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Date : 20221129


Dossier : IMM-2326-21

Référence : 2022 CF 1641

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

NELSON ARAIZA CAMPOS, MARIA GUADALUPE ARAIZA CAMPOS, HUGO ARAIZA ACOSTA, MARIA ANGELINA CAMPOS CERVANTES, et DANIEL ARAIZA MACIAS,
JUAN ARAIZA MACIAS, KEIDEN ARAIZA MACIAS et DOMINIC ARAIZA CAMPOS (représentés par leur tuteur à l’instance, NELSON ARAIZA CAMPOS)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La décision par laquelle les demandes d’asile présentées par les demandeurs ont été rejetées au motif que ces derniers disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Mérida, au Mexique, ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable et elle sera annulée.

Le contexte

[2] Les demandeurs sont des ressortissants du Mexique qui forment une famille élargie composée du père, Nelson Araiza Campos, de ses fils mineurs Keiden Samuel Araiza Macias, Juan Octavio Araiza Macias et Daniel Alejandro Araiza Macias, de son frère mineur Dominic De Jesus Araiza Campos, de sa sœur Maria Guadalupe Araiza Campos, et de ses parents Maria Angelina Campos Cervantes et Hugo Araiza Acosta.

[3] Ils sont arrivés au Canada en deux temps. En juillet 2018, Nelson, sa conjointe, leurs fils et Maria Guadalupe sont arrivés au Canada et ont demandé l’asile. La demande d’asile de la conjointe de Nelson a été jugée irrecevable puisque cette dernière avait été incluse dans la demande d’asile de ses parents alors qu’elle était enfant. En mars 2019, les parents de Nelson et son frère mineur sont arrivés au Canada et ont demandé l’asile. L’agent de persécution est le Cártel de Jalisco Nueva Generación [le CJNG].

[4] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu que les demandes d’asile des demandeurs, sauf celle de Maria Guadalupe, ne relevaient pas de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, car Nelson, qui avait été pris pour cible par le CJNG, ne l’avait pas été pour des motifs liés à la race, à l’appartenance ethnique, à la nationalité, à la religion, aux opinions politiques ou à l’appartenance à un groupe social particulier. La SPR a conclu que la demande d’asile de Maria Guadalupe relevait de l’article 96, parce qu’elle avait été agressée par des membres du CJNG et qu’elle pouvait donc alléguer avoir été persécutée en raison de son sexe.

[5] La SPR a conclu que les demandeurs étaient crédibles et elle a établi que la question déterminante qui l’avait menée à rejeter leurs demandes d’asile était l’existence d’une PRI viable à Mérida, au Mexique.

[6] La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a fait siennes toutes les conclusions de fait importantes de la SPR, mais elle n’a pas souscrit à la conclusion de la SPR concernant le changement de nom des demandeurs, dont il est question plus loin. La SAR a expressément confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs disposaient d’une PRI viable à Mérida, au Mexique.

Les règles de droit applicables à une conclusion quant à l’existence d’une PRI

[7] Si le demandeur d’asile peut être en sécurité ou bénéficier d’une protection sur son territoire national et qu’il n’est pas déraisonnable d’exiger de lui qu’il se réinstalle à cet endroit, il dispose d’une PRI et il n’a pas besoin d’obtenir une protection internationale.

[8] La question de savoir si un demandeur d’asile dispose d’un lieu sécuritaire dans une autre région du pays est une question distincte de celle de savoir s’il est raisonnable d’exiger du demandeur d’asile qu’il se réinstalle dans cette autre région. S’il n’y a aucune région du pays du demandeur d’asile où ce dernier pourrait être en sécurité, l’on peut conclure à l’absence d’une PRI et l’on met fin à l’examen. S’il s’avère qu’il existe un endroit dans le pays du demandeur d’asile où ce dernier pourrait être en sécurité, il convient alors de répondre à la deuxième question : est-il raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, que le demandeur d’asile se réinstalle à cet endroit? Pour que le décideur puisse conclure que le demandeur d’asile dispose d’une PRI viable, le décideur doit établir à la fois que le demandeur d’asile ne serait pas en danger dans cette région et qu’il n’est pas déraisonnable qu’il s’y réinstalle.

[9] Je tiens à préciser qu’il n’est pas nécessaire que le décideur soit convaincu que le demandeur d’asile sera en sécurité dans la PRI. Selon le critère énoncé par la Cour d’appel fédérale à la page 710 de l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA), le décideur doit être « [convaincu] selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon [le décideur], il existe une possibilité de refuge ».

[10] Il incombe au demandeur d’asile d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté à l’endroit proposé comme PRI ou qu’il est déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, qu’il s’y réinstalle : voir Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CA) au para 13.

[11] Au paragraphe 7 de la décision Nimako c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 540, la Cour a conclu que, pour établir s’il existe une possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté à l’endroit proposé comme PRI, il convient d’examiner si l’agent de persécution « a les moyens et la motivation » de retrouver le demandeur d’asile à cet endroit. Si l’agent de persécution a à la fois les moyens et la motivation de retrouver le demandeur d’asile, il existe alors une possibilité sérieuse que ce dernier soit persécuté à l’endroit proposé comme PRI, et cette PRI n’est donc pas viable.

[12] Pour mener une analyse en bonne et due forme de l’endroit proposé comme PRI, il convient d’examiner les faits pertinents quant au demandeur d’asile, à l’agent de persécution et au pays d’origine.

Les faits pertinents quant aux demandeurs d’asile

[13] Voici les faits quant aux demandeurs, tels qu’ils ont été constatés par la SPR et confirmés par la SAR.

[14] Au début du mois d’avril 2018, Nelson a été abordé par des hommes qu’il ne connaissait pas et qui lui ont demandé s’il voulait acheter de la drogue. Il a refusé. Les hommes lui ont proposé un [traduction] « boulot » et ils ont mentionné que certains de ses anciens collègues l’avaient recommandé compte tenu de ses compétences. Il savait que ces derniers étaient impliqués dans les activités du CJNG.

[15] Peu après, les hommes ont abordé Nelson à nouveau et ils lui ont demandé s’il avait réfléchi à leur offre. Nelson a répondu par la négative, puis les hommes se sont mis en colère et l’ont empoigné par le cou, ce qui a poussé Nelson à dire qu’il réfléchirait à leur offre.

[16] Plusieurs jours plus tard, alors que Nelson attendait une fois de plus son moyen de transport pour se rendre au travail, les mêmes hommes l’ont abordé. Lorsqu’il a refusé leur offre, ils l’ont agressé.

[17] À la mi-mai 2018, en raison de ces confrontations, Nelson ainsi que sa conjointe et leurs enfants sont allés passer un mois chez sa sœur, Maria Guadalupe.

[18] Après leur retour au domicile familial, un inconnu a abordé Keiden, le fils de Nelson, dans un magasin, pour lui demander où se trouvait son père. Keiden a répondu « avec Lupita » (un surnom de Guadalupe). Lorsque sa mère Leslie a tenté d’intervenir, l’homme l’a menacée, puis il lui a dit qu’ils savaient maintenant où trouver Nelson et qu’ils la tueraient, elle et les enfants, s’ils ne coopéraient pas avec le cartel.

[19] En raison de ces menaces, les enfants et la conjointe de Nelson sont allés rendre visite à la mère de cette dernière à Juárez pendant une courte période, puis ils sont retournés à la maison de Maria Guadalupe.

[20] En juin 2018, Maria Guadalupe a été enlevée par deux hommes à bord d’un véhicule noir. Ils l’ont emmenée dans une zone isolée à l’extérieur de la ville, l’ont battue et l’ont agressée sexuellement. Ils lui ont dit qu’ils lui infligeaient ce traitement parce qu’elle avait aidé Nelson. Ils lui ont dit qu’ils continueraient à s’en prendre à la famille si celle-ci ne se mettait pas au service du cartel. Nelson a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Ils lui ont également dit que si je ne coopérais pas avec eux, ils continueraient à nous faire du mal. Plus précisément, ils lui ont dit qu’ils la violeraient et la tueraient et qu’ils s’en prendraient à toute notre famille, faisant de nos vies un enfer parce que personne ne se moque du cartel de Jalisco.

[21] Maria Guadalupe est restée avec ses parents tandis que Nelson et sa famille ont séjourné dans un hôtel. Elle a déposé une plainte auprès des autorités, mais elle n’a pas eu l’impression d’être prise au sérieux. Un mois plus tard, ils sont partis pour le Canada. Ils sont tous arrivés le 26 juillet 2018 et ils ont présenté une demande d’asile le 7 septembre 2019.

[22] Après qu’ils eurent quitté le Mexique, Hugo, le père de Nelson et de Maria Guadalupe, a commencé à avoir des ennuis avec le CJNG. À partir de la fin juillet 2018, alors qu’il quittait son domicile pour aller travailler aux premières heures du matin, Hugo a remarqué un homme qui se tenait à l’extérieur de sa maison. Après avoir vu cet homme dissimulé dans l’ombre à la même heure trois jours de suite, Hugo a décidé de changer d’itinéraire pour pouvoir s’en rapprocher, mais l’homme s’est enfui dans les champs avant qu’il n’ait pu le voir.

[23] Le 7 août 2018, Hugo était au volant de son camion transportant des produits laitiers et des personnes qu’il ne connaissait pas lui ont fait signe de s’arrêter. Cela n’avait rien d’inhabituel, car c’est ainsi qu’il réalisait la plupart de ses ventes. Les hommes ont commencé à lui poser des questions sur son fils Nelson. Ils ont proféré des injures, l’ont empoigné par le cou et ont menacé sa famille. Un collègue qui passait par là s’est arrêté pour s’assurer que Hugo se portait bien et les hommes sont partis.

[24] Deux jours plus tard, Hugo a revu les hommes alors qu’il circulait en voiture et ces derniers lui ont fait signe de s’arrêter. Ils ont injurié Hugo et lui ont dit de dire à Nelson de revenir. Hugo a déclaré qu’ils lui ont dit [traduction] « qu’ils allaient me démolir et qu’ils allaient démolir mon épouse et mon fils Dominic ». Les hommes ont dit qu’ils allaient les découper en morceaux, puis ils ont donné un coup de poing à l’estomac à Hugo avant de le frapper à la tête avec une arme à feu.

[25] Hugo, son épouse et leur fils sont allés vivre chez un ami à Aguascalientes, à une heure et demie de là, et ils y sont restés, sans problème, durant deux mois.

[26] En octobre 2018, alors que l’épouse d’Hugo se rendait au magasin avec Dominic, un homme dans une voiture noire a tenté de faire monter Dominic dans son véhicule. Un piéton lui a porté secours et la tentative d’enlèvement a échoué. L’homme dans le véhicule a dit à Dominic qu’ils étaient surveillés.

[27] Ce jour-là, la famille est partie vivre chez la sœur d’Hugo à Tepic, dans l’État de Nayarit, et elle y est restée d’octobre à février 2019, date à laquelle elle est venue au Canada. Les membres de la famille ont demandé l’asile en mars 2019.

[28] En plus de ces faits, la SAR a admis un nouvel élément de preuve, soit une lettre de la tante de Nelson [la tante] datée du 13 mars 2020, qui établit d’autres faits postérieurs à l’arrivée de la famille élargie au Canada.

[29] La tante est propriétaire de la maison dans laquelle Nelson et les membres de sa famille élargie ont séjourné pendant un certain temps. Après leur départ, elle s’est rendue à la maison pour constater qu’elle avait été cambriolée. Les voisins ont déclaré avoir vu des personnes descendre d’un camion. Après avoir tout remis en ordre, elle a loué la maison. Les locataires sont partis au bout de cinq mois. La tante a écrit ce qui suit quant à leur séjour dans la maison : [traduction] « Ils m’appelaient constamment pour me dire que des hommes venaient régulièrement à la maison en quête de mes neveux et pour savoir s’ils savaient quelque chose à leur sujet. » Un voisin a informé la tante qu’un mois avant la date de la lettre (c’est-à-dire à la mi-février 2020), des hommes étaient entrés dans sa maison et ces derniers avaient brisé les fenêtres. Lors d’une inspection de la maison, le bris de fenêtres a été constaté et il y avait [traduction] « l’acronyme du CJNG sur le mur ».

Les faits pertinents quant à l’agent de persécution et au pays d’origine

[30] La SPR a conclu que le CJNG est établi dans l’État de Jalisco. La SAR a également conclu ce qui suit :

[traduction]
En 2015, le gouvernement mexicain a désigné le CJNG comme l’un des cartels les plus dangereux du pays ayant une portée nationale. Le CJNG est réputé être présent dans au moins 22 des 32 États mexicains. [Non souligné dans l’original.]

[31] Les documents présentés à la SPR et à la SAR illustrent la nature et la portée des opérations du CJNG. Voici des passages du mémoire des demandeurs qui résument les renseignements figurant dans le Cartable national de documentation. Ces déclarations rendent compte des descriptions pertinentes tirées de la documentation et certaines font double emploi avec celles relevées par la SPR :

[TRADUCTION]

  • Le CJNG est l’un des neuf principaux groupes criminels du Mexique.

  • Il est considéré comme « l’un des cartels les plus dangereux du pays ». Il « a pu mettre en œuvre une stratégie de croissance dynamique ».

  • Le CJNG a « étendu sa portée géographique et maintenu sa propre cohésion » tout en tirant profit de la scission d’autres groupes. Il est considéré comme « un cartel extrêmement puissant, présent dans 27 des 32 États mexicains en 2020. Sa réputation de violence extrême et intimidante perdure ».

  • « Récemment, certains analystes ont désigné le CJNG comme un cartel d’envergure nationale, à l’instar de celui de Sinaloa… ».

  • Le CJNG est désormais « la principale menace criminelle au Mexique et il semble disposé à poursuivre son expansion ».

  • « Le groupe s’est rapidement développé et le CJNG est désormais présent dans toutes les régions du Mexique, à l’exception du Sinaloa et du Triangle d’or de la production d’héroïne. » Il « ne contrôle pas nécessairement toutes les régions où il est présent ».

  • Certains gangs plus petits se sont également alliés au CJNG.

[Non souligné dans l’original et références omises.]

[32] Les faits relatifs aux interactions entre le CJNG et les autorités policières, que les demandeurs ont tirés du Cartable national de documentation et qu’ils ont résumés de la façon suivante dans leur mémoire, sont également importants :

[TRADUCTION]

  • « Il y a des agents de police qui sont de connivence avec le crime organisé », et il y a des rapports selon lesquels la police a « remis au CJNG » les personnes que le cartel recherchait.

  • La corruption au sein des forces armées et de la police fédérale « sous-tend la collusion entre l’État et les criminels ». La corruption de la police demeure un problème majeur au Mexique.

  • Le crime organisé « a profondément infiltré les institutions policières ».

  • Les forces policières locales sont « particulièrement vulnérables à la corruption et à l’infiltration de groupes criminels organisés ».

[Non souligné dans l’original.]

La décision de la SPR

[33] La SPR a jugé crédibles les allégations des demandeurs, y compris leur preuve établissant qu’ils avaient été menacés et agressés par le CJNG à de multiples reprises et que Maria Guadalupe avait été enlevée et violée.

[34] En ce qui concerne le premier volet du critère relatif à la PRI, la SPR a conclu que le CJNG n’avait ni la capacité ni la motivation de localiser les demandeurs à Mérida, dans l’État du Yucatan. Elle a conclu que le CJNG n’était pas actif à Mérida. En ce qui concerne l’État du Yucatan, la SPR a conclu que [traduction] « le cartel CJNG n’est pas réputé être présent dans cet État ». Elle a également conclu que le CJNG n’était pas présent à Mérida et que le cartel n’y avait pas d’alliances qui pouvaient l’aider à localiser les demandeurs d’asile.

[35] La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que le CJNG serait en mesure de les retracer à Mérida. La SPR a conclu que leur témoignage concernant le fait d’être localisés s’ils travaillaient ou s’ils s’inscrivaient à l’école ou auprès d’un fournisseur de soins de santé reposait sur des conjectures.

[36] La SPR a conclu que le changement légal de leur nom de famille était une [traduction] « précaution raisonnable » que les demandeurs pouvaient prendre et qui leur permettrait de ne pas être repérés par le CJNG.

[37] La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que le cartel avait la motivation de les localiser, au motif que la preuve était insuffisante pour établir que le CJNG avait continué à les chercher après qu’ils aient fui le Mexique.

La décision de la SAR

[38] La SAR a procédé à une appréciation indépendante de la preuve et elle a convenu que les demandeurs étaient crédibles.

[39] La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en enjoignant aux demandeurs de changer de nom. À cet égard, la SAR a affirmé ce qui suit :

[26] Je suis d’accord pour dire que la SPR a commis une erreur en posant des questions concernant un changement de nom pour les appelants sans les aviser au préalable du fait que des questions seraient posées à ce sujet ni leur donner l’occasion de soumettre des observations à ce propos. J’estime que cette question pointue a dû prendre les appelants par surprise et que, pour cette raison, elle était injuste. Qui plus est, il n’y avait aucun élément de preuve permettant à la SPR de conclure qu’un changement de nom est un exemple de mesure que la famille pourrait prendre pour être en sécurité à Mérida. Je suis d’avis que la SPR a commis une erreur en faisant cette affirmation à la lumière du dossier dont elle disposait. Cela dit, les appelants ont maintenant présenté de nouveaux éléments de preuve, à savoir un avis juridique concernant les modalités et les répercussions d’un changement de nom légal ainsi que l’affidavit de M. Araiza Campos. J’estime pouvoir corriger cette erreur en effectuant mon analyse indépendante.

[27] À la lumière de l’avis juridique, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, qu’un changement de nom au Mexique n’assurerait pas la sécurité des appelants. Selon l’avis juridique, les changements de nom relèvent du domaine public; ils sont consignés dans une base de données accessible au public, et ils sont inscrits dans les certificats de naissance originaux.

[40] La SAR a jugé que la preuve était insuffisante pour établir que le CJNG avait la capacité de pourchasser les demandeurs et que rien ne prouve qu’une dette importante ou qu’une vendetta personnelle pouvaient motiver le cartel à mener une attaque en dehors de sa zone d’activités.

[41] La SAR a reconnu qu’il y avait une preuve documentaire attestant de la présence du CJNG dans toutes les régions du Mexique, mais elle a également relevé que « le CJNG ne contrôle pas nécessairement toutes les zones où il est présent ». La SAR a également fait référence à la carte établie par Stratfor qui indique que « le CJNG ne mène pas d’activités dans les régions avoisinant Mérida » (non souligné dans l’original).

[42] La SAR a conclu que le CJNG est l’un « des cartels les plus dangereux du Mexique et que les réseaux de corruption dont il dispose sont vastes et bien établis ». Cependant, elle a conclu que « le CJNG ne mène pas d’activités dans la région de Mérida et qu’il est en conflit avec les groupes présents dans le Yucatan » (non souligné dans l’original). La SAR a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que le cartel était toujours motivé à retrouver les demandeurs.

[43] La SAR a tenu compte de la nouvelle preuve provenant de la tante, mais elle a déclaré que la lettre « contient peu de renseignements sur la période où son bien locatif a fait l’objet d’une introduction par effraction ».

[44] La SAR a conclu que « le risque auquel [Maria Guadalupe] pourrait être exposée » est attribuable à ses liens familiaux; « le cartel a causé du tort à Maria pour atteindre Nelson ».

[45] La SAR a conclu que la preuve est insuffisante pour conclure que le CJNG aurait toujours la motivation de retrouver les demandeurs « plus de deux ans plus tard ».

La question en litige

[46] La seule question en litige dans la présente demande est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[47] Avant d’aborder le caractère raisonnable de la conclusion quant à la PRI, je souhaite d’abord commenter la suggestion de la SPR selon laquelle un changement de nom est une [traduction] « précaution raisonnable » que les demandeurs en l’espèce auraient pu prendre.

Le changement de nom

[48] Devant la SPR, les demandeurs étaient d’avis que le fait de les enjoindre à changer de nom revenait à les contraindre à vivre dans la clandestinité. La SPR a soutenu qu’un changement de nom est une précaution raisonnable à prendre : [traduction] « Dans des décisions antérieures rendues par la SAR, cette dernière a conclu de même que certaines précautions raisonnables sont distinctes de l’obligation pour un demandeur d’asile de vivre dans la clandestinité dans un endroit désigné comme PRI. » Elle cite comme précédent à l’appui de cette proposition la décision X (Re), 2017 CanLII 61312 (CA CISR). Cette décision fait référence au fait que les demandeurs d’asile devraient faire preuve de prudence en ce qui concerne leur emplacement :

La SAR est d’avis que la recommandation de la SPR selon laquelle l’appelante limite le nombre de personnes à qui elle révèle ses coordonnées équivaut sans doute au comportement adopté par l’appelante et son époux depuis qu’ils ont fui les agents de persécution en juin 2016. La SAR juge qu’il s’agit d’une précaution évidente qui n’oblige pas les appelantes à vivre dans la clandestinité.

[49] Il y a une différence importante entre le fait d’être prudent dans la communication de renseignements quant au lieu où l’on se trouve et le fait de changer de nom.

[50] Juliette a peut-être raison de dire que le nom de famille de Roméo n’aurait pas dû faire obstacle à leur amour (« Qu’y a-t-il dans un nom? Ce que nous appelons rose, sous un autre nom, sentirait aussi bon. »). Cependant, le nom d’une personne est lié à son identité, à son histoire familiale et à son individualité. À mon avis, il n’est pas raisonnable de suggérer que les demandeurs d’asile devraient changer de nom pour assurer leur sécurité dans un endroit proposé comme PRI. À mon avis, suggérer qu’un changement de nom est une précaution raisonnable pour le demandeur d’asile revient en quelque sorte à contraindre ce dernier à cacher son identité personnelle. J’espère qu’une telle suggestion ne sera plus jamais faite à un demandeur d’asile.

[51] Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SAR, qui est énoncée au paragraphe 27 de sa décision et selon laquelle un changement de nom n’assurerait pas leur sécurité, laisse entendre qu’elle doit avoir conclu qu’ils seraient exposés à un risque dans l’endroit désigné comme PRI. Je ne suis pas de cet avis.

[52] À mon avis, la SAR n’affirme rien d’autre que le fait qu’un changement de nom ne procure aucune protection peu importe l’endroit. En fait, si l’on se réfère au dossier, cela peut même accroître le risque, puisque les changements de nom relèvent du domaine public. Si l’agent de persécution a les moyens et la motivation de persécuter une personne, un changement de nom ne fait que faciliter sa localisation. Si les moyens ou la motivation de l’agent de persécution sont faibles dans la PRI, un changement de nom ne procure aucune protection accrue.

La viabilité de la PRI

1. Les moyens mis en œuvre par le CJNG pour causer du tort aux demandeurs

[53] La SAR a conclu que le CJNG n’avait pas les moyens de causer du tort aux demandeurs, car « la preuve ne suffit pas à établir que le CJNG possède la portée géographique nécessaire pour retrouver les appelants à l’endroit proposé comme PRI, à savoir Mérida ».

[54] La SAR a tiré cette conclusion en se fondant sur les éléments suivants :

  1. « La carte établie par Stratfor indique que le CJNG ne mène pas d’activités dans les régions avoisinant Mérida »;

  2. « [L]e CJNG a conclu des alliances avec d’autres cartels criminels le long de la côte du golfe du Mexique […], mais […] ces alliances ne s’étendent pas jusqu’au Yucatan (Mérida) »;

  3. Bien qu’un document indique que « le CJNG est présent dans toutes les régions du Mexique; […] [il] souligne en outre que [traduction] “le CJNG ne contrôle pas nécessairement toutes les zones où il est présent”, et il mentionne plusieurs régions contrôlées par le CJNG, [mais] [l]e Yucatan ne figure pas sur cette liste »;

  4. « Les éléments de preuve objectifs mentionnent que le CJNG est l’un des cartels les plus dangereux du Mexique et que les réseaux de corruption dont il dispose sont vastes et bien établis, […] ils établissent également que le CJNG ne mène pas d’activités dans la région de Mérida et qu’il est en conflit avec les groupes présents dans le Yucatan »;

  5. « [L]e Yucatan a toujours été l’une des régions les plus paisibles du Mexique ».

[55] La SAR s’est livrée à un examen sélectif de la preuve objective et elle a mal interprété certains des éléments de preuve en question. Plus précisément, la SAR a confondu les termes « influence », « activité », « présence » et « contrôle » qui ressortent de la preuve objective.

[56] La carte établie par Stratfor indique les zones d’« influence » des cartels, et non les zones où un cartel est « actif », comme l’a indiqué la SAR. Contrairement à ce qu’a conclu la SAR, la carte indique des alliances entre le CJNG et d’autres cartels le long de la côte du golfe du Mexique, y compris le Yucatan, mais pas à Mérida.

[57] La SAR n’a pas exposé le raisonnement qui expliquerait la raison pour laquelle le « contrôle » de la région de Mérida serait nécessaire pour établir les moyens de causer du tort aux demandeurs, dans la mesure où la SAR a conclu que le CJNG était présent dans toutes les régions du Mexique.

[58] La SAR n’a pas exposé le raisonnement permettant de soutenir que les réseaux de corruption vastes et bien établis du CJNG ne pourraient pas servir à trouver les demandeurs à Mérida. En particulier, elle ne mentionne pas la preuve documentaire selon laquelle la police locale corrompue aide souvent les cartels à localiser des personnes d’intérêt et, parfois, joue le rôle du cartel en procédant à l’assassinat de ces personnes.

[59] Enfin, la SAR n’a pas expliqué en quoi le fait que le Yucatan soit pacifique est pertinent par rapport aux moyens dont dispose le CJNG pour trouver quelques individus en particulier et leur causer du tort.

[60] La SAR n’aborde pas une observation présentée par les demandeurs concernant la décision de la SPR qui s’applique tout autant à l’analyse menée par la SAR. Plus précisément, ils ont relevé que le CJNG a été en mesure de localiser Maria Guadalupe, qui ne vivait pas dans la même ville, après avoir appris simplement son surnom. Il s’agit là d’une preuve que le cartel a les moyens de retrouver les demandeurs.

[61] À mon avis, la décision en question n’est pas « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 85).

2. La motivation du CJNG de causer du tort aux demandeurs

[62] La SAR a conclu que « la preuve permet de conclure que le cartel a pu être motivé à retrouver les appelants ». Cependant, elle a fait également observer qu’« [a]ucune information n’est fournie quant à la durée de la période pendant laquelle un cartel peut continuer de chercher une personne; cela varie sans doute d’un cas à l’autre ». Je souscris à ces deux conclusions.

[63] La SAR considère que la preuve des efforts déployés pour trouver les demandeurs est révélatrice de la motivation. Au paragraphe 24 de sa décision, la SAR indique ce qui suit :

J’ai examiné les éléments de preuve concernant les efforts déployés par le cartel pour retrouver Nelson après qu’il eut refusé d’être recruté par le groupe. Entre le moment où il a été battu, son neveu Keiden a été joint dans un magasin de La Piedrera; Maria a été enlevée et agressée sexuellement; et Hugo a vu des gens en train de surveiller sa maison. J’ai également pris note des demandes de renseignements ainsi que des événements ayant suivi le départ de Nelson du Mexique, à savoir l’agression et l’intimidation dont Hugo a été victime en août 2018 et l’incident survenu en octobre 2018 dans le cadre duquel un homme a tenté d’enlever Dominic en ville.

[64] Ces incidents dont Nelson et quatre membres de sa famille ont été victimes se sont tous produits au cours d’une période de six mois, entre avril et octobre 2018. En outre, la SAR a reconnu que des membres du CJNG étaient entrés par effraction dans la maison de la tante après que Nelson et sa famille eurent quitté le Mexique en juillet et en août 2018, et que la présence d’inconnus que les nouveaux locataires avaient dit craindre et qui rôdaient entre août 2018 et novembre 2019 était le fait du CJNG à la recherche de Nelson.

[65] Cela donne fortement à penser que le CJNG était déterminé à recruter Nelson et à le punir, lui et sa famille, pour avoir refusé son offre. La SAR a fait abstraction de ce lien. Le degré de motivation de causer du tort à une personne, établi par des incidents personnels vécus par le demandeur d’asile et sa famille lorsqu’ils se trouvent dans le pays d’origine, est une indication de la durée pendant laquelle cette motivation persistera.

[66] La SAR ne tient pas compte de la preuve au dossier concernant la corruption de la police et le fait qu’elle travaille souvent avec le CJNG et d’autres cartels. Plus particulièrement, elle ne mentionne pas la déclaration se trouvant dans le Cartable national de documentation qui indique ce qui suit : [traduction] « Il y a des rapports attestant du fait que la police a “remis au CJNG” les personnes que le cartel recherchait. »

[67] La SAR ne mentionne pas non plus les éléments de preuve contenus dans le Cartable national de documentation selon lesquels le CJNG exerce souvent des représailles contre ceux qui, comme Nelson, Maria Guadalupe et la conjointe de Nelson, ont porté plainte contre le cartel auprès de la police :

[traduction]
Le professeur adjoint a déclaré qu’un individu déposant une plainte contre un gang auprès d’une autorité compétente de l’État ferait l’objet de pressions pour qu’il retire sa plainte et serait « presque certainement » tué s’il refusait d’obtempérer.

[68] Bien que la SAR soit présumée avoir tenu compte de tous les documents dont elle disposait, les éléments de preuve qui n’ont pas été expressément abordés par la SAR ont une incidence très importante sur sa conclusion; ceux-ci auraient dû être expressément pris en compte et examinés.

[69] En ce qui concerne la suggestion selon laquelle « la preuve ne suffit pas à démontrer que le CJNG aurait la motivation de retrouver les appelants à ce moment-ci, plus de deux ans plus tard », les demandeurs soulignent les remarques incidentes du juge Little dans Rivera Benavides c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 810 [Rivera Benavides] aux para 74 et 75 :

Troisièmement, au paragraphe 21 de sa décision, la SAR a conclu que les éléments de preuve nouvellement admis montraient la motivation et la capacité du cartel de trouver les demandeurs uniquement « jusqu’en août 2018 ». La SAR s’est fondée sur l’absence de tout élément de preuve à l’égard du fait que les agents de persécution avaient poursuivi les demandeurs « au cours de la dernière année », c’est‑à‑dire dans l’année précédant la décision de la SAR, en septembre 2019. Selon les demandeurs, seule la période entre le dernier événement, en août 2018, et le dépôt du dossier de la demande, en décembre 2018, devrait être réputée être une période durant laquelle les membres du cartel ne s’étaient pas renseignés à propos des demandeurs, à la connaissance de ces derniers. Par rapport à cette observation, les neuf ou dix mois qui se sont écoulés entre le moment où ils ont interjeté leur appel auprès de la SAR et la décision rendue par cette dernière ne devraient pas constituer le fondement de toute conclusion portant que le cartel ne les cherchait plus ou n’avait plus d’intérêt à les chercher.

Les demandeurs soulèvent un argument, mais il n’est pas nécessaire que celui‑ci soit réglé en l’espèce. L’argument est plus convaincant lorsqu’il est associé aux éléments de preuve. Il est bien sûr juste sur le plan des faits de dire que « rien ne permet de penser » que les membres du cartel du Golfe avaient recherché les demandeurs dans l’année précédant la décision de la SAR. Mais rien n’indiquait non plus que le cartel n’avait plus d’intérêt – les éléments de preuve révélaient un comportement menaçant durant plus d’un an entre la fin mai 2017 et août 2018, y compris des menaces précises d’agression sexuelle et de mort, l’existence de motivations financières et non financières, et un effort diversifié sur le plan géographique pour retrouver les demandeurs au Mexique. Le défendeur n’a pas cerné dans les éléments de preuve une raison pour laquelle le cartel avait cessé de chercher les demandeurs ou n’avait plus d’intérêt à le faire.

[70] À l’instar du juge Little, je n’ai pas besoin de régler la question de savoir si le défaut de produire des éléments de preuve établissant un intérêt continu de la part de l’agent de persécution après le dépôt du dossier d’appel est important. Toutefois, je relève qu’il est moins probable que de tels éléments de preuve soient facilement accessibles à partir du moment où les demandeurs d’asile prennent la fuite, et encore moins dans le cas où c’est la famille élargie de ces derniers qui arrive au Canada.

[71] Je conviens avec les demandeurs que l’observation du juge Little s’applique également aux faits en l’espèce. En d’autres mots, il est bien sûr juste sur le plan factuel de dire que [traduction] « rien ne permet de penser » que le CJNG avait recherché les demandeurs dans les 10 mois précédant la décision de la SAR. Cependant, rien n’indiquait non plus que le CJNG n’avait plus d’intérêt envers les demandeurs — les éléments de preuve révélaient un comportement menaçant s’étalant sur plus de deux années entre avril 2018 et février 2020, y compris des agressions physiques, le viol, des menaces de mort, et un effort diversifié sur le plan géographique pour retrouver les demandeurs au Mexique. Le défendeur n’a pas cerné dans les éléments de preuve une raison pour laquelle le cartel aurait cessé de chercher les demandeurs ou n’aurait plus d’intérêt envers eux.

[72] Ayant conclu que la SAR a fait abstraction d’éléments de preuve substantiellement pertinents et qu’elle n’a pas procédé à un examen adéquat de la preuve établissant l’existence d’une motivation continue à pourchasser les demandeurs, je juge que sa conclusion sur la motivation du CJNG n’est pas justifiée au regard des faits et qu’elle est donc déraisonnable.

[73] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-2326-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision faisant l’objet du contrôle est annulée et l’appel interjeté par les demandeurs à l’encontre de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés doit être examiné de nouveau par un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés. Aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2326-21

 

INTITULÉ :

NELSON ARAIZA CAMPOS, MARIA GUADALUPE ARAIZA CAMPOS, HUGO ARAIZA ACOSTA, MARIA ANGELINA CAMPOS CERVANTES, et DANIEL ARAIZA MACIAS, JUAN ARAIZA MACIAS, KEIDEN ARAIZA MACIAS et DOMINIC ARAIZA CAMPOS (représentés par leur tuteur à l’instance, NELSON ARAIZA CAMPOS) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 octobre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 novembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Timothy Wichert

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jazmeen Fix

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Timothy Wichert

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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