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     T-2992-93

Ottawa (Ontario), le 13 août 1997

En présence de M. le juge Muldoon

Entre :

     LORAINE C. ENNISS,

     requérante,

     et

     LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET

     DU NORD CANADIEN,

     intimé.

     ORDONNANCE

     VU la présente demande de certiorari et de mandamus contre la Commission canadienne des droits de la personne concernant la plainte E02393 pour violation des droits de la personne, laquelle plainte a été instruite, aux fins de règlement par la Cour à l'audience du 10 juin 1997 tenue à Toronto; et

     APRÈS étude des documents déposés et audition des plaidoiries des avocats des deux parties en cause, la Cour ayant jugé bon de surseoir au prononcé du jugement pour les motifs ci-joints datés de ce jour,

LA COUR ORDONNE que la demande ci-incluse soit accueillie et la décision de la Commission en date du 22 novembre 1993 concernant la plainte E02393 soit rejetée et renvoyée à la Commission qui décidera si un tribunal des droits de la personne devrait être constitué en vertu de l'article 49 de la Loi sur les droits de la personne et à l'égard duquel il sera donné à chacune des parties au litige l'occasion de présenter des commentaires écrits à la Commission (qui les étudiera) portant sur les dernières observations de la partie adverse faites à la Commission dans la présente affaire; et

LA COUR ORDONNE EN OUTRE que ni la Commission, ni l'intimé ne fassent en l'espèce l'objet d'une directive, de mandamus ou d'une taxation de dépens.

     F.C. Muldoon

     Juge

Traduction certifiée conforme     

                                     F. Blais, LL.L.

     T-2992-93

Entre :

     LORAINE C. ENNISS,

     requérante,

     et

     LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET

     DU NORD CANADIEN,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Muldoon

         Par voie de requête introductive d'instance, la requérante demande à la Cour de rendre :

     [TRADUCTION]         
     une ordonnance annulant et renvoyant à la Commission, pour fins de règlement conformément aux instructions qu'elle juge appropriées, les décisions de la Commission datées du 15 [sic] novembre 1993.         

[La requérante fournit elle-même copie de deux décisions datées du 22 novembre 1993.]

         L'avis de requête allègue ensuite que :

     [TRADUCTION]         
     Les décisions ont été reçues par la requérante le 26 novembre 1993. Ces décisions faisaient suite à deux plaintes déposées auprès de la Commission des droits de la personne. Les enquêteurs ont recommandé le recours à la conciliation à l'égard de ces deux plaintes alors que le directeur de la mise en oeuvre a recommandé la constitution d'un tribunal. La requérante a, dans sa plainte, maintenu que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien avait contrevenu aux dispositions des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.         

Vient ensuite un exposé des motifs complet et classique.

         La requête, ou demande, est appuyée par les documents suivants :

     a)      l'affidavit de la requérante         
     b)      des pièces, et notamment des rapports d'enquête établis par la Commission de la fonction publique, des postes "supposément" vacants utilisés dans la conspiration visant à maintenir la discrimination raciale, la décision arbitrale confirmant que la discrimination raciale n'a pas été ni n'a pu être examinée,         
     c)      tout autre document que la requérante jugerait opportun.         

         Il est à noter qu'un vice de procédure rédhibitoire semble entacher l'avis de requête et n'a pas été décelé par les avocats des parties avant l'ouverture de l'instruction de cette affaire dans la matinée du 10 juin 1997. La règle 1602(4) relative au contrôle judiciaire dispose que :

     1602(4)      L'avis de requête porte sur le contrôle judiciaire d'une seule ordonnance, décision ou autre question...         

         L'avis de requête introductif d'instance de la requérante, déposé (sinon rédigé) personnellement par elle le 21 décembre 1993, cherche manifestement à obtenir un redressement suite à deux décisions prises le même jour par la Commission canadienne des droits de la personne et annulées depuis en faveur de l'intimée actuelle. Si la Cour avait pu procéder avec sa compétence intacte et le consentement des deux avocats, c'est ce qui serait arrivé. Toutefois ayant soulevé la règle 1602(4) ex mero motu, la Cour a accordé le redressement de la même manière en raison de la courtoisie manifestée par l'avocat, en invoquant la règle 303 qui porte ce qui suit :

     303(1)      Afin de déterminer quel est réellement le point en litige, ou de corriger un défaut ou une erreur, la Cour pourra, à tout stade d'une procédure, et après avoir donné à toutes les parties intéressées la possibilité de se faire entendre, ordonner qu'un document afférent à la question soit rectifié aux conditions qui semblent justes et de la façon qu'elle prescrira.         
     (2)      La présente règle ne s'applique ni à un jugement ni à une ordonnance.         

         L'avocat de la requérante s'est engagé à déposer un nouvel avis de requête introductif d'instance avec l'assentiment de la Cour nunc pro tunc et l'accord de l'intimé ou, à tout le moins, son intention de ne pas s'y opposer.

         À l'audience, la Cour a délivré oralement une ordonnance habilitante que l'avocat de la requérante s'est engagé à respecter, comme il l'a fait, en déposant deux avis de requête. La Cour entérine ces dépôts effectués le 12 juin 1997, malgré le délai écoulé.

         La Commission canadienne des droits de la personne, intimée initiale, n'intervient pas dans cette question de procédure.

         L'avocat de la requérante a déclaré à la Cour que la seule question qui se pose en l'espèce est de savoir [TRADUCTION] "si la Commission a manqué au devoir d'équité procédurale en n'avisant pas la requérante de la teneur des observations formulées par l'intimé en réponse au rapport d'enquête, en infirmant la recommandation visant à [instituer un tribunal pour entendre les deux plaintes] formulée dans le rapport et en omettant de motiver sa décision d'infirmer cette ferme recommandation."

     (transcription : p. 10 et 11)

         On peut voir que l'assertion au sujet de la ferme recommandation est confirmée dans une note que P. Alwyn Child, directeur de la mise en oeuvre, a adressée à la Commission le 18 août 1993. (Dossier de la requérante [ci-après DR] p. 42 à 45.) Quelques passages de cette note valent la peine d'être cités :

     [TRADUCTION]         
         Les présentes plaintes sont portées devant la Commission pour déterminer s'il y a lieu d'instituer une enquête du tribunal.         
         La plaignante était employée par l'intimé en qualité d'enseignante. Dans la plainte E02393, elle allègue que celui-ci ne lui a pas donné l'occasion de concourir au poste de vice-principal(e) qu'il a attribué à un enseignant blanc moins qualifié qu'elle. L'enquête a révélé que la liste d'admissibilité ayant servi à prolonger l'affectation à titre intérimaire de l'enseignant blanc n'aurait pas été valide, que l'intimé a rejeté la recommandation de la Commission de la fonction publique de pourvoir ce poste par voie de concours et qu'un surveillant à l'emploi de l'intimé, ne voulait pas que la plaignante l'occupe. Le rapport d'enquête concernant la plainte a été présenté en septembre 1990 à la Commission qui a décidé, à ce moment-là, de nommer un conciliateur.         
         En avril 1992, un rapport de conciliation a été adressé à la Commission, la plaignante ayant refusé une offre de règlement. La Commission a sursis à se prononcer pour donner une nouvelle fois à la plaignante l'occasion d'étudier l'offre de l'intimé qu'elle a acceptée par la suite. Mais l'intimé a retiré son offre en observant que la plaignante avait, dans l'intervalle, déposé une autre plainte. La Commission a remis ensuite à plus tard l'examen de la plainte en prescrivant que les pourparlers en vue d'un règlement devraient reprendre une fois que l'enquête relative à la seconde plainte aura pris fin.         
         La seconde plainte T41661 porte sur la cessation d'emploi de la plaignante. Celle-ci allègue qu'après avoir mis en question la décision de l'intimé de nommer un enseignant blanc moins qualifié qu'elle au poste de vice-principal(e), elle a fait l'objet d'appréciations de rendement défavorables, de suspensions répétées et, finalement, de renvoi.         
         Le rapport d'enquête relatif à la plainte en question a été porté à la connaissance des parties le 25 mars 1993; il recommandait le recours à la conciliation. Le conciliateur a, par la suite, pris contact avec l'intimé pour voir s'il était intéressé au règlement des deux plaintes. Celui-ci a indiqué qu'il n'est pas disposé à faire une offre de règlement à l'égard de l'une ou l'autre plainte.         
         Je recommande que la Commission demande à un tribunal d'enquêter au sujet de ces deux plaintes en adoptant les résolutions suivantes :         

Sur quoi, M. Child a remis à la Commission des formulaires types de résolutions en demandant au président des tribunaux sur les droits de la personne de désigner un tribunal pour enquêter sur les deux plaintes, E02393 du 31 juillet 1987 et T41661 du 15 novembre 1991.

         Le 22 novembre 1993, la Commission canadienne des droits de la personne a adressé deux lettres à la requérante (DR p. 8 et 9) l'informant qu'elle avait décidé qu'un tribunal d'enquête n'avait pas sa raison d'être. Elle l'a cependant avisée aussi qu'elle avait exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'alinéa 41e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour repousser la date limite de présentation de la plainte T41661 et de connaître de la question même si elle remontait à plus d'un an. Cependant, aucune autre procédure ne se justifiait.

         Ces deux lettres présentent deux caractéristiques notables. Il y est question [TRADUCTION] "d'étudier attentivement les documents soumis", mais sans dire par qui ou [TRADUCTION] "de tenir compte de toutes les circonstances de la plainte", mais sans préciser de qui on les tient. En voici une. La seconde caractéristique consiste en ce que [TRADUCTION] "une enquête judiciaire au sujet de la plainte, conformément à l'article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne , n'a pas sa raison d'être" ce qui n'est rien d'autre que du jargon légal; ainsi, aucun motif n'est en fait fourni. C'était là une pratique courante de la Commission des droits de la personne en dépit de plusieurs admonestations de la Cour, mais la procédure a depuis lors été révisée.

         Comme on peut clairement le voir aux pages 39 et 40 du DR, la requérante elle-même a commis certaines erreurs de conduite dans son travail et a déclaré que de nouvelles exigences faites à tous les enseignants [TRADUCTION] "étaient mises à effet dans le seul but de porter progressivement contre elle des accusations d'ordre disciplinaire (DR p. 39, par. 39). C'est peut-être la manifestation d'un état paranoïaque occasionné par la discrimination dont la requérante a fait l'objet et que l'enquêteur, Derrick McLennon, dit avoir constaté.

         À vrai dire, la requérante n'était pas un modèle de perfection. Elle a sans doute avoué certains écarts de conduite relevant de l'insubordination. Cependant, et en dépit de l'accent mis par l'intimé sur cet aveu, ce point reste étranger à la question qui doit être tranchée en l'espèce.

         Le rapport d'enquête daté du 24 novembre 1989, mentionné dans le nouvel avis de requête introductif d'instance relatif à la plainte E02393 figure à la page 24 du DR. Celui du 23 mars 1993, concernant la plainte T41661, commence à la p. 33.

         La séquence des événements telle qu'elle figure dans le compte rendu de l'audience, page 33, est la suivante :

     [TRADUCTION]         
         En premier lieu, un agent de conciliation a-t-il recommandé à la requérante d'accepter une offre de règlement de la part de l'intimé?         
         M. ANAND : Au sujet de la plainte no 1.         
         M. LE JUGE : Elle l'a rejetée, mais a changé d'avis par la suite --         
         M. ANAND : C'est juste.         
         M. LE JUGE : -- et quand elle a dit qu'elle l'accepterait, l'offre a été retirée?         
         M. ANAND : Oui.         
         M. LE JUGE : Très bien. Était-ce, comme je le suppose, au moment où la plainte no 2 avait été formulée, qu'un conciliateur a pris contact avec l'intimé pour voir s'il y avait une utilité quelconque à parler, et il a répondu non?         
         M. ANAND : C'est juste.         
         M. LE JUGE : Pas d'offre?         
         M. ANAND : C'est exact.         
         M. LE JUGE : Très bien, j'ai compris cela, merci.         
         M. ANAND : C'est ce que M. Child dit dans sa note; c'est l'information que j'ai.         

         Le point litigieux sur lequel insistait l'avocat de la requérante était le fait qu'elle-même et son employeur ont été invités à présenter des observations par écrit à la CCDP, mais qu'ils n'avaient pu avoir accès aux commentaires l'un de l'autre et, bien sûr, la requérante a été privée de toute possibilité de répondre aux observations écrites de son employeur qu'avait rédigées un certain Dan E. Goodleaf, sous-ministre à l'époque. (DR, deuxième p. 73 et 74). Or, la Commission prétend avoir attentivement lu les écrits qu'on lui a soumis, mais elle n'a fait aucun commentaire sur le fait que le document de 23 pages de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, déposé au nom de l'employeur, ne comprenait aucune page portant un numéro pair! (transcription : p. 39 à 44). Les lecteurs ont dû ne pas tenir compte de ce document ou bien sont ou étaient des lecteurs rapides doués de voyance. (Dossier de la Commission, p. 01485 à 96.) L'une ou l'autre des personnes qui ont eu en mains la susdite décision de la CRTFP a, à tout le moins, ombré les pages impaires s'assurant ainsi que le texte sera voilé ou oblitéré sur les photocopies. Le ministère a admis en fait [TRADUCTION] "la possibilité qu'il y ait eu une erreur de dotation", mais il nie toute discrimination à l'endroit de la requérante. Quoi qu'il en soit, celle-ci n'a jamais reçu une copie des observations de M. Goodleaf ni n'a été invitée à y répondre.

         C'est sur les données qui précèdent que la requérante fonde sa plainte contre la Commission en alléguant que celle-ci l'avait privée du droit à l'équité procédurale en omettant de lui faire part des observations formulées à la Commission par son employeur intimé et, sans lui fournir un motif quelconque, en renversant les recommandations figurant dans le rapport de l'enquêteur daté du 23 mars 1993 et dans celui du 18 août 1993 du directeur de la mise en oeuvre.

         Ainsi, même si la requérante a bien pu penser que le recours à une conciliation avortée voudrait certainement dire qu'un tribunal sera institué, M. Goodleaf, aux dires de l'avocat, a cherché à [TRADUCTION] "mettre une nouvelle fois en litige" la plainte relative à la promotion.

         La position de M. Goodleaf est énoncée au troisième paragraphe de la première page de sa lettre du 23 avril 1993. (DR, p. 73; dossier de la Commission, p. 1478). Il a encore une fois nié qu'il y ait eu discrimination. La première plainte avait été déjà minutieusement examinée par la Commission puis renvoyée pour conciliation, mais l'employeur a choisi de contester ce renvoi. Si la Commission a, par la suite, accepté la dénégation pure et simple de l'employeur, elle a dû alors considérer qu'elle avait eu tort de recourir à la conciliation. S'il n'y avait pas eu discrimination, comme l'a affirmé de nouveau l'employeur, pourquoi a-t-on ordonné, en premier lieu, la conciliation?

         Étant donné que la requérante n'a pas reçu copie de la lettre du 23 avril de M. Goodleaf, elle n'a pas fait mention du renvoi de la première plainte pour conciliation ou sa remise en litige, parce qu'il n'y avait aucune raison de croire que la question était encore en jeu. Logiquement, lorsqu'une plainte est renvoyée pour conciliation et que celle-ci est impossible ou infructueuse du fait que la requérante a rejeté en premier lieu l'offre de l'employeur qui l'a ensuite retirée lorsqu'elle a changé d'avis, il faudrait, en conséquence, porter la plainte devant un tribunal. Il était injuste que la Commission infirme sa décision antérieure sans mettre la requérante au courant des observations de l'employeur lesquelles l'ont persuadée de revenir sur sa décision précédente visant le règlement de la plainte.

         Quant à la seconde plainte, M. Goodleaf, dont les observations n'ont pas été communiquées à la requérante, a soulevé tout d'abord la question du délai supérieur à un an. Cette question est maintenant sans objet puisque la Commission a pris position contre cet argument.

         Au sujet de cette seconde plainte, M. Goodleaf a excipé de la conclusion que la CRTFP a tirée à partir de la moitié seulement du document original, et c'est la copie de cette demi-décision que la Commission prétend avoir étudiée soigneusement pour rendre sa décision contestée du 23 novembre 1993. La secrétaire de la Commission, Lucie Veillette, a certifié le document défectueux le 18 mai 1994.

         Lorsqu'elle a déposé son avis de requête introductive d'instance ci-joint, la requérante avait eu connaissance que l'intimé avait remis à la Cour la [demie] décision de la CRTFP. Dans l'affidavit fait sous serment le 21 décembre 1993 au soutien de sa plainte, la requérante a déclaré sous serment que :

     [TRADUCTION]         
     (7)      L'allégation du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien selon laquelle l'arbitre a examiné l'affaire sans constater une discrimination raciale était erronée, vu que ce renseignement a été communiqué aux commissaires lorsqu'ils ont pris leur décision.         
     (8)      L'article M-16 [de ma convention collective] prévoyant une procédure de grief fondée sur la discrimination raciale, aurait pu être étudié par l'arbitre, seulement si le syndicat m'avait représenté. Comme il ne l'a pas fait au début de l'audition, la plainte a été rejetée sans aucun examen. Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien était bien au courant de cela, mais en a fait faussement état devant les commissaires.         

     (DR, p. 5)

Mme Enniss n'ayant pas été contre-interrogée au sujet de son affidavit, les faits ci-dessus doivent être tenus pour vrais. Aux termes de la convention collective alors en vigueur, seul le syndicat pouvait présenter une plainte fondée sur la discrimination raciale. Comme ce ne fut pas le cas en ce qui concerne la plainte ou le grief de la requérante, l'affaire a été rejetée par la CRTFP, mais non pour des considérations de fond, s'il en était.

         Toutefois, du fait qu'on ne lui avait pas remis une copie des observations de l'intimé, la requérante ignorait que sa crédibilité était en jeu, mais la véracité de sa plainte avait été contestée. Elle n'a ni fourni une copie de la sentence arbitrale à la CRTFP, ni su que la moitié de cette sentence (une page sur deux) avait été présentée à la Commission laquelle ne l'a évidemment pas soigneusement lue (ce qui était impossible), mais l'a acceptée comme si le document était complet. Ainsi, dans cette conjoncture bizarre, la requérante ne s'est pas du tout rendu compte qu'elle devait fournir à la CCDP une copie de la convention collective ainsi qu'une lettre du syndicat attestant sa non-participation au grief devant la CRTFP. Il semble évident que le droit de soumettre un tel grief appartenait au syndicat et non à la requérante.

         Son avocat a admis que si le grief en question avait été rejeté après une audition en règle par la CRTFP, c'eut été là un élément pertinent dont la Commission aurait pu tenir compte. Bien que la question est quelque peu spéculative, il est possible de déduire que la Commission a mal pris en considération le rejet du grief par la CRTFP lorsqu'elle a renversé les recommandations de l'enquêteur et du directeur de la mise en oeuvre en faveur de la conciliation et, ultimement, d'une enquête judiciaire, parce qu'elle n'a pas apparemment remarqué qu'elle avait en main une page sur deux d'une décision de la CRTFP ne portant pas sur le fond de la question, un document défectueux que la secrétaire de la Commission a même certifié et inclus dans ses dossiers.

         En résumé donc, la requérante est restée dans le noir au sujet des observations de M. Goodleaf voulant (i) que la décision antérieure de la Commission en faveur de la conciliation devrait être renversée; et (ii) que la CRTFP devait rejeter son grief. La Commission n'a pas répondu aux observations de l'employeur, mais elle a néanmoins renversé tout simplement et rejeté sans motif les recommandations du personnel dont elle était saisie. La requérante n'a pas eu connaissance que l'employeur avait même présenté des observations, jusqu'au moment où elle a demandé un contrôle judiciaire.

         Quelle est alors la loi applicable en pareilles circonstances? Les parties invoquent oralement, à tout le moins et, en grande partie la même jurisprudence : Radulesco c. CCDP [1984] 2 R.C.S. 407; Labelle c. Conseil du Trésor (1987) 25 Admin.L.R. 10 (C.A.F.); Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. CCDP [1989] 2 R.C.S. 879; Mercier c. Canada [1994] 3 C.F. (C.A.F.); Brochu c. Banque de Montréal (1994) J.C.F. No. 614 [manière de citer piètre et ésotérique]; Madsen c. Canada (Procureur général) (1996) 39 Adm.L.R. 248 (C.F. 1re inst.).

         L'avocat de l'intimé a fait valoir, non sans raison, ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
         L'intimé soutient qu'on enfreint les règles de justice naturelle lorsque des observations renfermant des faits nouveaux ne sont pas échangées entre les parties, lorsqu'elles constituent un facteur déterminant dans la décision de la Commission ou, subsidiairement, que la crédibilité est en jeu; autrement dit, les parties devraient avoir l'occasion de répondre aux observations dans les trois cas où des faits nouveaux ou la crédibilité sont en jeu et lorsque les faits allégués sont déterminants pour la cause.         

     (transcription : p. 155)

Tous ces éléments se retrouvent dans la jurisprudence. La façon de les appliquer est la question clé qui se pose ici et à laquelle s'ajoute une considération d'ordre général dont la CCDP semble, enfin, tenir compte.

         D'aucuns peuvent trouver inimaginable qu'un sous-ministre puisse présenter à la CCDP des observations trompeuses sur le grief d'un employé. Quelles seraient alors les conséquences en droit si le sous-ministre n'a fait que copier ou attester une assertion trompeuse faite par un de ses subalternes? Le 23 juin 1992, une conseillère en relation avec le personnel, Madeleine Parisien, agissant pour la requérante, a écrit ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
         Il y aurait lieu de noter que la question de discrimination a été étudiée à l'audition tenue conformément aux dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et que l'arbitre a jugé que les allégations de discrimination raciale et sexuelle et de favoritisme avancées par Mme Enniss n'étaient pas fondées.         

     (Dossier de la CCDP, p. 01481)

         Le 5 janvier 1993, dans une de ses communications adressées à la CCDP, la requérante a rédigé ce qui suit au sujet de la décision de la CRTFP qu'évoque ci-dessus Mme Parisien :

     [TRADUCTION]         
         Depuis la rédaction de l'autre partie de ces observations, le 31 décembre 1992, je me suis mise à penser à une question qui, à mon avis, intéresse plus d'un individu. J'ai compté sur la Commission toutes ces années parce que j'avais l'impression que de grosses différences existaient entre les enquêtes effectuées par la Commission des droits de la personne et celles nommées par d'autres organismes qui enquêtent sur des questions touchant le travail et les travailleurs. Il importe beaucoup, à mon avis, que l'on me dise en quoi se différencient ces groupes? En d'autres termes, quelle est la différence entre la Commission et un conseil d'arbitrage ou bien, comment l'enquête effectuée par M. Cantin (un arbitre) se distinguerait d'une autre faite par M. Yalden (un commissaire des droits de la personne) au regard de l'examen de la preuve? Comme je l'ai dit plus tôt, j'ai été très déçue quand l'agent des droits de la personne a semblé se servir largement de l'audience d'arbitrage pour tenter de savoir si mon renvoi était dû à de la discrimination raciale fondée sur les motifs précis prévus par la loi, dans l'espoir que l'enquête ne fasse pas double emploi avec celle effectuée par un autre organisme quelconque. Or, si la preuve est utilisée de la même façon, cela peut donner l'impression de double emploi. Plus important encore au regard de ma question est toute cette prétention à vouloir éliminer complètement la discrimination systémique, etc. Est-il possible qu'une chose puisse être légalement juste, mais fausse sur le plan des droits de la personne? En d'autres termes, je note que quelques commissaires, sinon tous, sont aussi des avocats et je leur demande s'ils examinent la preuve du même oeil ou presque quand ils portent leur toque d'avocat que lorsqu'ils remplissent leur rôle de commissaire?         

     (Dossier de la CCDP, p. 1505)

         Considérant que la requérante n'est pas une avocate, mais quelqu'un qui écrit des textes prolixes, élaborés et teintés d'émotion, on peut néanmoins voir qu'elle conteste l'utilisation que fait M. Cantin de la décision de la CRTFP. Parmi les pages impaires seulement qui composent cette demi-décision dont la Cour déduit que les gens de la CCDP ont négligé de la lire, signalons ce chef-d'oeuvre d'une page signée J. Maurice Cantin, c.r., membre de la CRTFP :

     [TRADUCTION]         
         Le présent renvoi aux fins d'arbitrage portait sur l'interprétation ou l'application d'une convention collective.         
         Comme il appert de la décision du 17 octobre 1988, l'agent négociateur a donné avis, le 5 octobre 1988, qu'il ne représentait plus la plaignante et qu'il retirait son aide et son appui.         
         L'affaire a été renvoyée pour être entendue ultérieurement avec d'autres causes à partir du 17 janvier 1989.         
         Le 17 janvier 1989, l'agent négociateur ne s'étant pas présenté, l'employeur a demandé que le grief soit rejeté.         
         En raison de ce qui précède, le grief est rejeté.         

                             Le vice-président,

                             J. Maurice Cantin, c.r.

     OTTAWA, le 28 février 1988

     (Dossier de la CCDP, p. 01484)

     (DR, p. 73)

         Ainsi, la requérante avait contesté la façon dont on a fait usage des décisions de "l'arbitre", M. Cantin, décision qui, selon Mme Parisien, concluait [TRADUCTION] "que les allégations de discrimination ... raciale ... portées par Mme Enniss n'étaient pas prouvées" comme s'il s'agissait là d'une sentence arbitrale réfléchie s'appuyant sur le bien-fondé du grief! La Cour accorde à Mme Parisien le bénéfice de la négligence ou de l'ignorance, sans quoi son énoncé ci-dessus semblerait mensonger et certainement trompeur.

         Arrive ensuite le sous-ministre, le 23 avril 1993, avec le dernier mot trompeur (que la requérante a contesté le 25 janvier 1993); et il répète ce qui semble être un pur mensonge et sûrement des propos trompeurs à une CCDP assoupie aux commandes et qui soit n'a pas lu les décisions de M. Cantin, soit a simplement accepté avec un laisser-faire incroyable et sans commentaires, une décision écrite composée d'un ensemble de pages impaires seulement. M. Goodleaf a répété mot pour mot l'assertion éminemment trompeuse de Madeleine Parisien! Et la CCDP a laissé Mme Enniss totalement dans le noir au sujet de la répétition par M. Goodleaf de la déclaration antérieurement contestée et parfaitement trompeuse de Mme Parisien, voulant que la plainte de discrimination raciale [TRADUCTION] "n'était pas prouvée", alors que M. Cantin avait rapporté qu'il n'avait pas du tout tenu compte dans sa sentence arbitrale du bien-fondé du grief.

         Espérons que ces circonstances sont toutes attribuables à la négligence et à l'ignorance de la part de l'intimé et non à quelque motif plus funeste, mais elles sont quand même malodorantes et trompeuses à l'égard d'une CCDP léthargique. Pareilles circonstances sont certainement uniques du fait qu'elles n'ont pas de précédent en jurisprudence, mais elles font tout aussi effectivement obstacle à la justice naturelle que celles dont font état les décisions de justice.

         Une question qui ressort de la jurisprudence veut que les révélations faites par l'employeur dans un exposé destiné à la Commission, mais non divulgué, déterminent si l'affaire aurait dû entraîner la constitution d'une enquête par un tribunal. Dans ce cas-ci, l'assertion trompeuse réitérée par l'intimé au sujet de la décision de la CRTFP a dû, a fortiori et après les énergiques recommandations du personnel en faveur de l'enquête par un tribunal, être déterminante, car la CCDP a simplement passé outre aux recommandations et fait tout le contraire sans donner des motifs, ce à quoi elle n'est pas tenue. Étant donné que la Commission ne s'est pas donnée la peine d'étudier les documents reçus de M. Cantin, la Cour en infère qu'elle a bien lu le dernier mot trompeur de M. Goodleaf, ce qui l'a induite en erreur. En outre, elle a permis que la crédibilité de la requérante soit mise en doute, car alors que celle-ci s'est plainte de discrimination raciale, M. Goodleaf disait à la CCDP que M. Cantin a rejeté le grief parce que "il n'était pas prouvé".

         La pratique de la CCDP consistant à ne pas informer les parties au litige de leurs observations respectives a été tout bonnement stupide. Traditionnellement, la notion de justice naturelle a toujours été de permettre aux parties de confronter ouvertement leurs observations respectives devant le tribunal d'arbitrage. Tel est l'avis général de la Cour sur la façon de procéder de la CCDP, dont elle semble enfin tenir compte. La Cour estime que la loi a évolué à ce point, ce qui est nécessaire vu que le fait, aujourd'hui unique, d'avoir effectivement (ne serait-ce que par négligence) induit la Commission en erreur, comme on l'a constaté ici, ne peut rester indéfiniment un cas isolé. Il est ridicule de laisser les parties en litige se demander en quoi consistent les observations finales de la partie adverse et essayer de conjecturer ou de deviner les points auxquels elles doivent répondre. C'est assez!

         Pour tous les motifs susdits, les deux décisions de la CCDP numérotés E02393 et T41661 du 15 novembre 1993 sont annulées. Voilà qui met fin au volet certiorari.

         Si la Cour était bien certaine que dans ces circonstances, la Commission est clairement et légalement tenue de demander la constitution d'un tribunal des droits de la personne pour régler les deux griefs, elle aurait statué dans ce sens. Ce serait le volet mandamus. La Cour estime, intuitivement, qu'il faudrait constituer un tel tribunal, mais cette intuition ne suffit pas pour l'emporter sur le pouvoir discrétionnaire de la Commission dans cette affaire. La demande de certiorari de Mme Enniss est accueillie, mais celle de mandamus est rejetée bien qu'elle eut été agréée si la Cour exerçait le même pouvoir discrétionnaire que la CCDP. De toute façon, l'affaire est soumise une nouvelle fois à la discrétion de la Commission qui en décidera à nouveau.

         Aucuns dépens ne sont adjugés pour ou contre les parties.

     F.C. Muldoon

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 13 août 1997

Traduction certifiée conforme     

                                     F. Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-2992-93

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Loraine Enniss

                     c.

                     Le ministre des Affaires indiennes et
                     du Nord canadien

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      10 juin 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      PAR LE JUGE MULDOON

EN DATE DU              13 août 1997

ONT COMPARU :

Raj Aand                      POUR LA REQUÉRANTE
Cassandra Kirewskie                  POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Scott & Aylen                  POUR LA REQUÉRANTE

Avocats et procureurs

Toronto (Ontario)

George Thomson                  POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

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