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Date : 20230308


Dossier : IMM-2471-22

Référence : 2023 CF 316

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2023

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

SAFWAN MOHMEDSHAKIR JOGIYAT (mineur)

Représenté par son tuteur (proposé) à l’instance

MOHMEDZUBER ABD JOGIYAT

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 20 janvier 2022 par laquelle un agent du ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté dont l’identité n’a pas été révélée (l’agent) a refusé la demande de permis d’études présentée par le demandeur depuis l’étranger.

[2] À l’audience, la Cour a informé les parties que la demande serait accueillie. Les motifs de cette décision et le jugement formel sont exposés ci-après.

II. Contexte

A. Demande de permis

[3] Le demandeur est un citoyen indien âgé de seize ans. Il a présenté une demande de permis d’études afin de poursuivre des études secondaires (10e année) dans la région de Waterloo en Ontario, à compter du 1er février 2022. Le demandeur a également présenté une demande de visa pour entrées multiples au Canada avec son permis d’études.

[4] Dans sa demande, le demandeur a donné plusieurs raisons pour expliquer pourquoi il souhaitait poursuivre des études secondaires en Ontario. Ces raisons ont été exposées dans une déclaration commune du demandeur et de sa mère, ainsi que dans une déclaration solennelle du cousin du demandeur (le tuteur proposé du demandeur pour son séjour au Canada), qui ont toutes été jointes à la demande initiale de permis d’études. Le père du demandeur est décédé récemment.

[5] Le cousin du demandeur est un citoyen canadien et un résident de longue date de la région de Waterloo. En plus de proposer d’agir à titre de tuteur du demandeur pendant le séjour de celui-ci au Canada, il a également payé ses droits de scolarité et a proposé de lui offrir le gîte et le couvert. Dans le cadre de la demande de permis d’études, le cousin a fourni des documents démontrant que le financement des études du demandeur ne constituerait pas une difficulté pour lui. Ces documents attestent de revenus importants, d’économies, d’investissements et de la propriété de biens immobiliers à Cambridge en Ontario (dans la région de Waterloo), dont la résidence du cousin, ainsi que du paiement des droits de scolarité.

[6] Outre les documents sur la situation financière du cousin, la demande initiale contenait des documents sur la situation financière de l’oncle du demandeur, qui vit en Inde et qui avait également proposé d’aider le demandeur. La mère du demandeur a fourni des informations sur ses propres ressources financières, notamment sa maison et son entreprise.

[7] D’autres documents ont été présentés dans le cadre de la demande initiale, notamment : des copies notariées du certificat de décès du père du demandeur, la preuve de la citoyenneté canadienne du cousin du demandeur, la preuve de la responsabilité du cousin en tant que gardien du demandeur pendant son séjour au Canada (notamment, une lettre de consentement de la garde et un affidavit de la mère du demandeur dans lequel elle affirme consentir à cet arrangement), la lettre d’acceptation du demandeur à l’école secondaire de Waterloo et la preuve subséquente du paiement des droits de scolarité, la preuve de la réussite scolaire du demandeur en Inde et la preuve des compétences en anglais de ce dernier.

B. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] L’agent a jugé que la demande ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2021, c 27 [la LIPR] et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [le RIPR].

[9] Les motifs de refus standards sont exposés dans la lettre de décision. En outre, les notes de commentaires laissés par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC) donnent un aperçu de son raisonnement :

[traduction]

J’ai examiné tous les documents fournis dans le cadre de cette demande. Voici un résumé de mes principales constatations : – Aucun formulaire de déclaration de garde n’a été fourni – Aucun résultat d’évaluation des compétences linguistiques n’a été fourni; je ne suis pas en mesure de déterminer les compétences du demandeur en anglais. Voir le dossier – Preuve insuffisante concernant la situation financière; je doute que le demandeur ait suffisamment de fonds pour couvrir la totalité des frais scolaires et des frais de subsistance pendant son séjour au Canada. – Le demandeur est un mineur souhaitant se rendre au Canada afin de poursuivre des études secondaires. Aucune raison n’a été fournie pour justifier le fait que le demandeur serait retiré de son école actuelle et de son milieu familial. Je ne suis donc pas convaincu que le demandeur sera, au Canada, un véritable étudiant qui quittera le pays à la fin de son séjour autorisé.

III. Questions en litige

[10] Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur fait valoir que la décision de l’agent soulève deux questions, à savoir si celle-ci est raisonnable et s’il y a un manquement à l’équité procédurale.

[11] À l’audience, j’ai informé les avocats que, selon moi, il n’existait aucun fondement à l’allégation de manquement à l’équité procédurale. Il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle on pourrait raisonnablement soutenir qu’une conclusion voilée a été tirée quant à la crédibilité. La Cour n'a donc pas porté une attention particulière à cette question.

IV. Analyse

[12] Les parties conviennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle qui s’applique aux conclusions mixtes de fait et de droit dans le cadre d’une décision liée à une demande de permis d’études est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[13] Selon moi, la décision en l’espèce n’est pas raisonnable.

[14] L’agent a tiré les conclusions suivantes :

  • Le demandeur ne possède pas les fonds suffisants pour payer ses droits de scolarité;

  • Le demandeur ne possède pas les fonds suffisants pour subvenir à ses besoins sans travailler;

  • L’agent n’a pas été en mesure de déterminer les compétences linguistiques du demandeur;

  • Aucun formulaire de déclaration de garde n’a été fourni;

  • Aucune raison n’a été fournie pour justifier le retrait de l’enfant de son école actuelle et de son milieu familial.

[15] Toutes ces considérations pourraient être clarifiées par l’examen des documents présentés avec la demande.

[16] L’erreur la plus flagrante concernait la question de savoir si le demandeur disposait de fonds suffisants pour payer ses droits de scolarité et subvenir à ses besoins sans travailler. Les ressources financières des membres de la famille qui subviendraient aux besoins du demandeur pendant son séjour au Canada étaient abondamment documentées, en particulier celles du cousin qui a payé les droits de scolarité et qui fournirait le gîte et le couvert pendant toute la durée du séjour. Le défendeur a admis cette erreur, mais a fait valoir qu’elle n’avait pas pour effet d’invalider les autres motifs de rejet de la demande.

[17] Bien que le demandeur n’ait fourni aucun résultat de tests linguistiques, il a présenté des éléments de preuve démontrant qu’il fréquente une école de langue anglaise en Inde. De plus, l’école canadienne n’exigeait pas de résultats d’évaluations linguistiques. Selon la politique de l’école, les élèves sont évalués après leur arrivée afin de déterminer quelle école et quel programme correspondent à leur profil. Il était déraisonnable pour l’agent de substituer son propre jugement à celui de la commission scolaire en ce qui concerne le niveau de maîtrise de l’anglais requis : Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 517 au para 26.

[18] Il peut être exact de dire, comme l’avocat du défendeur l’a soutenu pendant sa plaidoirie, qu’il existe un formulaire précis pour établir la garde du mineur. Si tel est le cas, la Cour n’a trouvé aucune mention de ce formulaire dans le dossier. Quoi qu’il en soit, de nombreux éléments de preuve démontrent que la mère du demandeur a accordé la garde de son fils au cousin de celui-ci et que le cousin a accepté d’assumer cette responsabilité.

[19] Enfin, le demandeur et sa famille ont fourni plusieurs raisons pour expliquer pourquoi, selon eux, il serait bon que le demandeur quitte l’Inde pour se rendre au Canada afin de terminer ses études secondaires. La raison principale était qu’il serait ainsi mieux préparé à des études postsecondaires en Inde ou au Canada. Bien qu’il s’agisse d’un choix que l’agent n’aurait peut-être pas fait pour un adolescent, on ne peut pas affirmer qu’aucune raison n’a été fournie pour justifier les études du demandeur au Canada.

V. Conclusion

[20] Une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Vavilov, au para 126. La décision doit être raisonnable à la lumière de la preuve dont disposait le décideur. Une décision est jugée déraisonnable lorsque le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte : Vavilov, au para 126. Le décideur doit être attentif et sensible à la question qui lui est soumise : Vavilov, au para 128. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

[21] Lorsqu’un agent néglige d’examiner ou de prendre en compte des éléments de preuve pertinents, sa décision sera jugée déraisonnable : Jafari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 183.

[22] Aucune des parties n’a proposé de questions aux fins de certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2471-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2471-22

 

INTITULÉ :

SAFWAN MOHMEDSHAKIR JOGIYAT (UN MINEUR), REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR (PROPOSÉ) À L’INSTANCE, MOHMEDZUBER ABD JOGIYAT c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 février 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 mars 2023

 

COMPARUTIONS :

COREY JOHN LELLIOTT

 

POUR LE DEMANDEUR

 

DANIEL ENGEL

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

COREY JOHN LELLIOTT

AVOCAT

CAMBRIDGE (ONTARIO)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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