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Date : 20230428


Dossier : IMM-6396-22

Référence : 2023 CF 626

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 28 avril 2023

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

SALVA ROUDEHCHIANAHMADI

ET MILAD DAMIRCHI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 18 juin 2022 par laquelle un agent des visas [l’agent] a rejeté, au titre du paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2022‑227, la demande de permis d’études présentée par la demanderesse et a rejeté, par la même occasion, la demande de permis de travail ouvert présentée par l’époux de la demanderesse.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

II. Contexte

A. Contexte factuel

[3] La demanderesse est une citoyenne iranienne. Elle a présenté une demande de permis pour étudier au Canada. Son époux devait l’accompagner. Le couple n’a pas d’enfant en Iran, mais y a de la famille. La demanderesse détient déjà une maîtrise en génie architectural ainsi qu’un baccalauréat ès sciences en technologies de l’information d’universités iraniennes. Elle travaille comme ingénieure en architecture depuis 2019.

[4] Dans sa demande de permis d’études, la demanderesse a affirmé qu’elle souhaitait enrichir sa formation en effectuant une maîtrise en sciences de la gestion de l’énergie au New York Institute of Technology [le NYIT], sur le campus de Vancouver, en Colombie‑Britannique. Les droits de scolarité pour une année universitaire au NYIT s’élèvent approximativement à 21 207,85 $ US, et la demanderesse a déjà payé un acompte de 7 781,85 $ US. Selon sa demande, son employeur lui a offert une promotion au poste de [traduction] « architecte principale », à condition qu’elle obtienne une maîtrise dans le domaine de la gestion de l’énergie dans un pays développé. Son employeur lui a également offert une bourse d’environ 3 250 $ CA si elle continuait à travailler pour lui une fois son diplôme obtenu.

A. Décision faisant l’objet du contrôle

[5] Dans sa décision du 18 juin 2022, l’agent a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse aux motifs que :

  • ses actifs et sa situation financière ne lui permettaient pas d’assumer les frais relatifs au but déclaré de son séjour et de subvenir à ses besoins et à ceux de tout membre de sa famille l’accompagnant;
  • le but de son séjour au Canada n’était pas conciliable avec un séjour temporaire compte tenu des renseignements fournis dans la demande.

[6] Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas, qui font partie des motifs de la décision et qui accompagnaient celle‑ci, indiquent ce qui suit :

[traduction]

J’ai examiné la demande. En ce qui a trait à la preuve relative aux ressources financières, les actifs tels qu’un véhicule, des biens locatifs ou des revenus potentiels, n’ont pas été inclus dans le calcul des ressources à la disposition de la demanderesse. En raison de la situation économique instable en Iran et des variations du taux de change, j’accorde moins de valeur aux ressources financières qu’elle a déclarées comme étant sa disposition. Compte tenu du projet d’études de la demanderesse, les documents que celle‑ci a fournis ne démontrent pas qu’elle disposerait de ressources financières suffisantes pour réaliser le projet. Je ne suis pas convaincu que le coût des études envisagées constitue une dépense raisonnable. La demanderesse principale a présenté une demande pour effectuer une maîtrise en sciences de la gestion de l’énergie. Elle a déjà obtenu une maîtrise en architecture et travaille actuellement en tant qu’architecte. Ses études passées sont du même niveau que celles envisagées au Canada. Je prends acte de l’offre qu’elle a reçue d’être promue au poste d’architecte principale une fois le programme terminé avec succès. Compte tenu de la formation de la demanderesse et de son expérience de travail passée, je ne suis pas convaincu qu’elle n’a pas déjà acquis les compétences qu’offre le programme envisagé ou qu’elle ne tire pas déjà profit de ses avantages. Étant donné les études antérieures de la demanderesse et son emploi actuel, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’une progression raisonnable de son cheminement scolaire. Après avoir soupesé les facteurs à prendre en considération dans le cadre de la présente demande, je ne suis pas convaincu que la demanderesse quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les motifs qui précèdent, je rejette la demande de permis d’études.

[7] La demande de permis de travail présentée par l’époux de la demanderesse a aussi été rejetée dans une décision connexe, au motif que le but de la visite n’était pas conciliable avec un séjour temporaire compte tenu des renseignements fournis dans la demande.

III. Question en litige et norme de contrôle applicable

[8] La demanderesse a affirmé dans ses observations écrites que la décision soulevait des questions liées au caractère raisonnable et à l’équité procédurale, mais n’a présenté aucune observation particulière relativement à l’équité procédurale.

[9] D’après mon examen de la preuve et des observations des parties, la seule question en litige est celle de savoir si la décision est raisonnable. La norme de contrôle qui est présumée s’appliquer lorsqu’une cour se penche sur le fond d’une décision administrative est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[10] Pour déterminer si la décision est raisonnable, la cour de révision doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » : Vavilov, aux para 86 et 99.

[11] Cette affaire porte essentiellement sur les deux principales conclusions de l’agent, à savoir que 1) la demanderesse n’a pas démontré qu’elle dispose de ressources financières suffisantes pour réaliser le but déclaré de son séjour au Canada et que 2) le projet d’études de la demanderesse est déraisonnable et inconciliable avec un séjour temporaire au Canada.

IV. Analyse

A. Le caractère suffisant des ressources financières à la disposition de la demanderesse pour réaliser le but déclaré de son séjour

[12] La demanderesse soutient que l’agent a fait fi d’éléments de preuve pertinents figurant au dossier, notamment des documents concernant ses actifs, et a fondé sa décision sur [traduction] « des conjectures et des généralisations sans fondement ». Elle fait valoir que l’agent n’a pas justifié la conclusion selon laquelle elle n’avait pas suffisamment démontré sa capacité à subvenir à ses besoins et à ceux de son époux. La preuve montrait qu’elle avait suffisamment de ressources financières à sa disposition pour subvenir aux besoins du couple durant la première année d’études, et rien de plus n’est exigé selon les instructions et les lignes directrices opérationnelles du ministre sur les permis d’études : Cervjakova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1052 au para 14; Chantale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 544 au para 11; Barril c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 400 [Barril] au para 15; Naeem v Canada (The Minister of Citizenship and Immigration), 2022 CF 391 au para 22; Motlagh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1098 au para 25; Lingepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 552 au para 20; Jalilvand c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1587 au para 16.

[13] Le défendeur fait valoir que l’agent est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve et n’est pas tenu de faire référence à chaque élément qui la compose, et que l’obligation de motiver une décision relative à une demande de visa de résident temporaire est « minime » : Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 au para 28; Zamor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 479 aux para 20‑22.

[14] Le défendeur admet que, selon les lignes directrices, les demandeurs de permis d’études doivent démontrer qu’ils disposent de ressources financières suffisantes pour la première année d’études seulement, peu importe la durée du programme d’études auquel ils sont inscrits. Il soutient cependant que les agents ne sont pas liés par les lignes directrices et qu’il est raisonnable pour un agent de rejeter une demande de permis d’études au motif que le demandeur n’a pas démontré qu’il disposait de ressources financières suffisantes pour couvrir les coûts requis pendant toute la durée du programme : Ibekwe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 728 au para 29; Ocran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 175 [Ocran] au para 44; Onyeka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1067 au para 12; Kavugho‑Mission c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 597 au para 17.

[15] En l’espèce, le défendeur fait valoir que, d’après les renseignements fournis par la demanderesse, les ressources financières à sa disposition ne suffiraient pas à payer les droits de scolarité et les frais de subsistance pour les deux années du programme d’études.

[16] Les lignes directrices opérationnelles du ministre destinées aux agents des visas qui examinent les demandes de permis d’études indiquent ce qui suit :

Les étudiants ne doivent démontrer leur autonomie financière que pour la première année de leurs études, quelle que soit la durée du cours ou du programme auquel ils sont inscrits. Par exemple, un étudiant qui s’inscrit à un programme de 4 ans dont les droits de scolarité annuels sont de 15 000 $ CA doit démontrer qu’il possède 15 000 $ CA pour répondre aux critères d’autonomie financière, et non le montant total de 60 000 $ CA pour les 4 années. Cependant, l’agent doit être convaincu que des ressources financières existeront également pour les années suivantes (par exemple, les parents occupent un emploi, la bourse d’études est octroyée pour plus d’une année).

[Non souligné dans l’original.]

[17] Il est donc loisible à un agent de conclure qu’un demandeur n’a pas établi qu’il disposera de ressources financières pour les années à venir, par exemple si celui‑ci a épuisé ses actifs et ne parvient pas à démontrer qu’il aura accès à d’autres sources de financement pour les années restantes du programme. À cet égard, à la lecture des motifs de la décision de l’agent, rien n’indique que ce dernier s’est penché de manière significative sur les éléments de preuve qui montraient que la demanderesse pourrait ultérieurement avoir accès à des sources de revenus. De plus, en mettant l’accent sur la [traduction] « situation économique instable » en Iran, l’agent n’a pas tenu compte des facteurs propres à la demanderesse qui auraient pu lui permettre de financer ses études. Cette démarche est, à mon avis, déraisonnable.

B. Le caractère raisonnable du projet d’études

[18] La demanderesse fait valoir que le raisonnement qui sous‑tend la conclusion de l’agent selon laquelle son projet d’études ne serait pas utile à son plan de carrière ne ressort pas clairement des motifs. Elle soutient que le fait que le programme envisagé est du même niveau que sa formation précédente n’aurait pas dû être considéré comme un facteur important. L’agent devait tenir compte des différences entre les deux programmes : Barril, au para 26.

[19] Le défendeur soutient qu’il incombe à un demandeur de convaincre l’agent du bien‑fondé du projet d’études et qu’un agent peut refuser un permis d’études en l’absence de plan précisant l’utilité du programme en fonction du parcours et des objectifs professionnels du demandeur : Charara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1176 aux para 36 et 38; Ocran, au para 24.

[20] Dans sa déclaration d’intention, la demanderesse a expliqué de manière très détaillée pourquoi elle souhaitait obtenir une maîtrise en sciences de la gestion de l’énergie et pourquoi, selon elle, ce programme lui permettrait de faire progresser sa carrière et serait utile à son employeur. Elle a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Puisque l’entreprise vise à mettre au point des concepts architecturaux écoénergétiques et à offrir des services en matière de bâtiments écoresponsables, elle a besoin d’experts pour mener à bien ses projets. L’entreprise souhaite que les ingénieurs intègrent des outils et des techniques d’économie d’énergie dans leurs concepts architecturaux afin de répondre aux besoins du marché. Elle croit que l’ajout de cette composante aux services offerts permettra d’augmenter considérablement le rendement financier des projets. C’est pourquoi des connaissances universitaires en gestion de l’énergie sont une exigence du poste. Le fait qu’un tel poste est à pourvoir au sein d’une entreprise réputée et que ce poste m’apportera davantage de reconnaissance professionnelle en plus d’une augmentation salariale me motive à participer à cet effort concerté et à étudier à l’université.

[…]

Pour exercer mes fonctions dans ce nouveau poste, il est essentiel que je possède des compétences organisationnelles ainsi que des compétences en gestion des ressources humaines, et que je sois en mesure de prendre des décisions. J’ai donc cherché le programme approprié qui me permettrait d’acquérir à la fois des connaissances en gestion et des compétences en gestion de l’énergie, car je manque de connaissances spécialisées dans ces deux domaines.

[Non souligné dans l’original.]

[21] L’agent devait tenir compte des différences entre la maîtrise précédente obtenue par la demanderesse et le programme qu’elle envisageait : Barril, au para 26. Ainsi, la croyance de l’agent selon laquelle la demanderesse avait possiblement déjà acquis les compétences du programme ou que celui‑ci ne lui serait pas utile relève de la conjecture et n’est pas étayée par le dossier.

[22] Dans sa décision, l’agent n’a rien dit au sujet des facteurs favorables à la demanderesse, à savoir qu’elle est une véritable étudiante et qu’elle a des liens en Iran. Par exemple, en plus des facteurs mis en évidence dans ses observations, la demanderesse a affirmé, dans sa déclaration d’intention, qu’en tant qu’enfant unique, prendre soin de ses parents qu’elle adore la motivait grandement à retourner dans son pays d’origine, et qu’elle n’avait aucun proche au Canada. De plus, la demanderesse a mentionné qu’elle aimait son emploi d’architecte en Iran, qui est respecté et bien payé, et que son salaire augmenterait à son retour après l’achèvement du programme envisagé.

V. Conclusion

[23] Je suis convaincu que les conclusions de l’agent concernant les ressources financières à la disposition de la demanderesse et le but du projet d’études de cette dernière ne sont pas raisonnables compte tenu des motifs exposés dans sa décision. L’agent n’a pas adéquatement apprécié les éléments de preuve présentés par la demanderesse et la décision n’est pas justifiée au regard des motifs.

[24] Par conséquent, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire et je reverrai l’affaire à un autre agent afin qu’il procède à un nouvel examen. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-6396-22

LA COUR STATUE : La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent afin qu’il procède à un nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6396-22

INTITULÉ :

SALVA ROUDEHCHIANAHMADI ET MILAD DAMIRCHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 AVRIL 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 28 AVRIL 2023

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

POUR LES DEMANDEURS

Ratib Islam

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

North Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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