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Date : 20230308


Dossier : IMM-1656-22

Référence : 2023 CF 305

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 8 mars 2023

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

KOFI KODOM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Kofi Kodom est citoyen du Ghana. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] par laquelle celle-ci a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés [la SAR] portant que M. Kodom n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2] Il convient de mentionner en l’espèce que la SAR a admis en preuve le paragraphe 19 du nouvel affidavit souscrit par M. Kodom. Selon ce paragraphe, l’oncle de M. Kodom et des personnes qui lui sont associées cherchaient toujours à savoir où M. Kodom se trouvait.

[3] Essentiellement, la SAR a conclu que M. Kodom disposait d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Accra, au Ghana. Quant à l’analyse du premier des deux volets du critère relatif à la PRI, la SAR a conclu 1) que, selon la prépondérance des probabilités, l’oncle de M. Kodom n’avait pas la capacité d’employer des membres de la police ou des représentants du gouvernement pour chercher M. Kodom à l’extérieur de la ville dont il était le chef et lui faire subir un préjudice; et 2) que M. Kodom n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que son oncle et les associés de ce dernier le retrouveraient et lui feraient subir un préjudice. La SAR a souligné que M. Kodom n’avait pas contesté l’analyse effectuée par la SPR du deuxième volet du critère relatif à la PRI, et elle n’a relevé aucune erreur dans cette analyse.

[4] Plus précisément, la SAR a conclu que M. Kodom n’avait pas présenté de preuve suffisante pour étayer son allégation selon laquelle son oncle découvrirait où il se trouvait, par divers moyens et en raison des rumeurs circulant entre sa ville natale et Accra. La SAR a souligné notamment que M. Kodom avait déclaré que son oncle ignorait qu’il était au Canada depuis 2017, malgré ses contacts et l’influence qu’il exerçait, et malgré 1) les liens que M. Kodom entretenait avec sa sœur et la mère de son fils dans sa ville natale; ainsi que 2) les visites que son oncle rendait à ces dernières.

[5] Devant notre Cour, M. Kodom conteste la conclusion de la SAR concernant l’analyse du premier volet du critère relatif à la PRI. Il soutient que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle, car elle a jugé que l’endroit proposé comme PRI était sûr et raisonnable, même si elle a pris note que la sœur de M. Kodom et la mère du fils de ce dernier continuaient de recevoir les visites de l’agent de persécution. M. Kodom allègue que cette conclusion est manifestement erronée et déraisonnable. Il fait valoir que le fait que son oncle s’informe de ses allées et venues auprès de sa famille a pour conséquences qu’il devra forcément vivre dans la clandestinité s’il s’établit à Accra, qu’il devra s’abstenir de révéler ses coordonnées à sa famille et qu’il devra cesser ainsi de communiquer avec celle-ci. Pour étayer son argument, M. Kodom s’appuie sur la décision rendue par notre Cour dans l’affaire Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2020 CF 93 [Ali].

[6] Le ministre répond que la décision de la SAR est raisonnable et que les faits dans l’affaire Ali sont différents de ceux de l’espèce.

[7] Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la demande.

II. Décision

[8] Les parties conviennent que la Cour doit examiner les conclusions de la SAR concernant l’existence d’une PRI viable selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 350 [Singh] au para 17; Kaisar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 789 au para 11). Le rôle de la Cour est donc d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). La Cour doit se demander si la « décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov, au para 99).

[9] Il n’est pas contesté que le principe qui sous-tend l’analyse de la PRI veut que la protection internationale ne puisse être offerte à la personne qui demande l’asile que si son pays d’origine est incapable de lui offrir une protection adéquate dans son territoire, peu importe l’endroit. Il incombe au demandeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risque sérieusement d’être persécuté partout dans son pays d’origine (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1172 (QL) au para 2 (CAF); Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 2118 (QL) au para 13 (CAF); Emezieke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 922 au para 28; Mercado c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 792 au para 12).

[10] Le critère à appliquer pour déterminer s’il existe une PRI viable comporte deux volets. Premièrement, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté à l’endroit proposé comme PRI. Deuxièmement, la situation dans l’endroit proposé comme PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 1256 (QL) au para 13 (CAF)).

[11] M. Kodom n’a pas contesté devant la SAR l’analyse du deuxième volet du critère relatif à la PRI; par conséquent, la Cour n’est pas saisie de cette question. La seule question dont la Cour est saisie est celle de savoir si, après avoir reconnu que l’oncle de M. Kodom rendait visite à la famille de ce dernier, la SAR pouvait raisonnablement conclure que M. Kodom n’avait pas présenté de preuve suffisante pour étayer son allégation selon laquelle son oncle découvrirait où il se trouvait.

[12] Le demandeur ne m’a pas convaincue que la conclusion de la SAR était déraisonnable. Fait à noter, M. Kodom n’a pas fait valoir devant la SAR qu’une fois établi à Accra, il ne pourrait pas révéler à sa famille ses coordonnées, qu’il devrait vivre dans la clandestinité ou qu’il devrait cesser de communiquer avec sa famille, et il n’y a aucune preuve au dossier soutenant cet argument.

[13] Dans la décision Shakil Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 156, la Cour a déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] « S’appuyant sur des décisions comme Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 93, et AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 915, les demandeurs font également valoir que, s’ils retournaient en Inde, ils devraient s’abstenir de communiquer leurs coordonnées à leur famille et à leurs amis, ce qui revient à vivre dans la clandestinité. Les conclusions tirées dans ces décisions sont fondées sur des faits précis et ne peuvent pas être reprises de façon généralisée à l’égard de toutes les situations de PRI : Essel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1025 au para 15. De plus, une telle assertion doit être appréciée en fonction des faits constatés par la SAR et non en fonction des faits allégués par les demandeurs : Pastrana Acosta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 139 aux para 6-9 ».

[14] La situation de M. Kodom et la preuve qu’il a présentée se distinguent par des faits nettement différents de ceux dans l’affaire Ali, sur laquelle il s’est fondé. En l’espèce, il n’y a aucune preuve indiquant que la famille de M. Kodom serait menacée dans le but qu’elle révèle ses coordonnées et, fait à noter, il n’y a pas non plus de preuve indiquant qu’une fois établi à Accra, M. Kodom ne pourrait pas révéler à sa famille ses coordonnées ou encore qu’il devrait cesser de communiquer avec celle-ci.

[15] Vu le dossier et la preuve dont disposait la SAR en l’espèce, la décision qu’elle a rendue possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité. Je rejetterai donc la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1656-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1656-22

INTITULÉ :

KOFI KODOM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 FÉVRIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :

LE 8 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Me Mark Gruszczynski

POUR LE DEMANDEUR

Me Simone Truong

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mark Gruszczynski

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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