Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     IMM-4684-96

ENTRE

     JASWANT SINGH SALL,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

         Il s'agit d'une demande, fondée sur l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), de contrôle judiciaire de la décision en date du 28 octobre 1996 dans laquelle la section du statut de réfugié, de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a conclu que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe 2(1) de la Loi.

         Le requérant, citoyen du Pendjab, embrasse la religion sikh. Le père du requérant, Pargan Singh, est devenu membre du parti Akali Dal en 1984; en 1986 et en 1987, il a été arrêté, détenu et interrogé à plusieurs reprises, et il a été accusé d'avoir hébergé et aidé des militants.

         En août 1987, des agresseurs inconnus ont abattu le père du requérant et un ami. L'ami est mort sur-le-champ et le père est décédé plus tard à l'hôpital. Le frère du requérant, Baljinder Singh, s'est à plusieurs reprises mis en rapport avec la police pour voir si une enquête avait révélé quelque chose concernant l'identité des agresseurs responsables; toutefois, rien n'a jamais été découvert.

         Après le décès du père, la police a continué de visiter la maison du requérant pour se renseigner sur le soutien que d'autres membres de la famille auraient donné aux militants. En mars 1988, environ 30 agents de police sont arrivés à sa maison. Ils ont mis en pièce la porte principale, et ils ont demandé à connaître les endroits où se trouvait le frère aîné du revendicateur, Baljinder. Lorsqu'ils ont été informés qu'il n'était pas à la maison, ils ont arrêté le requérant et son oncle pour forcer Baljinder à se rendre. Le requérant et son oncle ont été interrogés, détenus la nuit et puis libérés le jour suivant lorsque le frère s'est présenté.

         Baljinder a été détenu dans diverses prisons pendant les 8 mois qui ont suivi. Au cours de cette détention, il a été interrogé et aurait été torturé. Libéré sur caution en 1988, il a pris des dispositions en novembre 1989 pour quitter l'Inde et gagner le Canada où il est maintenant un résident permanent.

         Au cours de l'année 1989 et au début de l'année 1990, le requérant a vécu dans un foyer au D.A.V. College à Jallandar où il ne pouvait être harcelé par la police puisque celle-ci ne pouvait entrer dans le campus sans la permission du directeur. Craintif, il a néanmoins décidé de quitter l'Inde.

         En mars 1990, le requérant ayant en sa possession un passeport authentique, s'est rendu en Allemagne où il est resté jusqu'en juin 1991. Il est alors entré au R.-U. où il est demeuré pendant les trois prochaines années avant de venir au Canada en mai 1994. Le 27 juin 1994, le requérant a présenté une revendication du statut de réfugié.

         L'audience en matière de réfugié a été tenue le 17 mai 1995, 17 janvier 1996, 26 janvier 1996 et 8 février 1996. Le requérant a prétendu avoir raison de craindre d'être persécuté en Inde du fait de ses opinions politiques. Le 26 octobre 1996, la Commission a conclu que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration. Elle a fondé cette conclusion sur le fait que le requérant n'avait pas raison de craindre d'être persécuté au Pendjab et qu'il avait une possibilité de refuge intérieur (PRI).

         Selon le requérant, la preuve digne de foi du harcèlement et du décès de son père, de la torture de son frère et de sa propre arrestation satisfait au seuil inférieur établi dans l'affaire Adjei1, la Commission a appliqué une norme supérieure lorsqu'elle a conclu qu'il n'avait pas raison de craindre d'être persécuté, la Commission a eu tort de conclure qu'il y avait eu un changement de circonstances tel qu'il n'avait pas raison de craindre d'être persécuté. En conclusion, le requérant soutient que la Commission a eu tort de conclure que puisque des [TRADUCTION] "millions de Sikhs vivent en dehors du Pendjab", il existait une PRI pour lui.

         L'intimé soutient que la Commission n'a pas soumis le cas du requérant à une norme supérieure à celle établie dans l'affaire Adjei. Bien que la Commission ait reconnu que le requérant avait été détenu et interrogé par la police, elle a expressément dit qu'un tel traitement constituait seulement du harcèlement. Il appartient au requérant de produire la preuve claire et convaincante de sa crainte; il ne s'est pas acquitté de l'obligation de prouver que sa crainte de persécution au Pendjab d'aujourd'hui reposait sur un fondement objectif.

         Il était loisible à la Commission de conclure qu'il y avait eu un important changement de circonstances au Pendjab depuis le départ du requérant en 1990. En dernier lieu, la Commission a clairement et à juste titre appliqué le critère juridique approprié pour déterminer si une PRI existait, et elle n'a commis aucune erreur de droit susceptible de contrôle.

         Dans l'affaire Adjei, le juge MacGuigan, J.C.A., a conclu qu'une crainte fondée de persécution signifiait qu'il existait davantage qu'un simple risque minimal de persécution. Je suis convaincu que la Commission a de façon appropriée appliqué ce critère à l'espèce. La Commission a qualifié de harcèlement la seule arrestation du requérant. La Commission n'était pas convaincue qu'il existait des [TRADUCTION] "motifs valables", des [TRADUCTION] "risques raisonnables" ou une [TRADUCTION] "sérieuse possibilité" de persécution dans l'éventualité du retour du requérant au Pendjab.

         Il est vrai que la Commission a conclu que le témoignage du requérant était digne de foi. Mais elle a également estimé que le requérant n'était pas digne de foi relativement aux inférences qu'il a tirées des épisodes concernant son père et son frère en raison de son très jeune âge au moment de la survenance de ces événements2.

         La Commission était convaincue que le requérant n'avait pas démontré l'existence d'une crainte objective de persécution, dans l'éventualité de son retour, du fait de ses opinions politiques. Elle a conclu que le requérant lui-même n'avait jamais été le point central particulier qui intéressait la police. Son unique arrestation et sa seule détention sont survenues en mars 1988 lorsqu'il a été interrogé et détenu la nuit aux seules fins d'amener le frère à se rendre. Il n'a jamais été détenu de nouveau. Il n'a pas été harcelé par la police au moment de son séjour au foyer des étudiants ni au moment de son départ de l'Inde, ayant son propre passeport.

         Après être parvenue à sa décision, la Commission a alors examiné la situation du pays au moment du départ du requérant en 1990 par rapport à la situation actuelle; il s'agissait là seulement d'une conclusion tirée à titre subsidiaire.

         À titre subsidiaire encore, la Commission a abordé la question de la possibilité de refuge intérieur. Dans les deux arrêts Thirunavukkarasu3 et Rasaratnam4, la Cour d'appel fédérale a jugé que pour conclure qu'un demandeur du statut de réfugié avait une PRI, la section du statut de réfugié devait être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'était pas sérieusement possible que le demandeur soit persécuté dans la partie du pays où, selon elle, une PRI existait, que la situation était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d'y chercher refuge. Il incombe au requérant d'établir qu'il existe une sérieuse possibilité de persécution dans la région dont on prétend qu'elle constitue une PRI.

         Essentiellement, la Commission a conclu que la police ne s'intéressait nullement au cas du requérant. Depuis juin 1989, le requérant résidait dans un foyer pour étudiants au D.A.V. College à Jalladar, dans la région du Pendjab; il y avait vécu sans risque avant de décider de quitter le pays.

         Par ces motifs, la demande est rejetée.

                                 (signé) "P. Rouleau"

                                         JUGE

Le 6 octobre 1997

Vancouver (Colombie-Britannique)

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Jaswant Singh Sall
                             et
                             Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
No DU GREFFE :                  IMM-4684-96
LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 1er octobre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE ROULEAU en date du 6 octobre 1997

ONT COMPARU :

Mishal Abrahams              pour le requérant

Wendy Petersmeyer              pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Kang & Company                  pour le requérant

North Delta (C.-B.)

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

                             pour l'intimé

__________________

     1      Joseph Adjei c. MEI, [1989] 7 Imm. L.R. (2d) 169 (CAF).

     2      Le requérant avait 14 ans au moment du décès de son père, et 15 ans au moment de l'incarcération de son frère à la suite de sa propre brève détention.

     3      Thirunavukkarasu c. Canada (min. de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.).

     4      Rasaratnam c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.