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Date : 20230123

Dossier : T-1665-22

Référence : 2023 CF 102

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 23 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

ANTHONY CECCHETTO

 

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur, Anthony Cecchetto, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale [DA-TSS, ou la division d’appel], qui a refusé de lui accorder la permission de faire appel de la décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale [DG-TSS, ou la division générale]. La division générale avait refusé d’annuler le rejet de la demande de prestations d’assurance-emploi [AE] présentée par le demandeur.

[2] Le demandeur, qui s’est représenté lui-même à chacune des étapes de l’instance, y compris devant notre Cour, prétend que les décisions devraient être infirmées parce qu’elles n’abordent pas les questions fondamentales qu’il a soulevées quant à la légalité d’obliger des employés à se soumettre à des procédures médicales (c.-à-d. à la vaccination et à des tests), alors que l’efficacité et l’innocuité de ces procédures n’ont pas été établies. Il affirme qu’il a été congédié à cause des choix médicaux personnels qu’il a faits et que les décideurs dans son dossier n’ont pas cherché à déterminer si cela était conforme à la loi. Il conteste également les conclusions de fait qui ont été tirées par la division générale, puis confirmées par la division d’appel.

[3] Le défendeur prétend pour sa part que la décision est raisonnable, compte tenu de la compétence limitée de la division générale et de la division d’appel et du fait que la division d’appel, en rendant sa décision, a correctement appliqué le droit aux faits pertinents de l’affaire.

II. Résumé des faits

[4] Le demandeur est un ancien employé de l’hôpital Lakeridge Health, en Ontario, où il a occupé divers postes à partir de juillet 2017. Il a été suspendu, puis congédié, car il a refusé de se conformer à la politique de l’employeur relative à la vaccination contre la COVID-19 et aux tests de dépistage exigés.

[5] Lakeridge Health n’avait pas établi sa propre politique, mais appliquait plutôt les règles énoncées dans la directive no 6 publiée par le médecin hygiéniste en chef de l’Ontario, en application de la Loi sur la protection et la promotion de la santé, LRO 1990, c H-7. Les parties pertinentes de la directive n6 sont reproduites ci-après :

1. Chaque organisation visée doit établir, mettre en œuvre et assurer la conformité à une politique de vaccination contre la COVID-19 exigeant de ses employés, membres du personnel, entrepreneurs, bénévoles et étudiants qu’ils fournissent :

a) une preuve de vaccination contre la COVID-19; ou

b) la preuve écrite d’une raison médicale, fournie par un médecin ou un membre du personnel infirmier autorisé de la catégorie élargie, qui indique (i) une raison médicale documentée pour ne pas être entièrement vacciné contre la COVID-19, et (ii) la durée de validité de la raison médicale;

c) la preuve qu’il a suivi une séance de formation approuvée par l’organisation visée sur les avantages de la vaccination contre la COVID-19 avant de refuser la vaccination pour toute raison autre que médicale [...].

4. La politique de vaccination de chaque organisation visée doit exiger que, lorsqu’un employé, un membre du personnel, un entrepreneur[,] [un] bénévole ou un étudiant ne fournit pas la preuve qu’il a été entièrement vacciné contre la COVID-19 conformément à l’alinéa 1(a), mais se fie plutôt à la raison médicale décrite à l’alinéa 1(b) ou à la séance de formation à l’alinéa 1(c) ou, le cas échéant, l’employé, le membre du personnel, l’entrepreneur[,] [le] bénévole ou l’étudiant doit :

a) se soumettre à des tests antigéniques réguliers au point de service pour le dépistage de la COVID-19 et démontrer un résultat négatif, à des intervalles déterminés par l’organisation visée, ce qui doit être au moins une fois tous les sept jours;

b) fournir une preuve du résultat négatif du test d’une manière déterminée par l’organisation visée qui permet à cette dernière de confirmer le résultat à sa discrétion.

[6] Le demandeur a suivi une séance de formation sur les vaccins, conformément à l’alinéa 1(c) de la directive, mais il ne s’est pas fait vacciner ni n’a fourni les résultats de tests antigéniques comme l’exigeaient les autres dispositions. Il a donc été mis en congé sans solde en septembre 2021, puis il a été congédié en octobre 2021.

[7] Le demandeur a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi en octobre 2021. La Commission de l’assurance-emploi du Canada [la Commission] a rejeté sa demande, concluant que le demandeur avait perdu son emploi pour cause d’inconduite. Le demandeur a sollicité la révision de sa demande, mais la Commission a maintenu sa décision.

[8] Le demandeur a ensuite interjeté appel de la décision de la Commission auprès de la division générale, en faisant valoir que l’obligation de vaccination contre la COVID-19, imposée par son employeur, équivalait à de la coercition médicale. Il prétendait que les essais visant à tester l’innocuité et l’efficacité du vaccin n’étaient pas encore terminés et maintenait qu’il avait le droit de refuser le vaccin. Il a présenté divers documents pour étayer ses prétentions.

[9] Le 5 avril 2022, la division générale a rejeté l’appel du demandeur, après avoir examiné les deux questions suivantes : pour quelles raisons le demandeur avait-il été suspendu, et ces raisons équivalaient-elles à une inconduite au sens où ce terme est interprété aux fins de l’administration des prestations d’AE?

[10] Le demandeur prétend qu’il ne savait pas à quelles conséquences il s’exposait en ne se conformant pas à la directive, mais la division générale a mentionné que le demandeur avait admis « avoir entendu dire » que la non-conformité entraînerait un congé obligatoire, puis le congédiement. La division générale a conclu que l’employeur avait avisé la Commission que tout le personnel de l’hôpital a été informé de la directive le 1er septembre 2021, ainsi qu’à maintes reprises par la suite, à la fois par courriel et verbalement.

[11] Au paragraphe 30 de sa décision, la division générale a déclaré ce qui suit : « [l]’employeur a affirmé que le prestataire savait que cela entraînerait une perte d’emploi et qu’il avait fait l’objet de diverses mesures disciplinaires avant d’être congédié, mais qu’il avait quand même refusé de se soumettre à un test de détection d’antigènes ». La division générale a accepté la preuve de l’employeur et a jugé peu crédible le fait que le demandeur nie avoir été informé des exigences de la directive et avoir jamais refusé de subir des tests antigéniques. La division générale a conclu que le demandeur s’était en partie conformé à la directive en suivant la séance de formation, mais qu’il ne s’était pas conformé aux autres exigences, parce qu’il a refusé de se faire vacciner ou de demander une exemption et qu’il n’a pas fourni de résultats de tests antigéniques. Se fondant sur ces faits, la division générale a conclu que le demandeur s’était rendu coupable d’inconduite au sens de la loi.

[12] La division générale a précisé que son rôle n’était pas de déterminer si le congédiement ou la sanction y afférente étaient justifiés. Son rôle consistait plutôt à déterminer si le demandeur avait fait preuve d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23 [la LAE]. La division générale a conclu que la Commission avait fait la preuve que le demandeur avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Il n’avait donc pas droit à des prestations d’assurance-emploi.

[13] Le demandeur a demandé la permission de faire appel auprès de la division d’appel. La division d’appel a décrit ses moyens d’appel comme suit :

[5] Le prestataire cherche maintenant à obtenir la permission de faire appel de la décision de la division générale à la division d’appel. Il soutient que le vaccin n’avait pas fait l’objet d’essais d’innocuité et d’efficacité avant qu’on puisse dire qu’il empêchait la transmission au moment de son congédiement. Il a l’impression d’être victime de discrimination en raison de son choix médical personnel. Le prestataire soutient qu’il a le droit de contrôler sa propre intégrité physique et que ses droits ont été violés au titre du droit canadien et du droit international.

[14] Le 6 juillet 2022, la division d’appel a rejeté la demande de permission de faire appel du demandeur. Elle a commencé son analyse en résumant les moyens d’appel dont elle peut tenir compte aux termes de la loi, ainsi que les règles à respecter pour obtenir la permission de faire appel (lesquels sont tous les deux décrits plus en détail ci-dessous). La division d’appel a ensuite examiné les arguments du demandeur, en précisant que le demandeur, au stade de la demande de permission, n’avait pas à prouver le bien-fondé de sa cause et qu’il lui suffisait de démontrer que son appel avait une chance raisonnable de succès.

[15] La division d’appel a précisé qu’elle devait se fonder sur la preuve qui avait été présentée à la division générale pour statuer sur la demande de permission de faire appel. Elle a mentionné que « [l]a notion d’inconduite ne sous-entend pas qu’il est nécessaire que l’écart de conduite résulte d’une intention illicite. Il suffit que l’inconduite soit consciente, délibérée ou intentionnelle » (au para 17). La division d’appel a en outre fait remarquer que le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction ni d’établir si la décision de l’employeur de congédier l’employé était injustifiée, mais qu’il consiste plutôt à déterminer si le demandeur a été coupable d’inconduite et si cette inconduite a mené à son congédiement (au para 18).

[16] En appliquant ces notions à la décision rendue par la division générale, la division d’appel a conclu que le demandeur n’avait pas fait la preuve que son appel avait une chance raisonnable de succès. La division générale avait conclu que le demandeur avait été suspendu, puis congédié, parce qu’il ne s’était pas conformé à la directive no 6, qu’il savait cela et que son refus était intentionnel et que son défaut de se conformer à la politique était la cause directe de son congédiement. Cela a amené la division générale à conclure que le demandeur avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

[17] La division d’appel a noté que la division générale ne pouvait rendre une décision en matière d’inconduite en se fondant sur l’autre loi invoquée par le demandeur, car elle était tenue d’appliquer la loi établie par les précédents judiciaires contraignants. La division d’appel a conclu que le fait que le demandeur puisse demander réparation au titre d’une autre loi ne remettait pas en cause la conclusion de la division générale selon laquelle la Commission avait prouvé que le demandeur avait été congédié en raison de son inconduite et que, par conséquent, il n’avait pas droit à des prestations d’AE.

[18] Pour ces motifs, la division d’appel a rejeté la demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir la permission de faire appel. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[19] Le demandeur n’a pas déposé de mémoire écrit ni de dossier de demande, comme l’exigent les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, mais la Cour a accepté comme document tenant lieu de mémoire écrit le document que le demandeur a présenté et qu’il a intitulé « affidavit ». À l’audience, le demandeur a largement réitéré les points qu’il avait soulevés par écrit.

[20] La question en litige en l’espèce est de savoir si la décision de la division d’appel de refuser d’accorder au demandeur la permission de faire appel est raisonnable. La norme à appliquer est celle de la décision raisonnable, tel qu’il est décrit dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23, 25, 99; (voir la décision récente Gauvreau c Canada (Procureur général), 2021 CF 92 [Gauvreau] aux para 24-27).

[21] En résumé, selon le cadre établi dans Vavilov, une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Ce cadre confirme que le rôle que la cour peut jouer est limité lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable : « le contrôle selon la norme de la décision raisonnable a pour point de départ la retenue judiciaire et le respect du rôle distinct des décideurs administratifs » (Gauvreau au para 25, renvoyant à Vavilov au para 75). La décision doit souffrir de lacunes suffisamment graves pour que la cour de révision conclue que la décision ne « satisfait [pas] aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Gauvreau, au para 25; voir également Vavilov, au para 100).

IV. Analyse

A. Le cadre législatif

[22] Selon l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34, (la LMEDS ou la Loi), la division d’appel ne pouvait infirmer la décision de la division générale que si elle concluait que cette dernière n’avait pas observé un principe de justice naturelle, avait commis une erreur de droit ou avait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance (Cameron c Canada (Procureur général), 2018 CAF 100 au para 2 [Cameron]). La division d’appel devait d’abord déterminer si elle accordait au demandeur la permission de faire appel.

[23] Le paragraphe 58(2) de la Loi précise que la permission ne peut être accordée que si le demandeur convainc la division d’appel que l’appel proposé a une chance raisonnable de succès selon l’un des trois moyens d’appel précités (O’Rourke c Canada (Procureur général), 2019 CAF 60 au para 9). Comme l’a déclaré notre cour dans l’affaire Osaj c Canada (Procureur général), 2016 CF 115, au paragraphe 12 : « le fait d’avoir une “chance raisonnable de succès” consiste à disposer de certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause ».

[24] L’employé qui perd son emploi pour cause d’« inconduite » n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi; le terme « inconduite » dans ce contexte renvoie à la violation, par l’employé, d’une règle d’emploi. La Cour d’appel fédérale a déclaré que « l’acte fautif devait avoir été posé, ou l’omission répréhensible faite, volontairement, c’est-à-dire consciemment, délibérément ou intentionnellement » (Canada (Procureur général) c Bellavance, 2005 CAF 87 [Bellavance] au para 9).

B. Observations des parties

[25] Les paragraphes qui suivent présentent un résumé de l’essentiel des observations écrites du demandeur, telles qu’elles sont énoncées dans le document qu’il a intitulé « affidavit » :

  • Il a fait l’objet de discrimination fondée sur [traduction] « ses choix médicaux personnels », renvoyant à la Déclaration canadienne des droits, LC 1960, c 44;

  • Il n’a pas consenti au traitement;

  • Il a suivi la séance de formation, comme l’exigeait la directive no 6;

  • Il n’a jamais fait l’objet de mesures disciplinaires et il n’a obtenu de réponse à aucune de ses questions; le demandeur affirme que [traduction] « [p]ersonne ne lui a clairement indiqué de quelle inconduite il s’est rendu coupable [...] »;

  • Il renvoie à une décision ayant conclu que la politique de l’Association des hôpitaux de l’Ontario relative au port du masque ou à la vaccination n’était pas justifiée et il affirme qu’il n’existe [traduction] « [a]ucune preuve que le port du masque ou la vaccination était efficace »;

  • Il poursuit en déclarant [traduction] qu’« il ne fait aucun doute que les déclarations et les politiques sont discriminatoires à l’égard des choix médicaux personnels »;

  • Les vaccins sont rendus obligatoires alors que les essais d’efficacité et d’innocuité ne sont pas terminés; il ajoute que [traduction] « la santé publique continue de faire abstraction des effets secondaires du vaccin » et qu’elle continue de recommander la vaccination, même si elle n’a pas terminé les essais d’efficacité et d’innocuité nécessaires;

  • Le demandeur prétend que l’on continue de faire abstraction de l’exemption relative à la séance de formation et d’autres exemptions, notamment de l’immunité naturelle. Aucune exemption n’est prévue pour les personnes qui ont des objections de conscience.

[26] En résumé, dans ses observations écrites, le demandeur expose des arguments semblables à ceux qu’il a invoqués devant la division d’appel. Lors de l’audience, le demandeur a largement réitéré les principaux éléments de ses observations écrites, en insistant toutefois particulièrement sur certains points supplémentaires. Il affirme avoir tenté de se conformer à toutes les règles, mais n’avoir jamais obtenu de réponses satisfaisantes à ses questions sur l’efficacité et l’innocuité des vaccins contre la COVID-19 et des tests antigéniques. À cet égard, il affirme qu’il n’a jamais voulu que les choses s’enveniment au point qu’il perde son emploi et qu’il ne comprend pas comment les choses en sont arrivées là.

[27] Le demandeur prétend qu’aucun des décideurs qui avaient précédemment examiné son dossier n’a abordé les deux questions fondamentales qu’il avait soulevées, à savoir : (i) de quelle inconduite s’est-il rendu coupable? et (ii) comment peut-on obliger une personne à prendre des médicaments, ou à subir des tests, qui n’ont pas été testés, alors que cela viole l’intégrité physique fondamentale de la personne et équivaut à de la discrimination fondée sur des choix médicaux personnels? Le demandeur prétend que la deuxième question touche de nombreuses personnes au Canada et que les exigences et les politiques en matière de vaccination touchent – ou détruisent, selon lui – la vie de nombreuses personnes, et que cela doit cesser. Il prétend que la décision de la division d’appel ne peut être confirmée, car elle ne tient pas compte de ces aspects de son affaire.

[28] Le défendeur, pour sa part, fait valoir qu’il était raisonnable pour la division d’appel de refuser d’accorder au demandeur la permission de faire appel. Le défendeur appuie sa thèse sur le fait que le demandeur n’a pas présenté de cause défendable comme l’exige la LMEDS, et que c’était le critère qu’elle devait appliquer (confirmé par les arrêts Cameron au para 2 et O’Rourke c Canada (Procureur général), 2019 CAF 60 au para 4). La division d’appel a établi le bon critère pour décider d’accorder ou non la permission et elle l’a appliqué correctement. Le défendeur prétend donc que notre Cour n’a aucun motif d’intervenir. Renvoyant au paragraphe 7 de l’arrêt Garvey c Canada (Procureur général), 2018 CAF 118, le défendeur note que « la division d’appel ne peut intervenir pour le seul motif qu’elle ne souscrit pas à l’application de règles de droit bien établies aux faits de l’affaire ».

[29] Le défendeur prétend qu’il était raisonnable pour la division d’appel de refuser d’accorder la permission, parce que le demandeur demandait à la division d’appel de réévaluer la preuve et les faits (voir Rouleau c Canada (Procureur général), 2017 CF 534 au para 42). De plus, la division d’appel a fait preuve d’une retenue raisonnable à l’égard de la division générale en tant que juge des faits, en concluant que la division générale a tenu compte de la preuve pour étayer ses conclusions (voir l’arrêt Simpson c Canada (Procureur général), 2012 CAF 82 au para 10).

[30] Enfin, la division d’appel a bien expliqué que la violation délibérée d’une politique (ou d’une directive, en l’espèce) de l’employeur équivaut à une inconduite au sens où ce terme doit être interprété aux fins de l’administration de la loi sur l’assurance-emploi. Sur ce point, le défendeur renvoie au paragraphe 6 de l’arrêt Bellavance pour faire valoir ce qui suit :

Or, il ne fait pas de doute que les fautes graves commises par le défendeur constituaient de l’inconduite au sens de la Loi. Un employé doit agir d’une façon qui est compatible « avec l’exercice régulier ou loyal de ses fonctions » [...]. Une violation du Code de conduite de DRHC, sérieuse et consciente comme en l’espèce, sinon délibérée, dénote une conduite répréhensible et incompatible avec l’exercice régulier ou loyal des fonctions que le défendeur devait assumer.

[31] Par conséquent, selon le défendeur, la division d’appel a correctement expliqué que le rôle de la division générale était de déterminer si le demandeur avait commis une inconduite et, le cas échéant, si cette inconduite a mené à son congédiement. C’est précisément ce qu’a fait la division générale. Puisque le demandeur n’a soulevé aucune erreur susceptible de révision, la demande devrait par conséquent être rejetée, sans dépens.

C. Discussion

[32] Bien que le demandeur soit manifestement frustré du fait qu’aucun des décideurs n’a examiné ce qu’il considère comme étant les questions fondamentales de droit ou de fait qu’il a soulevées – notamment quant à l’intégrité physique, au consentement à des tests médicaux, ainsi qu’à l’efficacité et à l’innocuité des vaccins contre la COVID-19 ou des tests antigéniques – cela ne rend pas pour autant la décision de la division d’appel déraisonnable. Le principal problème avec cet argument du demandeur vient du fait qu’il reproche aux décideurs de ne pas avoir examiné une série de questions qu’ils ne sont pas légalement autorisés à examiner.

[33] Après avoir examiné avec soin les observations écrites et verbales du demandeur, ainsi que le dossier qui a été présenté à la division d’appel, je ne suis pas convaincu qu’il existe quelque fondement permettant de conclure que la décision est déraisonnable selon le cadre défini dans Vavilov. La division d’appel a bien résumé le droit qui s’applique à la présente affaire, plus précisément le rôle limité qu’elle peut jouer pour décider si elle doit ou non accorder la permission de faire appel d’une décision de la division générale. La division d’appel a également examiné les principales conclusions de fait sur lesquelles la division générale a fondé sa décision.

[34] La division d’appel a mentionné que la division générale avait rendu deux décisions déterminantes, à savoir que le demandeur a été congédié parce qu’il a sciemment refusé de se conformer à la directive no 6 que Lakeridge Health était légalement tenu d’appliquer, et que ce refus constituait une « inconduite » au sens où ce terme est défini et interprété dans la jurisprudence contraignante sur l’admissibilité à l’assurance-emploi (renvoyant à Bellavance).

[35] Le demandeur affirme qu’il n’a pas refusé de se conformer à la directive no 6 et qu’il n’a jamais obtenu de réponses satisfaisantes à ses questions sur les vaccins et les tests antigéniques. Il affirme également qu’il n’a jamais fait l’objet de mesures disciplinaires ou qu’il n’a jamais été avisé qu’il serait congédié s’il ne se conformait pas à la directive. Le problème qui se pose pour le demandeur est que la division générale a formulé des conclusions sur tous ces points, en se fondant sur son appréciation de la preuve versée au dossier, notamment sur les éléments de preuve et les arguments du demandeur. Le demandeur n’a invoqué aucun manquement particulier de la part de la division générale, ou de la division d’appel, et il n’a fait qu’exprimer son désaccord avec les conclusions en disant qu’elles sont erronées.

[36] Je ne suis pas convaincu que la division d’appel ait commis quelque erreur de fait qui puisse justifier l’annulation de la décision. La division générale a entendu la preuve et formulé ses conclusions de fait et de droit, et la division d’appel a examiné les arguments du demandeur et jugé que son appel n’avait aucune chance raisonnable de succès compte tenu des faits et du droit. Cette conclusion est raisonnable, eu égard au cadre législatif que la division d’appel a correctement résumé et aux décisions factuelles dont elle a raisonnablement tenu compte.

[37] La décision de la division d’appel, tout comme celle de la division générale, repose sur l’interprétation que l’on doit faire du terme « inconduite » dans ce domaine du droit. Comme l’a confirmé l’arrêt Bellavance, pour qu’un acte soit considéré comme une inconduite, il doit avoir été posé consciemment, délibérément ou intentionnellement (au para 9). Contrairement à ce que certains pourraient croire, il n’est pas nécessaire que l’employé ait eu une intention malveillante pour qu’il y ait inconduite.

[38] En l’espèce, la division générale a tenu compte des éléments de preuve de la Commission et du demandeur. Elle a évalué les raisons pour lesquelles le demandeur avait été suspendu, puis congédié, et elle a cherché à déterminer si ces raisons constituaient une inconduite. L’employeur a clairement établi que le demandeur avait fait l’objet de mesures disciplinaires à différents niveaux avant d’être congédié, et la division générale a accepté cette preuve.

[39] Dans l’arrêt Nelson c Canada (Procureur général), 2019 CAF 222, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’« il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié » (au para 21). La division générale a mentionné que le demandeur avait admis « avoir entendu dire » que le non-respect de la politique aurait des conséquences et qu’il avait eu la possibilité de corriger sa situation lorsqu’il a été suspendu, mais il ne l’a pas fait. Le personnel de l’hôpital, y compris le demandeur, a été informé à maintes reprises de la politique, à la fois verbalement et par courriel. En se fondant sur ces conclusions, la division générale a raisonnablement jugé que le demandeur avait commis une inconduite.

[40] En refusant de lui accorder la permission de faire appel, la division d’appel s’est demandé si le demandeur avait soulevé l’une des erreurs susceptibles de révision mentionnées au paragraphe 58(1) de la LMEDS et si l’appel avait une chance raisonnable de succès, comme elle était tenue de le faire aux termes du paragraphe 58(2) de la LMEDS. Le demandeur n’a soulevé aucun des types d’erreurs qui pourraient justifier que l’appel soit accueilli, et la division d’appel a raisonnablement conclu que l’appel n’avait aucune chance de succès.

[41] Les arguments invoqués par le demandeur pour étayer la présente demande de contrôle judiciaire constituent en grande partie une répétition de ses observations antérieures, mais je juge qu’aucun de ces arguments n’offre un fondement permettant d’infirmer la décision de la division d’appel. Le demandeur renvoie toutefois à une récente décision de la division générale, qui a conclu que le défaut d’un employé de se conformer à l’exigence de vaccination obligatoire de l’employeur ne constituait pas une « inconduite » qui rendait l’employé inadmissible aux prestations d’AE (AL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1428 [AL]). Le demandeur fait valoir que cette dernière affaire établit que le refus de se conformer à une politique vaccinale imposée unilatéralement par un employeur ne constitue pas une inconduite.

[42] Je ne suis pas convaincu par cet argument, car la décision AL porte sur des faits sensiblement différents de ceux de l’affaire dont je suis saisi. La décision de la division générale dans l’affaire AL repose sur plusieurs conclusions importantes, notamment sur le fait que l’imposition, par l’employeur, de l’obligation vaccinale a eu pour effet de modifier les modalités de la convention collective qui définissaient les éléments essentiels de la relation d’emploi, et que cela a été fait sans que l’employeur n’obtienne le consentement du syndicat ou de l’employé. La division générale a également mentionné que la politique de l’employeur n’autorisait aucune exception ni n’offrait la possibilité de subir des tests plutôt que de se faire vacciner, alors que des dispositions précises de la convention collective portant sur la vaccination (contre la grippe) indiquaient clairement qu’il revenait à l’employé de choisir ou non de se faire vacciner.

[43] Je conclus que la décision AL, qui fait actuellement l’objet d’un appel, est peu pertinente, car elle repose sur un fondement factuel fondamentalement différent de celui de l’espèce. Pour ne citer qu’une différence importante, la politique de l’employeur dans cette affaire imposait la vaccination obligatoire mais ne proposait aucune exception, ni aucun test comme solution de rechange, contrairement à la directive no 6. Comme le demandeur en l’espèce a été congédié parce qu’il a refusé de se conformer à l’obligation de se soumettre à des tests antigéniques hebdomadaires et de fournir les résultats négatifs à Lakeridge Health, l’affaire à laquelle il renvoie n’étaye tout simplement pas ses prétentions. Non seulement la décision AL n’établit aucune règle générale pouvant s’appliquer à d’autres situations de fait, mais je n’y suis pas lié.

[44] Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que la décision AL offre un fondement permettant d’infirmer la décision de la division d’appel.

V. Conclusion

[45] Pour les motifs énoncés précédemment, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

[46] Comme je l’ai mentionné précédemment, il est probable que le demandeur sera frustré par ce résultat, parce que mes motifs ne portent pas sur les questions juridiques, éthiques et factuelles fondamentales qu’il soulève. Il en est ainsi parce que bon nombre de ces questions débordent tout simplement le cadre de la présente affaire. Il n’est pas déraisonnable pour un décideur de ne pas tenir compte d’arguments de droit qui ne s’inscrivent pas dans la mission qui lui a été conférée par la loi.

[47] La division générale et la division d’appel ont un rôle important à jouer au sein du système judiciaire, mais ce rôle est limité et précis. En l’espèce, ce rôle consistait à établir les raisons pour lesquelles le demandeur avait été congédié et à déterminer si ces raisons constituaient une « inconduite ». C’est exactement ce qu’elles ont fait, et le demandeur n’a présenté aucun argument de droit ou de fait qui puisse me convaincre que la décision de la division d’appel est déraisonnable.

[48] Malgré les arguments du demandeur, il n’y a pas de fondement pour annuler la décision de la division d’appel parce qu’elle n’aurait pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ni de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (Canada (Procureur général) c Caul, 2006 CAF 251 au para 6; Canada (Procureur général) c Lee, 2007 CAF 406 au para 5).

[49] Cela étant dit, il convient également de mentionner que les politiques et les exigences juridiques relatives à la COVID-19 ont fait l’objet d’autres contestations, et que certaines de ces instances sont toujours en cours (devant notre Cour, voir, par exemple : Spencer c Canada (Santé), 2021 CF 621 (appel rejeté : 2023 CAF 8); Khodeir c Canada (Procureur général), 2022 CF 44; Lavergne-Poitras c Canada (Procureur général), 2021 CF 1232; Neri c Canada, 2021 CF 1443; Association des juristes de justice c Canada (Procureur général), 2022 CF 1090; Latham c Canada, 2020 CF 670). Bon nombre de ces affaires soulèvent des questions que le demandeur a également soulevées en l’espèce et qui sont liées aux droits et aux libertés fondamentaux garantis par la Charte, ainsi qu’au fondement factuel de l’imposition de la vaccination ou du port du masque ou d’un couvre-visage. Bien que cela ne satisfasse peut-être pas le demandeur, je les mentionne simplement pour indiquer qu’il existe des moyens par lesquels le demandeur peut adéquatement faire valoir ses revendications à l’intérieur du système judiciaire.

[50] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés; chaque partie assumera ses propres dépens.

[51] Enfin, je tiens à exprimer ma gratitude à l’ensemble du personnel du Service administratif des tribunaux judiciaires, notamment aux agents du greffe, aux spécialistes des technologies de l’information et au personnel de sécurité de la Cour, qui ont déployé des efforts considérables, et ce, dans des délais extrêmement serrés, afin que l’on puisse disposer d’une salle équipée des ordinateurs et des caméras nécessaires pour permettre au demandeur de participer à l’audience par Zoom, celui-ci ayant refusé de se conformer à la politique de la Cour relative au port du masque. Malgré l’absence de préavis, le travail du personnel le matin de l’audience a permis au demandeur de se présenter devant le tribunal, comme cela avait été prévu, et je tiens à souligner le professionnalisme dont a fait preuve le personnel. JUGEMENT dans le dossier T-1665-22.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1665-22

INTITULÉ :

ANTHONY CECCHETTO c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 janvier 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 23 janvier 2023

COMPARUTIONS :

Anthony Cecchetto

Pour le demandeur (pour son propre compte)

Suzette Bernard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour le demandeur

Sous-procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

Pour le défendeur

 

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