le demandeur n’aborde pas la question du délai de prescription applicable et n’applique pas ce délai aux faits en cause.

[21] J’estime que les causes d’action du demandeur sont nées en Alberta. À ce titre, j’estime que le droit albertain relatif à la prescription des actions s’applique en vertu de l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, et de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C-50. Le paragraphe 3(1) de la Limitations Act est rédigé en ces termes :

[traduction]

Délais de prescription

3(1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (1.2) et des articles 3.1 et 11, le défendeur qui invoque la présente loi comme moyen de défense est exonéré de toute responsabilité à l’égard de la demande si le demandeur ne cherche pas à obtenir une ordonnance de réparation :

a) dans les deux années suivant la date à laquelle il a su ou, eu égard aux circonstances, aurait dû savoir :

(i) que le préjudice visé par la demande a été subi,

(ii) que le préjudice est attribuable à la conduite du défendeur,

(iii) que le préjudice, à supposer que le défendeur en soit responsable, justifie l’introduction d’une instance;

ou

b) dans les dix années suivant la date à laquelle la cause d’action a pris naissance,

selon le délai qui expire en premier.

[22] La Cour d’appel fédérale a récemment examiné, dans l’affaire Utah, le sens de l’alinéa 3(1)a) de la Limitations Act, en s’appuyant fortement sur la jurisprudence de la Cour d’appel de l’Alberta. La Cour d’appel fédérale souligne l’obligation pour un demandeur d’intenter une action dans un délai de deux ans et l’obligation corrélative pour le tribunal de rejeter une action intentée tardivement, quel qu’en soit le bien-fondé :

[11] L’alinéa 3(1)a) prescrit que le délai de prescription commence à courir à compter du moment où le demandeur [traduction] « a su, ou eu égard aux circonstances, aurait dû savoir que le préjudice […] a été subi », « que le préjudice était attribuable à la conduite du défendeur » et « que le préjudice [...] justifie l’introduction d’une instance » : aux fins d’éclaircissement sur la norme [traduction] « a su [ou] aurait dû savoir », voir les arrêts suivants : Gratton v. Shaw, 2011 ABCA 175, 505 A.R. 340, par. 32; Boyd v. Cook, 2013 ABCA 27, 542 A.R. 160, par. 28, Condominium Corporation No. 0213028 v. HCI Architecture Inc., 2017 ABCA 375, par. 11; et HOOPP Realty Inc v. Emery Jamieson LLP, 2020 ABCA 159, 5 Alta. L.R. (7th) 213, par. 45. Le délai de prescription est de deux ans. Après l’écoulement de deux ans, les défendeurs [traduction] « sont exonérés de toute responsabilité à l’égard de la demande » : par. 3(1).

[12] Cette disposition législative reflète un choix de politique fait par les législateurs de l’Alberta : lorsque des parties ont su ou auraient dû savoir que le préjudice causé par un défendeur a été subi et justifie une action en justice, cette dernière doit être intentée dans les deux ans.

[13] Cette politique met en équilibre les intérêts des demandeurs et des défendeurs. D’une part, les demandeurs méritent d’avoir accès à la justice. D’autre part, les défendeurs ne doivent pas vivre indéfiniment avec des poursuites planant au-dessus de leurs têtes comme une épée de Damoclès ni se défendre au moyen d’un dossier de preuve obsolète. Voir les arrêts suivants : Yugraneft Corp. c. Rexx Management Corp, 2010 CSC 19, [2010] 1 RCS 649, par. 60 (une affaire concernant la Limitations Act de l’Alberta); James H. Meek Trust v. San Juan Resources Inc., 2005 ABCA 448, 37 A.R. 202, par. 43; arrêt Boyd, par. 4; Bowes v. Edmonton (City), 2007 ABCA 347, 425 A.R. 123, par. 118 à 121. Cette politique consistant à établir un équilibre n’est pas seulement exprimée à l’alinéa 3(1)a), elle est omniprésente dans la Loi : voir, par exemple, les articles 3.1, 5 et 5.1.

[14] Cette politique législative pourrait déplaire à certaines personnes. Elle peut être très stricte. Un demandeur pourrait envisager d’intenter une poursuite qui, sur le fond, semble toute simple et qui offre, de surcroît, une immense possibilité de recouvrement. Cependant, si le demandeur intente cette action après l’expiration du délai de prescription, la Cour doit la rejeter, indépendamment de son bien-fondé.

[23] Comme il est indiqué dans la section « Aperçu » du présent jugement, la genèse de la présente action réside dans le fait que le demandeur ne s’est pas vu accorder une qualification d’instructeur de classe 3 le 20 avril 2017. En fonction de la demande présentée et de la réalisation du test en vol, un inspecteur de Transports Canada a déterminé que le demandeur avait seulement droit à une qualification d’instructeur de classe 4. Dans sa déclaration, le demandeur affirme que le 20 avril 2017, il a dit à l’instructeur de vol qu’il estimait être admissible à une qualification d’instructeur de classe 3 sur la base de ses titres de compétence et de l’article 421.70 du Règlement de l’aviation canadien.

[24] Le 4 mai 2017, le demandeur a contacté Transports Canada afin de faire valoir son point de vue selon lequel il était admissible à l’obtention d’une qualification d’instructeur de classe 3. En fait, le demandeur cherchait à faire convertir sa qualification d’instructeur de la Federal Aviation Authority des États-Unis en une qualification canadienne. Il a demandé à Transports Canada une exemption réciproque de l’obligation de détenir une qualification d’instructeur de classe 4 avant de demander une qualification d’instructeur de classe 3.

[25] Plusieurs échanges ont suivi. Le 15 mai 2017, l’agent de l’équipe de service de Transports Canada a répondu à la correspondance du demandeur et a expliqué pourquoi il considérait que celui‑ci n’avait pas droit à une qualification d’instructeur de classe 3.

[26] Le 30 juillet 2018, le demandeur a rempli la documentation à l’appui d’une demande de qualification d’instructeur de classe 3. Transports Canada a délivré cette qualification le 25 septembre 2018. La base de données de Transports Canada indique qu’au moment où la présente requête a été déposée, le demandeur était titulaire d’une qualification valide d’instructeur de classe 3.

[27] Le 12 juin 2019, le demandeur a de nouveau contacté l’agent de l’équipe de service de Transports Canada. Il a de nouveau invoqué l’article 421.70 du Règlement de l’aviation canadien et a fait valoir qu’il aurait dû être exempté des voies habituelles d’obtention de la qualification d’instructeur de classe 3. Le demandeur a invoqué à l’appui l’ALENA. Le demandeur a fait référence à son courriel de mai 2017.

[28] De nombreux échanges ont suivi en 2019 et 2020 entre le demandeur, les agents de l’équipe de service, Mme Fyke (chef d’équipe des services) et le gestionnaire du programme de délivrance de licences, concernant les préoccupations du demandeur. Le demandeur a continué à faire valoir sa position selon laquelle, sur la base du Règlement de l’aviation canadien, il était admissible à l’obtention d’une qualification d’instructeur de classe 3 en 2017.

[29] À titre d’exemple, le 11 juillet 2019, le demandeur a exprimé sa frustration face à la position de Transports Canada et a de nouveau fait valoir son point de vue. Il a déclaré ceci :

[traduction] « [s]uis-je lésé et ai-je souffert de ne pas bénéficier de cette clause du RAC? [...] En outre, Transports Canada n’a pas modifié le RAC suivant la signature de l’ALENA, qui est entré en vigueur à la suite d’un appel à toutes les ressources, et d’enquêtes et études détaillées. Suis-je directement lésé et ai-je souffert ou non de ce manquement de Transports Canada? »

[30] Dans le même courriel, le demandeur a également déclaré qu’il attendait avec impatience de [traduction] « résoudre cette question, ce qui permettra d’aider beaucoup d’autres personnes lésées comme moi ». Le demandeur avait également commencé son courriel en se désignant comme une [traduction] « partie lésée ». En outre, le demandeur a fait référence à l’un de ses courriels datant de mai 2017.

[31] À plusieurs reprises, Transports Canada a répondu en expliquant le régime réglementaire, mais le demandeur a exprimé son insatisfaction à l’égard de ces réponses. À la suite d’une réponse donnée par Mme Fyke le 3 septembre 2019, le demandeur a envoyé plusieurs courriels à celle‑ci, dont un courriel daté du 4 octobre 2019, où il déclare : [traduction] « J’ai déjà pleinement expliqué les préjudices subis et mes préoccupations dues à un traitement injuste de la part de Transports Canada dans mon courriel daté du 12 juin 2019. On peut très bien comprendre à quel point on reste mentalement frustré et préoccupé par le fait d’être privé de toute réponse à des demandes répétées par courrier électronique et à des messages téléphoniques pour faire valoir des droits légitimes auprès des autorités concernées. » Dans un courriel de suivi envoyé dix jours plus tard, le demandeur se plaint que [traduction] « la question est en suspens auprès de Transports Canada depuis très longtemps, malgré [ses] rappels incessants ».

[32] De nombreux échanges ont suivi. Enfin, le 14 septembre 2020, Mme Fyke a répondu aux courriels répétés du demandeur en l’informant qu’il n’y avait pas d’autres mises à jour à fournir autre que ce qui avait été dit précédemment.

[33] L’année suivante, en 2021, le demandeur a écrit plusieurs courriels au ministre des Transports et a reçu une réponse. Les courriels de suivi du demandeur sont restés sans réponse.

[34] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la cause d’action a pris naissance avant le 28 novembre 2019. En effet, tous les faits pertinents donnant lieu aux réparations que le demandeur demande aujourd’hui lui étaient connus bien avant cette date.

[35] La Cour d’appel fédérale indique que la Limitations Act exige que la Cour s’informe du moment où le demandeur [TRADUCTION] « a su, ou eu égard aux circonstances, aurait dû savoir », suivant les critères de l’alinéa 3(1)a) de la Limitations Act (Utah, au paragraphe 43). Essentiellement, quand le demandeur a-t-il su ou aurait-il dû savoir que le préjudice causé par le défendeur avait été subi et justifiait une action en justice (Utah, au paragraphe 12)?

[36] Le 20 avril 2017, le demandeur savait pertinemment que Transports Canada ne lui délivrerait pas de qualification d’instructeur de classe 3 et il a déposé son opposition directement auprès de son instructeur de vol le même jour. Il a ensuite écrit à Transports Canada le 4 mai 2017 pour soulever la même question. À ce moment-là, il connaissait l’existence du préjudice et savait que son revenu serait touché par la décision de Transports Canada.

[37] Le demandeur a continué de faire valoir sa thèse, même après la délivrance par Transports Canada, le 25 septembre 2018, de la qualification d’instructeur de classe 3. À ce moment-là, il aurait eu connaissance de la période exacte pendant laquelle il aurait été admissible à une qualification d’instructeur de classe 3, alors qu’il ne détenait qu’une qualification d’instructeur de classe 4, ainsi que de la perte de revenu qui en résultait.

[38] En juin 2019, il avait déjà soulevé auprès de Transports Canada l’argument relatif à l’ALENA qu’il a en fin de compte énoncé dans sa déclaration déposée en 2022. En juillet 2019, il se désignait comme une « partie lésée » et mentionnait les préjudices subis à la suite des manquements reprochés à Transports Canada.

[39] Le demandeur soulève le fait qu’il a continué à aborder [traduction] « tous les recours possibles » pour la résolution de la question en cause et qu’il s’est aussi adressé au ministre des Transports. Le fait que le demandeur ait continué à envoyer de la correspondance à Transports Canada et au ministre ne permet cependant pas de prolonger le délai applicable.

[40] J’estime que, même en supposant que les allégations du demandeur révélaient des points litigieux, la demande est prescrite en vertu de la Limitations Act. En date du 20 avril 2017, le demandeur avait connaissance du préjudice imputable au défendeur et aurait dû savoir qu’il justifiait l’introduction d’une instance. Tenant les faits substantiels de la déclaration pour véridiques, aux fins de la présente requête, force est de constater que le demandeur déclare qu’il était au courant de la question litigieuse et qu’il l’avait soulevée auprès de Transports Canada à cette date, qu’il a contacté Transports Canada par courrier électronique peu après et que [traduction] « depuis lors » il a été placé dans [traduction] « une situation déplorable ». Il n’existe donc pas de « véritable question » à débattre. Si on la laissait suivre son cours jusqu’à l’instruction, l’action serait assurément rejetée pour ce motif (Lameman, au paragraphe 12).

VI. Conclusion

[41] En date du 20 avril 2017, les critères énoncés à l’alinéa 3(1)a) de la Limitations Act étaient satisfaits et le délai de prescription de deux ans a ainsi commencé à courir à partir de cette date. Le demandeur a déposé sa demande le 15 février 2022, soit bien après l’expiration du délai de deux ans. Je conclus donc qu’il n’existe pas de question sérieuse à trancher en ce qui concerne la demande du demandeur et je rends un jugement sommaire en faveur du défendeur, conformément au paragraphe 215(3) des Règles.

[42] Le défendeur sollicite des dépens de 400 $, ce qui correspond en fait à un échelon relativement inférieur du tarif « B » des Règles. Compte tenu de mon pouvoir discrétionnaire d’adjuger des dépens relativement peu élevés, je fixerai les dépens à une somme globale de 400 $.


JUGEMENT dans le dossier T-268-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La requête en jugement sommaire du défendeur est accueillie;

  2. L’intitulé de la cause est modifié de manière à ce que Sa Majesté le Roi du chef du Canada soit désigné, comme il se doit, à titre de défendeur;

  3. Des dépens de 400 $ sont adjugés au défendeur.

« Vanessa Rochester »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Dossier :

T-268-22

INTITULÉ :

MANSOOR KHAWAJA c SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

REQUÊTE EXAMINÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 21 NOVEMBRE 2022

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Mansoor Khawaja

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Katherine Starks

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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