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Date : 20230126


Dossier : T‑190‑22

Référence : 2023 CF 126

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 26 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

UYGHUR RIGHTS ADVOCACY PROJECT

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le procureur général du Canada [le PGC ou le Canada] a déposé, au titre de l’article 359 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], une requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire de l’Uyghur Rights Advocacy Project [l’URAP]. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être radiée.

I. Contexte

[2] L’URAP est une organisation de défense des droits des Ouïghours qui a été fondée au Canada en 2020. Elle effectue des recherches et recense les politiques du gouvernement de la République populaire de Chine [la RPC] ciblant le peuple ouïghour. Elle communique également les résultats de ses recherches à des parlementaires, à des États et à des organisations locales et internationales, et elle milite pour la protection des droits du peuple ouïghour.

[3] Le 3 février 2022, l’URAP a présenté une demande de contrôle judiciaire des actes et des omissions du gouvernement du Canada concernant le génocide actuel du peuple ouïghour dans la RPC, la nature et la portée des obligations du Canada à cet égard, et leur incidence sur la perpétration de crimes contre le peuple ouïghour au Canada et ailleurs.

[4] L’URAP soutient que le Canada, par ses actes et omissions, ne respecte pas les obligations internationales qui lui incombent aux termes de l’article premier de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 9 décembre 1948, 78 RTNU 277, Can TS 1949 No 27 [la Convention], car il ne prévient pas le génocide actuel du peuple ouïghour ou ne prend aucune mesure visant à le prévenir (voir l’article premier et les autres dispositions pertinentes de la Convention à l’annexe A des présents motifs). Selon l’URAP, cette inaction contribue au grand nombre de crimes commis contre le peuple ouïghour de Chine. Dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, l’URAP demande à la Cour de lui accorder au moins l’une des cinq mesures suivantes :

  1. un jugement déclaratoire portant que le crime de génocide est perpétré contre le peuple ouïghour sur le territoire de la RPC depuis au moins 2014;

  2. un jugement déclaratoire portant que le Canada est lié par les dispositions de la Convention;

  3. un jugement déclaratoire portant que le Canada sait, ou aurait dû savoir, que le crime de génocide est perpétré contre le peuple ouïghour depuis au moins 2014;

  4. un jugement déclaratoire portant que le Canada connaît, ou aurait dû connaître, l’existence d’un risque sérieux de commission d’un génocide contre le peuple ouïghour sur le territoire de la RPC;

  5. un jugement déclaratoire portant que le Canada, par ses actes et omissions, ne respecte pas l’article premier de la Convention.

[5] Le 5 mai 2022, le Canada a déposé une requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire, sans autorisation de la modifier.

II. Aperçu général : Requêtes en radiation de demandes de contrôle judiciaire

[6] Selon le paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la Loi], les parties et la Cour doivent faire passer les demandes de contrôle judiciaire à l’étape de l’audience le plus rapidement possible, c’est‑à‑dire que la Cour doit « statue[r] à bref délai et selon une procédure sommaire » sur les demandes de contrôle judiciaire. La Cour devrait faire preuve de réticence avant d’examiner des requêtes en radiation de demandes de contrôle judiciaire. En général, la voie à suivre pour le défendeur voulant contester une demande qu’il estime sans fondement consiste à comparaître et à présenter ses arguments à l’audience portant sur la demande. Comme l’a récemment confirmé la Cour d’appel fédérale [la CAF] dans l’arrêt Alliance nationale de l’industrie musicale c Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 2022 CAF 156, au paragraphe 4, la Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli et si le requérant peut démontrer que la demande est « d’une efficacité assez radicale », c’est‑à‑dire qu’il peut établir l’existence d’un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base la capacité de la Cour à instruire la demande (voir aussi Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 aux para 47‑48 [JP Morgan]).

[7] Dans l’arrêt JP Morgan, la CAF a également fait observer que « la Cour doit lire l’avis de demande de manière à saisir la véritable nature de la demande » en s’employant à en faire « une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme » (aux para 49‑50).

[8] Dans les requêtes en radiation, le fardeau de la preuve repose sur la partie requérante (en l’espèce, il s’agit du Canada). Ce fardeau est lourd, car la radiation de la demande d’une partie limite son accès à la justice. Le Canada doit démontrer qu’il est « évident et manifeste » que la demande est vouée à l’échec parce qu’elle contient un vice fondamental (Deng c Canada, 2019 CAF 312 au para 16, citant Hunt c Carey Canada Inc, 1990 CanLII 90 (CSC), [1990] 2 RCS 959 à la p 972 [Hunt]).

[9] La ligne de démarcation est claire dans les requêtes en radiation de demandes de contrôle judiciaire. D’un côté, le paragraphe 18.4(1) de la Loi exige que les parties et la Cour fassent passer les demandes de contrôle judiciaire à l’étape de l’audience le plus rapidement possible. De l’autre côté, la demande ne doit pas être maintenue simplement pour qu’une audience puisse être tenue. La radiation d’une demande non fondée peut favoriser l’accès à la justice en permettant l’instruction efficace des demandes fondées, et elle permet d’éviter que les ressources de la Cour soient gaspillées sur des demandes qui sont vouées à l’échec. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, au paragraphe 19, « [l]e pouvoir de radier les demandes ne présentant aucune possibilité raisonnable de succès constitue une importante mesure de gouverne judiciaire essentielle à l’efficacité et à l’équité des procès. Il permet d’élaguer les litiges en écartant les demandes vaines et en assurant l’instruction des demandes susceptibles d’être accueillies. »

[10] La Cour doit donc déterminer s’il est évident et manifeste que la demande de contrôle judiciaire n’a aucune chance d’être accueillie et doit être radiée. Au paragraphe 66 de l’arrêt JP Morgan, la CAF a énoncé les trois types de vices fondamentaux et manifestes qui suivent :

(1) l’avis de demande ne révèle aucune action recevable en droit administratif qui peut être introduite devant la Cour fédérale;

(2) l’article 18.5 de la Loi ou quelque autre principe juridique interdit à la Cour fédérale de se prononcer sur le recours en droit administratif;

(3) la Cour fédérale ne peut accorder la mesure demandée.

[11] Ces types de vices fondamentaux ne sont pas cumulatifs, ce qui signifie que le PGC doit seulement établir l’existence de l’un de ces trois vices pour que sa requête en radiation soit accueillie (JP Morgan, aux para 66, 70, 80).

[12] Après avoir examiné les arguments et les éléments de preuve présentés, je conclus que le PGC a établi l’existence de deux des trois vices énoncés dans l’arrêt JP Morgan, ce qui m’amène à accorder au défendeur la mesure qu’il sollicite et à radier la demande de contrôle judiciaire sans autorisation de la modifier.

III. Aperçu des positions des parties

[13] Le Canada soutient que la demande de contrôle judiciaire comporte les trois vices fondamentaux et qu’elle n’a donc aucune chance d’être accueillie, car : (i) la demande de contrôle judiciaire ne révèle aucune action recevable en droit administratif; (ii) la demande de contrôle judiciaire soulève des questions qui ne sont pas justiciables en raison de leur nature politique; (iii) la Cour ne peut pas accorder la mesure demandée parce qu’elle n’a pas compétence pour le faire.

[14] S’appuyant sur l’arrêt JP Morgan, le Canada affirme que la Cour doit radier la demande de contrôle judiciaire sans autorisation de la modifier. Le PGC souligne que, pour qu’il s’acquitte du fardeau qui lui incombe de démontrer que cette demande n’a aucune chance d’être accueillie, il suffit que la Cour reconnaisse que la demande de contrôle judiciaire comporte l’un des trois vices.

[15] L’URAP affirme pour sa part que sa demande de contrôle judiciaire a une possibilité raisonnable de succès si l’on en fait une lecture globale et pratique et que les arguments du Canada se rapportent principalement aux irrégularités et au caractère inédit de sa demande. Elle soutient que sa demande de contrôle judiciaire ne comporte aucun vice évident et manifeste qui justifierait sa radiation par la Cour au stade préliminaire. Au contraire, selon l’URAP, sa demande de contrôle judiciaire doit être examinée au fond en raison de la complexité des questions qu’elle soulève.

[16] Je conviens que le Canada s’est acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que la demande de contrôle judiciaire n’a aucune chance d’être accueillie. Il ressort d’une lecture globale et pratique de la demande de contrôle judiciaire que l’URAP ne peut pas avoir gain de cause, d’une part, parce que sa demande ne révèle aucune action recevable en droit administratif et, d’autre part, en raison du principe des questions de politique. Par conséquent, la Cour exercera sa fonction de gardien et radiera la demande de contrôle judiciaire. Cette conclusion est expliquée en détail ci‑après.

IV. Arguments des parties et analyse

Première question : La demande de contrôle judiciaire révèle‑t‑elle une action recevable en droit administratif?

[17] Le Canada fait valoir que la demande de contrôle judiciaire ne remplit pas les conditions fondamentales qu’imposent la Loi et les Règles, car (i) elle ne désigne aucun office fédéral dont les actes peuvent être à bon droit examinés par la Cour, (ii) elle ne décrit pas de conduite susceptible de contrôle qui donnerait le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire, (iii) elle n’énonce aucun motif de contrôle approprié connu en droit administratif.

[18] Premièrement, le PGC soutient que l’URAP demande à tort le contrôle judiciaire des actes et des omissions du gouvernement du Canada dans son ensemble, lequel n’est pas un office fédéral au sens de l’article 18 de la Loi, comme l’a déjà reconnu notre Cour dans la décision Olumide c Canada, 2016 CF 558 [Olumide].

[19] Deuxièmement, le PGC affirme que l’article 302 des Règles dispose clairement que, « [s]auf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée », et que la demande de contrôle judiciaire ne décrit aucune conduite précise qui soit susceptible de contrôle. Le Canada fait valoir que, dans sa demande de contrôle judiciaire, l’URAP met indûment en doute de nombreuses lignes de conduite d’un grand nombre de ministères et d’organismes fédéraux, comme Affaires mondiales Canada, Sécurité publique Canada, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, l’Agence des services frontaliers du Canada, le ministère de la Justice et même le Parlement.

[20] Troisièmement, le Canada soutient que la demande de contrôle judiciaire n’énonce aucun motif de contrôle connu en droit administratif, pas même un des motifs de contrôle prévus au paragraphe 18.1(4) de la Loi. Le PGC affirme donc que les arguments de l’URAP ne révèlent aucune action recevable en droit administratif.

[21] L’URAP réplique que sa demande de contrôle judiciaire révèle bel et bien une action importante qui est recevable en droit administratif. Il s’agit du refus du Canada de prendre des mesures pour mettre fin au génocide, notamment par la mise en œuvre des recommandations formulées dans un rapport rédigé par un comité parlementaire (voir plus loin le paragraphe 32 des présents motifs). D’après l’URAP, cette inaction constitue une conduite susceptible de contrôle, compte tenu de l’obligation qu’a le Canada de prévenir et de réprimer le génocide du peuple ouïghour en RPC aux termes de l’article premier de la Convention.

[22] En ce qui concerne l’argument selon lequel il ne peut y avoir d’action recevable contre le gouvernement du Canada dans son ensemble, l’URAP rétorque que la Cour peut examiner la ligne de conduite, qui comporte la mise en place de nombreuses mesures administratives, que suit le gouvernement pour l’adoption d’une seule politique fédérale. De l’avis de l’URAP, une conduite susceptible de contrôle n’a pas à être une décision ou une ordonnance rendue par un office fédéral. En fait, l’URAP soutient que l’inverse est vrai : le Canada, en abdiquant son obligation d’agir, se livre à une conduite susceptible de contrôle. Elle affirme qu’en l’espèce, le Canada a systématiquement omis de prendre les mesures qui s’imposaient, contrevenant ainsi aux obligations qui lui incombent au titre de la Convention.

[23] À cet égard, l’URAP s’appuie sur la décision Association des sourds du Canada c Canada, 2006 CF 971 [Association des sourds], pour faire valoir que la Cour peut accueillir une demande de contrôle judiciaire même si elle vise de nombreux « actes discriminatoires qui auraient été commis en différentes occasions par diverses personnes – certaines non identifiées – travaillant pour plusieurs ministères » (Association des sourds, au para 2).

[24] L’URAP s’appuie également sur la décision Association des sourds pour affirmer qu’il n’est pas nécessaire que l’« objet » de la demande de contrôle judiciaire soit une décision ou une ordonnance; l’application d’une politique par plusieurs ministères à différents membres de la même communauté constitue une conduite susceptible de contrôle pour l’application du paragraphe 18.1(2) de la Loi (Association des sourds, au para 66).

[25] Selon l’URAP, puisque sa demande de contrôle judiciaire énonce des motifs de contrôle valables, il s’ensuit que le Canada fait reposer la présente requête en radiation des irrégularités de forme, alors qu’il aurait dû procéder à une lecture globale et pratique de la demande pour en saisir la véritable nature. L’URAP fait valoir que, de toute façon, la radiation de sa demande de contrôle judiciaire ne constituerait pas une mesure appropriée en cas de violation supposée de l’article 302 des Règles. Il conviendrait plutôt de lui accorder une prorogation de délai pour qu’elle puisse présenter une ou plusieurs demandes de contrôle judiciaire pour remplacer, de façon rétroactive, la demande qui fait l’objet de la présente requête. Ainsi, l’URAP ne perdrait pas de temps et le cheminement de l’instance ne serait pas entravé.

[26] Subsidiairement, l’URAP fait valoir que, si la Cour devait convenir que la demande de contrôle judiciaire ne révèle pas l’existence d’une conduite susceptible de contrôle, elle devrait la convertir en action en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par le paragraphe 18.4(2) de la Loi.

(1) Analyse de la première question : la demande de contrôle judiciaire ne révèle aucune action recevable en droit administratif

[27] Je suis d’accord avec l’URAP que les questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire sont inédites et que le fait que la Cour n’a jamais examiné ce type de questions ne saurait – à lui seul – justifier la radiation de la demande. Toutefois, comme l’a récemment affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Société des loteries de l’Atlantique c Babstock, 2020 CSC 19, au paragraphe 19 :

[…] une demande ne pourra survivre à une requête en radiation simplement parce qu’elle est inédite. Il est bénéfique, et même essentiel à la viabilité de la justice civile et à l’accès du public à celle‑ci que les demandes, y compris les demandes inédites, qui sont vouées à l’échec soient tranchées tôt dans l’instance. [...] Si un tribunal ne reconnaît pas une demande inédite dans le cas où les faits allégués sont tenus pour avérés, la demande est manifestement vouée à l’échec et doit être radiée.

[28] De même, en l’espèce, je conclus que, même si les questions soulevées sont inédites et importantes, elles ne révèlent aucune action recevable en droit administratif.

[29] La CAF a conclu, aux paragraphes 67 à 70 de l’arrêt JP Morgan, que les actions recevables en droit administratif doivent satisfaire à deux exigences : (i) la demande doit remplir les prérequis de base qu’imposent les articles 18 et 18.1 de la Loi; (ii) la demande doit énoncer un motif de contrôle connu en droit administratif ou susceptible d’être reconnu en droit administratif. Les articles 18 et 18.1 de la Loi imposent les prérequis de base discutés ci‑après, qui sont contestés par les parties en l’espèce (les dispositions pertinentes de la Loi sont reproduites à l’annexe B des présents motifs).

[30] En outre, le paragraphe 18.1(3) de la Loi précise que l’« objet » d’un contrôle judiciaire ne se limite pas à une décision ou une ordonnance, mais s’entend aussi « d’un “acte”, de l’omission ou du refus d’accomplir un “acte”, ou du retard mis à exécuter un “acte”, une “décision”, une “ordonnance” et une “procédure” » (Air Canada c Administration portuaire de Toronto et al, 2011 CAF 347 au para 24). Le paragraphe 18(1) confère à notre Cour la compétence exclusive dans les procédures où une réparation est sollicitée contre un « office fédéral ».

[31] Bien que les avocats de l’URAP aient tenté de leur mieux d’établir l’existence d’une conduite susceptible de contrôle, je ne suis pas convaincu qu’il existe une telle conduite dans les circonstances de l’espèce. Notre Cour a souligné que, « [d]ans le contexte des décisions et des actes du gouvernement, l’accent porte sur la question de savoir s’il existe “une série de mesures gouvernementales étroitement liées et illégales” » (Fondation David Suzuki c Canada (Santé), 2018 CF 380 au para 173 [Fondation David Suzuki], citant Fisher c Canada (Procureur général), 2013 CF 1108 au para 79). En l’espèce, une simple lecture de la demande de contrôle judiciaire, où l’on décrit ce qui s’est produit et ne s’est pas produit, ne me permet pas de conclure qu’« une série de mesures gouvernementales étroitement liées et illégales » ont été prises.

[32] Pour ce qui est de la deuxième exigence, l’allégation d’inaction généralisée de la part du Canada en réaction au génocide du peuple ouïghour n’est pas assez précise pour que cette conduite soit considérée comme une conduite susceptible de contrôle révélant une action recevable en droit administratif. L’URAP indique que la réponse du Canada au rapport parlementaire de mars 2021 intitulé La situation des droits de la personne du peuple ouïghour au Xinjiang, en Chine [le Rapport] constitue un exemple de son inaction. Ce rapport a été rédigé par le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international et son Sous‑comité des droits internationaux de la personne.

[33] Cet argument ne me convainc pas. En effet, la Chambre des communes est expressément exclue de la définition d’« office fédéral » (Mikisew Cree First Nation c Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40 aux para 106‑108).

[34] L’inaction du Canada face au génocide du peuple ouïghour — et, par conséquent, le fait qu’aucune entité gouvernementale ni aucune décision susceptible de contrôle n’ont été désignées avec précision — ne constitue pas nécessairement, en soi, un vice fondamental qui fait en sorte que la demande de contrôle judiciaire n’a aucune chance d’être accueillie. Il ressort clairement de la jurisprudence que le terme « décision » utilisé dans l’article 18 de la Loi peut avoir une vaste portée. Par exemple, dans la décision Amnesty International Canada c Canada (Procureur général), 2007 CF 1147, au paragraphe 69, la juge Mactavish a déclaré ce qui suit :

[…] l’absence d’une « décision » n’est pas un obstacle absolu à la présentation d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, car il a été conclu que le rôle de la Cour s’étend au‑delà du contrôle de décisions au sens propre et englobe le contrôle d’« une grande diversité d’actions administratives qui ne sont pas pour autant des “décisions ou ordonnances”, par exemple, les règlements, rapports ou recommandations relevant de pouvoirs légaux, les énoncés de politique, lignes directrices et guides, ou l’une quelconque des formes multiples que peut prendre l’action administrative dans la prestation d’un programme public par un organisme public » : Markevich c. Canada, [1999] 3 C.F. 28 (1re inst.), au paragraphe 11 [...]

[35] Dans la décision Fondation David Suzuki, au paragraphe 157, la juge Kane indique aussi clairement qu’il existe de nombreuses situations où le contrôle judiciaire constitue le recours approprié pour contester une politique gouvernementale. Elle énumère plusieurs affaires où de telles politiques ont été contestées de façon valable :

La jurisprudence donne une indication de ce qui constitue un « objet ». Un « objet » comprend une politique ou une ligne de conduite. Par exemple, des contestations de la légalité des politiques gouvernementales permanentes sont des objets qui ne sont pas assujettis au délai de prescription de 30 jours (voir les arrêts Sweet c Canada, [1999] ACF no 1539, au paragraphe 11, 249 NR 17 (CA) (Sweet) concernant une contestation d’une politique de double occupation dans les prisons; Moresby Explorers Ltd. c Canada (Procureur général), 2007 CAF 273, [2008] 2 RCF 341 (Moresby), portant sur une contestation à l’égard d’une politique concernant la réserve d’un parc; May c CBC/Radio Canada, 2011 CAF 130, 420 NR 23, concernant une contestation à l’égard d’une politique du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes excluant un chef de parti d’un débat télévisé). De telles politiques peuvent être contestées en tout temps, même avant d’être appliquées au cas particulier d’un demandeur (Moresby, au paragraphe 24).

[36] La juge Kane a également parlé des circonstances qui peuvent justifier une exception à l’article 302 des Règles (voir l’annexe C des présents motifs), lequel article dispose que la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance (Fondation David Suzuki, aux para 164‑168 et 173; voir aussi Lessard‑Gauvin c Canada (Procureur général), 2016 CF 227 aux para 6‑7). Selon le paragraphe 18.1(1), un « objet » s’entend d’une politique ou d’une ligne de conduite. Une « ligne de conduite » comprend une pratique continue ou une décision générale sur les mesures de mise en œuvre – ou à la fois sur cette décision et ces mesures lorsqu’il résulte de leur réunion un acte illégal du gouvernement (Fondation David Suzuki, au para 173).

[37] Cela dit, la jurisprudence limite la portée des contrôles judiciaires que la Cour peut effectuer en vertu de l’article 18 à l’égard des décisions du gouvernement, et ce ne sont pas toutes les actions – ou omissions – du gouvernement qui sont matière à contrôle judiciaire.

[38] En l’espèce, l’URAP conteste le défaut d’agir du Canada. Cependant, le Canada n’a mis en œuvre aucune politique lui permettant de décider s’il devait intervenir. Il a plutôt décidé de s’abstenir d’agir. Ce type d’inaction, ou défaut d’agir, ne fait pas partie des différentes formes de conduites susceptibles de contrôle qui sont analysées dans la décision Fondation David Suzuki, et l’URAP n’a pas été en mesure d’invoquer des affaires où une absence d’action de la part du gouvernement a résulté en une conduite susceptible de contrôle.

[39] Pour ce qui est de la réparation sollicitée, il existe un grand nombre d’affaires où la Cour a rendu une ordonnance de mandamus enjoignant à un agent, à un office ou à un autre représentant du gouvernement d’agir, mais cette ordonnance doit découler d’une obligation d’agir (Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 à la p 19, conf par Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 3 RCS 1100).

[40] En l’espèce, bien que le Canada puisse avoir l’obligation de contester les actions de la RPC dans un forum international, son obligation d’agir en droit canadien ne peut être établie que par une conclusion que la Cour a compétence pour trancher la demande (je parle brièvement de la compétence de la Cour dans la section ci‑après traitant de la troisième question en litige). Au bout du compte, la branche exécutive peut décider d’agir, mais il n’appartient pas à la Cour de dire au gouvernement du Canada quelle politique, il doit adopter, y compris les politiques étrangères (j’examine également ce concept plus loin dans la section traitant de la deuxième question en litige).

[41] Dans la décision Olumide, le juge LeBlanc, alors juge de la Cour fédérale, a conclu que le « gouvernement du Canada, sous la forme générique utilisée par le requérant, n’est pas un “office fédéral” au sens de la Loi, et Sa Majesté la Reine du Chef du Canada ne l’est pas non plus » (au para 11). Il a ajouté ce qui suit au paragraphe 12 :

Le requérant affirme, en outre, que la politique gouvernementale est soumise à un contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi et que cette loi est cette politique. Bien que la loi soit présentée par le gouvernement, elle émane ultimement du législateur qui, étant une branche distincte de notre système de gouvernement, n’est pas, et n’a jamais été censé être, un « office fédéral » au sens de la Loi.

[42] Dans la décision Olumide, le juge LeBlanc s’est fondé sur l’arrêt MRN et la Reine c Creative Shoes Ltd, 1972 CanLII 2097 (CAF), [1972] CF 993 [Creative Shoes], dans lequel la Cour d’appel a conclu que « la Couronne ne pouvait en tout état de cause être constituée régulièrement partie intimée à une telle procédure, puisque l’article 18 ne confère de compétence qu’à l’égard des organismes suivants : “un office, une commission ou un autre tribunal fédéral”, ce qui, d’après la définition de l’article 2g), ne comprend pas la Couronne » (Creative Shoes, à la p 999; voir aussi Robertson c Canada, [1986] ACF no 210, 3 FTR 103).

[43] En résumé, il n’y a, en l’espèce, aucune action recevable en droit administratif à examiner, et ce, pour trois raisons.

[44] Premièrement, même si des décisions susceptibles de contrôle pourraient être rendues à l’avenir à l’égard de l’objet de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce, aucun office fédéral n’a rendu de décision concrète qui justifie que la Cour intervienne dans les circonstances actuelles.

[45] Deuxièmement, le gouvernement du Canada n’est pas un organisme visé par l’article 18 (Olumide, aux para 11‑12; Creative Shoes, à la p 999).

[46] Troisièmement, en ce qui concerne les observations de l’URAP sur la réponse du gouvernement du Canada aux recommandations non contraignantes formulées dans le Rapport, ce document ne constitue pas une politique gouvernementale énonçant une conduite susceptible de contrôle.

[47] Je note que, au cours de la dernière année, la Cour a été saisie de l’affaire Kilgour c Canada (Procureur général), 2022 CF 472 [Kilgour], dans laquelle avait été présentée une demande contestant les actions du gouvernement du Canada et, plus précisément, d’un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada, en ce qui a trait à des marchandises importées de la région du Xinjiang (Chine) vers le Canada qui présentaient un risque accru d’avoir été produites par le travail forcé de Ouïghours. Les demandeurs dans cette affaire – et l’URAP, qui agissait à titre d’intervenante – soutenaient qu’il fallait interdire l’importation de ces marchandises au Canada.

[48] La juge en chef adjointe Gagné a examiné des affaires où des actes administratifs du gouvernement n’avaient entraîné aucune conséquence juridique, dont l’affaire Démocratie en surveillance c Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, 2009 CAF 15. Elle a fait observer ce qui suit au paragraphe 19 de la décision Kilgour :

Dans la présente affaire, je ne vois aucun élément du cadre législatif – soit dans la Loi sur les douanes, soit dans le Tarif – qui impose à l’ASFC l’obligation de rendre une décision comme celle que les demandeurs souhaitent obtenir. En fait, si le gestionnaire des programmes avait simplement décidé de ne pas répondre au courriel initial des demandeurs, il n’y aurait eu aucune raison de demander un contrôle judiciaire au motif que l’ASFC n’avait pas exercé une obligation qui lui était déléguée.

[49] La juge en chef Gagné a conclu que le « Canada est libre de choisir la meilleure façon de remplir ses obligations issues de traités » (Kilgour, au para 48). Enfin, comme c’était le cas dans l’affaire Kilgour, l’URAP tente de démontrer l’existence d’un recours en droit administratif en se fondant sur un cadre qui ne prévoit tout simplement pas de tel recours.

[50] Pour ce qui est de la première question, je conclus que la demande de contrôle judiciaire ne révèle aucune action recevable en droit administratif. Ce motif est suffisant pour justifier la radiation de la demande, compte tenu du caractère disjonctif du critère exposé dans l’arrêt JP Morgan (voir plus haut, au paragraphe 10 des présents motifs). Cependant, pour ne rien omettre, j’examinerai l’autre question déterminante qui a été soulevée par le Canada et qui, si elle est démontrée, entraîne la radiation de la demande, soit le fait que la demande soulève des questions qui ne sont pas justiciables.

Deuxième question : Les questions soulevées par la demande de contrôle judiciaire sont‑elles justiciables?

[51] Le Canada soutient que les jugements déclaratoires sollicités par l’URAP soulèvent des questions qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour. Il explique que, lorsqu’elle est appelée à décider si une question est justiciable, la Cour doit veiller surtout à conserver « le rôle qui lui revient dans le cadre constitutionnel de notre forme démocratique de gouvernement », comme l’a indiqué la Cour suprême dans l’arrêt Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), 1991 CanLII 74 (CSC), [1991] 2 RCS 525 à la page 545. À cet égard, le Canada invoque le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. Il fait valoir que les questions soulevées par l’URAP dans sa demande de contrôle judiciaire empiètent sur le rôle qui est dévolu à l’exécutif, et que la Cour ne peut pas intervenir dans les affaires internes d’autres branches du gouvernement.

[52] Selon le Canada, bien qu’elle ait affirmé le contraire, l’URAP demande à la Cour de se prononcer sur la légalité des actes d’un État étranger. Le PGC soutient que, pour rendre le jugement déclaratoire demandé, la Cour devrait établir que la RPC commet un génocide contre le peuple ouïghour, une conduite contraire aux dispositions de la Convention. Le Canada demande respectueusement à la Cour de faire preuve de retenue judiciaire et de s’abstenir de statuer sur les actions d’un État étranger, qui, soutient‑il, sont la question centrale de la demande de contrôle judiciaire.

[53] Le Canada fait également valoir que, en contestant les actes et les affaires d’un État étranger, l’URAP met en doute la capacité institutionnelle de la Cour à déterminer si un autre pays respecte ses obligations issues de traités. Il soutient que l’article 64 des Règles ne confère pas à la Cour le pouvoir de faire des déclarations de fait, et qu’elle ne peut donc pas accorder la mesure demandée par l’URAP. Il souligne que le système judiciaire n’est pas le mécanisme qui convient pour contester une politique étrangère du Canada.

[54] L’URAP affirme pour sa part que, contrairement à ce que prétend le Canada, elle ne demande pas à la Cour de procéder au contrôle des actes d’un État étranger, mais plutôt au contrôle des actes du Canada en ce qui a trait à ses obligations issues de la Convention.

[55] L’URAP soutient que les obligations juridiques du Canada prévues par la Convention entrent en jeu en raison du risque sérieux de commission du crime de génocide (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie‑Herzégovine c Serbie‑et‑Monténégro), 2007 CIJ 1077 à la p 222 [Bosnie‑Herzégovine c Serbie‑et‑Monténégro]), et que de nombreux éléments de preuve – dont le fait que le Canada a lui‑même reconnu l’existence d’un problème relatif aux droits de la personne dans la région du Xinjiang – démontrent qu’il existe un risque sérieux que le crime de génocide soit commis et, par conséquent, que les obligations du Canada issues de la Convention entrent en jeu.

[56] L’URAP insiste sur le fait que, pour tirer une telle conclusion, la Cour n’a pas à déclarer que la RPC commet un génocide contre le peuple ouïghour. L’URAP est plutôt d’avis que la Cour a tout à fait le droit selon la loi de déclarer que le Canada a manqué à ses obligations issues de la Convention, car il n’a pas reconnu le génocide du peuple ouïghour. Comme je l’ai expliqué plus haut, l’URAP soutient que la Convention constitue un ensemble de règles de droit fédérales. Elle affirme que la question de la légalité des actions d’un État étranger n’est, par conséquent, qu’accessoire à la question centrale de la légalité des actions du Canada.

[57] De plus, l’URAP ne souscrit pas à l’affirmation du Canada selon laquelle le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs empêche la Cour d’examiner les questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire. Cependant, l’URAP soutient que ce principe fait ressortir davantage la responsabilité qu’a la Cour de trancher des questions relatives à la Convention, qui est un ensemble de règles de droit fédérales; le principe de la séparation des pouvoirs ne peut pas avoir préséance sur le principe de la primauté du droit, suivant lequel la Cour a l’obligation de veiller à l’assujettissement de l’exécutif du Canada à l’autorité de la loi.

(2) Analyse de la deuxième question : la demande de contrôle judiciaire soulève des questions qui ne sont pas justiciables

[58] La justiciabilité est un principe qui trouve sa source dans la séparation des pouvoirs entre les branches législative, exécutive et judiciaire du système constitutionnel canadien (Environnement Jeunesse c Procureur général du Canada, 2021 QCCA 1871 au para 24 [Environnement Jeunesse]). Selon ce principe, l’exercice du pouvoir législatif ou la conduite des affaires de l’État – y compris des affaires étrangères – par l’exécutif impose de soupeser de nombreuses considérations et d’effectuer des choix politiques qu’il n’appartient pas aux tribunaux d’apprécier (Environnement Jeunesse, au para 30).

[59] La justiciabilité est un principe qui s’attache à la compétence des tribunaux. Autrement dit, une question justiciable n’outrepasse pas la compétence d’une cour de justice en empiétant sur les pouvoirs exclusifs des branches législative ou exécutive (Ontario c Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43 au para 30). Les tribunaux ne devraient pas s’aventurer dans des domaines qui relèvent clairement de la compétence des deux autres branches du gouvernement (les branches exécutive et législative), afin d’éviter de statuer sur des questions qui ne sont pas justiciables et d’ainsi outrepasser leur compétence. C’est au sens figuré plutôt qu’au sens formel que la compétence est outrepassée. Au sens formel, il s’agit, bien entendu, de la compétence fondamentale telle qu’elle est circonscrite par la loi conférant compétence à la Cour, lequel point a été soulevé par le PGC et est présenté brièvement dans la section ci‑après traitant de la troisième question.

[60] Le critère de la justiciabilité a récemment été résumé par notre Cour dans la décision La Rose c Canada, 2020 CF 1008 [La Rose], citant Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c Wall, 2018 CSC 26 [Highwood], Première Nation des Hupacasath c Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2015 CAF 4 [Hupacasath], et Boundaries of Judicial Review: The Law of Justiciability in Canada de Lorne M. Sossin [Sossin]. Le juge Manson a écrit ce qui suit :

[29] La question à trancher est de savoir si la Cour dispose des attributions institutionnelles et de la légitimité requises pour trancher la question. Ou, de façon plus générale, il faut savoir si l’on est en présence d’une question qu’il convient de faire trancher par un tribunal (Highwood, aux paragraphes 32 et 34). Les termes « légitimité » et « attributions » peuvent être compris comme désignant l’« opportunité » et la « capacité » d’une cour d’examiner une question (Hupacasath, précité, au paragraphe 62).

[30] Il n’existe pas un ensemble précis de règles délimitant le champ d’application de la notion de justiciabilité; l’approche appropriée en la matière est empreinte de souplesse et, dans une certaine mesure, tributaire du contexte. Les tribunaux ont souvent examiné des questions afin de décider si elles présentaient un aspect suffisamment juridique pour justifier qu’une cour y réponde, « [p]uisqu’une question de droit ne peut être péremptoirement tranchée que par une cour de justice, ou bien la décision de celle‑ci servira à résoudre une controverse, ou bien elle aura quelque autre valeur pratique » (Highwood, au paragraphe 34; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 RCS 525, à la page 546).

[31] La Cour suprême, dans l’arrêt Highwood, a indiqué qu’un tribunal, pour décider s’il dispose des attributions institutionnelles et de la légitimité requises pour trancher une question, doit être d’avis que le fait pour lui de résoudre la question « constituerait une utilisation économique et efficace de ses ressources, qu’il existe suffisamment de faits et d’éléments de preuve au soutien de la demande, qu’un exposé adéquat des positions contradictoires des parties sera présenté et qu’aucun organisme administratif ou corps politique ne s’est pas déjà vu conférer par voie législative compétence à l’égard de la question » (Sossin, op.cit, à la page 294, cité dans l’arrêt Highwood, au paragraphe 34).

[61] Après avoir pris en compte les facteurs énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Highwood, ainsi que les autres sources mentionnées ci-dessus, je conclus que la demande de contrôle judiciaire soulève des questions qui ne sont pas justiciables. Si la Cour examinait la demande au fond, il ne s’agirait pas d’une utilisation économique et efficace de ses ressources puisqu’il est évident et manifeste qu’elle finirait par être rejetée.

[62] En l’espèce, j’estime qu’il est évident et manifeste que la Cour ne peut pas rendre le jugement déclaratoire que sollicite l’URAP, car les jugements déclaratoires demandés relèvent de la compétence des autres branches du gouvernement, qui, comme le reconnaît la Cour, sont mieux placées pour rendre des décisions en la matière.

[63] L’URAP soutient que la Cour peut rendre un jugement déclaratoire portant que le Canada a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de la Convention sans toutefois rendre de jugement déclaratoire selon lequel la RPC commet un génocide contre le peuple ouïghour. Cependant, ces deux jugements déclaratoires constituent les deux côtés d’une même médaille. Pour que la Cour rende un jugement déclaratoire selon lequel le Canada n’a pas prévenu la commission d’un génocide dans un État étranger, elle doit analyser la légalité des actions de cet État, qui, en l’espèce, ne sont pas assujetties au contrôle judiciaire, mais relèvent plutôt de la sphère des relations internationales et, donc, de l’exercice des pouvoirs exécutifs. Comme la CAF l’a résumé dans l’arrêt Hupacasath, au paragraphe 66 :

[…] Dans de rares cas, toutefois, les exercices du pouvoir exécutif s’appuient sur des considérations idéologiques, politiques, culturelles, sociales, morales et historiques qui ne peuvent être soumises au processus judiciaire ou qui ne se prêtent pas à l’analyse judiciaire. Dans ces rares cas, évaluer si l’action de l’exécutif appartient aux issues acceptables et justifiables dépasse les capacités des cours et est hors de leur compétence, les faisant s’écarter du rôle qui leur est dévolu en vertu du principe de la séparation des pouvoirs.

[64] Dans l’arrêt Nevsun Resources Ltd c Araya, 2020 CSC 5 [Nevsun], la Cour suprême a rejeté le pourvoi qu’avait interjeté la société à l’encontre du rejet, par les tribunaux inférieurs, de ses requêtes en radiation des actes de procédures des travailleurs concernés. La présente affaire est différente de l’affaire Nevsun, où la manière dont une filiale d’une société canadienne avait traité des employés soumis à un régime de travail forcé en Érythrée soulevait des questions justiciables de droit international coutumier et de jus cogens, car elles ouvraient droit à une action en responsabilité civile délictuelle.

[65] Bien que l’URAP soit d’avis que la légalité des actions de la Chine est accessoire à la question centrale de la légalité des actions du Canada, je conclus que l’inverse s’applique : la légalité des actions du Canada est accessoire à la légalité des actions de la RPC. C’est le gouvernement fédéral, et non la Cour, qui a compétence pour se prononcer sur cette conclusion et y réagir.

[66] En effet, c’est au gouvernement fédéral qu’il incombe de déterminer si un génocide contre le peuple ouïghour en Chine a été ou est perpétré. S’il faisait cette déclaration, alors la Convention et le droit international coutumier serviraient de fondement justifiant les conséquences juridiques qu’il conviendrait d’imposer et étayant la capacité des groupes touchés, comme l’URAP, à solliciter un jugement déclaratoire ou d’autres mesures qu’ils sont en droit d’obtenir. Toutefois, en l’absence de ce fondement, solliciter de telles réparations à la Cour est prématuré.

[67] À l’instar de l’absence d’action recevable, le principe des questions de politique constitue un argument sans réplique, ou un argument massue, qui est fatal à la demande de contrôle judiciaire (JP Morgan, au para 47). Comme l’a écrit la CAF dans l’arrêt Hupacasath :

[62] Le caractère justiciable, parfois désigné l’« objection fondée sur des questions de politique », a trait à la capacité d’une cour d’examiner une question qui lui est soumise et à l’opportunité d’un tel examen. Certaines questions sont de nature si politique que les cours de justice sont incapables d’en traiter ou sont mal placées pour le faire, ou ne devraient pas les examiner eu égard à la ligne de démarcation traditionnelle à respecter entre les pouvoirs des tribunaux et des autres branches de l’État.

[68] Enfin, je reviens à l’une des autres mesures sollicitées par l’URAP, soit la conversion de sa demande de contrôle judiciaire en une action s’il est plus approprié de traiter sa demande comme une action. Il est toutefois impossible de remédier aux vices fondamentaux que comporte la demande de contrôle judiciaire en la convertissant en une action conformément aux Règles.

Troisième question : la Cour a‑t‑elle compétence pour trancher la demande de contrôle judiciaire?

[69] Le PGC fait valoir que la Cour fédérale n’a pas compétence pour trancher la demande de contrôle judiciaire, car elle ne respecte pas les conditions énoncées dans l’arrêt ITO‑Int’l Terminal Operators c Miida Electronics, 1986 CanLII 91 (CSC), [1986] 1 RCS 752 [ITO]. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a conclu que l’une des trois conditions suivantes doit être respectée pour que notre Cour ait compétence pour trancher une demande : (i) il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement; (ii) il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l’attribution légale de compétence; (iii) la loi invoquée dans l’affaire doit être une « loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 [la Constitution].

[70] Le PGC soutient que l’URAP demande à la Cour d’interpréter et d’appliquer directement un instrument international : la Convention. Il fait valoir que la question amenant la Cour à statuer sur une loi étrangère est un élément central de la demande de contrôle judiciaire, pas seulement une question accessoire, et qu’il y a donc lieu d’établir une distinction entre la présente affaire et l’affaire Hunt c T&N plc, [1993] 4 RCS 289 à la page 309 [T&N], dans laquelle la Cour suprême du Canada a conclu que les tribunaux canadiens pouvaient statuer sur des lois étrangères dans les cas où « la question n’est soulevée qu’accessoirement » (voir aussi Nevsun, au para 49). Par conséquent, le PGC affirme que la Cour n’a pas compétence pour examiner la demande de contrôle judiciaire. Qui plus est, comme l’URAP ne demande pas de réparation en vertu d’une loi du Parlement, le Canada affirme qu’il n’y a pas d’attribution de compétence par une loi.

[71] Le Canada fait en outre valoir que la Constitution restreint le rôle de la Cour fédérale à l’application des « lois du Canada », soit les lois fédérales, comme le prévoit l’article 101 de la Constitution. La Convention – sur laquelle repose l’entièreté de la demande de l’URAP – n’est pas un « ensemble de règles de droit fédérales » et n’a pas été intégrée dans les lois canadiennes; par conséquent, elle ne peut pas servir de fondement juridique à une action civile, telle qu’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

[72] D’après le Canada, les traités de droit international, tels que la Convention, doivent être expressément intégrés dans les lois canadiennes pour faire partie de l’ensemble de règles de droit fédérales, comme il a été fait pour certaines parties de la Convention ayant trait aux poursuites pénales et à l’immigration.

[73] Par contre, le Canada soutient que l’article premier de la Convention, sur lequel s’appuie l’URAP pour faire valoir que le Canada a l’obligation de prévenir et de réprimer le génocide du peuple ouïghour dans la RPC, n’a pas été expressément intégré dans les lois canadiennes, ce qui démontre que le législateur avait précisément l’intention de ne pas incorporer cette disposition dans les lois fédérales.

[74] Le Canada fait observer qu’il n’existe aucun exemple d’intégration de la Convention dans les lois nationales et que la Cour empiéterait sur le rôle du législateur si elle le faisait. Enfin, il soutient que, dans sa demande de contrôle judiciaire, l’URAP demande essentiellement à la Cour de statuer sur la légalité des actions d’un État étranger.

[75] L’URAP répond qu’elle ne demande pas à la Cour d’interpréter et d’appliquer directement un instrument du droit international, car la Convention relève du droit fédéral. Elle ne souscrit pas à l’affirmation selon laquelle les traités de droit international, tels que la Convention, doivent être expressément intégrés dans les lois canadiennes. Elle affirme que la Cour internationale de justice et les Nations Unies ont reconnu la Convention comme étant la codification du droit international coutumier, notamment dans l’arrêt Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c Serbie), 2015 CIJ 921 aux pages 87‑88 et 95, l’arrêt Bosnie‑Herzégovine c Serbie‑et‑Monténégro, à la page 161, et le Rapport du secrétaire général établi conformément au paragraphe 2 de la résolution 808 (1993) du Conseil de sécurité, S/25704 au paragraphe 35.

[76] L’URAP note que, du point de vue du droit interne, la Cour suprême du Canada a conclu au paragraphe 94 de l’arrêt Nevsun que, « par application de la doctrine de l’adoption, les normes de droit international coutumier — celles qui satisfont aux deux exigences, soit la pratique générale et l’opinio juris — sont entièrement intégrées dans la common law interne canadienne, et font partie de celle‑ci, sauf disposition législative contraire ». L’URAP conclut que, selon cette doctrine de l’adoption, la Convention fait partie du droit fédéral même si elle n’a pas été expressément intégrée dans une loi fédérale. Elle soutient que la Cour peut statuer sur la légalité des actions du Canada à l’égard des obligations que lui imposent la Convention, qui, selon elle, est un ensemble de règles de droit fédérales, car le droit international coutumier peut servir de fondement juridique pour l’attribution de compétence par une loi en l’espèce.

(3) Analyse de la troisième question

[77] Les deux premières questions permettent de trancher la présente affaire. Étant donné le caractère disjonctif du critère de l’arrêt JP Morgan, l’un ou l’autre des deux premiers vices que comporte la demande, soit le fait (i) qu’elle ne révèle aucune action recevable en droit administratif et (ii) qu’elle ne soulève aucune question justiciable, porte un coup fatal à la cause de l’URAP.

[78] Par conséquent, compte tenu des conclusions que j’ai tirées sur les deux premières questions soulevées, je n’examinerai pas la question de savoir si la Cour a compétence pour trancher la demande de contrôle judiciaire. Après tout, la Cour peut refuser de trancher des questions de compétence complexes dans le cadre de requêtes interlocutoires, particulièrement dans le cadre de requêtes en radiation d’une demande de contrôle judiciaire (Coffey c Canada (Justice), 2004 CF 1694 au para 23; Fondation David Suzuki, au para 36).

V. Dépens

[79] Le Canada n’a pas demandé les dépens. Compte tenu de la nature de l’instance, et de la position du Canada à l’égard de cette question, je m’abstiens d’adjuger les dépens.

VI. Conclusion

[80] Comme l’a dit Elie Wiesel dans son discours d’acceptation du Prix Nobel de la paix le 10 décembre 1986 : [traduction] « Le silence encourage le persécuteur, jamais le tourmenté. Parfois, nous devons intervenir. » Et comme l’a écrit Roméo Dallaire dans J’ai serré la main du diable : la faillite de l’humanité au Rwanda, le livre dans lequel il décrit son expérience en tant que commandant de force durant la Mission des Nations Unies pour l’assistance du Rwanda de 1993 à 1994 :

La communauté internationale, dont l’ONU ne représente qu’un symbole, n’a pas réussi à dépasser son propre intérêt afin de secourir le Rwanda. Pendant que la plupart des pays convenaient de l’urgence d’agir, chacun se trouvait une excuse pour ne pas être celui qui bougerait. En conséquence, l’ONU n’eut pas à son service la volonté politique et les moyens matériels pour empêcher la tragédie.

[81] Le gouvernement du Canada a des obligations en droit international, y compris en ce qui a trait aux traités internationaux comme la Convention. Comme l’ont affirmé Elie Wiesel et Roméo Dallaire, qui ont été témoins de génocides, il est indéniable que la communauté internationale doit adopter une position ferme contre le génocide. Cependant, la simple possibilité qu’un génocide soit commis ne constitue pas automatiquement un motif fondant un recours devant la Cour.

[82] Même si les questions soulevées par l’URAP dans sa demande de contrôle judiciaire sont graves, je suis d’avis qu’elles ne sont ni recevables en droit administratif ni justiciables suivant le principe des questions de politique. Comme la Cour doit respecter la séparation des pouvoirs entre les trois branches du gouvernement, l’examen des questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire devrait être confié aux branches l’exécutive et au législative jusqu’à ce qu’elles adoptent une loi ou une politique ou qu’elles prennent des décisions qui seraient susceptibles de contrôle.

[83] Pour les motifs qui précèdent, la requête en radiation déposée par le Canada visant la demande de contrôle judiciaire est accueillie, sans autorisation de la modifier. Aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‑190‑22

LA COUR STATUE que :

  1. La requête est accueillie.

  2. La demande de contrôle judiciaire est radiée, sans autorisation de la modifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


ANNEXE A

Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(9 décembre 1948, 78 RTNU 277, Can TS 1949 No 27)
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
(9 December 1948, 78 UNTS 277, Can TS 1949 No 27)

Article premier

Article I

 

Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir.

The Contracting Parties confirm that genocide, whether committed in time of peace or in time of war, is a crime under international law which they undertake to prevent and to punish.

 

Article II

Article II

 

Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci‑après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

In the present Convention, genocide means any of the following acts committed with intent to destroy, in whole or in part, a national, ethnical, racial or religious group, as such:

 

a) Meurtre de membres du groupe;

(a) Killing members of the group;

 

b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

(b) Causing serious bodily or mental harm to members of the group;

 

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

(c) Deliberately inflicting on the group conditions of life calculated to bring about its physical destruction in whole or in part;

 

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

(d) Imposing measures intended to prevent births within the group;

 

e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

(e) Forcibly transferring children of the group to another group.

 

Article III

Article III

 

Seront punis les actes suivants :

The following acts shall be punishable:

 

a) Le génocide;

(a) Genocide;

 

b) L’entente en vue de commettre le génocide;

(b) Conspiracy to commit genocide;

c) L’incitation directe et publique à commettre le génocide;

(c) Direct and public incitement to commit genocide;

 

d) La tentative de génocide;

(d) Attempt to commit genocide;

 

e) La complicité dans le génocide.

(e) Complicity in genocide.

 

Article IV

Article IV

 

Les personnes ayant commis le génocide ou l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III seront punies, qu’elles soient des gouvernants, des fonctionnaires ou des particuliers.

Persons committing genocide or any of the other acts enumerated in article III shall be punished, whether they are constitutionally responsible rulers, public officials or private individuals.

 

Article V

Article V

 

Les Parties contractantes s’engagent à prendre, conformément à leurs constitutions respectives, les mesures législatives nécessaires pour assurer l’application des dispositions de la présente Convention, et notamment à prévoir des sanctions pénales efficaces frappant les personnes coupables de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III.

 

The Contracting Parties undertake to enact, in accordance with their respective Constitutions, the necessary legislation to give effect to the provisions of the present Convention, and, in particular, to provide effective penalties for persons guilty of genocide or any of the other acts enumerated in article III.

 

Article VIII

Article VIII

 

Toute Partie contractante peut saisir les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies afin que ceux‑ci prennent, conformément à la Charte des Nations Unies, les mesures qu’ils jugent appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III.

 

Any Contracting Party may call upon the competent organs of the United Nations to take such action under the Charter of the United Nations as they consider appropriate for the prevention and suppression of acts of genocide or any of the other acts enumerated in article III.

 

Article IX

Article IX

 

Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d’une partie au différend.

Disputes between the Contracting Parties relating to the interpretation, application or fulfilment of the present Convention, including those relating to the responsibility of a State for genocide or for any of the other acts enumerated in article III, shall be submitted to the International Court of Justice at the request of any of the parties to the dispute.

 


ANNEXE B

Loi sur les Cours fédérales (LRC (1985), c F‑7)
Federal Courts Act (R.S.C., 1985, c. F‑7)

Définitions

 

Definitions

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

2 (1) In this Act,

 

office fédéral Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges et juges adjoints, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. (federal board, commission or other tribunal)

 

federal board, commission or other tribunal means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made under a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges or associate judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867; (office fédéral)

 

Sénat et Chambre des communes

 

Senate and House of Commons

 

(2) Il est entendu que sont également exclus de la définition de office fédéral le Sénat, la Chambre des communes, tout comité de l’une ou l’autre chambre, tout sénateur ou député, le conseiller sénatorial en éthique, le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique à l’égard de l’exercice de sa compétence et de ses attributions visées aux articles 41.1 à 41.5 et 86 de la Loi sur le Parlement du Canada, le Service de protection parlementaire et le directeur parlementaire du budget.

(2) For greater certainty, the expression federal board, commission or other tribunal, as defined in subsection (1), does not include the Senate, the House of Commons, any committee or member of either House, the Senate Ethics Officer, the Conflict of Interest and Ethics Commissioner with respect to the exercise of the jurisdiction or powers referred to in sections 41.1 to 41.5 and 86 of the Parliament of Canada Act, the Parliamentary Protective Service or the Parliamentary Budget Officer.

 

[…]

[…]

Recours extraordinaires : offices fédéraux

 

Extraordinary remedies, federal tribunals

18 (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

 

18 (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

 

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

 

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

 

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

Recours extraordinaires : Forces canadiennes

Extraordinary remedies, members of Canadian Forces

 

(2) Elle a compétence exclusive, en première instance, dans le cas des demandes suivantes visant un membre des Forces canadiennes en poste à l’étranger : bref d’habeas corpus ad subjiciendum, de certiorari, de prohibition ou de mandamus.

 

 

(2) The Federal Court has exclusive original jurisdiction to hear and determine every application for a writ of habeas corpus ad subjiciendum, writ of certiorari, writ of prohibition or writ of mandamus in relation to any member of the Canadian Forces serving outside Canada.

Exercice des recours

Remedies to be obtained on application

 

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

 

(3) The remedies provided for in subsections (1) and (2) may be obtained only on an application for judicial review made under section 18.1.

Demande de contrôle judiciaire

 

Application for judicial review

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

[…]

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

[…]

Pouvoirs de la Cour fédérale

 

Powers of Federal Court

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

 

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

 

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

 

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

Motifs

Grounds of review

 

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

a) a agi sans compétence, outrepassé celle‑ci ou refusé de l’exercer;

 

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

 

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle‑ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

 

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

(f) acted in any other way that was contrary to law.

 

Vice de forme

Defect in form or technical irregularity

 

(5) La Cour fédérale peut rejeter toute demande de contrôle judiciaire fondée uniquement sur un vice de forme si elle estime qu’en l’occurrence le vice n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice et, le cas échéant, valider la décision ou l’ordonnance entachée du vice et donner effet à celle‑ci selon les modalités de temps et autres qu’elle estime indiquées.

(5) If the sole ground for relief established on an application for judicial review is a defect in form or a technical irregularity, the Federal Court may

(a) refuse the relief if it finds that no substantial wrong or miscarriage of justice has occurred; and

(b) in the case of a defect in form or a technical irregularity in a decision or an order, make an order validating the decision or order, to have effect from any time and on any terms that it considers appropriate.

 


ANNEXE C

Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106)
Federal Courts Rules (SOR/98‑106)

Jugement déclaratoire

Declaratory relief available

64 Il ne peut être fait opposition à une instance au motif qu’elle ne vise que l’obtention d’un jugement déclaratoire, et la Cour peut faire des déclarations de droit qui lient les parties à l’instance, qu’une réparation soit ou puisse être demandée ou non en conséquence.

64 No proceeding is subject to challenge on the ground that only a declaratory order is sought, and the Court may make a binding declaration of right in a proceeding whether or not any consequential relief is or can be claimed.

Limites

Limited to single order

302 Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

302 Unless the Court orders otherwise, an application for judicial review shall be limited to a single order in respect of which relief is sought.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑190‑22

 

INTITULÉ :

UYGHUR RIGHTS ADVOCACY PROJECT c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE EN PERSONNE ET PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 3 ET 4 OCTOBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

26 janvier 2023

 

COMPARUTIONS :

Sébastien Chartrand

Justine Bernatchez

Philippe Larochelle

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

François Joyal

Guillaume Bigaouette

Frédéric Paquin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larochelle Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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