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Date : 20230320


Dossier : IMM-84-22

Référence : 2023 CF 379

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2023

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

DAJANA BABIC

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Dajana Babic, est citoyenne et résidente de la Bosnie‑Herzégovine. Elle est mariée à un résident permanent canadien. Elle a présenté une demande de visa de résident temporaire d’une durée de deux ans. L’agent des visas a rejeté sa demande au motif qu’il n’était pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisé. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Le contexte factuel

[3] La demanderesse, Mme Babic, est âgée de 23 ans. Elle est citoyenne et résidente de la Bosnie-Herzégovine. Elle est mariée à M. Nenad Resanovic depuis le 18 janvier 2021. À la date de la demande, le mari de Mme Babic était résident permanent au Canada.

[4] Le 1er septembre 2021, Mme Babic a présenté une demande de visa de résident temporaire [VRT]. Dans sa demande, elle a indiqué qu’elle séjournerait au Canada entre le 19 septembre 2021 et le 19 septembre 2023. Elle a également indiqué que, à la date où elle a présenté sa demande, elle travaillait en tant que [traduction] « déléguée commerciale » pour le compte d’« Oriental Trade » en Bosnie-Herzégovine.

[5] La demande mentionnait également que Mme Babic avait déjà présenté une demande de VRT en décembre 2020 et que celle-ci avait été rejetée.

[6] Le 10 novembre 2021, un agent de l’ambassade du Canada [l’agent] a rendu une décision par laquelle il a rejeté la demande de VRT [la décision]. Dans cette décision, il a conclu que Mme Babic ne satisfaisait pas aux exigences énoncées dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]. L’agent a rejeté la demande de Mme Babic au motif qu’il n’était pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour compte tenu de ses liens familiaux et de sa situation d’emploi. La décision énonçait notamment ce qui suit :

[traduction]
Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada au terme de votre séjour à titre de résidente temporaire, comme l’exige l’alinéa 179b) du RIPR, compte tenu de vos liens familiaux au Canada et dans votre pays de résidence.

Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada au terme de votre séjour à titre de résidente temporaire, comme l’exige l’alinéa 179b) du RIPR, compte tenu de votre situation d’emploi actuelle.

[7] L’agent a décrit son raisonnement de la façon suivante dans les notes qu’il a consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] le 26 novembre 2021 :

[traduction]
J’ai examiné la demande. Je ne suis pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour à titre de résidente temporaire. Je fais remarquer ce qui suit : La demanderesse est mariée à l’hôte depuis janvier 2020. Ils ont une importante différence d’âge. Il s’agit du deuxième mariage de l’hôte, qui a un enfant issu d’une relation antérieure. Il n’est pas question de parrainage dans le système. Aucune explication n’est présentée à ce sujet. La demanderesse est mobile, n’est pas bien établie et n’a pas de personne à charge. Elle a un emploi récent avec un faible salaire mensuel : 613. (Le salaire mensuel moyen en Bosnie-Herzégovine est d’environ 1550 (www.tradingeconomics.com.)) Compte tenu de la situation professionnelle de la demanderesse, je ne suis pas convaincu qu’elle est suffisamment établie pour garantir qu’elle quittera le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. La pondération des facteurs dans la présente demande. Je ne suis pas convaincu que la demanderesse va quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les motifs qui précèdent, je rejette la présente demande.

III. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[8] La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[9] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de déférence envers le décideur, et qu’elle interprète les motifs de façon globale et contextuelle (au para 97). La Cour doit tenir compte du résultat de la décision et du raisonnement sous-jacent afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, aux para 15, 95, 136). Le contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (au para 102). Le décideur n’est pas tenu de répondre à tous les arguments ni de mentionner chacun des éléments de preuve – en fait, il est présumé avoir examiné tous les éléments de preuve et les arguments au dossier (aux para 127-128).

[10] Il incombe à Mme Babic, la demanderesse, d’établir le caractère déraisonnable de la décision de l’agent (Vavilov, au para 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de révision que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que les lacunes ou les insuffisances reprochées ne sont pas « simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov, au para 100).

[11] La Cour a conclu ce qui suit au paragraphe 10 de la décision Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 :

Les étrangers ont droit à un degré minimal d’équité procédurale. L’agent des visas n’est pas tenu d’informer le demandeur des doutes que suscite sa demande ou des lacunes qu’elle comporte, ni de lui offrir un entretien. Par ailleurs, comme l’a déclaré le juge d’appel Rothstein (ex officio) dans la décision Qin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815, il n’incombe pas non plus à l’agent des visas de prendre des mesures additionnelles pour traiter des préoccupations non réglées. L’étranger n’a aucun droit ou intérêt en jeu. C’est pour ces raisons qu’il est souvent difficile d’infirmer, au stade du contrôle judiciaire, la décision d’un agent des visas.

IV. Analyse

A. L’agent a appliqué le bon critère en ce qui concerne les demandes de visa de résident temporaire

[12] La demanderesse se fonde sur la décision Murai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 186 [Murai], pour faire valoir que l’agent a appliqué le mauvais critère. À son avis, la question légitime que l’agent aurait dû examiner est celle de savoir si elle resterait illégalement au Canada. La demanderesse se fonde sur les passages suivants tirés de la décision Murai :

[11] Comment déterminer cette intention? Le guide relatif aux aides familiaux résidants expose de façon très succincte cette question (à la page 51 du dossier des sources de la demanderesse) :

Dans la mesure du possible, compte tenu de la difficulté d’établir ce qu’une personne a l’intention de faire à l’avenir, l’agent doit s’assurer qu’un candidat au Programme des aides familiaux résidants a l’intention de quitter le Canada dans le cas où sa demande de résidence permanente serait refusée. La question ne consiste pas tant à savoir si le requérant demandera la résidence permanente, mais s’il demeurera illégalement au Canada.

[12] Existe‑t‑il de meilleures preuves que les antécédents de la demanderesse en matière d’immigration, lorsqu’il y en a, pour connaître ses intentions? En l’espèce, ces preuves existent. Il a été établi qu’au cours de son dernier séjour, la demanderesse a quitté le pays comme elle était légalement tenue de le faire, après avoir certes épuisé tous les recours juridiques possibles. Elle n’est pas entrée dans la clandestinité et n’a pas essayé de demeurer au Canada en ayant recours à des moyens illégaux. Elle a obéi à l’avis de renvoi, elle s’est volontairement rendue à l’aéroport et a quitté le Canada. Cela ressort très clairement de la confirmation du départ qui figure dans le dossier SSOBL du défendeur.

[13] Je pourrais également signaler que, lorsque la demande CH présentée par la demanderesse a été refusée, on a inscrit ce qui suit dans le dossier SSOBL : [traduction] « La capacité de s’établir au Canada n’empêche pas la demanderesse de présenter une demande à l’étranger selon la façon habituelle. »

[14] Je constate que l’agent a pris une décision déraisonnable. Le dossier indique que la demanderesse est une citoyenne respectueuse des lois qui, après avoir épuisé ses recours, est retournée dans son pays d’origine et a par la suite présenté une demande dans le cadre du Programme concernant les aides familiaux résidants. Le programme est conçu pour que les personnes qui possèdent ses compétences puissent venir au Canada.

[15] Le fait qu’elle ait antérieurement respecté le Règlement sur l’immigration conforte son affirmation selon laquelle :

a) elle est respectueuse des lois;

b) elle continuera à les respecter à l’avenir.

[16] L’agent en question a mal formulé la question qu’il devait trancher. Au lieu de se demander « va‑t‑elle quitter le Canada une fois autorisée à y entrer? », comme il l’a fait (voir l’affidavit de Gregory Chubak, paragraphe 4), il aurait dû suivre le guide relatif aux aides familiaux résidants et se demander « cette personne demeurera‑t‑elle illégalement au Canada si elle n’est pas acceptée dans ce programme? » En se fondant sur les antécédents de la demanderesse, une personne raisonnable aurait répondu : « Non, elle ne restera pas au Canada illégalement. »

[17] Par conséquent, la présente demande sera accueillie.

[13] Mme Babic s’est fondée sur ce passage pour faire valoir que l’agent a commis une erreur en ne lui demandant pas si elle resterait au Canada illégalement, comme l’exige prétendument la décision Murai. L’agent s’est plutôt demandé s’il était convaincu que Mme Babic quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée.

[14] À cet égard, la demanderesse a soutenu que le défaut de l’agent d’appliquer le bon critère est pertinent dans la mesure où il n’a pas tenu compte de sa double intention potentielle de devenir résidente permanente, tel qu’il est énoncé au paragraphe 22(2) de la LIPR. Plus précisément, Mme Babic fait valoir qu’il lui était loisible d’éventuellement présenter une demande de résidence permanente par l’intermédiaire du programme de parrainage conjugal au cours de sa période de résidence temporaire. En d’autres termes, si elle décidait de se prévaloir de cette option pendant sa période de séjour autorisée, elle ne [traduction] « resterait pas au Canada illégalement » au-delà de cette période, dans les faits. Dans cette optique, Mme Babic laisse entendre que la mauvaise application du critère par l’agent a eu une incidence considérable sur l’issue de la décision.

[15] Le défendeur fait valoir que l’agent n’a pas commis d’erreur. Il soutient que les faits dans l’affaire Murai sont distincts et que la décision rendue dans cette affaire n’est d’aucune utilité à Mme Babic. En outre, la décision Murai établit le principe selon lequel l’existence d’antécédents en matière d’immigration permettant de croire que le demandeur se conformera bel et bien à la LIPR et quittera le Canada à la fin de son séjour constitue une preuve pertinente en ce qui concerne ses demandes ultérieures pour entrer au pays. Selon le défendeur, comme la demanderesse en l’espèce n’a pas de tels « antécédents », la décision Murai ne s’applique pas et l’agent a appliqué le bon critère. Le défendeur soutient également que l’issue de l’affaire aurait été la même si l’agent avait posé la question proposée par Mme Babic.

[16] À mon avis, et comme le soutient le défendeur, la décision Murai n’est d’aucune utilité à la demanderesse. Les faits dans l’affaire Murai concernaient une demanderesse qui était précédemment entrée au Canada à titre de visiteuse et qui avait par la suite demandé l’asile sans succès, pour ensuite demander un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi ainsi qu’un examen des risques avant renvoi avant de présenter une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Après avoir épuisé tous les recours juridiques qui s’offraient à elle, elle avait quitté le Canada volontairement pour se rendre en Hongrie. Elle avait ensuite présenté une demande de permis de travail à titre d’aide familiale, laquelle avait également été rejetée. De toute évidence, la demanderesse dans l’affaire Murai avait de nombreux antécédents en matière d’immigration au Canada, lesquels démontraient qu’elle s’était conformée à la LIPR.

[17] Dans la décision Murai, la Cour a annulé la décision au principal au motif que l’agent avait mal interprété les antécédents de la demanderesse en matière d’immigration. En particulier, ces antécédents, qui montraient qu’elle s’était entièrement conformée à la LIPR, n’appuyaient pas la conclusion défavorable de l’agent. Pour ce motif, le défendeur soutient, et je suis d’accord, que la décision Murai [traduction] « appuie l’argument selon lequel les antécédents du demandeur en matière d’immigration sont les meilleurs indicateurs de la probabilité que le demandeur prolonge ou non son séjour autorisé au Canada de façon indue ». À l’appui de cet argument, le défendeur cite la décision antérieure rendue par la Cour dans l’affaire Calaunan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1494 [Calaunan] (au para 28), qui confirme que la décision Murai « n’est d’aucune utilité » lorsque le demandeur n’a pas d’antécédents en matière d’immigration au Canada.

[18] À titre de comparaison, la demanderesse n’est jamais venue au Canada, et sa seule autre interaction avec les autorités d’immigration concerne la demande de VRT qu’elle a présentée en 2020 et qui a été rejetée. Dans l’ensemble, j’estime que les différences factuelles entre l’affaire Murai et la présente affaire sont considérables.

[19] En effet, rien n’indique que Mme Babic a déjà visité le Canada ou qu’elle y ait déjà étudié ou travaillé. À l’audience, Mme Babic a soutenu qu’au contraire, son séjour antérieur de cinq mois en Suisse ainsi que son départ subséquent démontrent qu’elle s’est conformée aux lois applicables. À mon avis, ces observations ne sont pas suffisantes à elles seules pour que la demanderesse obtienne gain de cause. Premièrement, comme l’a souligné le défendeur à l’audience, le dossier ne précise pas les circonstances dans lesquelles Mme Babic a quitté la Suisse. En termes simples, l’imprécision du dossier fait en sorte qu’il est impossible de déterminer si la demanderesse a bel et bien quitté la Suisse de façon volontaire.

[20] En outre, même si la Cour a laissé entendre que le fait que le demandeur ait des antécédents auprès d’une agence d’immigration non canadienne peut être considéré comme une preuve [traduction] « passée » de conformité avec la législation, ce fait ne prouve pas automatiquement que le demandeur se conformera aux lois canadiennes en matière d’immigration. De plus, la preuve dans ces affaires dont la Cour a été saisie faisait état de longues périodes de séjour ainsi que d’antécédents de conformité avec la législation locale en matière d’immigration. Par ailleurs, un très court séjour à l’étranger peut constituer un facteur neutre quant à la possibilité que le demandeur quitte le Canada à la fin de sa période de séjour autorisé (Momi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 162 aux para 20 et 21; Safdar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 189 au para 26).

[21] Enfin, la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de convaincre l’agent en présentant ses meilleurs arguments, c’est-à-dire en établissant clairement devant l’agent, et non devant la Cour, en quoi les circonstances entourant son départ de la Suisse prouvent qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé. Il est bien établi que le contrôle judiciaire n’est pas l’occasion pour le demandeur d’obtenir une [traduction] « deuxième chance » de faire valoir ses arguments. D’ailleurs, en demandant à la Cour d’établir la valeur probante de son séjour en Suisse, la demanderesse inviter indûment la Cour à apprécier à nouveau la preuve dont l’agent était saisi.

[22] À mon avis, le défendeur fait valoir à juste titre que, contrairement à ce qu’affirme Mme Babic, l’agent a appliqué le bon critère, c’est-à-dire la question de savoir si l’étranger quittera le Canada à la fin de son séjour autorisé. À l’audience, le défendeur a fait valoir que la LIPR (aux termes du paragraphe 22(2)) et le RIPR (aux termes de l’article 179) prévoient expressément que le critère applicable consiste à déterminer si le demandeur quitterait le pays à la fin de son séjour. À l’appui de son argument, le défendeur cite notamment les décisions Watts c Canada (MCI), 2020 CF 158 [Watts], Singh c Canada (MCI), 2020 CF 840 [Singh] et Puida c Canada (MCI), 2014 CF 781 [Puida]. Dans la décision Watts, le juge Brown a affirmé que la décision Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793 (au para 16) « fait autorité » « [e]n ce qui concerne les VRT ». Dans cette affaire, la juge Strickland a conclu que le critère applicable consistait à déterminer si « l’étranger quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée », conformément à l’article 179 du RIPR. De même, dans la décision Singh, une affaire portant sur une demande de permis de travail, la Cour a examiné la décision Murai et a maintenu que le critère applicable est celui qui est énoncé dans la législation. Enfin, dans la décision Puida, la Cour a rejeté l’argument du demandeur selon lequel l’agent « ne s’est pas posé la bonne question ». Elle a plutôt conclu que, dans les faits, l’agent avait dûment examiné la question de savoir si le demandeur quitterait le Canada.

B. La double intention

[23] Je ne souscris pas à l’affirmation de Mme Babic selon laquelle l’agent n’a pas tenu compte de son intention possible de demander la résidence permanente par l’intermédiaire d’une demande de parrainage conjugal présentée depuis le Canada.

[24] Les notes consignées dans le SMGC montrent que l’agent avait conscience de l’existence d’une double intention potentielle. Dans ses notes, l’agent a expressément indiqué : [traduction] « Pas de mention de parrainage dans le système. Pas d’explication à ce sujet […] ». De toute évidence, l’agent était conscient de la possibilité que Mme Babic, qui est mariée, souhaite rester au Canada. Il s’est enquis de cette possibilité et a demandé à la demanderesse pourquoi elle n’avait pas présenté une demande de parrainage. Or, Mme Babic n’a pas présenté une explication raisonnable dans sa demande. Elle aurait pu mentionner qu’elle pourrait se prémunir de recours et de procédures aux termes de la LIPR si elle décidait de rester au pays et de présenter une demande de résidence permanente, confirmant ainsi sa double intention potentielle, mais elle ne l’a pas fait. De toute évidence, l’agent ne disposait d’aucun élément pour orienter son évaluation. Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincu que l’évaluation de l’agent était déraisonnable.

[25] La disposition de la LIPR qui régit la double intention est le paragraphe 22(2), qui énonce ce qui suit :

(2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[26] La jurisprudence relative à cette disposition est défavorable à l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent a fait abstraction du motif relatif à la double intention, qui constitue selon elle le motif le plus important en l’espèce. La demanderesse dans l’affaire Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 [Solopova] a présenté des observations presque identiques à celles de Mme Babic. Le juge Gascon a conclu que la question de savoir si la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé était une condition préalable de la double intention (au para 29). Autrement dit, lorsque le demandeur ne parvient pas à convaincre l’agent qu’il quittera le Canada à la fin de son séjour autorisé, il n’est pas pertinent pour l’agent d’examiner le facteur de la double intention (au para 30). Ce précédent contredit l’argument de Mme Babic selon lequel l’agent avait l’obligation positive, en vertu de la législation, non seulement de prendre en compte sa double intention potentielle de façon proactive, mais également de présumer de son existence. Étant donné que la demanderesse n’a présenté aucune jurisprudence à l’appui de sa position, je ne suis pas convaincu que le traitement réservé par l’agent à la question de la double intention constitue une erreur susceptible de contrôle.

[27] De plus, il est bien établi, dans le contexte d’une demande de visa, que le demandeur est présumé être un immigrant, et il incombe à celui-ci de convaincre l’agent que ce n’est pas le cas (Obeng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 754 au para 20).

[28] Enfin, la jurisprudence de la demanderesse, que celle-ci a présentée pour la première fois dans son recueil de jurisprudence et de doctrine déposé quatre jours seulement avant l’audience, est désuète ou ne s’applique pas à la présente affaire. Par exemple, elle cite la décision Rebmann c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 310, pour faire valoir que le fait d’entrer au Canada avec une double intention ne constitue pas un manquement à la LIPR. Cette question n’est pas soulevée en l’espèce : l’agent n’a pas rejeté la demande en se fondant sur une double intention présumée. Il l’a plutôt rejetée parce qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé, une conclusion qui est dûment fondée sur 1) l’établissement de la demanderesse en Bosnie-Herzégovine, y compris sa situation professionnelle; 2) ses liens familiaux au Canada et en Bosnie-Herzégovine.

[29] De même, la demanderesse cite le paragraphe 2 de la décision Bteich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 1230, pour faire valoir que la double intention est légitime et qu’il est déraisonnable d’inférer qu’elle resterait au Canada illégalement simplement en raison de ses liens familiaux. Encore une fois, cette jurisprudence n’est d’aucune utilité à la demanderesse puisqu’elle ne portait pas sur les VRT, mais plutôt sur les permis d’études, qui sont régis par une autre disposition du RIPR (l’article 216), et dans le cadre desquels diverses considérations sont soupesées différemment, comme les moyens financiers pour s’acquitter des droits de scolarité. Par exemple, l’existence de liens familiaux au Canada peut constituer un facteur favorable dans le contexte d’une demande de permis d’études, ce qui n’est pas nécessairement le cas pour une demande de VRT. Par comparaison, les facteurs relatifs aux liens familiaux que l’agent a examinés dans le cas de Mme Babic (un mari au Canada et l’absence inexpliquée de demande de parrainage) sont de nature différente et ne peuvent donc pas être comparés immédiatement.

[30] Quoi qu’il en soit, l’agent a rejeté la demande, non pas en raison d’une double intention présumée, mais parce qu’elle renfermait des incohérences factuelles qui n’avaient tout simplement pas été expliquées par Mme Babic. Bien que je constate l’existence d’une certaine incohérence dans la jurisprudence sur cette question, l’agent n’a aucune obligation d’inviter, de façon proactive, la demanderesse à répondre à ses préoccupations par l’intermédiaire d’une lettre d’équité procédurale ou d’une autre manière (Watts, aux para 35-36; Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 669 au para 17; Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132 au para 10). De plus, comme le défendeur l’a dûment souligné, les conséquences du rejet de la demande sont minimes; Mme Babic peut simplement présenter une nouvelle demande comprenant des documents à jour. Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincu que la décision était déraisonnable en raison de la double intention potentielle de Mme Babic.

V. Conclusion

[31] Mme Babic n’a pas présenté d’observations de fond en ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision hormis son argument selon lequel celle-ci est incompatible avec la décision Murai. Par exemple, elle n’a pas fait valoir que les considérations de l’agent relatives à son faible degré d’établissement en Bosnie-Herzégovine et à ses liens familiaux étaient déraisonnables.

[32] La norme de contrôle de la décision raisonnable repose sur le principe de la retenue judiciaire. L’arrêt Vavilov prévoit qu’une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle doit être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. Dans le cas d’une demande de visa, les motifs présentés à l’appui de la décision ne sont pas assujettis au degré de formalisme ou aux techniques juridiques qui sont attendus de la part d’un juge ou d’un membre d’un tribunal judiciaire. Par conséquent, les agents des visas ne sont pas assujettis à la même norme de raisonnement et de justification que celle qui s’applique aux membres d’un tribunal judiciaire.

[33] En l’espèce, les motifs présentés étaient, de façon générale, suffisamment intelligibles pour permettre à Mme Babic de comprendre la décision. Par exemple, l’agent a fait remarquer que l’emploi de Mme Babic était [traduction] « récent » et qu’elle gagnait moins de la moitié du salaire moyen en Bosnie-Herzégovine, ce qui illustre clairement le manque de confiance de l’agent à l’égard du degré d’établissement de Mme Babic. Fait peut-être plus important encore, la demanderesse n’a pas présenté d’argument précis en vue de contester la décision. À l’audience, elle n’a pas été en mesure d’expliquer l’incohérence entre le fait qu’elle demandait une résidence temporaire de deux ans au Canada (plutôt que de trois mois, par exemple) malgré le fait que son emploi était [traduction] « récent », et comment cette incohérence pourrait avoir contribué à la conclusion de l’agent selon laquelle son établissement était insuffisant. Or, il ne fait aucun doute qu’il lui incombe d’établir le caractère déraisonnable de la décision.

[34] Dans ces circonstances, Mme Babic ne m’a pas convaincu que la décision est déraisonnable.

[35] La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[36] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-84-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-84-22

 

INTITULÉ :

DAJANA BABIC c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 FÉVRIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS :

LE 20 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Clare Yacyshyn

POUR LA DEMANDERESSE

Nicole Rahaman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Immigration Advocacy, Counsel and Litigation

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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