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Date : 20230104


Dossier : IMM-749-22

Référence : 2023 CF 5

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2023

En présence de l'honorable monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

DAIMA ZAMORA ACUNA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Daima Zamora Acuna, conteste la décision de la Section d’appel de l’immigration [SAI] rendue le 7 janvier 2022 [Décision] qui rejette son appel d’une décision d’un agent d’immigration [Agent] refusant la demande de visa de résident permanent de son fils, Yoannys Aguilera Zamora [Yoannys], que la demanderesse voulait parrainer en tant qu’« enfant à charge » dans la catégorie de regroupement familial.

[2] La SAI a convenu avec l’Agent que Yoannys n’était pas un enfant à charge tel que défini au sous-alinéa 2(b)(i) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement] au moment où sa demande de visa a été tranchée parce qu’il avait une conjointe de fait, à savoir Lisandra Lara Mendez [Lisandra].

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Décision de la SAI est raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I. Faits

[4] Le 17 mai 2013, la demanderesse est devenue résidente permanente du Canada, parrainée par son époux. Elle déclare Yoannys, alors âgé de 13 ans, comme enfant à charge dans cette demande de parrainage.

[5] En mai 2015, la demanderesse présente une demande de parrainage d’un membre de la catégorie du regroupement familial pour Yoannys. Le formulaire de demande générique joint à la demande indique que Yoannys est célibataire.

[6] En janvier 2019, suite à une demande de mise à jour de certains formulaires relatifs à la demande de parrainage de sa mère, Yoannys, alors âgé de 19 ans, déclare que Lisandra est sa conjointe de fait et qu’ils vivent en union de fait depuis le 28 août 2016.

[7] Suite à cette mise à jour, Yoannys passe en entrevue avec l’Agent le 3 mai 2019. Lors de cette entrevue, il déclare que Lisandra est sa copine (« girlfriend ») depuis 4 ans, qu’ils vivent ensemble chez ses parents et, qu’avec l’argent que sa mère lui envoie, il contribue financièrement aux dépenses de la maison.

[8] Lors d’une deuxième rencontre le 12 novembre 2020, Yoannys est accompagné par Lisandra. Il déclare à l’Agent que Lisandra est sa copine depuis cinq ans et demi, qu’ils habitent toujours ensemble chez les parents de celle-ci et qu’avec l’apport financier de ces derniers, ils peuvent subvenir à leurs besoins.

[9] Suite à cette seconde entrevue, une lettre d’équité procédurale est transmise à la demanderesse et à Yoannys, les invitant à fournir des observations quant à un refus de la demande de visa sur la base que Yoannys avait une conjointe de fait et ainsi ne rencontrait plus la définition d’enfant à charge.

[10] Yoannys explique par courriel qu’en mai 2019, il n’avait pas fait de distinction entre une simple relation amoureuse et une relation de conjoints de fait. Il dit avoir déclaré lors de sa seconde entrevue qu’il avait rompu avec sa copine et qu’il ne l’avait pas vue depuis une année. Il indique qu’il n’a jamais habité avec Lisandra, mais passait simplement du temps avec elle et vit plutôt avec sa grand-mère maternelle. La demanderesse, quant à elle, déclare que son fils était nerveux et qu’il avait confondu une relation amoureuse d’adolescent avec une relation de conjoint de fait. Elle déclare également que Yoannys n’a jamais habité avec sa copine et répète les mêmes explications offertes par son fils.

[11] Confronté à des explications qui contredisaient les déclarations de Yoannys obtenues lors de ses deux entrevues, le 23 novembre 2020, l’Agent conclut que Yoannys avait une conjointe de fait et refuse sa demande puisque ce dernier ne rencontrait pas la définition d’enfant à charge en vertu de l’alinéa 2(b)(ii) du Règlement.

II. Décision contestée

[12] La demanderesse interjette appel de la décision de l’Agent devant la SAI.

[13] Le 7 janvier 2022, la SAI arrive à la même conclusion que l’Agent et rejette l’appel de la demanderesse en résumant ainsi:

[7] Mme Zamora Acuna n’a pas réussi à démontrer que son fils et [Lisandra] n’avaient pas suffisamment cohabité. Elle n’a pas non plus démontré que la relation entre son fils et [Lisandra] n’était pas conjugale.

[8] En effet, la preuve révèle trop de contradictions importantes et pertinentes entre les témoignages entendus, les déclarations écrites, les formulaires et les notes d’entrevue. Ces problèmes n’ont pas été raisonnablement expliqués. Cela affecte négativement la crédibilité des témoignages de Mme Zamora Acuna et de son fils. La mère de Mme Zamora Acuna a également livré un court témoignage qui n’aide pas suffisamment l’appel. Il en va de même en ce qui concerne la preuve documentaire. Il en ressort que Mme Zamora Acuna ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve.

III. Question en litige et norme de contrôle

[14] Lorsqu’un tribunal administratif interprète sa loi constitutive, il existe une présomption voulant que la norme de contrôle soit la décision raisonnable (Bousaleh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 143 au para 40). Aucune des situations justifiant de déroger à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 17‑25; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 27).

[15] Donc, la seule question que la Cour doit trancher est de savoir si la Décision de la SAI est raisonnable. Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Elle doit englober les caractéristiques d’une décision raisonnable, à savoir la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). La cour de révision doit adopter une approche empreinte de déférence et intervenir uniquement « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13).

IV. Analyse

[16] Lorsque sa demande de visa de résident permanent a été tranchée, Yoannys devait satisfaire à la définition d’un « enfant à charge » aux termes du sous-alinéa 2(b)(i) du Règlement qui se lisait alors comme suit :

enfant à charge L’enfant qui:

dependent child, in respect of a parent, means a child who

a) d’une part, par rapport à l’un de ses parents :

(a) has one of the following relationships with the parent, namely,

(i) soit en est l’enfant biologique et n’a pas été adopté par une personne autre que son époux ou conjoint de fait,

(i) is the biological child of the parent, if the child has not been adopted by a person other than the spouse or common-law partner of the parent, or

[…]

b) d’autre part remplit l’une des conditions suivantes :

(b) is in one of the following situations of dependency, namely,

(i) il est âgé de moins de dix-neuf ans et n’est pas un époux ou conjoint de fait,

(i) is less than 19 years of age and is not a spouse or common-law partner, or

[…]

[17] Yoannys, étant l’enfant biologique de la demanderesse, répondait au premier volet de la définition du terme « enfant à charge ». Toutefois, bien qu’il était âgé de moins de 19 ans au moment de la présentation de la demande de parrainage, il appartenait à la demanderesse d’établir que Yoannys était toujours un enfant à charge lors du traitement de la demande.

[18] La SAI a noté des déclarations contradictoires faites par Yoannys après ses deux entrevues avec l’Agent lorsqu’il a été confronté à la possibilité que la demande de parrainage soit refusée parce qu’il avait une conjointe de fait. La demanderesse prétend que Yoannys aurait été mal compris par l’Agent à cause de la barrière de langue. Cependant, la SAI a noté que les entrevues s’étaient déroulées en espagnol et les questions posées n’étaient pas de nature technique ou légale.

[19] Yoannys a offert un récit cohérent et consistant pour décrire sa relation intime et de longue durée avec Lisandra au cours de deux entrevues, lesquelles ont été menées à plusieurs mois d’intervalle. Selon moi, la SAI a conclu à bon droit que Yoannys avait changé des aspects importants de son récit et qu’il n’a pas pu expliquer les incohérences.

[20] La demanderesse reproche à la SAI de ne pas avoir examiné toutes les caractéristiques qui doivent être présentes dans une relation conjugale tel qu’un engagement mutuel à une vie commune, l’exclusivité, l’intimité, l’interdépendance, la permanence, l’apparence d’être un couple et se présenter comme un couple (M. c H. 1999 CanLII 686 (CSC), [1999] 2 RCS 3 [M. c H.] au para 59. Elle soutient que les intentions des parties à une relation sont un facteur très important dont il faut tenir compte pour apprécier la nature de la relation et que la SAI a omis d’entreprendre cette analyse. Je ne suis pas d’accord.

[21] Les faits de la présente affaire sont assez exceptionnels. Yoannys a lui-même déclaré qu’il avait une conjointe de fait dans son formulaire actualisé. De plus, lors de deux entrevues, Yoannys a confirmé à maintes reprises que Lisandra était sa « copine » depuis plusieurs années et qu’ils vivaient ensemble.

[22] Les caractéristiques énoncées dans l’arrêt M. c H. aident à évaluer l’engagement mutuel d’un couple et représentent des indicateurs objectifs des intentions du couple. La SAI a soupesé les éléments de preuve dont elle disposait, y compris les témoignages entendus à l’audience et a déterminé, pour arriver à la conclusion suivante :

[21] Concernant l’ensemble de ce qui précède, la volte-face de Mme Zamora Acuna et de son fils quant à sa relation avec [Lisandra] n’a pas été raisonnablement expliquée. La crédibilité de leurs témoignages en est lourdement et négativement affectée. Je conclus également que la version du formulaire de 2019 et des deux entrevues est beaucoup plus cohérent [sic] que la version suivant la volte-face.

[23] L’appréciation de la crédibilité est essentiellement de nature factuelle. Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Vavilov au paragraphe 125 : « Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. »

[24] C’est dans ce contexte que je ne peux conclure que la SAI a commis une erreur susceptible de révision dans son analyse de la relation entre Yoannys et Lisandra.

V. Conclusion

[25] La demanderesse n’a pas pu démontrer que la conclusion de la SAI est déraisonnable au sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Par conséquent, je conclus que la Décision de la SAI est raisonnable puisqu’elle est transparente, intelligible et justifiée. La présente demande est donc rejetée.

[26] Aucune question sérieuse d’importance générale n’a été soumise aux fins de certification.

[27] Cela étant dit, je tiens à ajouter ce qui suit. Le processus qui s’est déroulé depuis que la demanderesse a cherché à parrainer son fils s’est soldé par une issue malheureuse pour eux. Il peut sembler arbitraire que le succès d’une demande de parrainage soit si intimement lié à la rapidité à laquelle une décision est rendue. Toutefois, la Cour d’appel a reconnu qu’« un certain degré d’arbitraire est inévitable à quelque moment que ce soit pendant le processus d’appréciation de l’admissibilité où l’on statue sur la demande » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Hamid, 2006 CAF 217 au para 40).

[28] J’ose espérer que dans les circonstances particulières de la présente affaire, Yoannys puisse exercer d’autres voies de recours pour se réunir avec sa mère au Canada, y compris une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée depuis l’étranger.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-749-22

LA COUR STATUE que :

1. La demande en contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question n’est certifiée.

Blank

« Roger R. Lafreniѐre »

Blank

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-749-22

INTITULÉ :

DAIMA ZAMORA ACUNA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1 décembre 2022

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :

LE 4 janvier 2023

COMPARUTIONS :

Me Manuel Centurion

Pour la demanderesse

Me Margarita Tzavelakos

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Manuel Centurion

Avocat

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LE DÉFENDEUR

 

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