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Date : 20230104


Dossier : IMM-1263-21

Référence : 2023 CF 16

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

THINUJA SATKUNANATHAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] La demanderesse est une citoyenne canadienne naturalisée. Elle tente, depuis 2011, de parrainer ses parents et ses trois frères et sœurs adultes afin qu’ils obtiennent la résidence permanente au Canada, mais elle n’arrive pas à satisfaire à l’exigence relative au revenu vital minimum (le RVM) pour y parvenir.

[2] En 2019, la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel de la demanderesse visant la décision par laquelle l’agent des visas avait conclu que la demanderesse ne satisfaisait pas à l’exigence relative au RVM et que, en outre, Kirupaharan Paranirupasingam, que la demanderesse avait désigné comme son conjoint de fait, ne pouvait être ajouté comme cosignataire de la demande de parrainage. En appel, la demanderesse n’a pas sollicité la prise de mesures spéciales fondées sur des considérations d’ordre humanitaire au titre de l’alinéa 67(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[3] La demanderesse a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la SAI au motif que, devant la SAI, son conseil ne l’avait pas aidée de façon appropriée. Elle a soutenu que son ancien conseil ne l’avait pas bien informée au sujet de la possibilité d’interjeter appel pour des considérations d’ordre humanitaire au titre de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

[4] La Cour (le juge Pamel) a accueilli la demande de contrôle judiciaire et a ordonné que l’affaire soit réexaminée : voir Satkunanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 470. Étant donné que la demanderesse n’avait pas contesté la décision par laquelle la SAI avait confirmé les conclusions de l’agent des visas selon lesquelles elle ne satisfaisait pas à l’exigence relative au RVM et que M. Paranirupasingam ne pouvait pas être ajouté comme cosignataire, le réexamen n’a porté que sur la question de savoir s’il devait être fait droit à l’appel au titre de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

[5] Dans sa décision du 4 février 2021, la SAI a rejeté l’appel, concluant qu’il n’y avait pas suffisamment de considérations d’ordre humanitaire pour que la prise de mesures spéciales à l’égard de l’exigence relative au RVM soit justifiée.

[6] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision, alléguant qu’elle n’est pas conforme aux principes d’équité procédurale et qu’elle est déraisonnable.

[7] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas de cet avis. Par conséquent, la présente demande sera rejetée.

II. CONTEXTE

[8] La demanderesse est arrivée au Canada du Sri Lanka en 2007 et a obtenu l’asile en raison des risques auxquels l’exposait son origine ethnique tamoule au Sri Lanka.

[9] En 2011, la demanderesse a présenté une demande pour parrainer ses parents et ses trois frères et sœurs afin qu’ils obtiennent la résidence permanente au Canada. En février 2017, après des retards dans le traitement de la demande, la demanderesse a été informée qu’elle ne satisfaisait pas à l’exigence relative au RVM pour le parrainage énoncée au sous‑alinéa 133(1)j)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR). (Cette disposition est reproduite en annexe.)

[10] La demanderesse a ensuite demandé que M. Paranirupasingam soit ajouté comme cosignataire et que sa demande soit réexaminée. Lorsqu’elle a présenté cette demande, la demanderesse a déclaré que M. Paranirupasingam et elle avaient commencé à vivre ensemble le 23 janvier 2017. La demande visant à ajouter M. Paranirupasingam comme cosignataire a été rejetée parce que la demanderesse et lui n’avaient pas vécu ensemble pendant au moins un an, ce qui correspond à la durée minimale pour se qualifier en tant que conjoints de fait : voir RIPR, art 1, « conjoint de fait ».

[11] La demanderesse a présenté plusieurs demandes de réexamen, mais les rejets ont été confirmés.

[12] Le premier appel de la demanderesse devant la SAI a été entendu le 18 avril 2019. La demanderesse et M. Paranirupasingam ont tous deux témoigné lors de l’audience relative à l’appel.

[13] L’appel était axé sur le refus de l’agent des visas d’ajouter M. Paranirupasingam à titre de cosignataire. La SAI a confirmé cette décision. Elle a conclu que la preuve concernant la relation entre la demanderesse et M. Paranirupasingam n’était pas crédible. Le commissaire de la SAI a souligné que la demanderesse avait expliqué que, dans sa première demande visant à ajouter M. Paranirupasingam à titre de cosignataire, elle avait déclaré, à la suggestion d’un collègue, qu’ils vivaient ensemble depuis le 23 janvier 2017, même s’il ne s’agissait pas de la vérité. Le commissaire a déclaré ce qui suit : « Son affirmation selon laquelle elle a sciemment fourni de faux renseignements au bureau des visas parce qu’un collègue de travail lui a suggéré de le faire n’a pas amélioré sa crédibilité en général. » Le commissaire a également jugé que la demanderesse et M. Paranirupasingam avaient donné des récits différents de leur relation à des moments différents. De plus, les éléments de preuve qu’ils ont présentés à la SAI concernant le moment où ils ont commencé à vivre ensemble ne concordaient pas. De l’avis de la SAI, la demanderesse et son conjoint ont menti sous serment, soit dans leur témoignage devant le commissaire, soit dans un affidavit conjoint souscrit en 2017, « ou peut‑être dans les deux cas ». Par conséquent, la SAI n’a pas été « en mesure d’établir à quel moment ils auraient pu être considérés comme des conjoints de fait au sens du Règlement ». La SAI a également estimé qu’il ressortait clairement des renseignements financiers fournis que, sans cosignataire, la demanderesse ne satisfaisait pas à l’exigence relative au RVM. Elle a donc rejeté l’appel.

[14] La nouvelle audition de l’appel a eu lieu le 8 décembre 2020. Encore une fois, la demanderesse et M. Paranirupasingam ont tous deux témoigné. Ils avaient, à cette date, eu trois enfants ensemble, âgés de cinq ans, de trois ans et d’un an respectivement. De plus, les parents et la sœur de la demanderesse vivaient avec elle à Scarborough, en Ontario. Les parents de la demanderesse sont venus au Canada munis de visas pour entrées multiples à durée prolongée, et sa sœur était munie d’un permis d’études valide jusqu’en 2023. Les deux frères de la demanderesse se trouvaient toujours au Sri Lanka.

[15] La demanderesse a fourni des renseignements financiers à jour à la SAI. Même si l’importance de son manque à gagner par rapport à l’exigence relative au RVM était un point en litige, le fait que le revenu de la demanderesse était inférieur au seuil nécessaire compte tenu de la taille de sa famille n’était pas contesté.

[16] À l’appui de son allégation selon laquelle elle devrait être admissible à des mesures spéciales à l’égard de l’exigence relative au RVM, la demanderesse a présenté des éléments de preuve concernant sa situation financière qui, selon elle, atténuaient le risque associé au manque à gagner dans son RVM. Elle a également mentionné le fait qu’elle avait besoin de l’aide de ses parents et de sa sœur pour prendre soin de ses enfants (surtout en raison d’un problème de santé dont elle souffre), les risques auxquels ses frères étaient exposés au Sri Lanka et les difficultés que ses parents devaient surmonter pour tenter de subvenir aux besoins de membres de la famille au Canada et au Sri Lanka. La demanderesse a également soutenu qu’il serait dans l’intérêt supérieur de ses enfants que leurs grands‑parents et leur tante soient au Canada.

III. DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[17] Le commissaire de la SAI a conclu que le manque à gagner entre le revenu de la demanderesse et l’exigence relative au RVM était « assez considérable » et que, par conséquent, les facteurs atténuants et les considérations d’ordre humanitaire devaient être « importants » pour justifier la prise de mesures spéciales.

[18] Le commissaire de la SAI a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de facteurs pour atténuer le risque financier que pose le parrainage par la demanderesse des membres de sa famille pour les raisons suivantes :

  • Le commissaire a tenu compte du témoignage de M. Paranirupasingam concernant sa volonté et sa capacité d’aider financièrement sa belle‑famille à se réinstaller, mais a accordé peu de poids à ce témoignage puisque M. Paranirupasingam n’était pas cosignataire de la demande. Quoi qu’il en soit, même si son revenu était combiné à celui de la demanderesse, l’exigence relative au RVM ne serait toujours pas respectée.

  • La demanderesse a déclaré que son revenu avait diminué entre 2017 et 2019 parce qu’elle était en congé de maternité. Le commissaire a convenu que son revenu connaissait une augmentation stable, mais il a conclu qu’un manque à gagner persisterait tout de même dans un avenir prévisible.

  • Un état financier non vérifié de l’entreprise appartenant à la demanderesse et à M. Paranirupasingam (Leela Supermarket, un magasin de Scarborough) montrait des revenus annuels d’environ six millions de dollars. Toutefois, cela ne permettait pas d’atténuer le manque à gagner pour trois raisons. Premièrement, l’état financier n’était pas un élément de preuve fiable parce qu’il n’indiquait pas qui l’avait préparé. Bien que la demanderesse ait déclaré qu’il avait été préparé par un comptable, la conclusion défavorable en matière de crédibilité tirée dans la décision antérieure de la SAI à l’égard de la demanderesse et de M. Paranirupasingam a soulevé des doutes quant à la fiabilité de l’état financier. Deuxièmement, même si l’état financier avait été un élément de preuve fiable, la situation financière de l’entreprise n’atténuait pas le risque posé par le parrainage. Les bénéfices nets de l’entreprise devraient être réinvestis dans l’entreprise et ne pas être utilisés comme source de fonds d’établissement pour les membres de la famille de la demanderesse. Si les bénéfices servaient à subvenir aux besoins des membres de la famille de la demanderesse, cela pourrait nuire à la viabilité de l’entreprise et, par conséquent, mettre le revenu de la demanderesse en péril. Troisièmement, lorsqu’il a évalué la santé financière de l’entreprise pour savoir s’il s’agissait d’un facteur atténuant potentiel, le commissaire a également tenu compte du fait qu’un solde de 200 000 $ restait à payer sur le prêt à l’entreprise.

  • La demanderesse a déclaré qu’elle était propriétaire de trois immeubles locatifs ainsi que de la maison dans laquelle elle vit avec sa famille. Le revenu locatif net modeste généré par ces immeubles a été pris en compte dans le calcul du revenu de la demanderesse. En ce qui concerne les immeubles eux‑mêmes, la SAI n’était pas convaincue que ces biens atténuaient le risque financier posé par le parrainage pour trois raisons. Premièrement, le commissaire a exprimé des doutes sur la question de savoir si la demanderesse était réellement propriétaire des trois immeubles locatifs, comme elle l’avait affirmé, étant donné que son nom figurait seulement sur un des contrats de location; seul le nom de M. Paranirupasingam figurait sur les deux autres contrats. Deuxièmement, le commissaire a souligné que la « préoccupation quant à la crédibilité » soulevée dans le premier appel s’était reportée aux éléments de preuve de la demanderesse concernant le nombre de biens qu’elle possédait. Troisièmement, même s’il était démontré que la demanderesse était propriétaire des trois immeubles locatifs, l’effet atténuant sur le risque financier posé par le parrainage serait limité parce que les trois immeubles étaient lourdement grevés d’hypothèques non remboursées. Qui plus est, même si la question de l’identité de la personne propriétaire de la maison familiale n’était pas contestée, ce que le commissaire a considéré comme un facteur favorable, la maison était également grevée d’une hypothèque importante.

[19] En ce qui concerne les considérations d’ordre humanitaire invoquées par la demanderesse, le commissaire de la SAI n’était pas convaincu qu’elles étaient suffisantes pour justifier la prise de mesures spéciales. En particulier :

  • Les symptômes liés à l’état de santé de la demanderesse ne semblent pas l’empêcher de travailler et de mener une vie normale de manière générale.

  • Les difficultés auxquelles la demanderesse doit faire face pour concilier son travail et ses responsabilités liées à la garde des enfants ne sortent pas de l’ordinaire. « La plupart des familles qui travaillent concilient le travail et la garde des enfants, et certaines le font tout en gérant de graves problèmes de santé. »

  • Le commissaire a reconnu que la demanderesse se souciait vraiment de la sécurité de ses frères au Sri Lanka, mais a estimé qu’il n’y avait aucune preuve objective des risques auxquels ils étaient exposés. Il convient de noter qu’aucun élément de preuve n’a été présenté par les frères de la demanderesse au sujet de leurs expériences récentes au Sri Lanka.

  • Le père de la demanderesse est âgé de 75 ans. Sa mère a 58 ans. Ils sont tous les deux en bonne santé. Affirmer simplement qu’il leur serait difficile de voyager entre le Canada et le Sri Lanka parce qu’ils sont « âgés » ne suffit pas à démontrer l’existence de difficultés qui justifieraient la prise de mesures spéciales.

  • Bon nombre des objectifs de la demanderesse relativement au parrainage sont atteints puisque ses parents et sa sœur résident au Canada pour une longue période. Bien que la situation ne soit pas idéale, elle répond raisonnablement aux objectifs de la demanderesse et atténue les difficultés dont elle a fait état.

[20] Enfin, le commissaire de la SAI a conclu que l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse ne justifiait pas la prise de mesures spéciales. La demanderesse et M. Paranirupasingam sont les principaux gardiens des enfants et le resteraient même si les parents et la sœur de la demanderesse devaient quitter le Canada. Bien que la présence de leur famille élargie au Canada soit positive pour les enfants, elle n’est pas essentielle à leur bien‑être. De plus, le rejet de l’appel aurait peu d’incidence immédiate sur l’intérêt des enfants, étant donné que leurs grands‑parents et leur tante peuvent toujours rester au Canada pendant de longues périodes.

[21] Pour ces motifs, le commissaire de la SAI a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de considérations justifiant la prise de mesures spéciales au titre de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. L’appel a donc été rejeté.

IV. NORME DE CONTRÔLE

[22] Nul ne conteste les normes de contrôle applicables.

[23] La norme qui est présumée s’appliquer au contrôle sur le fond de la décision de la SAI est celle de la décision raisonnable : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 10. Aucune des exceptions reconnues à cette présomption ne s’applique en l’espèce.

[24] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). La cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard d’une décision qui possède ces attributs (ibid). Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision n’a pas pour rôle d’apprécier ou d’évaluer à nouveau la preuve examinée par le décideur ni de modifier des conclusions de fait en l’absence de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Par ailleurs, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une simple formalité; il s’agit d’un type rigoureux de contrôle (Vavilov, au para 13). Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur « s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, au para 126).

[25] Il incombe au demandeur de démontrer que la décision de la SAI est déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer une décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[26] Pour ce qui est de savoir si les exigences de l’équité procédurale ont été respectées, la cour de révision doit procéder à sa propre analyse du processus suivi par le décideur et déterminer elle‑même si la procédure était équitable eu égard à toutes les circonstances pertinentes, y compris celles énoncées dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 aux para 21‑28 : voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; et Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14. En pratique, cet exercice revient à appliquer la norme de la décision correcte : voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, aux para 49‑56 et Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35.

[27] Il incombe au demandeur de démontrer que les exigences de l’équité procédurale n’ont pas été respectées. La question fondamentale consiste donc à se demander si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre : voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, au para 56.

V. ANALYSE

[28] L’argument de la demanderesse selon lequel les exigences de l’équité procédurale n’ont pas été respectées se limite au fait que le commissaire de la SAI s’est appuyé sur la conclusion défavorable antérieure concernant sa crédibilité. La demanderesse soutient également qu’il était déraisonnable pour le commissaire de se fonder sur cette conclusion. Étant donné que ses observations sur ces deux éléments sont étroitement liées, je les examinerai ensemble avant de me pencher sur la question de savoir si la décision dans son ensemble était raisonnable.

A. Le commissaire s’est appuyé sur la conclusion défavorable en matière de crédibilité

[29] Comme je l’ai indiqué précédemment, le commissaire de la SAI qui a entendu le premier appel de la demanderesse a tiré une solide conclusion défavorable concernant la crédibilité des éléments de preuve fournis par la demanderesse et par M. Paranirupasingam au sujet de leur relation. Le premier commissaire est même allé jusqu’à affirmer que la demanderesse et son conjoint avaient menti sous serment à au moins une occasion. Cette conclusion n’a pas été contestée dans la première demande de contrôle judiciaire déposée par la demanderesse.

[30] Dans la présente demande, la demanderesse invoque trois exemples où, selon elle, le deuxième commissaire de la SAI s’est appuyé à son détriment sur cette conclusion défavorable concernant sa crédibilité : 1) il a mis en doute la fiabilité de l’état financier fourni pour le Leela Supermarket; 2) il a mis en doute la véracité des éléments de preuve qu’elle avait fournis relativement au nombre de propriétés qu’elle possédait; 3) il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve montrant que ses frères étaient exposés à des risques au Sri Lanka. La demanderesse soutient que, pour chacun de ces exemples, le fait que le commissaire de la SAI s’est appuyé sur la conclusion défavorable antérieure en matière de crédibilité a enfreint les exigences de l’équité procédurale parce qu’elle n’avait pas été avisée que le commissaire envisageait de se fonder sur cette conclusion antérieure. Elle soutient également que, de toute façon, il était déraisonnable de s’appuyer sur la conclusion défavorable en matière de crédibilité.

[31] Je note tout d’abord que je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que le commissaire s’est appuyé sur la conclusion antérieure en matière de crédibilité à son détriment — ni même au détriment de qui que ce soit — pour apprécier la preuve relative aux risques auxquels étaient exposés ses frères au Sri Lanka. Il est vrai que le commissaire a affirmé qu’il lui fallait tenir compte « des circonstances de l’affaire, de l’ensemble de la preuve, de la crédibilité des parties, et des explications justifiant l’absence de preuve corroborante » pour apprécier la preuve sur cette question. Cependant, il a ensuite expressément reconnu que la demanderesse croyait sincèrement que ses frères étaient exposés à des risques au Sri Lanka. La difficulté pour la demanderesse résidait dans le fait qu’elle n’avait pas une connaissance directe des expériences récemment vécues par ses frères et que ces derniers n’avaient eux‑mêmes fourni aucun élément de preuve. Le problème soulevé par le commissaire n’était pas la crédibilité du témoignage de la demanderesse concernant ses frères, mais plutôt la fiabilité de ce témoignage parce qu’il était, au mieux, indirect. La conclusion défavorable antérieure en matière de crédibilité n’avait donc rien à voir avec la conclusion du commissaire selon laquelle la preuve concernant la situation des frères de la demanderesse était insuffisante.

[32] Par ailleurs, je conviens que le commissaire s’est appuyé, dans une certaine mesure, sur la conclusion défavorable antérieure en matière de crédibilité à l’égard des deux autres exemples relevés par la demanderesse. Cependant, je ne peux conclure qu’il était injuste ou déraisonnable pour le commissaire de le faire.

[33] Sur la question de l’équité procédurale, d’abord, la demanderesse avance un argument très restreint. Elle soutient que, par souci d’équité procédurale, la SAI était tenue de l’aviser qu’elle envisageait d’appliquer la conclusion défavorable antérieure en matière de crédibilité tirée à l’égard d’une question (la durée de la relation conjugale entre elle et M. Paranirupasingam) à d’autres questions (la fiabilité de l’état financier et le nombre de propriétés qu’elle possédait). La demanderesse ne renvoie à aucun précédent pour étayer cette thèse, et, à ma connaissance, il n’en existe aucun.

[34] Il me semble également que la demanderesse procède à une analyse beaucoup trop étroite des motifs du commissaire. Qu’il s’agisse de savoir depuis combien de temps la demanderesse et M. Paranirupasingam entretiennent une relation conjugale ou de connaître la santé financière de leur entreprise ou le nombre de biens que possède la demanderesse, ces questions sont toutes liées à la capacité de la demanderesse de s’acquitter de ses obligations financières en tant que répondante. Le premier commissaire de la SAI a conclu que le témoignage de la demanderesse à cet égard n’était pas crédible. Même dans le contexte d’un appel fondé sur l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, la demanderesse (qui était représentée par un conseil très expérimenté) devait comprendre que la crédibilité de son témoignage concernant sa capacité de s’acquitter de ses obligations financières pouvait être mise en doute à d’autres égards étant donné la solide conclusion défavorable tirée par le premier commissaire (conclusion qui, je le rappelle, n’a pas été contestée dans la première demande de contrôle judiciaire). Je suis convaincu que la demanderesse connaissait la preuve à réfuter et qu’elle a eu la possibilité complète et équitable de le faire. Il n’y a eu aucun manquement aux exigences de l’équité procédurale.

[35] Pour des raisons semblables, la demanderesse ne m’a pas convaincu qu’il était déraisonnable que le second commissaire se fonde sur la conclusion défavorable antérieure en matière de crédibilité. Comme l’a déclaré le commissaire, l’admissibilité de M. Paranirupasingam à titre de cosignataire, la situation financière de l’entreprise de la demanderesse et le nombre de propriétés que celle‑ci possède sont tous liés à la même question sous‑jacente — celle de l’atténuation du risque financier que pose le parrainage par la demanderesse des membres de sa famille étant donné qu’elle ne respecte pas l’exigence relative au RVM. Comme l’a conclu le premier commissaire, il y avait des raisons sérieuses de douter de la crédibilité du témoignage de la demanderesse au sujet d’un facteur qu’elle avait présenté pour atténuer ce risque, soit le fait qu’elle et M. Paranirupasingam étaient des partenaires conjugaux. Ainsi, il était raisonnable que la SAI ait des doutes quant à la crédibilité du témoignage de la demanderesse au sujet des autres facteurs qu’elle avait soulevés pour atténuer ce risque. À mon avis, le commissaire a raisonnablement jugé que la conclusion défavorable antérieure en matière de crédibilité était pertinente quant aux questions soulevées dans le nouvel examen de l’appel. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que le commissaire s’est appuyé sur ce facteur de façon déraisonnable.

[36] Enfin, il convient de noter que la conclusion défavorable antérieure en matière de crédibilité n’a en aucun cas été un facteur important dans l’analyse ultime faite par le commissaire. Plus important encore, le commissaire a conclu que, même s’il acceptait le témoignage de la demanderesse concernant la situation financière de son entreprise et le nombre de propriétés qu’elle possédait, cela n’atténuerait pas considérablement le risque financier posé par le parrainage. Par conséquent, même si le commissaire avait commis une erreur en s’appuyant sur la conclusion défavorable antérieure en matière de crédibilité (ce qui, à mon avis, n’est pas le cas), cela n’aurait pas remis en question le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.

B. Le caractère raisonnable de la décision

[37] La demanderesse soutient que le commissaire n’a pas correctement mis en balance la mesure dans laquelle elle n’avait pas satisfait à l’exigence relative au RVM et les considérations d’ordre humanitaire de l’espèce. Plus précisément, elle soutient que le commissaire a indûment mis l’accent sur le manque à gagner en excluant les autres considérations. La demanderesse insiste particulièrement sur la capacité et la volonté de M. Paranirupasingam de soutenir sa belle‑famille au Canada en faisant valoir que le risque financier posé par le parrainage n’était pas aussi élevé que le commissaire l’avait estimé et que, par conséquent, ce dernier a déraisonnablement conclu que les considérations d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisantes pour justifier la prise de mesures spéciales.

[38] Je ne suis pas de cet avis. Le commissaire a bien tenu compte du rôle potentiel de M. Paranirupasingam dans le soutien du parrainage. Cependant, le fait qu’il n’était pas un cosignataire de la demande de parrainage signifiait qu’il n’était pas légalement tenu d’apporter son aide, ce qui « diminu[ait] le poids » qui pouvait être attribué à son revenu dans l’analyse financière. Il s’agit d’une conclusion raisonnable. Quoi qu’il en soit, le commissaire a expressément déclaré que, même si M. Paranirupasingam était cosignataire, « le revenu combiné du couple dans les années visées par l’examen demeurerait inférieur au revenu exigé ». Contrairement à ce que fait valoir la demanderesse, le commissaire a manifestement tenu compte de la situation financière globale de la famille pour déterminer si la prise de mesures spéciales était justifiée.

[39] Le commissaire a tenu compte de tous les facteurs invoqués par la demanderesse. Rien n’indique que le commissaire a mal interprété des éléments de preuve pertinents, qu’il a omis d’en tenir compte ou qu’il en a tiré des conclusions non fondées. Le poids accordé par le commissaire à des facteurs sur lesquels s’appuyait la demanderesse a été expliqué de façon claire et convaincante. Il ne fait aucun doute que la demanderesse est déçue par la décision de la SAI; cependant, elle n’a pas démontré qu’il était justifié que la Cour intervienne.

VI. CONCLUSION

[40] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[41] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1263-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge


ANNEXE A

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Exigences : répondant

Requirements for sponsor

133 (1) L’agent n’accorde la demande de parrainage que sur preuve que, de la date du dépôt de la demande jusqu’à celle de la décision, le répondant, à la fois :

133 (1) A sponsorship application shall only be approved by an officer if, on the day on which the application was filed and from that day until the day a decision is made with respect to the application, there is evidence that the sponsor

[…]

[…]

j) dans le cas où il réside :

(j) if the sponsor resides

(i) dans une province autre qu’une province visée à l’alinéa 131b) :

(i) in a province other than a province referred to in paragraph 131(b),

(A) a un revenu total au moins égal à son revenu vital minimum, s’il a déposé une demande de parrainage à l’égard d’un étranger autre que l’un des étrangers visés à la division (B),

(A) has a total income that is at least equal to the minimum necessary income, if the sponsorship application was filed in respect of a foreign national other than a foreign national referred to in clause (B), or

(B) a un revenu total au moins égal à son revenu vital minimum, majoré de 30 %, pour chacune des trois années d’imposition consécutives précédant la date de dépôt de la demande de parrainage, s’il a déposé une demande de parrainage à l’égard de l’un des étrangers suivants :

(B) has a total income that is at least equal to the minimum necessary income, plus 30%, for each of the three consecutive taxation years immediately preceding the date of filing of the sponsorship application, if the sponsorship application was filed in respect of a foreign national who is

(I) l’un de ses parents,

(I) the sponsor’s mother or father,

(II) le parent de l’un ou l’autre de ses parents,

(II) the mother or father of the sponsor’s mother or father, or

(III) un membre de la famille qui accompagne l’étranger visé aux subdivisions (I) ou (II),

(III) an accompanying family member of the foreign national described in subclause (I) or (II), and

[…]

[…]

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1263-21

 

INTITULÉ :

THINUJA SATKUNANATHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 mai 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 janvier 2023

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

Pour la demanderesse

 

Judy Michaely

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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