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Date : 20221216


Dossier : IMM-3501-21

Référence : 2022 CF 1751

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2022

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

NINA GORELOVA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 18 mai 2021 [la décision], par laquelle un agent principal [l’agent] a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Sa demande s’appuyait sur son établissement au Canada, sur l’intérêt supérieur de ses petits-enfants, sur ses problèmes de santé mentale et sur la situation défavorable dans le pays. L’agent, qui n’était pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire justifiaient l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), a rejeté la demande.

[2] Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire, car la décision rendue à l’égard de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est raisonnable.

I. Contexte

[3] La demanderesse, âgée de 73 ans, est une citoyenne d’Israël. Elle est devenue veuve à la suite du décès de son époux, en septembre 2020. Son fils a immigré au Canada avec sa famille en 2008. Elle est arrivée au Canada en août 2016 avec son époux et elle vit au Canada de façon continue depuis lors. Plusieurs visas de visiteur lui ont été délivrés.

[4] La demanderesse a présenté sa première demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en janvier 2017. Cette demande a été rejetée en janvier 2019.

[5] Le présent contrôle judiciaire porte sur la deuxième demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse en novembre 2019. La demande avait initialement été présentée au nom de la demanderesse et de son époux, mais étant donné le décès de celui-ci, la décision ne tient compte que de la preuve de la demanderesse.

II. Décision sur la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire faisant l’objet du contrôle

[6] L’agent n’était pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire invoquées par la demanderesse justifiaient l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[7] L’agent a accordé un certain poids à l’établissement de la demanderesse au Canada, soulignant qu’elle vivait au Canada depuis près de cinq ans et qu’elle était autonome financièrement. La demanderesse vit avec son fils, sa belle-fille et ses deux petits-fils, qui étaient âgés de 17 et 18 ans au moment où la décision a été rendue. Elle a suivi des cours de langue pour améliorer ses compétences en anglais et elle a participé à des programmes communautaires, ce qui est étayé par des lettres provenant de membres de la communauté. L’agent a reconnu que la réunification de la famille constituait un facteur important, mais pas nécessairement déterminant. Il a donc accordé un certain poids à ce facteur.

[8] L’agent a souligné que la demanderesse souhaitait rester au Canada avec son fils et la famille de celui-ci, mais il a aussi fait remarquer que la famille avait déjà été séparée à la suite de l’immigration du fils de la demanderesse au Canada en 2008. Il a convenu qu’il serait plus facile pour le fils de la demanderesse de prendre soin de celle-ci si elle était au Canada, mais il a ajouté que peu d’éléments de preuve indiquaient que la demanderesse avait besoin de soins ou qu’elle n’était pas en mesure de prendre soin d’elle-même. Il a aussi convenu que le fait de vivre séparée de son fils et de la famille de celui-ci pourrait occasionner des difficultés émotionnelles à la demanderesse.

[9] L’agent a souligné qu’en tant que citoyenne d’Israël, la demanderesse pourrait continuer de venir au Canada sans visa. Il a aussi souligné que rien n’indiquait que des obstacles pourraient l’empêcher de voyager.

[10] En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants touchés, soit les deux petits-fils de la demanderesse, l’agent a accordé un certain poids à ce facteur. Il a reconnu que la demanderesse avait établi une relation profonde avec ses petits-fils et que son départ pourrait être bouleversant pour eux tous. Il a toutefois conclu que les parents des garçons étaient les principaux responsables des soins à leur prodiguer et qu’ils les soutiendraient tout au long de la transition. De plus, il a souligné qu’aucun des garçons, qui étaient âgés de 17 et 18 ans au moment où la décision a été rendue, n’avait présenté de lettre de soutien en faveur de leur grand-mère même s’ils étaient en âge de faire connaître leur avis concernant sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent s’est dit convaincu que les liens existant entre les garçons et la demanderesse ne seraient pas rompus si elle devait retourner en Israël, car ils pourraient maintenir une relation au moyen des télécommunications. Il a répété que peu d’éléments de preuve indiquaient que la demanderesse ne pourrait pas continuer à rendre visite à sa famille au Canada.

[11] En ce qui concerne les problèmes de santé mentale de la demanderesse, l’agent a examiné le rapport clinique de la Dr Pilowsky, daté du 28 août 2019, mais il ne lui a accordé que peu de poids. Le rapport psychologique indiquait que les principaux facteurs de stress de la demanderesse étaient liés à son statut au Canada et à la santé de son époux. L’agent a reconnu que, de l’avis de la psychologue, la demanderesse souffrait de [traduction] « profonds symptômes cliniques d’anxiété et de dépression » et qu’un renvoi du Canada lui occasionnerait des difficultés physiologiques excessives. Il a toutefois souligné que [traduction] « l’avis clinique fourni par la Dr Pilowsky n’expliqu[ait] pas la façon dont l’évaluation [avait] été réalisée, le temps qu’elle [avait] duré, les tests qui [avaient] été effectués, la méthode qui [avait] été employée ni la façon dont le diagnostic [avait] été posé ». Il a donc accordé peu de poids à l’évaluation.

[12] Enfin, l’agent a accordé peu de poids à la situation défavorable dans le pays. Il a conclu que le dossier ne contenait pas une preuve documentaire suffisante pour corroborer la déclaration de la demanderesse selon laquelle les attaques terroristes avaient augmenté en Israël. Il a ajouté que la preuve ne suffisait pas non plus à démontrer que la demanderesse serait incapable de s’intégrer ou de s’établir de nouveau en Israël, étant donné qu’elle y avait vécu durant plus de 20 ans. L’agent a aussi conclu que la demanderesse avait encore un frère, une belle-mère et un beau-frère en Israël qui pouvaient l’aider à court terme. Il a estimé que peu d’éléments de preuve indiquaient que la demanderesse n’avait plus de lien avec sa famille en Israël. Il a aussi estimé que rien n’indiquait que la demanderesse, une fois de retour en Israël, cesserait de recevoir du soutien affectif de la part de son fils et de la famille de celui-ci.

III. Questions en litige

[13] La demanderesse soulève les questions suivantes concernant la décision rendue à l’égard de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire :

  1. L’agent a-t-il appliqué le mauvais critère lorsqu’il a apprécié les facteurs d’ordre humanitaire?

  2. L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants?

  3. L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation du rapport psychologique?

IV. Norme de contrôle applicable

[14] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Pour apprécier le caractère raisonnable de la décision, la Cour doit « se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, au para 99). « [S]i des motifs sont communiqués, mais que ceux‐ci ne justifient pas la décision de manière transparente et intelligible [...], la décision sera déraisonnable » (Vavilov, au para 136).

V. Analyse

A. L’agent a-t-il appliqué le mauvais critère lorsqu’il a apprécié les facteurs d’ordre humanitaire?

[15] La demanderesse soutient que l’agent a examiné les considérations d’ordre humanitaire sous l’angle des difficultés au lieu d’appliquer une approche empreinte de compassion, comme l’exige l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2015 CSC 61 [Kanthasamy]. À l’appui de son allégation selon laquelle l’agent s’est concentré, à tort, sur les difficultés, elle relève diverses phrases de la décision qui portent sur l’établissement, sur la réunification de la famille, sur l’intérêt supérieur de ses petits-enfants et sur la situation défavorable dans le pays.

[16] Toutefois, le fait de tenir compte des difficultés ne suffit pas, à lui seul, à rendre déraisonnable une décision relative à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême déclare ce qui suit :

[23] L’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) [...]. De plus, ce paragraphe n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle [...].

 

[25] Ce qui justifie une dispense dépend évidemment des faits et du contexte du dossier, mais l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids [...]. [Renvois omis; en italique dans l’original.]

[17] La prise en compte des difficultés par un agent chargé d’examiner une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire peut poser problème si l’agent se concentre sur les difficultés au détriment des autres considérations ou facteurs. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. Bien que la demanderesse s’oppose à certains des termes employés par l’agent, cela ne suffit pas à établir que l’agent s’est concentré sur les difficultés au moment d’examiner la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Comme l’a déclaré le juge Gleeson au paragraphe 18 de la décision Alexander c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 881, « le contrôle judiciaire de la décision de l’agent ne peut pas être limité à l’examen d’une seule phrase [...] des motifs de l’agent. Une référence aux difficultés ne peut pas, en soi, établir une erreur commise par un décideur » (voir aussi De Sousa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 818, au para 31).

[18] En ce qui concerne cette question, la demanderesse n’a pas démontré que l’agent s’était concentré trop strictement sur les difficultés et elle n’a pas relevé de facteurs ni d’éléments de preuve qu’il aurait omis de prendre en compte parce qu’il s’est concentré sur les difficultés.

B. L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants?

[19] La demanderesse soutient que l’agent ne s’est pas montré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de ses petits-fils.

[20] L’intérêt supérieur des enfants doit être examiné en fonction du contexte et au regard de la preuve. Il ne s’agit pas d’un cas où un parent ou le principal responsable des soins est renvoyé. Même s’il ne fait aucun doute que la demanderesse entretient une relation étroite avec ses petits-enfants, l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants est une analyse contextuelle fondée sur les circonstances et les répercussions sur les enfants directement touchés.

[21] La présente affaire s’apparente à celle dont il est question dans la décision Meniuk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1374 [Meniuk], dans laquelle la demanderesse, qui avait un petit-fils au Canada, a soulevé des arguments semblables quant au caractère suffisant de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans la décision Meniuk, le juge Bell a conclu que l’agent avait tenu compte de l’intérêt supérieur du petit-fils et qu’il avait correctement soupesé les facteurs (au para 26).

[22] En l’espèce, l’agent a tenu compte de l’âge des petits-fils de la demanderesse, qui avaient 17 et 18 ans au moment de la décision. Il a tenu compte de la relation affective que les garçons entretenaient avec la demanderesse et il a reconnu que la séparation serait difficile. Il a toutefois souligné que la demanderesse n’était pas la principale responsable des soins à prodiguer aux garçons et il s’est dit convaincu qu’elle pourrait continuer à entretenir une relation avec eux soit par voie électronique, soit lors de ses prochains séjours au Canada. De plus, étant donné qu’aucun élément de preuve direct n’a été présenté par les petits-fils de la demanderesse, leur avis quant à son renvoi du Canada n’a pas pu être déterminé.

[23] Comme l’a souligné le juge Favel au paragraphe 41 de la décision Harder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1260 :

Il incombait aux demandeurs de présenter à l’agent « suffisamment » d’éléments de preuve à l’appui de leur demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (Daniels c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 463 au para 32). Si l’intérêt supérieur de l’enfant doit être « “bien identifié et défini”, puis examiné “avec beaucoup d’attention” eu égard à l’ensemble de la preuve », un décideur est tout de même limité par la preuve dont il dispose (Kanthasamy, au para 39).

[24] Il est bien établi qu’il incombe à un demandeur de présenter des éléments de preuve relatifs aux considérations d’ordre humanitaire en général et, plus particulièrement, relatifs à l’intérêt supérieur d’un enfant (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 aux para 5 et 8; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189 [Kisana] aux para 35, 45 et 61).

[25] Dans les circonstances, l’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants est raisonnablement fondée sur la preuve présentée par la demanderesse.

C. L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation du rapport psychologique?

[26] La demanderesse soutient que l’agent n’a pas correctement apprécié le rapport psychologique de la Dr Pilowsky, rapport selon lequel elle souffre d’anxiété et de dépression. Elle invoque la décision Rezagh Sarab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 969, dans laquelle la juge Mactavish a conclu que « [l]e fait que l’agent d’immigration n’ait pas apprécié ce qu’impliquait l’opinion du [médecin] et tenu compte de celle‑ci rend[ait] la décision déraisonnable » (au para 16).

[27] Le rapport médical de la Dr Pilowsky indique que la détresse psychologique éprouvée par la demanderesse découlait, en partie, de sa crainte de devoir retourner en Israël. Le rapport mentionne expressément que les préoccupations de la demanderesse concernant son statut d’immigration étaient secondaires. Le rapport indique également que la demanderesse avait des problèmes psychologiques préexistants qui résultaient de la séparation d’avec sa famille, et qu’une deuxième séparation serait psychologiquement dommageable pour elle.

[28] L’agent a examiné le rapport et a souligné que les facteurs de stress de la demanderesse étaient liés à son statut et à son incapacité à rester au Canada. Il a tenu compte du rapport et de l’avis de la Dr Pilowsky. Même s’il était inexact de sa part de dire que le rapport n’expliquait pas la méthode employée ou la façon dont le diagnostic avait été posé, cela ne suffit pas à établir qu’il a traité le rapport de façon déraisonnable. Il a examiné le rapport et lui a accordé peu de poids, ce qui relevait de son pouvoir discrétionnaire.

[29] À mon avis, toute lacune dans le traitement fait par l’agent du rapport psychologique n’est pas suffisamment capitale ou importante pour rendre l’ensemble de la décision déraisonnable (Vavilov, au para 100).

VI. Conclusion

[30] L’agent a examiné et soupesé les facteurs d’ordre humanitaire et la preuve à l’appui, mais il n’était pas convaincu que la demanderesse s’était acquittée du fardeau d’établir qu’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire était justifiée dans sa situation (Kisana, aux para 35, 45 et 61).

[31] Dans l’ensemble, la décision de l’agent est raisonnable.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-3501-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel aux termes de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Ann Marie McDonald »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

IMM-3501-21

INTITULÉ :

GORELOVA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 novembre 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 décembre 2022

COMPARUTIONS :

Sandra Dzever

Pour la demanderesse

 

Laoura Christodoulides

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Immigration Law Office of Ronen Kurzfeld

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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