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Date : 20230517


Dossier : IMM-4585-22

Référence : 2023 CF 692

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2023

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

HINA TAQI

KISA ZEHRA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demanderesses, Mme Taqi (la demanderesse principale) et sa fille adulte, sont citoyennes du Pakistan. Elles sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 16 mars 2022 par laquelle l’agent principal (l’agent) a rejeté leur demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Les demanderesses ont fait valoir dans leur demande d’ERAR les mêmes risques de persécution et de préjudice au Pakistan que ceux que la Section de la protection des réfugiés (la SPR) et la Section d’appel des réfugiés (la SAR) avaient évalués et rejetés. L’agent a conclu que les nouveaux éléments de preuve des demanderesses ne réfutaient pas les conclusions défavorables de la SPR et de la SAR et que, par conséquent, les demanderesses n’avaient pas réussi à démontrer qu’elles seraient exposées au risque d’être persécutées ou torturées, ou de subir des préjudices graves au Pakistan, conformément aux facteurs énoncés à l’article 96 et au paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

I. Contexte et décision faisant l’objet du contrôle

[3] Les demanderesses affirment craindre d’être persécutées, de faire l’objet de discrimination, de subir un préjudice grave et d’être tuées au Pakistan en raison de leur foi chiite.

[4] Les demanderesses sont entrées au Canada le 29 janvier 2017 accompagnées des trois autres enfants de la demanderesse principale. La famille a demandé l’asile le 20 mars 2017 en raison de sa crainte d’être persécutée au Pakistan du fait de sa religion. L’un des fils de la demanderesse principale, S.H., était un réputé récitant de poèmes religieux (Nauha Khawan) qui avait reçu des menaces par le truchement des médias sociaux et par téléphone. Bien que la SPR ait jugé non crédible l’allégation de S.H. selon laquelle il avait été pris pour cible dans une fusillade, le tribunal a conclu que S.H. avait établi une possibilité sérieuse de persécution, en tant que réfugié au sens de la Convention, aux termes de l’article 96 de la LIPR, et a accueilli sa demande d’asile. La SPR et la SAR ont rejeté les demandes d’asile des quatre autres membres de la famille, y compris celles des demanderesses en l’espèce. La SPR a conclu que les demanderesses n’étaient pas crédibles quant aux éléments essentiels de leurs demandes d’asile. En outre, aucune preuve convaincante ne montrait que les demanderesses avaient reçu des menaces de mort au Pakistan du fait de leur foi chiite ou qu’elles risquaient de subir des préjudices en raison de leur lien avec S.H. En appel, la SAR a confirmé la décision de la SPR.

[5] Les demanderesses ont présenté leur demande d’ERAR le 7 juin 2021. Les deux autres membres de la famille ne sont pas parties à la présente demande de contrôle judiciaire. Les demanderesses ont fourni de nouveaux éléments de preuve à l’appui de leur demande d’ERAR, notamment quatre affidavits souscrits par des personnes qui vivent au Pakistan (un érudit religieux, le frère de la demanderesse principale, le voisin des demanderesses et un ami de la famille) et deux rapports sur les conditions dans le pays (rapports de Human Rights Watch et du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni). Les demanderesses ont soutenu que les nouveaux éléments de preuve établissaient 1) qu’elles sont bien connues au Pakistan en tant que chiites actives et qu’elles courent un risque dans le pays en raison de leur lien familial avec S.H. et 2) qu’elles courent un risque accru de persécution au Pakistan en tant que chiites éminentes sur la base des éléments de preuve relatifs aux conditions actuelles dans le pays.

[6] Dans la décision faisant l’objet du contrôle, l’agent a déclaré que les demanderesses faisaient valoir le même risque que celui évalué précédemment par la SPR. Par conséquent, l’agent a évalué la demande d’ERAR en fonction des nouveaux éléments de preuve afin de déterminer si les conditions au Pakistan avaient suffisamment changé pour que les conclusions de la SPR et de la SAR ne soient plus valables.

[7] L’agent a examiné les quatre affidavits qui lui avaient été présentés et n’a accordé que peu de poids à chacun d’entre eux. Les affidavits ne contenaient pas d’exemples précis de risques directs ou personnels pour les demanderesses et ne mentionnaient pas qui pouvait être à leur recherche, ni les dates et la fréquence des recherches, ou les raisons pour lesquelles un des déposants estimait que la vie des demanderesses continuait d’être menacée. L’agent a réitéré la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y avait pas de preuve convaincante que les demanderesses risquaient de subir des préjudices au Pakistan en raison de leur relation avec S.H.

[8] L’agent s’est ensuite penché sur les éléments de preuve relatifs aux conditions actuelles dans le pays et sur l’argument des demanderesses selon lequel la SPR avait reconnu les risques que la violence sectaire continue présentait pour la population chiite, [traduction] « en particulier pour les personnes qui sont considérées comme des “chiites éminents” ». L’agent a pris note de la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y avait pas de preuve convaincante que les demanderesses avaient reçu des menaces ou qu’elles risquaient de subir des préjudices au Pakistan en raison de leur foi chiite ou de leur relation avec S.H. L’agent a accordé un certain poids aux rapports sur les conditions dans le pays présentés par les demanderesses en raison de la nature des renseignements qu’ils fournissaient et de la fiabilité de leurs sources respectives. Toutefois, l’agent a conclu que, selon les rapports, la prévalence de la violence au Pakistan à l’égard des membres de la communauté musulmane chiite est à un niveau semblable, sinon inférieur, à celui qui existait en 2018, à l’époque où la SPR a évalué le risque auquel les demanderesses seraient exposées. Selon l’agent, malgré l’existence de problèmes importants en matière de droits de la personne au Pakistan, les demanderesses n’ont pas fourni d’éléments de preuve objectifs d’un lien entre elles et ces risques, pas plus qu’elles n’ont démontré qu’elles avaient été prises pour cible par le gouvernement ou qu’elles avaient participé à des activités politiques dans le pays.

[9] L’agent a conclu que les demanderesses n’avaient pas présenté suffisamment de nouveaux éléments de preuve pour réfuter les conclusions tirées par la SPR et la SAR concernant le risque qu’elles soient persécutées ou tuées, soumises à la torture ou à un risque de préjudices graves au Pakistan, au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

II. Analyse

[10] Le fond de la décision de l’agent relative à la demande d’ERAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 10, 23; Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 447 aux para 20-21).

[11] J’ai examiné les arguments des demanderesses présentés par écrit et de vive voix, leurs demandes d’ERAR et les nouveaux éléments de preuve, ainsi que la décision de l’agent. Malgré les arguments clairs et judicieux des avocats, je conclus que les demanderesses n’ont pas démontré que la décision de l’agent comportait une erreur susceptible de contrôle qui justifie l’intervention de la Cour.

[12] Je suis d’accord avec les demanderesses que l’agent a d’abord caractérisé le risque allégué dans la demande d’ERAR comme étant un risque de persécution en raison de leur foi et n’a pas mentionné leur nouvelle affirmation de risque en tant que membres de la famille proche de S.H. Cependant, l’agent a examiné les quatre nouveaux affidavits et chacun d’entre eux visait à justifier le risque auquel les demanderesses étaient exposées en dépit de l’absence de S.H. du pays. Le fait que l’agent n’ait pas mentionné cet aspect des observations des demanderesses dans son exposé introductif ne constitue pas une omission importante, car cela n’a pas eu d’incidence substantielle sur l’examen par l’agent des nouveaux éléments de preuve présentés par les demanderesses.

[13] Les demanderesses soutiennent qu’elles ont démontré le risque auquel elles sont exposées en tant que membres de la famille de S.H. en présentant les affidavits de quatre personnes qui continuent de résider au Pakistan. Elles soutiennent que l’agent a évalué de façon déraisonnable les quatre affidavits en les écartant et en les critiquant pour ce qu’ils ne disaient pas, plutôt que pour ce qu’ils disaient (Sitnikova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 464 aux para 22-23).

[14] Je ne trouve pas les arguments des demanderesses convaincants. L’agent ne s’est pas livré à une lecture sélective des affidavits et ne s’est pas non plus concentré de manière déraisonnable sur des renseignements qui auraient pu être fournis dans les affidavits.

[15] Deux des quatre affidavits concernaient la tentative alléguée de tirer sur S.H., mais ne contenaient aucun nouvel élément qui étayait cette tentative. La conclusion de la SPR selon laquelle les demanderesses n’ont pas établi de manière crédible que cet incident s’est produit affaiblit la base factuelle de ces affidavits. Les quatre affidavits font référence aux menaces contre les demanderesses et aux recherches uniquement en termes généraux, chacun des affidavits mentionnant la nécessité pour la demanderesse principale de fuir le Pakistan pour sauver sa vie et celle de ses enfants. L’énoncé de l’agent selon lequel les affidavits ne fournissent pas de précisions ou de détails sur des recherches continues qui viseraient les demanderesses ou sur les menaces proférées en raison du profil de S.H. en tant que Nauha Khawan éminent rend compte raisonnablement du contenu des affidavits. En fait, il est juste de dire que les affidavits ne contiennent pas d’autres éléments d’information que ceux mentionnés par l’agent.

[16] Je suis d’avis qu’il était loisible à l’agent de conclure que les nouveaux affidavits présentés par les demanderesses étaient insuffisants pour réfuter les conclusions tirées par la SPR et par la SAR. Il ne s’agit pas d’un cas où l’agent a commis une erreur en rejetant des éléments de preuve en raison de ce qu’ils ne disaient pas (Waseem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1422 aux para 12-15).

[17] Les demanderesses soutiennent également que, dans son examen des éléments de preuve relatifs aux conditions actuelles dans le pays, l’agent n’a pas tenu compte du fait qu’elles étaient membres de la famille de S.H. et qu’elles retourneraient au même endroit au Pakistan où S.H. avait été pris pour cible et où des gens les recherchaient.

[18] Je ne suis pas d’accord avec elles. Il ressort clairement de la décision que l’agent était au courant de la relation familiale et de sa pertinence dans le cadre de la demande d’ERAR présentée par les demanderesses. Comme il a été mentionné ci-dessus, l’agent a fait référence à l’acceptation par la SPR du fait que la population chiite du Pakistan est touchée par la violence sectaire actuelle, en particulier ceux et celles qui sont considérés comme des « chiites éminents ». L’agent a souligné que la SPR n’avait pas conclu que tous les chiites du Pakistan étaient en danger. S.H. a reçu l’asile en raison de son profil public et du fait qu’il est très suivi dans les médias, et non pas uniquement en raison de sa foi chiite. En outre, la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve convaincant qui lui aurait permis de conclure que les demanderesses étaient exposées à des risques ou à des préjudices au Pakistan en raison de leur relation avec S.H. Le peu de précisions dans les affidavits et le fait que les éléments de preuve relatifs aux conditions actuelles dans le pays n’établissaient pas de risque général accru pour la population chiite au Pakistan ont raisonnablement entraîné le rejet par l’agent de la demande d’ERAR des demanderesses. L’insistance des demanderesses sur les risques accrus auxquels elles sont exposées en raison de l’importance de S.H. revient à demander à la Cour de réévaluer les nouveaux éléments de preuve présentés à l’agent et de remettre en question les conclusions tirées par la SPR quant aux éléments de preuve. Ce n’est pas là le rôle qui incombe à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Ogbonna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 234 au para 13).

[19] Enfin, les demanderesses soutiennent que l’affirmation de l’agent selon laquelle les nouveaux éléments de preuve qu’elles avaient présentés ne permettaient pas de réfuter les conclusions de la SPR constituait essentiellement une conclusion défavorable quant à la crédibilité qui obligeait l’agent à tenir une audience.

[20] Encore une fois, je ne suis pas d’accord avec les demanderesses. À mon avis, l’agent n’a pas tiré de conclusion quant à la crédibilité dans la décision (Canga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 749 au para 28). L’agent a conclu que les nouveaux éléments de preuve présentés étaient insuffisants pour établir que les conditions au Pakistan avaient changé au point où les conclusions tirées par la SPR et la SAR n’étaient plus valables. Je reconnais que les conclusions des tribunaux précédents consistaient en partie en des conclusions défavorables quant à la crédibilité, mais l’affirmation par l’agent des conclusions tirées par les tribunaux n’était pas en soi une nouvelle conclusion quant à la crédibilité qui découlait de l’analyse des nouveaux éléments de preuve présentés dans le cadre de l’ERAR.

III. Conclusion

[21] Je conclus que la décision relative à l’ERAR est justifiée à la lumière des nouveaux éléments de preuve et des observations présentés à l’agent par les demanderesses. Par conséquent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

[22] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-4585-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4585-22

 

INTITULÉ :

HINA TAQI, KISA ZEHRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 avril 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Khatidja Moloo‑Alam

 

Pour les demanderesses

 

Kevin Doyle

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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