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Date : 20230503


Dossier : IMM-2878-22

Référence : 2023 CF 644

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

JASBIR KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Jasbir Kaur, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 28 janvier 2022 par laquelle un agent d’immigration (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) l’a déclarée interdite de territoire pour fausses déclarations au titre du paragraphe 40(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), et a rejeté sa demande de visa de résident temporaire (VRT).

[2] L’agent a conclu que la demanderesse avait omis de déclarer qu’elle s’était vu refuser l’entrée aux États‑Unis et au Canada à plusieurs reprises et a jugé que ces renseignements étaient essentiels pour évaluer correctement la sincérité de la demanderesse en lien avec sa demande de VRT.

[3] La demanderesse fait valoir que les omissions dans sa demande de VRT relèvent de l’exception relative aux malentendus ou aux erreurs raisonnables commises de bonne foi et que, par conséquent, la conclusion de l’agent selon laquelle elle a fait de fausses déclarations est déraisonnable.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Faits

A. Demanderesse

[5] La demanderesse, une citoyenne de l’Inde âgée de 52 ans, est mariée à Daljit Singh. Leur fille, Kuldeep Kaur Khasria, est résidente permanente du Canada depuis 2012 et habite actuellement à Edmonton, en Alberta.

[6] Le 14 octobre 2021, la demanderesse a présenté une demande de VRT afin de rendre visite à sa fille et à sa famille au Canada.

[7] À la question « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? », posée à la section « Antécédents » du formulaire de demande de VRT, la demanderesse a répondu « Oui ». La demanderesse devait ensuite fournir le plus de détails possible pour expliquer quand et pourquoi le ou les faits indiqués avaient eu lieu. Elle a donné la réponse suivante :

[traduction]

Refus de visas de visiteur au Canada : 10 mars 2015 – V305432763; 21 mars 2014 – V303910757; 21 octobre 2011 – V300888758.

[8] Le 10 janvier 2022, la demanderesse a reçu une lettre d’équité procédurale dans laquelle le Service de l’immigration du Haut‑commissariat du Canada en Inde, à New Delhi, l’informait du fait que sa demande de VRT contenait potentiellement de fausses déclarations aux termes du paragraphe 40(1) de la Loi et lui donnait la possibilité de répondre dans un délai de 15 jours, au plus tard le 25 janvier 2022. La lettre indiquait que la demanderesse n’avait pas déclaré le nombre réel de refus d’entrée au Canada ni les demandes antérieures qu’elle avait présentées pour séjourner aux États‑Unis.

[9] Dans une lettre du 23 janvier 2022, le consultant en immigration de la demanderesse a répondu à la lettre d’équité procédurale au nom de cette dernière. Selon la demanderesse, il n’y avait qu’un seul refus d’entrée aux États‑Unis qu’elle n’avait pas déclaré et, d’après ses dossiers, elle ne s’était vu refuser que trois visas pour le Canada, comme elle l’avait indiqué dans sa demande.

B. Décision faisant l’objet du contrôle

[10] L’agent a motivé sa décision principalement dans les notes qu’il a inscrites dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), lesquelles font partie des motifs de la décision.

[11] Les notes du SMGC indiquent ce qui suit :

[traduction]

Demande examinée. La [demanderesse] a reçu une lettre d’équité procédurale l’informant de certaines réserves à l’égard de renseignements importants qu’elle aurait omis de déclarer dans ses réponses aux questions obligatoires contenues dans la demande. En effet, IRCC détient des renseignements selon lesquels la [demanderesse] a fait l’objet de plusieurs refus qu’elle n’a pas déclarés (4), malgré le fait qu’elle en ait déclaré d’autres. Plus précisément, elle n’a déclaré aucun refus d’entrée aux États‑Unis, et le nombre de refus d’entrée au Canada qu’elle a déclaré est moins élevé que le nombre réel de refus dont elle a fait l’objet. Dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, la [demanderesse] a affirmé qu’il n’y avait qu’un seul refus d’entrée aux États‑Unis qu’elle n’avait pas déclaré et que, d’après ses dossiers, elle ne s’était vu refuser que les trois visas canadiens indiqués dans sa demande. Selon l’information dont je dispose, je ne suis pas convaincu que la [demanderesse] a fourni des renseignements complets et véridiques à ce sujet. Ces renseignements étaient essentiels pour évaluer correctement la sincérité de la [demanderesse] en lien avec sa demande de VRT et ils auraient pu être pertinents pour déterminer son admissibilité au Canada, en fonction des motifs particuliers sur lesquels étaient fondés les refus d’entrée non déclarés. Ainsi, l’omission de tels renseignements aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi. La [demanderesse] a eu la possibilité de répondre aux doutes exprimés, mais n’a pas fourni de renseignements supplémentaires permettant de les dissiper. Par conséquent, compte tenu de tous les renseignements dont je dispose à l’heure actuelle, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la [demanderesse] a fait une présentation erronée sur un fait important dans sa demande de VRT et je conclus qu’elle est interdite de territoire au Canada au titre du paragraphe 40(1). L’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la date de la présente décision. Demande rejetée.

III. Question en litige et norme de contrôle applicable

[12] En l’espèce, la seule question en litige est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[13] Nul ne conteste la norme de contrôle applicable. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16‑17, 23‑25). Je suis du même avis. C’est la norme qui a été appliquée par la Cour fédérale dans le cadre du contrôle judiciaire de décisions relatives à des demandes de VRT : Chuvashov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1730 au para 5; Azizulla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1226; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 964 au para 8.

[14] La norme de la décision raisonnable commande un contrôle empreint de déférence, mais rigoureux (Vavilov, aux para 12‑13, 75, 85). La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, tant en ce qui concerne le raisonnement suivi que le résultat obtenu, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision qui est raisonnable dans son ensemble doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif, du dossier dont dispose le décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[15] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle soulève ne justifient pas toutes l’intervention de la Cour. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait tirées par celui‑ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

IV. Analyse

[16] La demanderesse renvoie à la décision Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299 (Baro, au para 15) rendue par la Cour pour faire valoir que les malentendus et les erreurs raisonnables commises de bonne foi peuvent ne pas être considérés comme de fausses déclarations aux termes du paragraphe 40(1) de la LIPR. Elle affirme avoir déclaré tous les renseignements qu’elle avait à sa disposition et qu’elle pouvait transmettre étant donné ses connaissances limitées de la langue anglaise. Elle soutient que les refus d’entrée qu’elle n’a pas déclarés se sont produits il y a plus de dix ans et qu’elle n’a accès à aucun document portant sur ces refus, de sorte qu’elle peut se prévaloir de l’exception relative aux fausses déclarations faites de bonne foi.

[17] La demanderesse fait valoir que l’agent avait accès aux renseignements concernant tous les refus d’entrée dont elle avait fait l’objet et qu’elle n’avait donc aucune raison de les passer sous silence. Elle affirme que l’agent n’a pas tenu compte de ce facteur lorsqu’il a évalué si elle avait fait de fausses déclarations ni de la gravité des conséquences pour elle, ce qui rend la conclusion de fausses déclarations déraisonnable.

[18] Le défendeur soutient que la décision de l’agent est raisonnable et que rien ne justifie de conclure que la demanderesse peut se prévaloir de l’exception relative aux fausses déclarations faites de bonne foi. Il fait valoir que l’exception relative aux erreurs ou aux omissions de bonne foi a une portée restreinte et qu’il a été établi qu’elle ne s’appliquait que lorsque le demandeur présentait des faits inexacts qu’il croyait véridiques. Il fait remarquer que, lorsque la demanderesse a été avisée au moyen de la lettre d’équité procédurale qu’elle avait possiblement fait de fausses déclarations, elle a admis ne pas avoir déclaré qu’elle avait déjà fait l’objet d’un refus d’entrée aux États‑Unis, ce qui montre qu’elle avait connaissance du refus et qu’elle exerçait un contrôle sur cette information. Le défendeur met également l’accent sur le principe bien établi selon lequel un demandeur est ultimement responsable de présenter une demande complète et exacte, et renvoie à cet égard au paragraphe 35 de la décision Abolupe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 90.

[19] Je suis du même avis que le défendeur. La demanderesse invoque le paragraphe 15 de la décision Baro pour faire valoir qu’il existe une exception pour les demandeurs qui croyaient honnêtement et raisonnablement ne pas avoir dissimulé de renseignements importants, mais la Cour précise également, dans ce paragraphe, que même une omission innocente de fournir des renseignements importants peut mener à une conclusion d’interdiction de territoire.

[20] La Cour a statué que le paragraphe 40(1) de la LIPR « englobe les omissions innocentes de divulguer des renseignements importants » et qu’une présentation erronée n’a pas besoin d’être « décisive ou déterminante », seulement « suffisamment grave pour nuire au bon déroulement du processus » (Duquitan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 769 au para 10, renvoyant à Paashazadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 327 aux para 18, 25, 26). Compte tenu de la jurisprudence qui précède, il était raisonnable pour l’agent de conclure que la demanderesse avait omis de déclarer des renseignements importants concernant les refus d’entrée au Canada et aux États‑Unis dont elle avait fait l’objet dans le passé.

[21] Étant donné les faits de la présente affaire, les omissions de la demanderesse dans sa demande de VRT ne permettent pas de conclure que les fausses déclarations constituaient des erreurs de bonne foi. La demanderesse n’a présenté aucune preuve démontrant qu’elle n’avait pas connaissance de tous les refus d’entrée au Canada et aux États‑Unis dont elle avait fait l’objet dans le passé ni qu’elle n’exerçait pas de contrôle sur cette information. Rien dans le dossier de la demanderesse ne justifie l’application de l’exception de portée restreinte relative aux fausses déclarations faites de bonne foi. La décision de l’agent est raisonnable compte tenu de la preuve.

V. Conclusion

[22] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La décision de l’agent de rejeter la demande de VRT présentée par la demanderesse en raison de fausses déclarations est raisonnable compte tenu de la preuve au dossier. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2878-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2878-22

 

INTITULÉ :

JASBIR KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 FÉVRIER 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 MAI 2023

 

COMPARUTIONS :

Ishdeep Singh

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Justine Lapointe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Singh Law Office

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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