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Date : 20220624


Dossier : IMM‑7395‑19

Référence : 2022 CF 958

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2022

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

ABELARDO SUAREZ CABRERA

demandeur

Et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Abelardo Suarez Cabrera, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada autorisant le défendeur à interjeter appel d’une décision de la Section de l’immigration (la SI), et par laquelle il a été jugé interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] M. Suarez Cabrera est un citoyen cubain qui est arrivé au Canada à titre de résident permanent en janvier 2009. Sa demande de résidence permanente a été parrainée par son épouse de l’époque, Mme Bertin, qu’il avait rencontrée alors que cette dernière était en vacances à Cuba en mars 2007. Le couple s’est marié en avril 2008, s’est séparé en juin 2009 et Mme Bertin a demandé le divorce en août 2009. Le divorce a été prononcé en septembre 2010.

[3] La SAI a conclu que M. Suarez Cabrera avait contracté un « mariage de convenance » avec Mme Bertin, dans le but d’obtenir le statut de résident permanent au Canada. La SAI s’est penchée sur la question de savoir si les considérations d’ordre humanitaire en l’espèce justifiaient la prise de mesures spéciales relativement aux exigences de la LIPR, et a conclu que ce n’était pas le cas. M. Suarez Cabrera ne conteste pas la conclusion relative aux considérations d’ordre humanitaire de la SAI.

[4] M. Suarez Cabrera affirme que son mariage avec Mme Bertin était authentique. Il soutient que la SAI a mal interprété les éléments de preuve et que c’est en se fondant sur de multiples conclusions déraisonnables qu’elle a conclu que le mariage n’était pas authentique. Il sollicite l’annulation de la décision de la SAI.

[5] Pour les motifs exposés ci‑dessous, M. Suarez Cabrera n’a pas établi que la décision de la SAI est déraisonnable, et, par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. La norme de contrôle

[6] La seule question en litige dans la présente demande est de savoir si la SAI a raisonnablement conclu que le mariage de M. Suarez Cabrera n’était pas authentique et qu’il visait principalement des fins d’immigration.

[7] La Cour suprême du Canada a énoncé les principes directeurs relatifs au contrôle selon la norme de la décision raisonnable dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle fondée sur la déférence, mais elle est néanmoins rigoureuse (Vavilov, aux para 12‑13, 75 et 85). Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la Cour doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, au para 99). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

III. Analyse

[8] Le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 prévoit que l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux […] a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi; b) n’est pas authentique.

[9] M. Suarez Cabrera soutient que quatre conclusions déraisonnables, fondées sur une mauvaise interprétation de la preuve, entachent la conclusion de la SAI selon laquelle son mariage avec Mme Bertin n’était pas authentique. Premièrement, la SAI a déclaré qu’il y avait eu un effondrement rapide du mariage, alors qu’en fait, M. Suarez Cabrera et Mme Bertin avaient entretenu une relation amoureuse pendant deux ans et avaient été mari et femme pendant 14 mois avant de se séparer; en outre, la SAI n’a pas examiné de façon adéquate la preuve quant aux raisons de la rupture. M. Suarez Cabrera relève que la SAI a mentionné que le demandeur et Mme Bertin s’étaient séparés en juin 2008 dans ses motifs, ce qui est erroné, car ils s’étaient plutôt séparés en juin 2009. Deuxièmement, la SAI a déclaré que la relation antérieure de M. Suarez Cabrera avec une autre Canadienne qu’il avait rencontrée à Cuba « soulève des doutes concernant une tendance à chercher des relations avec des Canadiennes et la volonté d’immigrer comme motif de ces relations ». Cependant, le fait qu’il aurait pu épouser cette autre femme, mais ne l’a pas fait parce qu’il ne l’aimait pas, donne à penser le contraire. Troisièmement, les conclusions de la SAI selon lesquelles il y avait un manque de communication substantielle entre le demandeur et Mme Bertin et une faible preuve se rapportant à la genèse et à l’évolution de leur relation étaient indéfendables, compte tenu du fait que Mme Bertin lui avait régulièrement rendu visite à Cuba (plus de 20 fois) et que Mme Bertin et lui ont tous deux déclaré devant la SAI qu’ils étaient amoureux. Quatrièmement, la critique selon laquelle M. Suarez Cabrera n’a pas demandé à son frère ou à son épouse actuelle de témoigner devant la SAI était déraisonnable, car le fardeau de la preuve incombait au défendeur à cet égard et que ce dernier aurait pu appeler Mme Bertin à témoigner à l’audience de la SAI, mais ne l’a pas fait. M. Suarez Cabrera soutient que ces erreurs alléguées rendent la décision de la SAI déraisonnable et justifient l’intervention de la Cour pour annuler la décision.

[10] En guise de preuve supplémentaire du caractère déraisonnable des conclusions de la SAI, M. Suarez Cabrera souligne un certain nombre de conclusions contradictoires de la SI. Par exemple, il affirme que la SI a conclu que son récit des faits est plus plausible et plus crédible que celui de Mme Bertin, et que lui et Mme Bertin s’étaient mariés pour des motifs légitimes, et qu’ils étaient tous deux amoureux.

[11] Je ne suis pas convaincue que la décision de la SAI est déraisonnable. Les conclusions que M. Suarez Cabrera conteste dans la présente demande de contrôle judiciaire sont des conclusions qui étaient loisibles à la SAI de tirer dans le contexte du dossier. M. Suarez Cabrera n’a pas établi que la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en tirant les conclusions en l’espèce.

[12] La SAI n’a pas eu tort de qualifier de rapide ou de soudain l’effondrement de la relation. Je ne suis pas d’accord avec le fait que cette qualification suggère que la SAI a mal évalué la durée de la relation du couple ou qu’elle a cru que l’effondrement de la relation s’était produit peu de temps après le mariage du couple. La SAI a commis une faute typographique en indiquant que la date de séparation était en juin 2008. La SAI a correctement relevé que M. Suarez Cabrera est arrivé au Canada en janvier 2009, mais elle a ensuite affirmé que : « [q]uelques mois après l’arrivée de l’intimé au Canada, le couple s’est séparé le 5 juin 2008. » Je conviens avec le défendeur que l’argument de la SAI demeure valable; le couple s’est effectivement séparé dans les mois qui ont suivi l’arrivée de M. Suarez Cabrera au Canada. Plus loin dans ses motifs, la SAI relève à nouveau qu’après l’arrivée du demandeur au Canada, « il a fallu peu de temps avant que la relation ne s’effondre », et elle fait référence à « l’effondrement rapide de la relation après l’arrivée de l’intimé au Canada ».

[13] La SAI a également tenu compte du témoignage de M. Suarez Cabrera concernant les motifs de l’effondrement de la relation qui l’ont amené à quitter le domicile conjugal dans les cinq mois suivant son arrivée au Canada. M. Suarez Cabrera est resté au Canada après la dissolution du mariage et a déclaré que c’était parce qu’il espérait se réconcilier avec Mme Bertin. Cependant, la SAI n’a pas admis cette explication, parce que (i) M. Suarez Cabrera n’a pas expliqué de façon raisonnable pourquoi il voulait se réconcilier avec Mme Bertin, compte tenu des raisons qu’il avait données pour rompre avec elle, (ii) il a soutenu avoir essayé d’appeler Mme Bertin à quelques reprises sans retourner chez elle ni tenter de la rencontrer pour régler leurs différends, et il y avait des éléments de preuve démontrant que Mme Bertin essayait de le retrouver « par tous les moyens à sa disposition », puis (iii) il a déclaré, dans sa lettre d’adieu destinée à Mme Bertin, que le Canada ne lui convenait pas et qu’il allait retourner à Cuba.

[14] La SAI a conclu que le fait de rester au Canada concordait avec l’objectif principal d’obtenir un statut au Canada par voie du mariage :

Après la rupture soudaine de la relation, malgré le fait que l’intimé n’avait pas de famille au Canada et avait de la difficulté à s’adapter à la vie ici, et contrairement à ses déclarations dans la lettre de rupture à sa répondante selon lesquelles il ne voulait plus rien savoir du Canada et allait rentrer à Cuba, il a continué de vivre au Canada au fil des ans, même après avoir épousé une autre femme à Cuba. Tout cela laisse penser que le but principal était d’obtenir un statut au Canada en se mariant.

[15] La relation antérieure de M. Suarez Cabrera avec une autre Canadienne n’a pas été déterminante quant à l’issue de l’appel. Toutefois, la SAI a relevé que le demandeur avait déjà été fiancé à une autre Canadienne et qu’il n’avait pas parlé de cette relation à Mme Bertin. La SAI a considéré que la connaissance des relations antérieures était un facteur pertinent permettant d’évaluer l’authenticité d’une relation.

[16] Je ne suis pas convaincue qu’il y ait eu erreur dans l’évaluation de la SAI relativement à la genèse et à l’évolution de la relation entre M. Suarez Cabrera et Mme Bertin. La SAI était au courant que Mme Bertin s’était rendue à plusieurs reprises à Cuba pour passer du temps avec M. Suarez Cabrera. Cependant, M. Suarez Cabrera a déclaré que sa capacité de communiquer avec Mme Bertin était restreinte en raison de limitations linguistiques. La SAI a conclu que ce fait, conjugué à son manque de connaissances au sujet de Mme Bertin et à la demande en mariage hâtive, soulevait des questions quant à la capacité du couple à développer une relation authentique et quant à la motivation de M. Suarez Cabrera à proposer un mariage.

[17] En ce qui concerne les déclarations de la SAI au sujet du témoignage du frère de M. Suarez Cabrera ou de son épouse actuelle, la SAI a relevé, de façon raisonnable à mon avis, que leur témoignage aurait été utile pour obtenir des clarifications sur certains points :

  • a) Mme Bertin a contacté l’ambassade du Canada à Cuba pour tenter de joindre M. Suarez Cabrera. Les notes consignées par l’ambassade indiquent qu’un de ses représentants a joint le frère de M. Suarez Cabrera; ce dernier aurait déclaré qu’il demanderait à M. Suarez Cabrera de communiquer avec l’ambassade. M. Suarez Cabrera a déclaré que son frère ne lui avait jamais parlé des appels de l’ambassade. Le frère a été désigné comme témoin, tant devant la SI que devant la SAI, mais n’a pas été appelé à témoigner lors des deux audiences.

  • b) La preuve établissait que Mme Bertin avait écrit aux agents d’immigration canadiens en septembre 2009 pour les informer qu’elle avait appris que M. Suarez Cabrera avait une autre épouse à Cuba et qu’il voulait la faire venir au Canada avec ses enfants. M. Suarez Cabrera a déclaré avoir rencontré son épouse actuelle en décembre 2010 et s’être marié avec elle en avril 2012. Il a demandé à la parrainer pour qu’elle obtienne le statut de résidente permanente en février 2014. Certains éléments de preuve remettaient en cause la date de décembre 2010, et la SAI a conclu que ceux‑ci correspondaient davantage à une relation ayant débuté plus tôt.

[18] En ce qui concerne les conclusions de la SI, le défendeur souligne à juste titre que l’appel de la SAI est un examen de novo de l’affaire et que les conclusions de la SI ne lient pas la SAI : Khan c (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 105 au para 14, citant Fang c (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 733 au para 26.

[19] Plusieurs conclusions appuyaient celle tirée par la SAI selon laquelle M. Suarez Cabrera avait contracté un mariage de convenance, y compris des conclusions qu’il n’a pas contestées dans la présente demande de contrôle judiciaire. À mon avis, bien que M. Suarez Cabrera ne soit pas d’accord avec la façon dont la SAI a soupesé les éléments de preuve, il n’a pas établi que la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle qui rendrait la décision déraisonnable selon les principes énoncés dans l’arrêt Vavilov.

IV. Conclusion

[20] M. Suarez Cabrera n’a pas établi que la décision de la SAI est déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[21] Aucune des parties n’a proposé de question d’importance générale à certifier. À mon avis, l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7395‑19

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7395‑19

 

INTITULÉ :

ABELARDO SUAREZ CABRERA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 DÉCEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Elena Mazinani

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mazinani & Associates

Barrister & Solicitor P.C.

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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