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Date : 20221129

Dossier : IMM-3693-20

Référence : 2022 CF 1643

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 29 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

KULDEEP SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Kuldeep Singh, est citoyen de l’Inde. Il a commencé à étudier la foi sikhe à l’âge de 14 ans et est plus tard devenu prêtre au Temple d’or d’Amritsar, en Inde. Il a été invité à travailler dans divers temples du sud-ouest de l’Ontario à partir de 2007. Il a commencé à vivre et à travailler à temps plein au Canada en 2012. Il travaille comme granthi à la Golden Triangle Sikh Association (la « GTSA ») depuis mars 2015.

[2] Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’immigration a rejeté sa demande de rétablissement de son statut de résident temporaire et de délivrance d’une fiche de visiteur en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »). M. Singh soutient que la décision de l’agent était déraisonnable au regard des principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653.

[3] Je suis d’accord. Pour les motifs qui suivent, la décision de l’agent sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision dans les plus brefs délais.

I. Événements ayant conduit à la présente demande

[4] M. Singh est entré au Canada pour la première fois en avril 2007. Son statut de visiteur l’autorisait à travailler comme membre du clergé, sans permis de travail, en vertu de l’alinéa 186l) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le « RIPR »).

[5] Le visa de résident temporaire et la fiche du visiteur les plus récents du demandeur devaient expirer le 18 février 2019.

[6] En janvier 2018, le demandeur a présenté une demande visant à prolonger son séjour au Canada. Il a été informé le 19 mars 2019 que sa demande était rejetée, et il a alors cessé de travailler.

[7] Dans une lettre datée du 16 mai 2019, le demandeur a présenté une demande de rétablissement de son statut aux termes du paragraphe 182(1) du RIPR. La demande détaillait les antécédents du demandeur pour ce qui est du respect des lois canadiennes sur l’immigration et indiquait qu’il souhaitait prolonger d’un an son statut temporaire au Canada afin de continuer à travailler, d’exercer ses fonctions religieuses et de servir sa communauté. Le demandeur a souligné ses liens familiaux étroits avec l’Inde, où son épouse et ses deux enfants continuaient de résider et où il possédait des biens. Le demandeur a également indiqué qu’il avait présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, laquelle était en traitement. La demande de rétablissement du statut était accompagnée d’une lettre d’appui de la GTSA, où celle-ci décrivait la valeur du demandeur pour la collectivité, indiquait qu’elle acceptait de verser à M. Singh des honoraires et de lui fournir le gîte et le couvert pendant son séjour, et assurait que le demandeur retournerait en Inde avant la date d’expiration de son visa.

[8] La demande de rétablissement du statut a été rejetée dans une lettre datée du 24 juin 2019. L’entrée du Système mondial de gestion des cas (« SMGC ») associée au refus indiquait, en partie : [TRADUCTION] « Je suis convaincu que le client s’est vu accorder suffisamment de temps pour réaliser l’objectif de sa visite. Je ne suis pas convaincu que le client est un véritable visiteur et qu’il quittera le Canada à la fin du séjour autorisé. La demande est rejetée conformément à l’art 179 du RIPR. Le rétablissement est impossible. »

[9] Le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour. Le défendeur a accepté qu’un nouvel examen soit effectué, et le dossier a été abandonné en octobre 2019.

[10] Le 28 octobre 2019, un deuxième agent de réexamen a également rejeté la demande du demandeur. L’entrée dans le SMGC associée au deuxième refus contenait un ensemble de considérations expliquant pourquoi l’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin d’un séjour autorisé, notamment qu’il n’avait pas respecté le fait qu’une fiche du visiteur lui avait été refusée en mars 2019, qu’il était sans statut et n’était pas autorisé à accomplir ses fonctions religieuses et qu’il avait présenté une demande de résidence permanente.

[11] Le demandeur a contesté le deuxième refus devant la Cour. Le défendeur a de nouveau consenti à un nouvel examen. La deuxième instance judiciaire a été abandonnée en mars 2020.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[12] Le 6 août 2020, un agent a rejeté la demande de rétablissement du demandeur au titre du paragraphe 182(1) du RIPR. Selon l’entrée du SMGC :

[traduction]
Le client est entré au Canada pour la dernière fois le 18 janvier 2018. Le client demande une prorogation de sa fiche du visiteur à titre de travailleur religieux. Le client a présenté une copie du certificat d’ordination et une lettre d’invitation de la Golden Triangle Sikh Association.

Selon les observations du représentant, le client travaille à la Golden Triangle Sikh Association depuis 2015. Les détails de l’emploi indiquent que le client est un véritable travailleur religieux. Cependant, comme le montrent les tampons de passeport ainsi que les antécédents de voyage du client, ce dernier a passé beaucoup de temps au Canada depuis juillet 2010. De plus, les observations du représentant indiquent que le client « vit sans interruption au Canada depuis 2012 ».

Le client réside au Canada depuis 2010 ou 2012 et demande maintenant une prolongation supplémentaire de son séjour. Compte tenu de la durée du séjour, je ne suis pas convaincu que le client partira à la fin du séjour autorisé. Le client a eu suffisamment de temps pour réaliser l’objectif du séjour. La demande est rejetée conformément à l’art 179 du RIPR.

III. Analyse

[13] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur soutient que la décision de l’agent doit être annulée au motif qu’elle est déraisonnable. De plus, il sollicite une réparation précise et l’adjudication des dépens.


 

A. Norme de contrôle

[14] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent des visas est celle de la décision raisonnable.

[15] Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable est un examen déférent et rigoureux de la question de savoir si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12-13 et 15. Les motifs du décideur, qui doivent être interprétés de façon globale et contextuelle, et lus en corrélation avec le dossier dont était saisi le décideur, sont le point de départ du contrôle. Vavilov, aux para 91-96, 97 et 103; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes, 2019 CSC 67 (Société canadienne des postes) aux para 28-33. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, en particulier aux para 85, 99, 101, 105-106 et 194.

[16] Il n’appartient pas à la Cour de déterminer si l’agent a pris la bonne décision ou si elle souscrit à son raisonnement quant au fond de la demande de rétablissement. La Cour se concentre sur le raisonnement suivi par l’agent et sur le résultat : Vavilov, au para 83.

B. Dispositions pertinentes de la LIPR et du RIPR

[17] Voici des extraits des dispositions pertinentes de la LIPR :

179 L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

182 (1) Sur demande faite par le visiteur, le travailleur ou l’étudiant dans les quatre-vingt-dix jours suivant la perte de son statut de résident temporaire parce qu’il ne s’est pas conformé à l’une des conditions prévues à l’alinéa 185a), aux sous-alinéas 185b)(i) à (iii) ou à l’alinéa 185c), l’agent rétablit ce statut si, à l’issue d’un contrôle, il est établi que l’intéressé satisfait aux exigences initiales de sa période de séjour, qu’il s’est conformé à toute autre condition imposée à cette occasion et qu’il ne fait pas l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1) de la Loi.

Permis non exigé

186 L’étranger peut travailler au Canada sans permis de travail :

[…]

l) à titre de personne chargée d’aider une communauté ou un groupe à atteindre ses objectifs spirituels et dont les fonctions consistent principalement à prêcher une doctrine, à exercer des fonctions relatives aux rencontres de cette communauté ou de ce groupe ou à donner des conseils d’ordre spirituel;

 

179 An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

182 (1) On application made by a visitor, worker or student within 90 days after losing temporary resident status as a result of failing to comply with a condition imposed under paragraph 185(a), any of subparagraphs 185(b)(i) to (iii) or paragraph 185(c), an officer shall restore that status if, following an examination, it is established that the visitor, worker or student meets the initial requirements for their stay, has not failed to comply with any other conditions imposed and is not the subject of a declaration made under subsection 22.1(1) of the Act.

No permit required

186 A foreign national may work in Canada without a work permit

[…]

(l) as a person who is responsible for assisting a congregation or group in the achievement of its spiritual goals and whose main duties are to preach doctrine, perform functions related to gatherings of the congregation or group or provide spiritual counselling;

 

C. La décision de l’agent était-elle déraisonnable?

[18] Le demandeur affirme que la décision de l’agent est déraisonnable pour les raisons suivantes :

  • a)L’agent n’a fourni aucune explication quant aux motifs pour lesquels la demande de rétablissement a été rejetée, soit aucune analyse expliquant en quoi le demandeur avait rempli l’objectif de son séjour et pourquoi la durée de son séjour au Canada laissait supposer qu’il ne partirait pas du Canada à l’expiration de son visa;

  • b)L’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents, à savoir les liens familiaux du demandeur avec l’Inde ainsi que les biens qu’il y possède et le fait qu’il s’était conformé à toutes les règles canadiennes en matière d’immigration dans le passé.

[19] Le demandeur soutient également qu’en se fondant entièrement sur la durée de son séjour au Canada, sans tenir compte des autres faits pertinents fournis dans sa demande, l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable. À l’appui, le demandeur invoque la décision Kenig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8855 (CF), 158 FTR 249, au paragraphe 13, où il a été conclu qu’un agent avait commis une erreur en fondant toute son analyse sur un seul facteur, sans tenir compte des autres éléments de preuve dont il disposait.

[20] Le demandeur cite la décision Quraishi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1145, aux paragraphes22 et 27. Le demandeur fait valoir que, dans l’affaire Quraishi, la Cour a conclu que la décision ne satisfaisait pas aux exigences minimales de justification adaptée dans des circonstances semblables, y compris la déclaration de l’agent des visas selon laquelle le demandeur dans cette affaire avait eu suffisamment de temps pour remplir l’objectif de sa visite. Au paragraphe 26 de la décision Quraishi, le juge McHaffie explique ce qui suit :

[26] Selon le ministre, l’agent a confirmé qu’il avait [traduction] « examiné attentivement tous les renseignements » et pris en compte [traduction] « toutes les circonstances relatives [au] dossier [du demandeur] ». Il souligne également que l’agent est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve (Rahman, au para 17). Malgré cette présomption, à mon avis, un énoncé général ou générique selon lequel l’agent a pris en compte tous les renseignements ou toutes les circonstances ne peut raisonnablement remplacer l’obligation d’expliquer le processus décisionnel et la raison d’être de la décision. Conclure autrement contreviendrait à l’obligation, dont l’importance a été reconnue par la Cour suprême, de tenir valablement compte des questions clés et des arguments principaux et d’y répondre (Vavilov, aux para 127–128).

[21] Le défendeur est d’avis que le raisonnement de l’agent peut être suivi et qu’il était plus détaillé que les motifs sous-jacents examinés dans l’affaire Quraishi. Le défendeur soutient qu’il ressort implicitement de la mention des « tampons de passeport » dans les notes du SMGC que l’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à l’expiration de son visa. Le défendeur fait valoir que les faits dans l’affaire Quraishi étaient différents, soulignant que M. Quraishi avait passé moins de temps au Canada et qu’il n’avait pas rempli l’objectif de sa visite (s’occuper d’un parent malade).

[22] Le défendeur fait remarquer que la demande du demandeur portait sur le maintien de la résidence temporaire, mais que, dans son cas, la résidence n’était pas si temporaire compte tenu du nombre d’années où il avait vécu et travaillé au Canada. Le défendeur s’appuie sur l’affaire Badhan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 704, aux paragraphes 19 à 21, dans laquelle un demandeur a sollicité le rétablissement de son visa de visiteur en attendant une décision à l’égard de sa demande de permis de travail. Le permis de travail a été refusé avant que l’agent ne refuse le visa, ce qui a amené l’agent à conclure que l’objectif de la visite de M. Badhan avait été rempli. La Cour n’a relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans le raisonnement de l’agent. Le défendeur soutient également que le fait qu’un agent n’ait pas tenu compte des antécédents du demandeur pour ce qui est du respect des lois en matière d’immigration ne rend pas, en soi, sa décision déraisonnable (citant Badhan, au para 21, qui s’appuyait sur Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 894, au para 24).

[23] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le demandeur a démontré que la décision de l’agent était déraisonnable en ce qui concerne le raisonnement ayant mené à la conclusion selon laquelle le demandeur ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour autorisé.

[24] La Cour reconnaît qu’un certain nombre de facteurs sont pertinents pour évaluer si un demandeur quittera le Canada à la fin de son séjour autorisé. Parmi les facteurs reconnus figurent l’objectif de la visite, sa durée, les liens du demandeur avec le Canada et son propre pays, sa capacité financière, ses antécédents de voyage et de respect des lois en matière d’immigration, et sa capacité et sa volonté de quitter le Canada à la fin du séjour : Quraishi, au para 13 (citant Kheradpazhooh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1097, au para 4; Bunsathitkul c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 376, au para 19; Rudder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 689, aux para 11-12).

[25] Premièrement, l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve importants versés au dossier concernant les liens du demandeur avec l’Inde et le Canada. Le demandeur avait des liens familiaux importants avec l’Inde (sa femme et ses deux enfants qui y vivent). Il y possède également des biens. Il n’y avait aucune preuve que des membres de sa famille résidaient au Canada ou que le demandeur y possédait des biens. L’agent est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve. Or, la preuve relative aux liens familiaux et patrimoniaux avec l’Inde et l’absence correspondante de tels liens avec le Canada étaient des facteurs suffisamment importants qui allaient à l’encontre de la conclusion tirée par l’agent au titre de l’alinéa 179b) et dont l’agent devait tenir compte. L’absence de toute mention de ces faits donne à penser que l’agent ne les a pas pris en considération : voir p. ex., Valencia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 386, aux para 26-27; D Souza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1430 aux para 23-24 et 30; Quraishi, au para 25; Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080, au para 24. et Badhan, au para 19, décrivant les principes énoncés dans Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF 53, [1998] ACF no 1425, aux para 16-17.

[26] Deuxièmement, l’agent n’a pas tenu compte des antécédents du demandeur pour ce qui est du respect des lois canadiennes sur l’immigration. Comme le juge Diner l’a fait remarquer récemment, c’est à l’agent qu’il incombe d’accorder du poids aux antécédents du demandeur à cet égard, mais encore faut-il que ces antécédents aient été examinés. Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 692 aux para 18-20. Je ne souscris pas à l’argument du défendeur selon lequel la mention des [traduction] « tampons de passeport ainsi que des antécédents de voyage » dans les notes du SMGC indique que l’agent a tenu compte des antécédents du demandeur pour ce qui est du respect des lois en matière d’immigration. En fait, ces mentions ont expressément mené à une conclusion différente quant à la durée du séjour du demandeur au Canada. Rien d’autre dans les notes du SMGC n’indique que l’agent a tenu compte des antécédents du demandeur quant au respect des règles. Conformément aux décisions Badhan, au paragraphe 21, et Singh (2017), au paragraphe 24, ce défaut est un facteur pertinent, mais pas nécessairement déterminant, dans l’analyse du caractère raisonnable.

[27] Troisièmement, le demandeur a soulevé des questions liées à l’examen par l’agent de la durée et de l’objectif de son séjour au Canada. Les notes du SMGC indiquent que [traduction] « [c]ompte tenu de la durée du séjour » du demandeur au Canada (depuis 2010 ou 2012), l’agent n’était pas convaincu que le demandeur partirait à la fin de son séjour autorisé. Immédiatement après, l’agent déclare que le demandeur [traduction] « a eu suffisamment de temps pour réaliser l’objectif du séjour ».

[28] Le demandeur fait référence à des éléments de preuve au dossier ainsi qu’à ses observations écrites, lesquelles pourraient étayer une conclusion selon laquelle l’objectif de M. Singh n’avait pas été rempli et qu’il devait encore rester au Canada pour continuer d’exercer ses fonctions religieuses :

  • M. Singh a demandé à rester au Canada pour exercer ses fonctions religieuses et servir les autres.

  • Une lettre de la GTSA expliquait que les fonctions de M. Singh relevaient toujours de l’alinéa 186l) du RIPR – en tant que prêtre sikh, il dirigeait les prières quotidiennes du matin et du soir, chantait des hymnes religieux, tenait des cérémonies de mariage, des funérailles, des anniversaires et des prières d’ouverture d’une nouvelle maison.

  • Plusieurs lettres de la GTSA ont confirmé que celle-ci offrait aux personnes de confession sikhe la possibilité d’exercer leur religion.

  • Cette association a confirmé qu’elle continuerait d’employer le demandeur comme granthi tant qu’il serait autorisé à travailler au Canada.

  • Le demandeur, dans une lettre rédigée par son avocat, a indiqué que la communauté sikhe de la région de Kitchener-Waterloo voulait qu’il continue d’exercer son rôle de chef religieux, car ses services étaient nécessaires dans les régions de l’Ontario qui n’attiraient généralement pas de chefs religieux sikhs.

  • Dans une autre lettre, la GTSA a mentionné qu’elle souhaitait assurer [traduction] « au haut-commissariat du Canada à New Delhi que le demandeur retournera en Inde avant l’expiration de son visa de visiteur ».

[29] Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, je ne crois pas que l’agent a omis, de façon déraisonnable, d’apprécier et d’énoncer l’objectif du séjour du demandeur; les notes du SMGC indiquent clairement que l’agent était d’avis que le demandeur était un travailleur religieux de bonne foi. Bien que les notes inscrites par l’agent dans le SMGC indiquent également qu’il était au courant de la correspondance de la GTSA, celui-ci ne faisait pas expressément référence aux éléments de preuve susmentionnés ni aux observations écrites du demandeur concernant la réalisation de l’objectif de son travail au Canada en application de l’alinéa 186l) du RIPR.

[30] Je ne considère pas que les notes du SMGC disent que le demandeur avait effectivement rempli l’objectif de son séjour au Canada, comme c’était le cas dans les affaires Quraishi et Badhan. Elles disent plutôt que le demandeur avait déjà eu suffisamment de temps pour le faire. La question suivante se pose donc : l’agent a-t-il conclu, sans le dire expressément, que le demandeur était au Canada depuis assez longtemps pour que sa demande ne constitue plus une demande de résidence « temporaire » et que, par conséquent, il ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour autorisé aux termes de l’alinéa 179b) du RIPR? Ce raisonnement ne se concilie pas facilement avec l’omission apparente de l’agent de tenir compte des antécédents du demandeur pour ce qui est du respect des lois canadiennes sur l’immigration et des liens du demandeur avec l’Inde et le Canada. De plus, le rétablissement de la fiche du visiteur permettrait au demandeur de travailler en vertu de l’alinéa 186l) du RIPR qui, à première vue du moins, ne prévoit aucune limite de temps. Le défendeur n’a mentionné aucun règlement ni aucune politique qui aurait pu restreindre la capacité de l’agent de rétablir la fiche du visiteur du demandeur et de prolonger son séjour au Canada.

[31] Dans le contexte du dossier et de la situation du demandeur, je conclus qu’il aurait été bon que l’entrée de l’agent dans le SMGC contienne certains renseignements supplémentaires sur la durée et l’objectif du séjour à l’appui de la conclusion selon laquelle le demandeur ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour autorisé aux termes de l’alinéa 179b) : voir, p. ex., Thavaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 967 au para 25; Quraishi, aux para 15, 24; Asong Alem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 148 aux para 13-15. Toutefois, compte tenu de l’absence relative de contraintes juridiques ayant une incidence sur la décision de l’agent et du contexte administratif (Quraishi, au para 14), je ne peux conclure que cette lacune dans les notes du SMGC constitue en soi une erreur distincte susceptible de contrôle en l’espèce. Il s’agit d’un facteur dans l’analyse globale du caractère raisonnable.

[32] Comme je l’ai mentionné plus haut, il n’appartient pas à la Cour de tirer sa propre conclusion sur le bien-fondé de la demande de rétablissement, et je ne le ferai pas. La Cour se concentre sur le raisonnement suivi par l’agent. Compte tenu des trois points ci-dessus, pris cumulativement, je conclus que le demandeur a démontré l’existence de préoccupations importantes en matière de transparence et de justification qui, à la lumière des éléments de preuve au dossier, compromettent la décision. En appliquant les principes établis dans les arrêts Vavilov et Société canadienne des postes, je suis convaincu que la décision est déraisonnable.

D. Réparation

[33] Le demandeur veut que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire en matière de réparation en vertu de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Le demandeur souhaite que la Cour, au lieu de simplement ordonner que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen, donne à l’agent des instructions sur le résultat en sa faveur.

[34] Le demandeur souligne que si la Cour renvoie l’affaire à un autre décideur aux fins d’un nouvel examen, il s’agira de la troisième décision concernant sa demande. Il souligne également que lors de chaque nouvel examen, il a répondu à toutes les demandes de renseignements et de vérifications supplémentaires, que l’authenticité de ses documents n’a pas été mise en doute et que les mêmes erreurs se sont répétées dans chaque décision. Il fait valoir que, compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis sa demande initiale et des ressources publiques nécessaires pour la prise d’une nouvelle décision, il serait approprié que la Cour rende une ordonnance précise en l’espèce.

[35] Le défendeur affirme que la Cour doit faire preuve de prudence dans les directives ou les instructions qu’elle donne afin de s’assurer que l’exercice du pouvoir discrétionnaire des agents n’est pas indûment entravé. Le défendeur soutient en outre que le rétablissement d’une fiche du visiteur est une décision factuelle et discrétionnaire qui devrait être réservée à un agent, et que le passage du temps fait en sorte que les faits peuvent avoir changé.

[36] Le défendeur s’appuie sur la décision Freeman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1065, aux paragraphes 78 à 82, où la juge Mactavish a refusé de rendre une ordonnance de la nature d’un verdict imposé. Elle a cité la jurisprudence selon laquelle un tel pouvoir était exceptionnel et ne devrait être exercé que dans les cas les plus clairs : Freeman, au para 78. Elle a également conclu que les affaires ayant donné lieu à de telles ordonnances étaient généralement des affaires simples, par opposition à des cas où la question en litige était de nature essentiellement factuelle. Elle a conclu que la preuve dans cette affaire « doit être appréciée dans son ensemble par les agents à qui le Parlement a confié la responsabilité de faire de telles évaluations » : Freeman, au para 81. La juge Mactavish n’a pas rendu d’ordonnance contenant des directives précises sur la façon dont le nouvel examen devrait être effectué dans cette affaire, mais elle a ordonné que la décision soit rendue dans un délai précis : voir le paragraphe 3 du jugement.

[37] En ce qui concerne la réparation, la Cour suprême a indiqué ce qui suit dans l’arrêt Vavilov :

[141] […] il conviendra le plus souvent de renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il revoie la décision, mais à la lumière cette fois des motifs donnés par la cour. Quand il revoit sa décision, le décideur peut alors arriver au même résultat ou à un résultat différent : [Renvois omis.]

[142] Cependant, s’il convient, en règle générale, que les cours de justice respectent la volonté du législateur de confier l’affaire à un décideur administratif, il y a des situations limitées dans lesquelles le renvoi de l’affaire pour nouvel examen fait échec au souci de résolution rapide et efficace d’une manière telle qu’aucune législature n’aurait pu souhaiter : D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, […], par. 18-19. L’intention que le décideur administratif tranche l’affaire en première instance ne saurait donner lieu à un va-et-vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens. Le refus de renvoyer l’affaire au décideur peut s’avérer indiqué lorsqu’il devient évident aux yeux de la cour, lors de son contrôle judiciaire, qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien : [Renvois omis.] Les préoccupations concernant les délais, l’équité envers les parties, le besoin urgent de régler le différend, la nature du régime de réglementation donné, la possibilité réelle ou non pour le décideur administratif de se pencher sur la question en litige, les coûts pour les parties et l’utilisation efficace des ressources publiques peuvent aussi influer sur l’exercice par la cour de son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire – tout comme ces facteurs peuvent influer sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de casser une décision lacunaire…

[38] Les principes suivants peuvent être dégagés des récentes décisions d’appel en matière de réparation dans le cadre de procédures de contrôle judiciaire devant les Cours fédérales :

  • a)La Cour dispose d’une certaine discrétion et latitude en ce qui concerne la réparation : Farrier c Canada (Procureur général), 2020 CAF 25 au para 21.

  • b)Dans certaines circonstances, il peut être inapproprié de renvoyer une affaire à un décideur administratif parce qu’il est évident qu’une issue particulière est inévitable ou qu’il ne servirait à rien de renvoyer l’affaire : Canada (Procureur général) c Chu, 2022 CAF 105 au para 9; Farrier, au para 21. Vavilov, au para 142; Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202 aux p 228-230.

  • c)Le pouvoir discrétionnaire de ne pas renvoyer l’affaire pour réexamen ne devrait être exercé que dans les « cas les plus clairs » et si la preuve ne peut mener qu’à un seul résultat : Canada (Procureur général) c Impex Solutions Inc, 2020 CAF 171 aux para 90-92.

  • d)La Cour devrait généralement respecter l’intention du législateur de confier les questions au décideur administratif en tant que décideur du fond, et non à la cour de révision : Blue c Canada (Procureur général), 2021 CAF 211 au para 50; Vavilov, au para 140.

  • e)La Cour peut rendre une ordonnance de mandamus : Fono c Société canadienne d’hypothèques et de logement, 2021 CAF 125 au para 13; voir aussi Loi sur les Cours fédérales, alinéas 18.1(3)a) et b).

  • f)Pour décider de la réparation appropriée, la Cour peut tenir compte de facteurs comme les retards, l’équité, les coûts et l’utilisation efficace des ressources publiques : voir Canada (Procureur général) c Burke, 2022 CAF 44 au para 116 et Blue, au para 51, citant tous deux Vavilov, au para 142.

  • g)La situation des parties peut également être pertinente : Burke, aux para 115-118; Première Nation de Key c Lavallee, 2021 CAF 123 au para 76.

  • h)La Cour peut se pencher sur la nécessité d’éviter de répéter les lacunes de fond des décisions antérieures : Sexsmith c Canada (Procureur général), 2021 CAF 111 au para 31; Burke, au para 114. À cette fin, la Cour peut fournir des indications au décideur : Safe Food Matters Inc. c Canada (Procureur général), 2022 CAF 19 au para 64; Sexsmith, aux para 29-31.

[39] Je conviens avec le défendeur qu’en l’espèce, la Cour ne doit pas rendre une ordonnance dictant l’issue du nouvel examen. Ni la conclusion selon laquelle la décision de l’agent était déraisonnable ni le raisonnement qui a mené à cette conclusion n’impliquent une issue inévitable quant à la demande sous-jacente. De plus, comme l’a souligné le défendeur, les faits peuvent avoir changé depuis la dernière décision. En l’espèce, il n’y a pas lieu que la Cour s’approprie le rôle de l’agent à titre de décideur.

[40] Cela dit, à trois reprises, les agents n’ont pas rendu une décision raisonnable. Je suis conscient de l’importance de parvenir à une « résolution rapide et efficace » et d’éviter le « va-et-vient interminable » de décisions, de demandes de contrôle judiciaire et de nouveaux examens subséquents dont fait mention l’arrêt Vavilov (au para 142). Je suis également convaincu que la Cour doit aider à faire en sorte que les lacunes de fond de la décision de l’agent ne se reproduisent pas.

[41] À la lumière de ces considérations, il y a lieu d’ordonner que le nouvel examen soit effectué dans les plus brefs délais à la suite du jugement dans la présente demande, de sorte qu’une décision soit communiquée au demandeur dans les 60 jours suivant la date du présent jugement. De plus, l’agent chargé du nouvel examen doit être informé de la teneur des motifs énoncés à la section III.C ci-dessus, concernant les lacunes du raisonnement de l’agent chargé de l’examen initial.

E. Dépens

[42] Le demandeur sollicite également les dépens.

[43] Le demandeur a fait valoir que la décision [traduction] « démontre un manque total de diligence de la part de l’agent » et que, même en l’absence de mauvaise foi, des erreurs flagrantes peuvent justifier l’adjudication des dépens. Le défendeur a soutenu qu’il n’y avait aucune raison d’adjuger les dépens. Selon le défendeur, une erreur susceptible de contrôle ne justifie pas, en soi, l’adjudication des dépens.

[44] L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 prévoit que les instances en matière d’immigration ne donnent pas lieu à des dépens « [s]auf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales ».

[45] Le seuil servant à établir des « raisons spéciales » est élevé : Radiyeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1234 au para 34; Aleaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 445 au para 45. De telles « raisons spéciales » peuvent exister compte tenu, par exemple, de la nature de l’affaire, du comportement du demandeur, du comportement du ministre ou d’un agent d’immigration, ou du comportement du conseil : Ndungu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 208 au para 7; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Suleiman, 2015 CF 891 au para 48. À un niveau élevé, l’adjudication des dépens peut être accordée si une partie a prolongé inutilement ou déraisonnablement l’instance ou a eu une conduite inéquitable, abusive, inconvenante ou empreinte de mauvaise foi : Oladele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1161 au para 52, citant Taghiyeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1262 aux para 17-23 et Ndungu, au para 7; Zheng c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2021 CF 616 au para 22.

[46] En appliquant cette norme, je ne vois aucune raison spéciale d’adjuger les dépens en l’espèce. La conduite du défendeur et de l’agent ne justifie pas l’adjudication des dépens. Le défendeur a réglé les deux premières demandes de contrôle judiciaire sans qu’il y ait d’audience devant la Cour. Je comprends bien la frustration du demandeur de devoir subir un autre réexamen; toutefois, il n’a avancé aucun fait ni aucune circonstance en particulier qui permettrait de satisfaire au critère élevé de la jurisprudence régissant l’adjudication des dépens dans ce contexte. Compte tenu de la jurisprudence pertinente, je ne crois pas qu’une troisième décision dans les circonstances de l’espèce constitue des raisons spéciales.

IV. Conclusion

[47] La décision de l’agent doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision, laquelle devra être rendue dans les plus brefs délais et communiquée au demandeur dans les 60 jours suivant la date du présent jugement. Aucuns dépens ne seront adjugés.

[48] Aucune partie n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel, et aucune ne sera énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3693-20

LA COUR STATUE :

  1. La décision datée du 6 août 2020 est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende rapidement une nouvelle décision, et ce dernier doit être informé du contenu de la section III.C des motifs du présent jugement.

  2. La décision relative au nouvel examen doit être communiquée au demandeur dans les 60 jours suivant la date du présent jugement.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  4. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel suivant l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Vide

« Andrew D. Little »

Vide

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3693-20

 

INTITULÉ :

KULDEEP SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

24 MARS 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Naseem Mithoowani

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kareena Wilding

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Naseem Mithoowani

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Kareena Wilding

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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