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Date : 20230214


Dossier : IMM-6734-21

Référence : 2023 CF 215

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 14 février 2023

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

SIMRANPREET SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire, au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision par laquelle un agent des visas [l’agent] a refusé sa demande de permis de travail dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.

I. Contexte

[2] Le demandeur principal est un citoyen de l’Inde âgé de 29 ans. Il vit en Nouvelle-Zélande, où il a un statut d’immigration temporaire, depuis 2015.

[3] En août 2021, le demandeur a présenté une demande de permis de travail dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires afin de pouvoir travailler au Canada comme superviseur en logistique pour Irresistible Cakes [l’employeur]. L’employeur avait offert un emploi au demandeur en janvier 2021 et avait obtenu une étude d’impact sur le marché du travail (l’EIMT) positive en mars 2021.

[4] Le 17 septembre 2021, l’agent a refusé la demande de permis de travail du demandeur et tiré les conclusions suivantes : i) le demandeur n’avait pas montré qu’il serait en mesure d’effectuer son travail adéquatement, vu son manque d’expérience; ii) l’agent ne croyait pas que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé en raison de son statut d’immigration.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[5] Le demandeur soutient que la décision de l’agent de refuser sa demande de permis de travail [la décision] était déraisonnable et qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale lorsque l’agent a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité sans lui donner avis ni lui donner l’occasion de répondre.

[6] La norme de contrôle applicable à la première question en litige est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]), tandis que pour les questions d’équité procédurale, il faut se demander la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54-55; Do c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 927 au para 4.

III. Arguments et analyse

[7] Le demandeur soutient d’abord que l’agent n’a fourni aucune justification pour expliquer pourquoi il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. Le défendeur concède que les motifs de l’agent à cet égard sont insuffisants, mais affirme que cette erreur ne rend pas à elle seule la décision déraisonnable.

[8] Je ne suis pas d’accord. Dans le Système mondial de gestion des cas, l’agent mentionne que [traduction] « [l]e statut d’immigration du demandeur dans son pays de résidence est temporaire, ce qui atténue ses liens avec ce pays », mais n’explique pas en quoi le statut d’immigration du demandeur dans son pays de résidence étaye la conclusion selon laquelle il resterait au Canada après sa période de séjour autorisée.

[9] Comme il s’agissait de l’un des deux seuls éléments sur lesquels l’agent a fondé son refus, le manque de transparence et de justification à cet égard est une lacune centrale qui touche directement au cœur de la décision (Vavilov, au para 100). Cette lacune suffit à elle seule à rendre la décision déraisonnable et à justifier le renvoi de l’affaire pour un nouvel examen.

[10] Cependant, même si l’agent n’avait accordé aucune importance à cet élément, j’explique ci-dessous pourquoi j’estime que l’autre motif de refus, à savoir la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’avait pas suffisamment d’expérience pour être en mesure d’effectuer le travail requis par le poste de superviseur en logistique approuvé dans le cadre de l’EIMT, était également déraisonnable.

[11] Le demandeur a présenté de nombreux documents pour établir qu’il avait occupé des postes de superviseur pendant plus de trois ans, ainsi que des documents scolaires, des lettres sur son expérience de travail, des bordereaux de paie, une preuve de salaire, des dépôts et des déclarations de revenus. Tous ces documents provenaient de sources réputées en Nouvelle-Zélande, à savoir :

  • un diplôme national de deux ans du Royal Business College de la Nouvelle-Zélande;
  • les résultats au test du Système international de tests de la langue anglaise [l’IELTS], indiquant une note de B2 sur l’échelle du Cadre européen commun de référence pour les langues et une note globale de 6,5 selon l’IELTS, ce qui démontre une maîtrise de l’anglais;
  • des lettres de recommandation de ses deux anciens employeurs en Nouvelle-Zélande dans lesquelles il est question de ses responsabilités croissantes, dont la supervision logistique.

[12] Je remarque que bon nombre des exigences du poste de superviseur en logistique, qui est classifié sous le code 1215 de la Classification nationale des professions – « superviseurs/superviseures du personnel de coordination de la chaîne d’approvisionnement, du suivi et des horaires », concordaient entièrement avec les responsabilités qu’il avait déjà assumées en Nouvelle-Zélande.

[13] Pourtant, bien qu’il ait reconnu que le demandeur avait travaillé comme superviseur et gestionnaire adjoint, l’agent a conclu que ce dernier ne serait pas en mesure d’exercer ses fonctions adéquatement en raison de son manque d’expérience, malgré le fait que son expérience de travail et les tâches qu’il avait accomplies auparavant correspondaient aux exigences décrites dans l’EIMT et les documents à l’appui.

[14] Je souligne que les motifs n’étaient tout simplement pas adaptés à la preuve. L’agent a jugé que le demandeur manquait d’expérience à l’égard de quatre domaines en particulier : la supervision de l’expédition et de la distribution, la supervision de la logistique, l’amélioration de l’efficacité et la coordination du personnel. Cependant, ces quatre domaines étaient abordés dans ses lettres de recommandation, dont l’agent n’a pas mis en doute la véracité, la qualité et la fiabilité.

[15] Selon la lettre de recommandation de son plus récent employeur néo-zélandais, le demandeur avait la responsabilité de communiquer la rétroaction des clients ainsi que de rédiger et de transmettre des rapports à la direction, de répondre aux demandes des clients et de superviser le personnel et les processus. La lettre de recommandation de son employeur néo-zélandais antérieur décrit des responsabilités analogues que le demandeur assumait dans le cadre de son emploi au sein de cette entreprise.

[16] De toute évidence, l’agent a commis une erreur en faisant abstraction d’éléments de preuve concernant une question centrale dans la décision (voir, par exemple, Sbayti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1296 au para 65). Il s’agissait d’une seconde erreur susceptible de contrôle.

[17] Appelé à préciser pourquoi les lettres de recommandation ne parlaient pas de la pertinence de son expérience par rapport au poste envisagé au Canada ou de sa capacité à assumer ce rôle au Canada, le défendeur a invoqué le paragraphe 42 de la décision Sangha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 95 [Sangha] :

Le paragraphe 200(3) du Règlement ne prescrit pas un niveau de compétence ou de sécurité en particulier, mais, dans le cas d’un conducteur de grand routier, la sécurité doit assurément être une exigence primordiale pour établir la compétence. À cet égard, la jurisprudence est claire : c’est au demandeur d’un permis de travail que revient le fardeau de fournir des éléments de preuve suffisants pour démontrer sa compétence; un agent des visas possède un large pouvoir discrétionnaire pour trancher l’affaire; et il faut faire preuve d’un haut niveau de déférence à l’égard de sa décision.

[18] En toute déférence, les tâches de supervision et de logistique dans l’industrie de la confection de gâteaux sont différentes de celles liées au camionnage à longue distance et les faits de l’affaire Sangha se distinguent entièrement de ceux de la présente affaire. Dans l’affaire Sangha, le demandeur n’a pas présenté de preuve détaillée pour démontrer qu’il avait les compétences nécessaires pour être conducteur de grand routier, notamment en ce qui a trait à la formation ou aux études, aux compétences linguistiques et à l’expérience. C’est tout le contraire dans la présente affaire, où il y avait amplement d’éléments de preuve sur chacune de ces exigences clés.

[19] Comme la décision ne peut être maintenue sur le fondement de l’un ou l’autre des deux motifs de refus du permis de travail, elle est déraisonnable et sera renvoyée à un autre agent pour qu’il procède à un nouvel examen. Il n’est donc pas nécessaire que je tranche l’autre question soulevée par le demandeur dans ses observations écrites, à savoir celle du manquement à l’équité procédurale.

IV. Conclusion

[20] La décision de l’agent était déraisonnable. Par conséquent, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire du demandeur. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6734-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2. Aucune question à certifier n’a été soulevée, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.

3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6734-21

 

INTITULÉ :

SIMRANPREET SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 FÉVRIER 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 février 2023

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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