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Date : 20230329


Dossier : IMM-5850-22

Référence : 2023 CF 434

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 29 mars 2023

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

XUEDONG LIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Xuedong Lin, un citoyen de la Chine, a présenté une demande d’asile au motif qu’il craint d’être persécuté par les autorités chinoises en raison de sa foi chrétienne et de son appartenance à une église clandestine.

[2] Le demandeur allègue qu’il a commencé à fréquenter une église chrétienne clandestine en mai 2018 et qu’en décembre 2018, de nombreuses églises ont fait l’objet de descentes et ont été fermées par les autorités chinoises. Par mesure de précaution, son église a suspendu le service religieux pendant trois mois et l’a repris en avril 2019 dans la ferme d’un autre paroissien.

[3] Le 5 octobre 2019, le Bureau de la sécurité publique [le BSP] aurait fouillé la ferme, puis aurait interrogé le demandeur et le propriétaire de la ferme au sujet de services religieux illégaux qui s’y seraient tenus. Le demandeur a été détenu au poste de police local, a été interrogé une fois de plus et a été battu. Il affirme qu’après avoir été détenu pendant la nuit, il a été libéré sur paiement d’une amende de 5 000 RMB au BSP, s’est fait interdire de se livrer à des activités religieuses illégales et a été averti qu’il pouvait être de nouveau convoqué.

[4] Par crainte, le demandeur a retenu les services d’un passeur et a fui la Chine pour se rendre au Canada le 26 février 2020 muni d’un faux passeport. Le demandeur a présenté une demande d’asile et a participé à une entrevue à un point d’entrée peu après son arrivée, ainsi qu’à une autre entrevue le 2 novembre 2020 au sujet de sa demande d’asile [entrevue liée à la demande d’asile].

[5] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté sa demande d’asile en février 2022 pour des motifs de crédibilité. Dans une décision datée du 1er juin 2022, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté l’appel interjeté par le demandeur de la décision de la SPR et a confirmé qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la décision].

[6] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision. J’accueillerai la demande, car je juge que la décision est déraisonnable.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[7] Le demandeur soutient que la SAR a commis une série d’erreurs susceptibles de contrôle en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité concernant les éléments suivants :

  1. Les entrevues du demandeur au point d’entrée;

  2. Les documents corroborant la détention du demandeur par le BSP, à savoir la décision relative à la sanction administrative et le reçu du BSP;

  3. Les connaissances religieuses du demandeur.

[8] Les parties conviennent que la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[9] Une décision raisonnable doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, au para 85. Il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision : Vavilov, au para 100. Avant d’infirmer une décision pour ce motif, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

[10] À l’audience, l’avocat du demandeur a soutenu que la question déterminante était celle des conclusions déraisonnables de la SAR concernant les documents corroborants et a concentré ses arguments sur cette seule question. Le défendeur a répondu qu’il est impossible d’isoler les doutes généraux quant à la crédibilité entourant l’arrestation et la détention du demandeur, qui découlent en partie des entrevues au point d’entrée. Il a fait valoir qu’indépendamment des erreurs commises par la SAR concernant les documents corroborants, le cas échéant, les conclusions de celle-ci demeurent valables pour tous les motifs invoqués.

[11] Après avoir examiné la décision, je juge que les conclusions de la SAR en matière de crédibilité sont liées à son appréciation de l’authenticité des documents corroborants. Par conséquent, je juge qu’il est nécessaire d’examiner les deux aspects des conclusions de la SAR. Étant donné que j’ai conclu que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a tranché ces deux questions, je n’ai pas à me pencher sur son appréciation des connaissances religieuses du demandeur.

A. Les conclusions d’incohérences de la SAR étaient déraisonnables

[12] Le demandeur soutient que la SAR a tiré des conclusions erronées quant à l’existence d’incohérences concernant (1) les réponses du demandeur lors des entrevues au point d’entrée et (2) le témoignage du demandeur à l’audience de la SPR au sujet de son arrestation par le BSP.

(1) Les entrevues au point d’entrée

[13] La SAR a convenu avec la SPR que le demandeur n’avait pas établi de façon crédible le motif de son départ de la Chine ou son désir de venir au Canada. Plus précisément, tant la SPR que la SAR ont jugé que la divergence entre les réponses du demandeur à ses entrevues au point d’entrée (c.-à-d. le manque d’occasions d’emploi en Chine) et sa déclaration devant la SPR selon laquelle sa seule raison pour quitter la Chine était de fuir la persécution religieuse était problématique.

[14] Le demandeur a fait valoir en appel que la SPR avait tiré des conclusions de façon microscopique et qu’elle avait posé trop peu de questions sur ses motivations à l’audience pour clarifier les doutes soulevés lors des entrevues au point d’entrée. En rejetant cet argument, la SAR a mis l’accent sur le fait que l’entrevue liée à la demande d’asile a eu lieu neuf mois après l’arrivée du demandeur au Canada. La SAR est d’avis que ce retard lui a donné le temps de réfléchir à la façon et au moment de présenter une demande d’asile, ainsi que de pouvoir jouir de la liberté de religion après avoir commencé à fréquenter une église canadienne en mars 2020. La SAR a jugé que la conclusion défavorable de la SPR en matière de crédibilité était fondée, car le manque de possibilités d’emploi est tout à fait différent de la crainte d’être victime de persécution religieuse.

[15] Le demandeur fait valoir que la conclusion de la SAR relative aux incohérences dans les entrevues au point d’entrée est déraisonnable. Il réitère que peu de questions lui ont été posées lors des entrevues au point d’entrée et qu’il n’a pas été invité à donner des précisions.

[16] Après avoir examiné le dossier, je conclus que la SAR a commis une erreur dans son appréciation des entrevues au point d’entrée.

[17] Je souligne, comme le soutient le défendeur, qu’au cours de l’entrevue liée à la demande d’asile le 2 novembre 2020, le demandeur a été invité à expliquer pourquoi il ne pouvait pas retourner en Chine et ce qui arriverait s’il le faisait. Le demandeur a répondu [traduction] « [qu’i]l va[lait] mieux rester au Canada » et qu’il serait [traduction] « difficile de gagner sa vie » en Chine.

[18] Cependant, je souligne également que, dès le début de l’entrevue liée à la demande d’asile, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a demandé au demandeur pourquoi il était venu au Canada, ce à quoi celui-ci a répondu : [traduction] « en raison de mon engagement envers le christianisme et de la crainte d’être arrêté par la police. » L’agent a ensuite posé une série de questions au demandeur concernant sa demande d’asile, y compris au sujet de son arrestation et de sa détention, ainsi que de sa connaissance du christianisme. Le demandeur a répondu à toutes ces questions.

[19] L’échange suivant entre l’agent de l’ASFC et le demandeur a ensuite eu lieu, comme il est consigné dans la transcription de l’entrevue liée à la demande d’asile :

[traduction]
Q : Parlez-moi de votre vie en Chine.

R : Des activités agricoles.

Q : Où avez-vous vécu en Chine?

R : J’ai vécu dans la province du Fujian.

Q : Quel était votre travail en Chine?

R : J’étais agriculteur, puis j’ai travaillé dans une usine d’acier inoxydable.

Q : Combien de temps avez-vous travaillé en usine?

R : De 2000 à 2018.

Q : Quel était votre revenu annuel?

R : Environ 30 000 RMB.

Q : Comment avez-vous réussi à obtenir 200 000 RMB pour organiser votre voyage au Canada?

R : Je l’ai emprunté.

Q : Combien de dettes avez-vous maintenant?

R : Je dois l’argent que j’ai payé pour partir, le 200 000 RMB.

Q : À qui le devez-vous?

R : À des familles et à des amis.

Q : Pourquoi ne pouvez-vous pas retourner dans votre pays de citoyenneté?

R : Il vaut mieux rester au Canada.

Q : Que se passerait-il si vous retourniez en Chine?

R : Il est difficile de gagner sa vie en Chine.

[20] Ainsi, selon la transcription de l’entrevue liée à la demande d’asile, la déclaration du demandeur selon laquelle [traduction] « [i]l va[lait] mieux rester au Canada » et il était « difficile de gagner sa vie en Chine » a été faite juste après que l’agent l’a questionné au sujet de son emploi en Chine et de sa situation financière. C’est dans ce contexte que le demandeur a mentionné les meilleures perspectives d’emploi au Canada qu’en Chine. Je tiens également à souligner que même alors, le demandeur n’a pas invoqué cette raison comme motif pour venir au Canada. Elle a plutôt été invoquée pour justifier de [traduction] « rester au Canada ».

[21] Je souligne également qu’au cours de l’examen préliminaire lié à la demande d’asile [l’examen préliminaire] du 29 février 2020, qui a eu lieu seulement quelques heures après l’arrivée du demandeur de Shanghai, le demandeur a déclaré d’emblée qu’il présentait une demande d’asile parce qu’il avait été battu par des policiers pour avoir [traduction] « participé à un service religieux ».

[22] Dans la décision, la SAR n’a pas mentionné le contexte dans lequel les déclarations contestées ont été faites par le demandeur ni l’examen préliminaire au cours duquel le demandeur a déclaré son intention de présenter une demande d’asile.

[23] Comme le soutient le demandeur, la Cour a mis en garde contre le fait d’accorder trop d’importance aux déclarations faites au point d’entrée parce que les « circonstances dans lesquelles ces déclarations sont recueillies » sont souvent « loin d’être idéales » : Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1102 au para 16; voir aussi Cetinkaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 8 aux para 50, 51; Hamdar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 382 aux para 46-48; Jamil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 792 aux para 24, 25.

[24] De même, la Cour a mis en garde contre le fait de s’appuyer sur des différences entre les déclarations au point d’entrée et les témoignages devant la SPR, car les entrevues au point d’entrée sont souvent menées avec l’aide d’interprètes et les demandeurs d’asile ont pour instruction d’être brefs : Sawyer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 935 aux para 5-7.

[25] En l’espèce, le demandeur a bel et bien déclaré son intention de présenter une demande d’asile à son arrivée au Canada. Bien que le demandeur ait peut-être également fait savoir quelques mois plus tard qu’il souhaitait rester au Canada en raison des difficultés à gagner sa vie en Chine, je juge que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le demandeur « n’a pas pu expliquer » le fait que sa crainte d’être persécuté en raison de sa religion était « la principale raison pour laquelle il ne pouvait pas retourner en Chine ». Cette conclusion, qui démontre que la SAR a effectué une analyse microscopique et qu’elle s’est indûment appuyée sur certaines parties du dossier pour justifier sa conclusion, manque de transparence et de justification, et elle rend la décision déraisonnable.

(2) La détention par le BSP

[26] La SPR a conclu que le témoignage du demandeur était incohérent quant à son arrestation alléguée par le BSP et que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’avait pas été arrêté par le BSP en raison de sa participation à des services religieux.

[27] La SAR a adopté en partie les conclusions de la SPR :

La SPR a conclu que le témoignage du [demandeur] était incohérent en ce qui a trait aux circonstances de son arrestation par le BSP. Ce dernier n’a pas pu établir s’il avait été détenu par le BSP pendant qu’il priait ou pendant qu’il faisait le ménage. Il s’agit de deux actions différentes.

[28] Après avoir examiné l’extrait pertinent de l’audience devant la SPR, je conviens avec le demandeur que la SAR a procédé à une analyse inacceptablement microscopique de son témoignage à l’audience devant la SPR. Pris dans son ensemble, le témoignage du demandeur laisse savoir qu’il nettoyait l’église en prévision des prières lorsque le BSP est arrivé.

[29] L’extrait pertinent de l’audience de la SPR est reproduit ci-dessous :

[traduction]
COMMISSAIRE : Je vois. Que faisiez-vous exactement lorsque vous avez été arrêté?

DEMANDEUR D’ASILE : Parce que ce jour-là, j’étais à l’église, nous priions, puis le BSP est entré et a dit qu’il s’agissait d’activités religieuses illégales, mais nous avons continué à le nier, alors ils m’ont emmené au poste du BSP.

COMMISSAIRE : Où priiez-vous?

DEMANDEUR D’ASILE : C’était dans mon village près du flanc de la colline. C’était dans une ferme.

COMMISSAIRE : Donc, vous étiez en train de prier lorsque le BSP vous a interrompu?

DEMANDEUR D’ASILE : Nous étions prêts à prier, puis le BSP s’est arrêté et des agents sont venus.

COMMISSAIRE : D’accord. Est-ce que vous priiez ou vous prépariez-vous à prier?

DEMANDEUR D’ASILE : Je me préparais à prier.

COMMISSAIRE : D’accord. Comment vous prépariez-vous à prier? Que faisiez-vous?

DEMANDEUR D’ASILE : Généralement, nous devons faire un peu de ménage avant la prière parce qu’il n’y avait pas de pasteur, seulement un organisateur. Nous avons une (1) Bible, nous nettoyions donc avant de prier.

COMMISSAIRE : D’accord. Donc, vous avez dit plus tôt que vous priiez, maintenant vous dites que vous nettoyiez.

DEMANDEUR D’ASILE : Je viens de dire ma réponse…

COMMISSAIRE : Pardon?

DEMANDEUR D’ASILE : Je dis simplement que ma réponse était que je me préparais pour ma prière, et à ce moment-là, le BSP est venu.

COMMISSAIRE : Bien, tout à l’heure, lorsque j’ai demandé ce que faisiez-vous exactement lorsque vous avez été arrêté, vous avez dit que vous priiez.

DEMANDEUR D’ASILE : Désolé, c’était au début lorsque je me préparais à prier, c’était quand je faisais le ménage.

COMMISSAIRE : Comment le nettoyage aide-t-il à se préparer à la prière?

DEMANDEUR D’ASILE : Comme personne ne l’utilisait pendant longtemps, cette ferme a été abandonnée, c’est pourquoi nous devons d’abord faire un peu de ménage pour nous préparer à prier.

[30] Bien qu’il ait pu initialement y avoir une certaine confusion lors du témoignage du demandeur concernant ce qu’il faisait exactement à l’arrivée du BSP, le demandeur a immédiatement dissipé cette confusion en expliquant qu’il nettoyait la ferme abandonnée dans le cadre de la préparation de la prière.

[31] Je rejette l’observation du défendeur selon laquelle il était loisible à la SAR de conclure que la SPR avait correctement apprécié les récits contradictoires du demandeur au sujet des faits entourant son arrestation par le BSP. Ce ne sont pas toutes les incohérences ou invraisemblances dans la preuve d’un demandeur d’asile qui justifieront raisonnablement une conclusion défavorable quant à la crédibilité : Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 CF 772 (1re inst) au para 20.

[32] En l’espèce, je ne suis pas convaincue qu’il y avait en fait une incohérence dans le témoignage du demandeur, et encore moins une incohérence qui pourrait justifier que la SPR ou la SAR tirent une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[33] Compte tenu des erreurs mentionnées plus haut, que j’estime déterminantes quant aux conclusions d’incohérence de la SAR, je n’ai pas besoin d’examiner les autres arguments soulevés par le demandeur concernant les incohérences relevées par la SAR.

B. Les conclusions de la SAR concernant les documents corroborants étaient déraisonnables

[34] Le demandeur fait valoir que la SAR a commis des erreurs susceptibles de contrôle dans son appréciation de deux documents corroborants déterminants présentés à l’appui de son allégation selon laquelle il avait été arrêté par le BSP : la décision relative à la sanction administrative et le reçu du BSP.

[35] La décision relative à la sanction administrative mentionne que le demandeur a été amené au bureau local du BSP pour enquête et qu’il s’est vu imposer une amende de 5 000 RMB. Il s’est également fait avertir de ne pas participer à des activités illégales d’un « groupe culte » à l’avenir et de se conformer aux enquêtes futures.

[36] Lorsqu’elle a examiné la preuve relative aux faits entourant l’arrestation du demandeur par le BSP, la SAR a brièvement souligné que la décision relative à la sanction administrative ne contenait aucune caractéristique de sécurité et qu’elle était facile à contrefaire.

[37] Cependant, comme le fait remarquer le demandeur, la décision relative à la sanction administrative comporte des caractéristiques de sécurité, notamment un cachet officiel du BSP, qui constitue un élément de sécurité connu et fiable : Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 877 aux para 18, 19.

[38] De plus, je ne suis pas d’accord avec le défendeur pour dire que, malgré cette erreur, la décision demeure raisonnable. La SAR s’est appuyée en partie sur sa conclusion selon laquelle le demandeur avait fourni un document non authentique du BSP pour conclure que le demandeur n’avait pas été arrêté par le BSP pour avoir participé à des services religieux. L’erreur de la SAR concernant la décision relative à la sanction administrative a donc entaché ses conclusions générales sur le récit du demandeur au sujet de son arrestation et de sa détention.

[39] La SAR a commis une erreur similaire en ce qui concerne le reçu du BSP présenté par le demandeur comme élément de preuve corroborant son allégation selon laquelle il a payé 5 000 RMB pour être libéré de sa détention. La SAR a souligné que, tout comme la décision relative à la sanction administrative, le reçu du BSP ne contient aucune caractéristique de sécurité et qu’il est facile à contrefaire. Encore une fois, je conclus que la SAR a commis une erreur. Le reçu du BSP contient en fait un cachet officiel du BSP.

[40] Je juge également déraisonnable la conclusion de la SAR selon laquelle le reçu du BSP contenait une incohérence importante. Plus précisément, la SAR a soulevé des réserves quant au fait que le reçu du BSP était daté du 5 octobre 2019, alors que le demandeur avait témoigné qu’il avait été détenu le 5 octobre, mais qu’il avait été libéré le 6 octobre 2019 après avoir payé le cautionnement ce jour-là.

[41] La SAR a justifié sa conclusion en déclarant : « Aucune explication n’a été fournie quant à la raison pour laquelle le reçu de paiement avait été daté et estampillé avant la réception du paiement le lendemain. » Je fais toutefois remarquer que, lorsqu’on lui a demandé pourquoi le reçu du BSP était daté du 5 octobre à l’audience de la SPR, le demandeur a répondu : [traduction] « Il pourrait s’agir d’une erreur. Ce devrait être le 6 que j’ai été libéré. » La SPR n’a posé aucune question de suivi.

[42] Autrement dit, le demandeur a effectivement fourni une explication. Il appartenait à la SAR de rejeter l’explication, mais elle ne l’a pas fait. Elle a plutôt conclu qu’aucune explication n’avait été fournie.

[43] Le défendeur fait valoir dans l’ensemble que la SAR a raisonnablement écarté les documents du BSP parce qu’il existait un fondement probatoire suffisant pour le faire, une approche que la Cour a confirmée dans diverses affaires : Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 126 aux para 18, 19; Gasparyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 863 au para 7; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 636 au para 18; Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 743 aux para 12-15; Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 765 au para 77.

[44] Je juge que les décisions invoquées par le défendeur se distinguent au regard des faits, puisqu’il y avait d’autres sérieux doutes quant à la crédibilité concernant les allégations en question, doutes qui, selon la Cour, étaient justifiés au vu de la preuve.

[45] Je conclus également que la SAR n’a pas expliqué pourquoi la différence d’un jour constitue une incohérence importante au point de mettre en doute la crédibilité du demandeur, étant donné que les documents étrangers sont présumés authentiques : Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1133 au para 10.

[46] Étant donné que je juge que l’appréciation par la SAR de la crédibilité du demandeur est viciée, je rejette également l’observation du défendeur selon laquelle la SAR s’est fondée à juste titre sur le manque général de crédibilité du demandeur pour influencer son appréciation des documents corroborant l’allégation du demandeur selon laquelle il avait été arrêté par le BSP : Bueso Trochez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1016 au para 35.

IV. Conclusion

[47] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[48] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5850-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao‑Yao Go »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5850-22

 

INTITULÉ :

XUEDONG LIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 mars 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 mars 2023

 

COMPARUTIONS :

Elnaz Dast Parvardeh

 

Pour le demandeur

 

Alexandre Lipska

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elyse Korman

Korman & Korman LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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