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Date : 20230206


Dossier : IMM-3284-22

Référence : 2023 CF 170

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 février 2023

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

KIRANJIT SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire visant la décision du 17 février 2022 par laquelle un agent des visas du Haut-commissariat du Canada en Inde [l’agent] a refusé au demandeur un permis de travail à titre de conducteur de grand routier [la décision].

[2] La question déterminante dans le présent contrôle judiciaire est celle de la manière dont l’agent a traité les exigences liées à la langue anglaise. Le demandeur soutient que l’agent a mal évalué les résultats de son évaluation linguistique, de sorte que la décision est déraisonnable.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, car je conclus que la décision de l’agent est raisonnable.

I. Contexte

[4] Le demandeur est un citoyen indien de 38 ans. Il a travaillé en tant que camionneur à Dubaï de novembre 2013 à août 2020.

[5] Il a passé un examen du Système international de tests de la langue anglaise [IELTS] le 6 février 2021, et a obtenu une note de 6 pour la compréhension de l’oral, de 5 pour la lecture, de 5 pour l’écrit puis de 6 pour la communication orale. Sa note globale était de 5,5.

[6] En juillet 2020, Right-Link Logistics Ltd. a présenté une demande d’étude d’impact sur le marché du travail [EIMT] pour des postes de conducteur de grand routier. Service Canada a délivré une EIMT favorable le 7 décembre 2020. Les exigences pour ces postes comprenaient notamment la capacité de communiquer en anglais de vive voix et par écrit.

[7] Le 26 février 2021, Right-Link Logistics a offert un poste de conducteur de grand routier au demandeur, et celui-ci l’a accepté. Ce dernier a ensuite déposé une demande de permis de travail en mars 2021.

La décision faisant l’objet du contrôle

[8] L’agent a refusé la demande de permis de travail du demandeur puisque celui-ci n’avait pas démontré qu’il serait en mesure d’exécuter le travail en question. Les notes du Système mondial de gestion des cas [SMGC] indiquent ce qui suit :

[traduction]

Le demandeur a présenté les résultats obtenus au test de l’IELTS, dont la note de 5 en lecture. Selon la page https://takeielts.britishcouncil.org/teach-ielts/test-information/scores-explained, une note de 5 signifie : « Vous maîtrisez partiellement la langue et vous parvenez à dégager le sens général dans la plupart des situations. Vous êtes cependant susceptible de commettre de nombreuses erreurs. Vous devriez pouvoir assurer une communication de base dans votre propre domaine. » Cette description me donne des motifs raisonnables de croire qu’une note de 5 n’est pas suffisante pour accomplir les tâches requises par l’emploi telles que la lecture des panneaux routiers, la compréhension des mesures et des règles de sécurité, la consignation de l’information relative aux cargaisons et l’administration de factures. Le fait que le demandeur soit « susceptible de commettre de nombreuses erreurs » pourrait avoir des conséquences graves (et potentiellement mortelles), en particulier en ce qui concerne la santé et la sécurité du conducteur et des autres usagers de la route. Demande refusée au titre de l’alinéa 200(3)a) du Règlement.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[9] Les questions en litige sont les suivantes :

  • a)La demande du demandeur a-t-elle été évaluée en fonction du programme approprié?

  • b)L’appréciation des résultats de l’évaluation linguistique était-elle raisonnable?

[10] La norme de contrôle applicable aux deux questions en litige est la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

III. Analyse

a) La demande du demandeur a-t-elle été évaluée en fonction du programme approprié?

[11] Le demandeur affirme que l’agent a commis une erreur en évaluant sa demande en fonction du « Programme de mobilité internationale » et non du Programme des travailleurs étrangers temporaires au titre duquel il avait présenté sa demande.

[12] En effet, selon la lettre de décision du 17 février 2022, la demande de M. Singh a été évaluée en fonction du Programme de mobilité internationale. Cependant, on peut lire ce qui suit dans les notes du SMGC : [traduction] « La demande et les documents à l’appui ont été examinés. Le demandeur principal présente une demande de permis de travail, appuyée par une EIMT, pour un poste correspondant au code de la CNP 7511 ». De plus, la disposition du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (art 200(3)a)) à laquelle l’agent fait référence dans les notes du SMGC s’applique aux étrangers qui présentent une demande de permis de travail accompagnée d’une EIMT.

[13] Par conséquent, en dépit de la coquille, l’agent s’est référé au bon critère lorsqu’il a évalué la demande.

[14] Je suis donc en désaccord avec le demandeur sur le fait que l’agent aurait évalué sa demande en fonction du mauvais programme.

b) L’appréciation des résultats de l’évaluation linguistique était-elle raisonnable?

[15] Le demandeur fonde sa contestation de la décision principalement sur la manière dont l’agent a apprécié les résultats de son évaluation linguistique et sur les paramètres que celui-ci a utilisés pour mesurer sa compétence en lecture.

[16] Je commence la présente analyse en soulignant que la décision de l’agent est hautement discrétionnaire et qu’en l’espèce, nul n’a fait valoir que ce dernier aurait fait abstraction de quelque élément de preuve pertinent.

[17] Le demandeur soutient que l’agent a appliqué les mauvais éléments de référence dans l’appréciation des résultats de l’IELTS. Il s’appuie à cet égard sur la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 638 [Singh 2021], dans laquelle l’agent avait comparé les résultats obtenus par le demandeur à l’IELTS aux éléments de référence du British Council. Le juge Bell déclarait, au paragraphe 9, que : « le British Council fait référence aux aptitudes des élèves. Il ne renvoie manifestement pas aux compétences linguistiques d’un adulte dans son champ d’activités professionnelles. » Le demandeur soutient qu’en l’espèce, comme dans l’affaire Singh 2021, l’agent aurait dû appliquer les niveaux de compétence linguistique canadiens [NCLC].

[18] Toutefois, le demandeur a lui-même fait référence aux facteurs de comparaison du British Council dans sa demande de permis de travail. Bien qu’il ait fourni dans sa demande la conversion de ses résultats de l’IELTS aux niveaux correspondants des NCLC, il a aussi clairement indiqué qu’il était considéré comme un [traduction] « “utilisateur limité” selon le British Council (organisme d’évaluation désigné par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC]). » Par conséquent, il ne s’agit pas là d’un motif pour lequel le demandeur peut critiquer l’agent. Ce dernier a tenu compte des résultats de l’IELTS selon le British Council, puisque c’était l’information soumise par le demandeur.

[19] En outre, dans l’affaire Singh 2021, l’agent n’avait pas pris en considération une lettre de l’employeur dans laquelle celui-ci confirmait de manière indépendante que le demandeur avait les compétences linguistiques requises afin d’exécuter le travail. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

[20] Toujours au sujet de la même question, le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en tenant seulement compte de son résultat en lecture et en omettant d’examiner ses résultats obtenus pour l’écrit et pour la communication orale. Le demandeur souligne que les seules exigences liées à la langue anglaise qui figurent dans l’EIMT concernent les compétences à l’écrit et à l’oral, et qu’il n’y a pas de critère pour la lecture.

[21] Il prétend que son résultat de 6 pour la communication orale à l’IELTS correspond au niveau 7 des NCLC, et que sa note de 5 pour l’écrit à l’IELTS équivaut au niveau 5 des NCLC. Le demandeur affirme que ces résultats incitent fortement à déduire qu’il a les compétences linguistiques nécessaires pour être un conducteur de grand routier. Il allègue par ailleurs qu’il répond à un niveau satisfaisant de compréhension de l’anglais, même en comptant sa note en lecture.

[22] En somme, par ces arguments, le demandeur invite la Cour à réapprécier la preuve examinée par l’agent. Or, tel n’est pas le rôle de la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125).

[23] Il est énoncé, au paragraphe 20 de la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 115, qu’il est loisible à un agent des visas de « conclure qu’un demandeur a besoin de compétences linguistiques différentes de celles prévues dans l’AMT et dans l’offre d’emploi, dans la mesure où ces compétences seront utiles pour la réalisation des tâches liées à l’emploi. »

[24] De plus, dans la décision Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 573 [Patel], le juge Brown avait maintenu la décision par laquelle il avait été conclu qu’une note de 4,5 à l’IELTS pour la lecture était insuffisante pour pouvoir pratiquer le métier de conducteur de grand routier (ou « camionneur longue distance »). Dans l’affaire Patel, le demandeur avait reçu une note moyenne de 5,5 à l’IELTS, soit la même note moyenne que le demandeur en l’espèce. Les résultats individuels à l’IELTS dans l’affaire Patel étaient de 4,5 pour la lecture, de 5,5 pour la compréhension de l’oral, de 6 pour l’écrit et de 5 pour la communication orale. En rejetant la demande et en maintenant l’appréciation faite par l’agente des résultats de l’évaluation linguistique, le juge Brown avait statué que :

[26] […] le demandeur ne mesure pas le pouvoir discrétionnaire ni la déférence considérables que se voient accorder les agents des visas dans des questions comme celle‑là, ainsi que nous l’avons mentionné. De plus, il voudrait que la Cour apprécie et évalue à nouveau la preuve, ce que la Cour suprême a souvent dit expressément exclure du contrôle judiciaire, notamment dans Vavilov. Il était loisible à l’agente de juger de la méthode de vérification normale à employer et d’interpréter la note reçue par rapport aux exigences de l’emploi et à d’autres éléments probants.

[27] De toute manière et à mon humble avis, il était raisonnable que la conclusion soit que le manque de maîtrise de l’anglais chez le demandeur influerait sur sa capacité à lire et à comprendre les manuels, le matériel de cours et la documentation que doit produire un camionneur longue distance, sans même parler des panneaux de circulation. Il revenait à l’agente de jauger l’importance de la lecture dans ce cas. À cet égard, j’affirme respectueusement qu’elle a raisonnablement évalué la compétence linguistique du demandeur à la lumière des exigences du travail de camionneur dans la Classification nationale des professions, plus particulièrement pour les tâches consistant à « obtenir des licences spéciales et d’autres documents exigés pour transporter de la cargaison sur les routes internationales » et à « communiquer avec des répartiteurs, d’autres camionneurs et des clients au moyen d’appareils de communication et d’ordinateurs de bord ».

[Non souligné dans l’original.]

[25] Étant donné que le demandeur avait désigné le British Council comme étant l’organisme d’évaluation de ses résultats à l’IELTS, je souscris au raisonnement suivi dans la décision Patel et déclare qu’en l’espèce, la décision de l’agent était raisonnable.

IV. Conclusion

[26] La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-3284-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

IMM-3284-22

INTITULÉ :

SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JANVIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge mcdonald

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 FÉVRIER 2023

COMPARUTIONS :

Deepak A. Chodha

POUR LE DEMANDEUR

 

Samson Rapley

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CGM Lawyers

Avocats

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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