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Date : 20221213


Dossier : IMM-3331-22

Référence : 2022 CF 1718

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2022

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

BALJINDER SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 15 mars 2022 par laquelle un agent des visas [l’agent] a rejeté, en application du paragraphe 200(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], sa demande de permis de travail présentée dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires. De plus, le demandeur a invoqué la mauvaise foi de l’agent pour demander que les dépens lui soient adjugés conformément à l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 [les Règles]. Toutefois, cette question n’a pas été soulevée à l’audience.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Contexte

[3] Le demandeur est un citoyen de l’Inde âgé de 31 ans. Il est marié depuis janvier 2020 et a un enfant. Sa femme et son enfant vivent en Inde.

[4] Le demandeur a travaillé comme conducteur de poids lourd pour le même employeur au Qatar de mars 2017 à novembre 2019, et de novembre 2020 jusqu’à la date à laquelle il a présenté sa demande de permis de travail au Canada, au moins.

[5] En décembre 2020, après que le gouvernement canadien a approuvé sa demande d’étude d’impact sur le marché du travail [EIMT], l’entreprise Maple Eagle Freight System Inc. [Maple Eagle], située à Delta en Colombie-Britannique, a obtenu l’autorisation d’embaucher cinq travailleurs étrangers comme conducteurs de grand routier pour remédier à la pénurie de main-d’œuvre. Le demandeur a été embauché par Maple Eagle, et son nom a été inscrit dans l’EIMT de l’entreprise. Dans sa lettre d’offre d’emploi, Maple Eagle a énuméré un certain nombre de tâches, dont la conduite de [traduction] « camions porteurs ou à châssis articulés », l’inspection de sécurité des camions et des cargaisons ainsi que la tenue des dossiers, y compris la responsabilité des « documents transfrontaliers ».

[6] Le 21 décembre 2020, le demandeur a présenté une demande de permis de travail depuis l’étranger.

[7] Le 15 mars 2022, l’agent a informé le demandeur que sa demande de permis de travail était rejetée pour deux motifs. Premièrement, le demandeur n’a pas démontré qu’il serait en mesure d’effectuer adéquatement le travail de conducteur de grand routier au Canada. Deuxièmement, il n’a pas convaincu l’agent qu’il quitterait le Canada à la fin du séjour autorisé.

[8] Les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] font partie des motifs de sa décision (Torres c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 150 au para 19). Après avoir fait état des résultats du demandeur à l’évaluation linguistique, de son niveau de scolarité et de ses emplois antérieurs, l’agent souligne que la femme et l’enfant du demandeur habitent en Inde et ne l’accompagneront pas. Il conclut que le demandeur a un statut d’immigration temporaire dans son pays de résidence, ce qui affaiblit son lien avec ce pays.

[9] L’agent affirme ensuite ne pas être convaincu que le demandeur a démontré qu’il serait en mesure d’effectuer le travail de façon à ne pas compromettre la sécurité des Canadiens. Il note que son expérience de camionneur [traduction] « se limite entièrement au Qatar, où les routes et les conditions climatiques sont considérablement différentes de celles du Canada ». De plus, le demandeur n’a pas fourni de « certificat de paiement des contraventions » pour démontrer s’il avait commis ou non des infractions routières pendant qu’il travaillait au Qatar. L’agent indique qu’il est incapable d’évaluer la « mesure dans laquelle [le demandeur] a respecté les règles et règlements en matière de circulation routière » au Qatar, ce qui constitue, selon lui, un facteur important pour « déterminer si le demandeur respectera les règles et règlements en matière de circulation routière au Canada ».

III. Question en litige et norme de contrôle

[10] La question en litige consiste à savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[11] La norme de contrôle applicable aux décisions en matière de permis de travail est celle de la décision raisonnable. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 85). Il incombe au demandeur de convaincre la Cour « que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » (Vavilov, au para 100). Une décision raisonnable se justifie au regard des faits, et « le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, au para 126).

[12] La cour ne devrait pas infirmer une décision en raison d’une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100). Les lacunes de la décision doivent plutôt être « suffisamment capitale[s] ou importante[s] pour rendre cette dernière déraisonnable » (Vavilov, au para 100). La cour doit examiner les motifs de la décision dans leur ensemble, en tenant compte du contexte institutionnel et à la lumière du dossier, y compris des questions soulevées par les parties : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 aux para 31-34, 36, 40; Vavilov, aux para 85, 91, 96-97, 100.

IV. Analyse

[13] Le paragraphe 200(1) du RIPR énonce les critères de délivrance d’un permis de travail à un étranger. L’agent ne doit pas délivrer de permis de travail s’il est établi que l’étranger ne quittera pas le Canada à la fin de son séjour autorisé ou s’il existe des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé (voir Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 934 au para 12).

[14] En raison des liens familiaux au Canada, du pays de résidence et du statut d’immigration du demandeur, l’agent a conclu que ce dernier n’avait pas établi qu’il quitterait le Canada conformément aux conditions imposées aux résidents temporaires. Comme je l’expliquerai plus loin, ces conclusions ne sont pas justifiées au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles l’agent est assujetti.

[15] Le seul motif qui ressort des notes consignées par l’agent dans le SMGC pour tirer cette conclusion est que le demandeur est un [traduction] « résident temporaire [du Qatar], ce qui affaiblit ses liens avec ce pays ». Toutefois, l’agent n’explique pas pourquoi il a écarté la preuve démontrant les liens du demandeur avec son pays d’origine, en particulier ses liens familiaux étroits avec sa femme et son enfant en Inde, ainsi que ses antécédents de voyage et son respect des règles d’immigration d’autres pays.

[16] Même si l’agent est présumé avoir apprécié et examiné l’ensemble de la preuve au dossier, s’il écarte des éléments de preuve pertinents qui contredisent ou tendent à contredire ses conclusions, il est possible d’inférer qu’il ne les a pas examinés ou qu’il les a écartés de façon arbitraire : Shakeri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1327 au para 22. En l’absence d’une analyse des liens du demandeur avec l’Inde, je conclus que la décision de rejeter la demande de permis de travail sur le fondement du premier motif n’est pas justifiée compte tenu du dossier dont disposait l’agent.

[17] Au vu du dossier en l’espèce et étant donné que les liens familiaux du demandeur sont l’un des deux seuls motifs invoqués pour rejeter la demande de permis de travail, je conclus que cette lacune est suffisamment capitale pour rendre l’ensemble de la décision déraisonnable.

[18] La décision est donc annulée, et la demande est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision. Afin d’éviter tout autre retard dans le traitement de la demande, le demandeur devrait pouvoir compléter sa demande en fournissant un [traduction] « certificat de paiement des contraventions », si cela est jugé opportun. Après tout, comme la Cour l’a énoncé dans la décision Sangha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 95 au para 42, et comme l’a rappelé l’agent, la sécurité est assurément une exigence primordiale pour établir la compétence d’un conducteur de grand routier, et c’est au demandeur que revient le fardeau de fournir des éléments de preuve suffisants pour démontrer sa compétence.

V. Conclusion

[19] Pour les motifs qui précèdent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

[20] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUDGMENT DANS LE DOSSIER IMM-3331-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  3. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

Blank

« Roger R. Lafreniѐre »

Blank

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3331-22

 

INTITULÉ :

BALJINDER SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 NOVEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

lE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 DÉcembRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Gabriel Chand

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Robert L. Gibson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chand & Company Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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