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Date : 20221129


Dossier : IMM-8897-21

Référence : 2022 CF 1642

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2022

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

Muhammad RASHID

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Rashid demande le contrôle judiciaire d’une décision du 4 novembre 2021 [la décision] par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté sa demande d’asile au motif qu’il existe des possibilités de refuge intérieur [les PRI] dans son pays d’origine, le Pakistan. M. Rashid soutient que la SPR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve contredisant la viabilité des PRI proposées.

[2] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée, car la décision de la SPR est raisonnable.

Le contexte et la décision faisant l’objet du contrôle

[3] M. Rashid est un musulman sunnite qui, avec ses frères, exploitait un kiosque de vêtements dans un marché à Lahore, au Pakistan. Un membre du groupe extrémiste Sipah-e-Sahaba Pakistan [le SSP] a abordé son frère pour lui demander une aide financière et l’inviter à entreprendre des activités contre les chiites. Après cette rencontre avec le SSP, M. Rashid et ses frères se sont enfuis au Canada et ont présenté des demandes d’asile.

[4] La SPR a conclu que M. Rashid et ses frères n’étaient pas des réfugiés parce qu’ils disposaient de PRI au Pakistan. Elle a proposé trois PRI, soit Karachi, Rawalpindi et Islamabad.

[5] Lorsqu’elle a examiné la question, la SPR a appliqué le critère à deux volets relatif à la PRI énoncé dans la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA), selon lequel il faut se demander (1) si le demandeur risque sérieusement d’être persécuté là où il existe une PRI; et (2) s’il est raisonnable pour le demandeur d’y déménager.

[6] La SPR a tenu compte de la preuve documentaire relative au Pakistan et au SSP. Elle a fait référence à une évaluation réalisée par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur du gouvernement de l’Australie et publiée en février 2019 dans laquelle il est indiqué que : [traduction] « Les grands centres urbains comme Karachi, Islamabad et Lahore sont composés de populations diversifiées sur les plans ethnique et religieux, et ils offrent un certain anonymat aux personnes qui fuient la violence de la part d’acteurs non étatiques. » Bien qu’elle ait reconnu qu’il s’agit d’un énoncé général, la SPR a confirmé la viabilité des PRI au Pakistan.

[7] La SPR a examiné les renseignements concernant le SSP, aussi appelé les talibans du Pendjab. Elle a conclu que la preuve démontrait que [traduction] « beaucoup de groupes extrémistes pakistanais associés ne fonctionnent pas comme une organisation unifiée et intégrée, dotée d’une seule structure hiérarchique » et qu’il n’y a [traduction] « aucune preuve objective qui lui a été présentée sur la situation dans le pays qui indique que l’agent de persécution était suffisamment puissant et influent pour pouvoir apprendre qu’un individu est retourné au Pakistan ou qu’il est présent dans une quelconque ville dans ce pays ».

[8] La SPR a noté que [TRADUCTION] « la preuve documentaire n’appuie pas les affirmations des demandeurs selon lesquelles le SSP dispose de moyens de communication pour les retrouver n’importe où. Le tribunal souligne qu’il est précisément mentionné dans la preuve objective que les groupes militants du mouvement taliban sont divisés et ne semblent pas avoir la capacité de retrouver des individus. » La SPR a conclu que la preuve documentaire indiquait principalement que le SSP attaquait des chiites, et non des sunnites, et que leurs attaques ne ciblaient généralement pas un individu en particulier, mais consistaient en des attentats à la bombe en bordure de route ou des attentats-suicides à la bombe. Même si la preuve faisait état de certaines attaques ciblées sur des personnes bien connues, la SPR a jugé que la preuve n’indiquait pas que les attaques ciblaient des gens ordinaires, comme M. Rashid, ou des musulmans sunnites en général. Finalement, la SPR a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve démontrant que le SSP avait la capacité de retrouver M. Rashid n’importe où au Pakistan.

[9] La SPR a aussi souligné que la première [TRADUCTION] « demande aléatoire d’appui financier ou d’appel au martyr » a été faite au kiosque de vêtements que M. Rashid et ses frères exploitaient et qui a cessé ses activités.

[10] La SPR a ainsi résumé ses conclusions sur la preuve documentaire :

[traduction]

a) Il existe peu d’éléments de preuve documentaire qui démontrent que le SSP a lui-même ciblé activement des personnes ayant un profil semblable à celui des demandeurs à Karachi, à Rawalpindi ou à Islamabad.

b) La preuve démontre que les talibans ont perpétré des attaques sur des acteurs étatiques et des membres de minorités religieuses ou d’autres personnes qu’ils perçoivent comme opposées à leurs objectifs, surtout dans la région auparavant appelée « zone tribale sous administration fédérale » et dans d’autres régions bien loin de Karachi, de Rawalpindi ou d’Islamabad.

c) La preuve établit que le SSP au Pakistan ne fonctionne pas comme une organisation unifiée et intégrée, dotée d’une seule structure hiérarchique.

d) Les PRI proposées à Karachi, à Rawalpindi ou à Islamabad sont des villes ayant des populations respectives de 27 millions, 2,09 millions et un demi-million de personnes. Le tribunal souligne également que toutes ces villes répondent au critère de « grands centres urbains » offrant un « certain degré d’anonymat » tel qu’il est indiqué dans le document du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni.

[11] La SPR a conclu que, pour cibler M. Rashid dans les villes proposées comme PRI, le SSP aurait besoin d’apprendre qu’il est retourné au Pakistan et qu’il s’est installé dans l’une de ces villes, et devrait ensuite l’y retrouver. Compte tenu de l’étendue géographique du Pakistan et de l’immense population dans les villes proposées comme PRI, la SPR a conclu qu’[TRADUCTION] « il faudrait une entité très bien coordonnée, interconnectée et organisée pour cibler les demandeurs à Karachi, à Rawalpindi ou à Islamabad », ce que la preuve documentaire n’établissait pas.

[12] Après avoir examiné le deuxième volet du critère relatif à la PRI, la SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, il n’existait pas de sérieux obstacles sociaux, économiques ou autres à la réinstallation de M. Rashid dans l’une des villes proposées comme PRI. M. Rashid et ses frères sont des gens d’affaires qui ont voyagé dans d’autres pays, qui parlent l’ourdou et qui sont à l’aise avec d’autres pratiques religieuses. Ces facteurs ont amené la SPR à conclure qu’elle ne voyait [TRADUCTION] « aucune raison pour laquelle ils ne seraient pas en mesure de trouver un travail ou de démarrer une entreprise à Karachi, à Rawalpindi ou à Islamabad ».

La question en litige et la norme de contrôle

[13] La seule question en litige dans la présente demande est celle de savoir s’il était raisonnable de la part de la SPR de conclure qu’il existait une PRI.

[14] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable à la décision de la SPR est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner les motifs avancés afin de déterminer s’ils sont fondés sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et justifiés au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85).

Analyse

[15] M. Rashid soutient que la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve documentaire qui contredisent la conclusion selon laquelle il existe une PRI viable au Pakistan. Plus précisément, il fait état de la Réponse à la demande d’information [la RDI] du 14 décembre 2020 qui traite des groupes extrémistes au Pakistan. La RDI en question faisait partie du Cartable national de documentation [le CND] dont disposait la SPR, qui n’y a cependant pas expressément fait référence.

[16] M. Rashid soutient que les renseignements contenus dans la RDI contredisent directement les conclusions de la SPR au sujet de l’organisation et de l’intégration des groupes extrémistes pakistanais ainsi que de la capacité du SSP de retrouver les personnes ciblées. De fait, M. Rashid soutient que le SSP est motivé à le retrouver dans les villes proposées comme PRI par la SPR et a les moyens de le faire.

[17] M. Rashid fait valoir que, puisque la SPR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants, la décision est déraisonnable (Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 982). Par conséquent, il soutient qu’il incombait à la SPR de relever et d’examiner les documents dans le CND qui contredisent les conclusions qu’elle a tirées.

[18] Contrairement à ce qu’affirme M. Rashid, je ne suis pas d’avis que la RDI contredit l’évaluation par la SPR des capacités du SSP. La RDI indique que divers groupes extrémistes sont liés et forment un réseau peu structuré, mais ne mentionne pas que ces groupes ont la capacité opérationnelle de retrouver des personnes ciblées dans les villes proposées comme PRI. La RDI précise que [TRADUCTION] « la tactique et l’approbation [de l’attentat] dépendaient de la valeur stratégique de la cible ». Cependant, cet énoncé à lui seul n’étaye pas la conclusion qu’il existe un [TRADUCTION] « réseau » permettant de retrouver des personnes ciblées partout au Pakistan ou, plus précisément, dans les villes proposées comme PRI par la SPR. Rien dans la RDI ne permet de penser que M. Rashid serait exposé à un risque aux mains du SSP dans l’une des villes proposées comme PRI. La RDI ne contient aucune information au sujet des activités menées par le SSP dans les villes proposées comme PRI.

[19] La SPR a conclu que le SSP a tendance à se livrer à des attaques généralisées sur des chiites, durant lesquelles des personnes bien connues sont ciblées. La RDI sur laquelle s’appuie M. Rashid indique aussi que le SSP cible des musulmans chiites. Toutefois, M. Rashid est un musulman sunnite.

[20] Par conséquent, M. Rashid n’a pas établi que le SSP a la capacité de le retrouver dans les villes proposées comme PRI. Il n’a pas démontré non plus que la SPR n’a pas tenu compte de la RDI. La RDI n’établit pas que les groupes extrémistes au Pakistan se coordonnent entre eux au point où ils pourraient retrouver M. Rashid partout au Pakistan. De plus, la RDI ne démontre pas qu’une personne ayant le profil de M. Rashid serait exposée à un risque aux mains du SSP dans les villes proposées comme PRI.

[21] Afin de prouver que la PRI est déraisonnable, le demandeur doit présenter « [d]es éléments de preuve réels et concrets établissant des conditions qui compromettraient la vie et la sécurité [du demandeur] s’il voyageait ou déménageait temporairement » à un endroit proposé comme PRI (Calderon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1447 au para 26). M. Rashid n’a pas présenté de tels éléments de preuve.

[22] Essentiellement, M. Rashid demande à la Cour d’apprécier à nouveau l’évaluation de la documentation relative à la situation dans le pays que la SPR a réalisée, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Le simple fait que la SPR mentionne certaines parties du CND mais pas d’autres ne rend pas la décision déraisonnable. De toute façon, les passages du CND auxquels renvoie M. Rashid et que, selon lui, la SPR a omis, ne contredisent pas, en fait, les conclusions de la SPR.

Conclusion

[23] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée parce que la conclusion de la SPR selon laquelle il existe des PRI viables au Pakistan est raisonnable à la lumière de la preuve et du droit applicable.

[24] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-8897-21

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

IMM-8897-21

INTITULÉ :

RASHID c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 NovembRe 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

le 29 NOVEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

John Guoba

POUR LE demandeur

 

Amy King

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grice & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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