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Date : 20230529


Dossier : T-1441-21

Référence : 2023 CF 749

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2023

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

LEONARD B FRENCH

demandeur

et

LA LÉGION ROYALE CANADIENNE (DIRECTION NATIONALE)

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur intente la présente action simplifiée à l’encontre de la défenderesse pour violation de son droit d’auteur et de ses droits moraux. Le demandeur est l’unique créateur de l’œuvre « Poppy Dalmatian Puppy » (le Chiot coquelicot) et le seul titulaire du droit d’auteur afférent à celle-ci. Le demandeur sollicite une condamnation à des dommages-intérêts ainsi qu’une injonction permanente visant à empêcher la défenderesse de violer son droit d’auteur sur le Chiot coquelicot.

II. Contexte

[2] Le demandeur, Leonard B French, s’est représenté lui-même tout au long de la présente action. Il était auparavant connu sous le nom Leonard Da Vancouver E.

[3] Le demandeur a engagé la présente action en déposant sa déclaration, le 22 septembre 2021.

[4] Le demandeur est titulaire d’un droit d’auteur enregistré sur l’œuvre Chiot coquelicot, qui a été enregistrée sous le nom « Poppy Dalmatian Puppy ». Le Chiot coquelicot est un animal en peluche, plus précisément un dalmatien sur lequel on retrouve des coquelicots rouges aux centres noirs qui évoquent les simples mouchetures noires du dalmatien. Le demandeur a enregistré son droit d’auteur sur l’œuvre Chiot coquelicot au Canada le 8 juin 2020, sous le numéro d’enregistrement 1170451 (l’enregistrement 451). L’œuvre a été publiée pour la première fois le 28 février 1998 ou aux alentours de cette date. Il n’est pas contesté qu’il existe un droit d’auteur à l’égard du Chiot coquelicot et que M. French est le créateur de cette œuvre et le titulaire des droits d’auteur sur celle-ci.

[5] Le Chiot coquelicot est vendu sous deux différents formats, soit un format de 17,8 cm (le grand format) et un format de 8,9 cm (le petit format).

[6] Le 26 mars 2003, avant l’enregistrement de tout droit d’auteur, le demandeur a enregistré le petit format en tant que dessin industriel, sous le numéro d’enregistrement 97954. Cet enregistrement est venu à expiration en 2013.

[7] Le 4 janvier 2000, le demandeur a également enregistré le grand format en vertu d’un brevet de conception américain (no 418,554), pour une durée de 14 ans.

[8] La défenderesse, la Légion royale canadienne (Direction nationale) (la Légion), est un organisme qui défend les intérêts des vétérans et des personnes à leur charge. Pour recueillir des fonds, la défenderesse vend des articles assortis des marques « Coquelicot » et « Légion ». La défenderesse vend ces articles au moyen du « catalogue d’approvisionnement de la Légion » (le catalogue de la Légion), un catalogue sous format papier qu’elle distribue à ses membres, et de la « Boutique Coquelicot », son site Web de cybercommerce.

[9] Le demandeur allègue que la défenderesse a violé son droit d’auteur et ses droits moraux à l’égard du Chiot coquelicot.

[10] Le demandeur a initialement conclu un accord de licence et d’approvisionnement avec la défenderesse en 2003 pour le Chiot coquelicot. Une fois que le demandeur a accepté d’apporter des changements mineurs à certains éléments du Chiot coquelicot, notamment la couleur de ses yeux et des mouchetures au centre des coquelicots, la défenderesse s’est procuré environ 100 000 unités de petit format et 50 000 unités de grand format. Il n’y a aucun désaccord concernant la violation des droits d’auteurs à l’égard de ces unités étant donné que le demandeur admet qu’il a autorisé la défenderesse à les vendre.

[11] Cependant, le demandeur allègue que la défenderesse aurait par la suite retenu les services d’un autre fournisseur à qui elle aurait demandé d’assurer la fabrication et l’approvisionnement des jouets Chiot coquelicot, violant ainsi ses droits d’auteur.

[12] La preuve révèle que, peu de temps après la commande initiale, au cours de l’été 2003, la défenderesse a communiqué avec le tiers fabricant, Ameritech International Inc. (Ameritech), afin de déterminer s’il pourrait possiblement produire les jouets Chiot coquelicot au lieu du demandeur. Ameritech a produit des échantillons du jouet Chiot coquelicot de grand format pour la défenderesse. Toutefois, rien ne prouve que la défenderesse se soit procuré des unités auprès d’Ameritech après avoir reçu ces échantillons, et la défenderesse n’a procédé à aucune acquisition, distribution ou vente non autorisée de jouets Chiot coquelicot qui auraient été obtenus auprès d’un fournisseur autre que le demandeur.

[13] En outre, le demandeur a initialement allégué que la défenderesse s’est livrée à une violation secondaire de son droit d’auteur par le biais de ce qui suit :

  1. La défenderesse a permis à une tierce partie d’afficher le Chiot coquelicot en public à l’insu et sans le consentement du demandeur.

  2. La défenderesse a permis à une tierce partie de produire des illustrations du Chiot coquelicot à l’insu et sans le consentement du demandeur.

[14] Il semblerait que le demandeur faisait référence à un livre pour enfants écrit par l’auteure Deborah L Holme qui a été publié en 2007 et qui avait pour titre « Sarah’s Poppy Puppy ». Ce livre comportait des illustrations du Chiot coquelicot. Il a été écrit à la suite de discussions entre Mme Holme et la Légion concernant l’utilisation du Chiot coquelicot comme outil pour enseigner l’importance du jour du Souvenir aux enfants. Pendant une certaine période, dans le cadre d’une promotion, les gens qui se procuraient le livre Sarah’s Poppy Puppy recevaient également un jouet Chiot coquelicot.

[15] Le 4 mars 2022, lors de l’interrogatoire écrit dans le cadre du processus d’interrogatoire préalable, le demandeur a signifié une liste de cinq questions à l’intention de la Légion. Les questions 2 à 5 se rapportaient au livre Sarah’s Poppy Puppy.

[16] La défenderesse s’est opposée aux questions 2 à 5 et a omis d’y répondre au motif qu’elles n’étaient pas pertinentes. Le demandeur a présenté une requête à la juge adjointe Ring en vue de contraindre la défenderesse à y répondre.

[17] Dans une ordonnance rendue le 21 juin 2022, la juge adjointe Ring a rejeté la requête du demandeur, ayant tranché que les questions n’étaient pas pertinentes puisque le demandeur n’avait pas allégué des faits qui se rapportaient de façon suffisamment précise au livre Sarah’s Poppy Puppy dans sa nouvelle déclaration modifiée. Le demandeur a interjeté appel de l’ordonnance rendue par la juge adjointe Ring, et cet appel a été rejeté par la juge Sadrehashemi le 25 novembre 2022.

[18] Le demandeur s’est vu offrir la possibilité de modifier sa déclaration de manière à y inclure des allégations relatives au livre Sarah’s Poppy Puppy, mais il s’est abstenu de le faire.

[19] Étant donné que la Cour a conclu à l’absence d’allégations suffisantes à l’égard du livre Sarah’s Poppy Puppy dans la nouvelle déclaration modifiée du demandeur, et compte tenu du fait que cette demande demeure celle dont notre Cour est saisie, les questions de droit d’auteur en lien avec le livre ne sont pas en litige devant la Cour.

[20] Aucune preuve ne vient étayer les allégations de violation du droit d’auteur du demandeur.

[21] En plus d’alléguer qu’il y aurait eu violation du droit d’auteur, le demandeur a indiqué qu’il aurait appris en mai 2020 que la défenderesse prétendait être celle qui avait conçu le Chiot coquelicot dans les annonces publicitaires publiées dans le catalogue de la Légion pour faire la promotion du jouet, ayant de ce fait violé ses droits moraux, en contravention du paragraphe 14.1(1) de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42 (la Loi).

[22] L’énoncé pertinent en cause était inclus dans le catalogue de la Légion dès 2004. Il se lisait comme suit :

[traduction]

Ces jouets ont été conçus par la Légion pour aider à inculquer des connaissances aux enfants au sujet du coquelicot et du rôle qu’il joue l’égard du jour du Souvenir.

[23] Les versions ultérieures de l’énoncé emploient le singulier pour faire référence au jouet Chiot coquelicot, comme suit : « Ce jouet a été conçu par la Légion... ». Toutefois, le reste de l’énoncé demeure inchangé.

III. Questions en litige

  1. La défenderesse est-elle à l’abri d’une violation du droit d’auteur ou des droits moraux étant donné que le Chiot coquelicot est un objet utilitaire ayant été produit plus de cinquante fois aux termes du paragraphe 64(2) de la Loi?

  2. Le demandeur a-t-il intenté la présente action après l’expiration du délai de prescription de trois ans prévu à l’article 43.1 de la Loi?

  3. La défenderesse a-t-elle violé les droits moraux du demandeur en ce qui concerne le Chiot coquelicot?

IV. Discussion

A. La défenderesse est-elle à l’abri d’une violation du droit d’auteur ou des droits moraux étant donné que le Chiot coquelicot est un objet utilitaire ayant été produit plus de cinquante fois aux termes du paragraphe 64(2) de la Loi?

[24] La défenderesse affirme que les dispositions déterminatives de non-violation énoncées au paragraphe 64(2) de la Loi la protègent contre les allégations de violation du droit d’auteur et de violation des droits moraux du demandeur.

[25] Le paragraphe 64(2) de la Loi est rédigé en ces termes :

64 (2) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur ou des droits moraux sur un dessin appliqué à un objet utilitaire, ou sur une œuvre artistique dont le dessin est tiré, ni le fait de reproduire ce dessin, ou un dessin qui n’en diffère pas sensiblement, en réalisant l’objet ou toute reproduction graphique ou matérielle de celui-ci, ni le fait d’accomplir avec un objet ainsi réalisé, ou sa reproduction, un acte réservé exclusivement au titulaire du droit, pourvu que l’objet, de par l’autorisation du titulaire — au Canada ou à l’étranger — remplisse l’une des conditions suivantes :

 

64 (2) Where copyright subsists in a design applied to a useful article or in an artistic work from which the design is derived and, by or under the authority of any person who owns the copyright in Canada or who owns the copyright elsewhere,

 

a) être reproduit à plus de cinquante exemplaires;

 

(a) the article is reproduced in a quantity of more than fifty, or

 

b) s’agissant d’une planche, d’une gravure ou d’un moule, servir à la production de plus de cinquante objets utilitaires.

(b) where the article is a plate, engraving or cast, the article is used for producing more than fifty useful articles, it shall not thereafter be an infringement of the copyright or the moral rights for anyone

(c) to reproduce the design of the article or a design not differing substantially from the design of the article by

(i) making the article, or

(ii) making a drawing or other reproduction in any material form of the article, or

(d) to do with an article, drawing or reproduction that is made as described in paragraph (c) anything that the owner of the copyright has the sole right to do with the design or artistic work in which the copyright subsists.

[26] Le paragraphe 64(1) définit de façon utile les termes « dessin », « fonction utilitaire », « objet » et « objet utilitaire » :

dessin Caractéristiques ou combinaison de caractéristiques visuelles d’un objet fini, en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs. (design)

 

design means features of shape, configuration, pattern or ornament and any combination of those features that, in a finished article, appeal to and are judged solely by the eye; (dessin)

 

fonction utilitaire Fonction d’un objet autre que celle de support d’un produit artistique ou littéraire. (utilitarian function)

 

utilitarian function, in respect of an article, means a function other than merely serving as a substrate or carrier for artistic or literary matter. (fonction utilitaire)

 

objet Tout ce qui est réalisé à la main ou à l’aide d’un outil ou d’une machine. (article)

 

article means any thing that is made by hand, tool or machine; (objet)

 

objet utilitaire Objet remplissant une fonction utilitaire, y compris tout modèle ou toute maquette de celui-ci. (useful article)

useful article means an article that has a utilitarian function and includes a model of any such article; (objet utilitaire)

[27] Le paragraphe 64(3) fournit une liste d’exceptions à l’application du paragraphe 64(2). Ce sont les alinéas 64(3)a) et e) qui présentent un intérêt particulier pour le cas qui nous occupe :

(3) Le paragraphe (2) ne s’applique pas au droit d’auteur ou aux droits moraux sur une œuvre artistique dans la mesure où elle est utilisée à l’une ou l’autre des fins suivantes :

 

(3) Subsection (2) does not apply in respect of the copyright or the moral rights in an artistic work in so far as the work is used as or for

 

a) représentations graphiques ou photographiques appliquées sur un objet;

 

(a) a graphic or photographic representation that is applied to the face of an article;

 

[…]

 

 

e) représentations d’êtres, de lieux ou de scènes réels ou imaginaires pour donner une configuration, un motif ou un élément décoratif à un objet;

(e) a representation of a real or fictitious being, event or place that is applied to an article as a feature of shape, configuration, pattern or ornament;

[28] La défenderesse affirme que le Chiot coquelicot est un objet utilitaire et qu’il a été produit plus de cinquante fois, ce qui veut dire qu’il ne peut y avoir violation du droit d’auteur ou des droits moraux.

[29] Le demandeur affirme que le Chiot coquelicot n’est pas un objet utilitaire, comme il n’a pas de fonction utilitaire et fait tout simplement office de support pour un produit artistique. Subsidiairement, le demandeur prétend que les exceptions énoncées aux alinéas 64(3)a) et e) s’appliquent.

[30] Je conclus qu’aucune des exceptions énoncées au paragraphe 64(3) n’est pertinente, étant donné que le droit d’auteur du demandeur existe sur le jouet Chiot coquelicot dans son ensemble et vu l’absence de « représentations graphiques ou photographiques appliquées sur un objet » et de représentations d’êtres réels ou imaginaires « pour donner une configuration, un motif ou un élément décoratif à un objet ».

[31] La Cour d’appel fédérale s’est exprimée sur ce qui est considéré comme un « objet utilitaire » dans le contexte des bijoux :

Il ne suffit pas de conclure, sans disposer d’éléments de preuve, que parce que les bijoux se portent ils sont, par le fait même, utilitaires. Il est peu probable qu’on puisse décider de l’utilité d’une œuvre d’art en fonction uniquement de son existence; il faut une utilisation pratique en sus d’une valeur esthétique. Certains bijoux peuvent être utilitaires alors que d’autres ne le sont pas. Par exemple, une épingle de cravate ou des boutons de manchette peuvent être des bijoux utilitaires s’ils servent à attacher les vêtements, alors que d’autres objets, comme les broches ou les boucles d’oreilles, ne seront que des ornements qui n’ont aucune utilité ni valeur autre qu’intrinsèque en tant qu’œuvres d’art. En outre, une sculpture peut avoir été créée uniquement pour être observée et admirée, mais elle peut aussi servir de presse-papiers.

[Non souligné dans l’original.]

(Pyrrha Design Inc c 623735 Saskatchewan Ltd, 2004 CAF 423 au para 14)

[32] Le Chiot coquelicot a une utilité fonctionnelle et pratique; il s’agit d’un jouet en peluche qui a été fabriqué exprès pour amuser les enfants.

[33] En outre, les exceptions énoncées au paragraphe 64(3) ne s’appliquent pas, étant donné qu’il existe un droit d’auteur, dont le demandeur est titulaire, pour le jouet dans son ensemble. Le demandeur a témoigné en ce sens, et l’enregistrement 451 se rapporte au jouet en peluche dans son ensemble et non à une représentation graphique d’un coquelicot ou à un motif constitué de coquelicots utilisé sur un objet. L’alinéa 64(3)a) de la Loi ne s’applique pas.

[34] L’alinéa 64(3)e) ne s’applique pas non plus. Dans un sens, le Chiot coquelicot pourrait constituer en soi un être imaginaire; cependant, le jouet n’est pas une représentation d’un être imaginaire qui est appliquée à un objet, et rien n’indique non plus qu’il a été utilisé de cette façon.

[35] En outre, même si le Chiot coquelicot avait été interprété comme étant une représentation graphique ou une représentation d’un être imaginaire appliquée à un objet – interprétation avec laquelle je ne suis pas d’accord –, le paragraphe 64(3) servirait uniquement à protéger le droit d’auteur relatif à la représentation appliquée sur l’objet, et non à l’objet sur lequel elle a été appliquée. Comme l’a expliqué la Cour d’appel du Québec :

L’article 64(3) vise, entre autres choses, à protéger le dessin reproduit sur un objet utilitaire. À titre d’exemple, si un artiste permet à un fabriquant [sic] de t-shirts de reproduire un de ses dessins, les t-shirts vendus à des milliers d’exemplaires ne seront pas protégés par le droit d’auteur, mais le dessin de l’artiste le sera et on ne pourra le reproduire sur un autre t-shirt, une robe, un manteau ou une tasse à café.

(Magasins Greenberg Ltée c Import-Export René Derhy (Canada) Inc, 2004 CanLII 15460 au para 50 (QC CA), [2004] JQ no 2705)

[36] À ce titre, je conclus que la défenderesse est à l’abri des allégations de violation présentées par le demandeur à l’égard du Chiot coquelicot par application du paragraphe 64(2) de la Loi. Sont ainsi tranchées les allégations de violation du droit d’auteur du demandeur et les allégations de violation de ses droits moraux.

[37] Néanmoins, je vais me pencher brièvement sur l’applicabilité du délai de prescription et certains des arguments invoqués par la défenderesse concernant le fond de l’allégation de violation des droits moraux du demandeur.

B. Le demandeur a-t-il intenté la présente action après l’expiration du délai de prescription de trois ans prévu à l’article 43.1 de la Loi?

[38] Le demandeur a formulé deux différents types d’allégations. La première est une allégation de violation du droit d’auteur concernant les échantillons que la défenderesse s’est procurée auprès d’Ameritech et de l’acquisition alléguée de jouets Chiot coquelicot auprès de cette entreprise. La seconde est une allégation de violation des droits moraux concernant des énoncés qui ont été publiés dans le catalogue de la Légion de la défenderesse concernant la paternité de l’œuvre.

[39] La défenderesse admet qu’elle s’est procuré des échantillons auprès d’Ameritech en 2003, mais nie avoir subséquemment effectué un achat auprès de l’entreprise.

[40] La défenderesse admet également qu’elle a indiqué dans le catalogue de la Légion que c’est la Légion qui a conçu le Chiot coquelicot. Cet énoncé se lisait à l’origine comme suit : [traduction] « Ces jouets ont été conçus par la Légion pour aider à inculquer des connaissances aux enfants au sujet du coquelicot et du rôle qu’il joue à l’égard du jour du Souvenir ». Certaines variations de cet énoncé ont été publiées dans le catalogue de la Légion à compter de 2004. La défenderesse affirme que, comme cet énoncé a été publié dans son matériel il y a de cela plus de 15 ans, le demandeur ne peut pas légalement donner suite à son allégation de violation des droits moraux en raison de l’expiration du délai de prescription établi à l’article 43.1 de la Loi.

[41] L’article 43.1 de la Loi prévoit qu’une procédure pour violation du droit d’auteur ou des droits moraux doit être engagée dans les trois ans qui suivent :1) le moment où la violation ou l’omission a eu lieu; ou 2) le moment où un demandeur a pris connaissance de la violation ou de l’omission ou le moment où il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il en ait pris connaissance :

43.1 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le tribunal ne peut accorder de réparations à l’égard d’un fait — acte ou omission — contraire à la présente loi que dans les cas suivants :

 

43.1 (1) Subject to subsection (2), a court may award a remedy for any act or omission that has been done contrary to this Act only if

 

a) le demandeur engage une procédure dans les trois ans qui suivent le moment où le fait visé par le recours a eu lieu, s’il avait connaissance du fait au moment où il a eu lieu ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il en ait eu connaissance à ce moment;

 

(a) the proceedings for the act or omission giving rise to a remedy are commenced within three years after it occurred, in the case where the plaintiff knew, or could reasonably have been expected to know, of the act or omission at the time it occurred; or

 

b) le demandeur engage une procédure dans les trois ans qui suivent le moment où il a pris connaissance du fait visé par le recours ou le moment où il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il en ait pris connaissance, s’il n’en avait pas connaissance au moment où il a eu lieu ou s’il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il en ait eu connaissance à ce moment.

(b) the proceedings for the act or omission giving rise to a remedy are commenced within three years after the time when the plaintiff first knew of it, or could reasonably have been expected to know of it, in the case where the plaintiff did not know, and could not reasonably have been expected to know, of the act or omission at the time it occurred.

[42] Le demandeur allègue qu’il a seulement pris connaissance de la violation des droits moraux et du droit d’auteur en mai 2020, lorsqu’il a constaté que la Légion vendait encore des jouets Chiot coquelicot 17 ans après avoir passé une commande initiale de 150 000 unités.

[43] La défenderesse conteste l’allégation du demandeur selon laquelle il aurait pris connaissance de la violation en mai 2020 et, quoi qu’il en soit, affirme que l’on aurait pu raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur eût été au courant de ce fait bien avant cette date. La défenderesse affirme que, étant donné le temps qui s’est écoulé et le fait que le demandeur a vendu des milliers de jouets Chiot coquelicot à la Légion vers 2003, il aurait raisonnablement dû savoir que les énoncés étaient publiés dans le catalogue ainsi que sur le site Web.

[44] On peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un demandeur puisse découvrir l’existence d’omissions ou d’actes de violation en faisant preuve de « diligence raisonnable » (Central Trust Co c Rafuse, 1986 CanLII 29 (CSC) au para 77, [1986] 2 RCS 147; 907687 Ontario Inc. (International Institute of Travel) c 1472359 Ontario Ltd (IBT College of Business Travel & Tourism Technology), 2017 CF 969 aux para 44 et 45).

[45] En ce qui concerne l’allégation du demandeur liée à la violation du droit d’auteur, je conclus que le demandeur a présenté sa demande après expiration du délai de prescription. Les événements pertinents se sont produits en 2003 et, même si M. French n’a effectivement peut-être pas été au courant de la violation alléguée jusqu’à peu de temps avant la présentation de sa demande, la violation alléguée aurait pu être facilement découverte s’il avait fait preuve de diligence raisonnable. D’ailleurs, dans certains cas, l’information était accessible en ligne. Le témoignage de M. French a révélé que, une fois qu’il a commencé à faire enquête, il n’a pas été difficile pour lui de découvrir les actes allégués de violation.

[46] En ce qui concerne son allégation de violation de ses droits moraux, la demande du demandeur n’est pas frappée de prescription. Le délai de prescription s’applique uniquement à une conduite qui a eu lieu plus de trois ans avant que l’action n’ait été intentée. En ce qui a trait à une conduite continue, lorsque la conduite a lieu en partie avant le délai de prescription et en partie durant celui-ci, rien n’empêche un demandeur d’intenter des poursuites à l’égard d’une conduite qui est survenue au cours du délai de prescription (Wall v Horn Abbot Ltd., 2007 NSSC 197 au para 474; Royal Conservatory of Music c Macintosh (Novus Via Music Group Inc.), 2016 CF 929 aux para 89 et 90).

[47] En l’espèce, il n’est pas contesté que les énoncés ont continué d’être publiés dans le catalogue de la Légion au cours des trois années qui ont précédé la déclaration déposée par le demandeur le 22 septembre 2021. La preuve produite par le demandeur indique que l’énoncé a été publié dans le catalogue de la Légion aussi récemment que dans l’édition 2020-2021.

[48] En conclusion, par l’application du paragraphe 43.1(1) de la Loi, le demandeur ne peut pas donner suite à son allégation de violation du droit d’auteur, comme cette violation aurait pu être découverte il y a plus de trois ans. Il est toutefois en mesure de donner suite à son allégation de violation de ses droits moraux pour la période commençant trois ans avant le dépôt de la déclaration par le demandeur, sous réserve de l’interdiction susmentionnée de le faire, en application du paragraphe 64(2) de la Loi.

C. La défenderesse a-t-elle violé les droits moraux du demandeur en ce qui concerne le Chiot coquelicot?

[49] En application du paragraphe 14.1(1) de la Loi, l’auteur d’une œuvre a le droit de s’attribuer le mérite de sa création, s’il est raisonnable de le faire dans les circonstances, ou de demeurer dans l’anonymat :

14.1 (1) L’auteur d’une œuvre a le droit, sous réserve de l’article 28.2, à l’intégrité de l’œuvre et, à l’égard de tout acte mentionné à l’article 3, le droit, compte tenu des usages raisonnables, d’en revendiquer, même sous pseudonyme, la création, ainsi que le droit à l’anonymat.

14.1 (1) The author of a work has, subject to section 28.2, the right to the integrity of the work and, in connection with an act mentioned in section 3, the right, where reasonable in the circumstances, to be associated with the work as its author by name or under a pseudonym and the right to remain anonymous.

[50] L’article 28.1 de la Loi a pour effet d'assimiler à une violation tout acte contraire aux droits moraux de l’auteur ou tout acte commis sans le consentement de celui-ci :

28.1 Constitue une violation des droits moraux de l’auteur sur son œuvre ou de l’artiste-interprète sur sa prestation tout fait — acte ou omission — non autorisé et contraire à ceux-ci.

 

28.1 Any act or omission that is contrary to any of the moral rights of the author of a work or of the performer of a performer’s performance is, in the absence of the author’s or performer’s consent, an infringement of those rights.

[51] Le demandeur prétend que la défenderesse a violé ses droits moraux en affirmant qu’elle était l’auteure de l’œuvre Chiot coquelicot. Le demandeur n’était pas gêné par le fait qu’il demeurait dans l’anonymat, mais il était offensé par le fait que la défenderesse prétendait avoir conçu le Chiot coquelicot.

[52] Il n’est aucunement contesté que, à partir de 2004, la défenderesse a allégué que les [traduction] « [...] jouets [Chiot coquelicot] ont été conçus par la Légion pour aider à inculquer des connaissances aux enfants au sujet du coquelicot et du rôle qu’il joue l’égard du jour du Souvenir ». Cette phrase ou une variation de celle-ci a été publiée dans le catalogue de la Légion de 2004 à 2021.

[53] La défenderesse affirme qu’elle n’était aucunement tenue de créditer le demandeur pour la création de l’œuvre Chiot coquelicot et qu’il est pour elle pratique courante de ne pas créditer les créateurs des œuvres qu’elle vend. En outre, la défenderesse a annexé à sa défense des articles de presse qui brossent un portrait peu reluisant de la moralité du demandeur. Elle semble se fier uniquement à ces articles de presse pour démontrer que la Légion avait des motifs raisonnables de vouloir se distancier du demandeur en omettant de le créditer en tant que l’auteur de l’œuvre Chiot coquelicot.

[54] Compte tenu des conclusions en ce qui concerne le paragraphe 64(2) de la Loi, je n’ai pas à me prononcer sur le fond de l’allégation de violation des droits moraux du demandeur. Toutefois, l’inclusion par la défenderesse de ces articles de presse est inappropriée, non pertinente et extrêmement préjudiciable pour le demandeur. Il y a une différence notable entre s’abstenir de révéler l’identité de l’auteur d’une œuvre et faussement prétendre être l’auteur d’une œuvre, comme l’a fait la Légion. Il n’y a absolument aucun motif valable qui puisse justifier que la Légion ait prétendu être l’auteure du Chiot coquelicot plutôt que le demandeur, que celui-ci ait souhaité ou non garder l’anonymat.

V. Conclusion

[55] L’action est rejetée. La défenderesse est à l’abri de l’action en violation du droit d’auteur et des droits moraux du demandeur par l’application du paragraphe 64(2) de la Loi.

[56] La défenderesse et le demandeur ont tous deux soumis des mémoires de dépens en appliquant le milieu de la fourchette de la colonne III du tarif B. M. French indique à la Cour qu’il est une personne âgée qui vit de son revenu de pension, et qu’il s’est représenté lui-même devant la Cour parce qu’il n’avait pas les moyens de retenir les services d’un avocat spécialisé en propriété intellectuelle.

[57] Puisqu’elle a obtenu gain de cause, la défenderesse a droit aux dépens. Toutefois, étant donné que le demandeur n’a pas les moyens financiers de payer et compte tenu des affirmations inappropriées de la défenderesse à l’égard de la moralité du demandeur, lesquelles ne sont pas pertinentes aux demandes formulées dans la présente action et sont préjudiciables au demandeur, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire et adjuge les dépens à la défenderesse à la limite inférieure de la colonne I du tarif B.


JUGEMENT dans le dossier T-1441-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. L’action est rejetée.

  2. Les dépens en faveur de la défenderesse ont été fixés en fonction du mémoire de dépens de la défenderesse à la limite inférieure de la colonne I du tarif B.

« Michael D. Manson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1441-21

 

INTITULÉ :

LEONARD B FRENCH c LA LÉGION ROYALE CANADIENNE (DIRECTION NATIONALE)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 avril 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Leonard B French

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Meika Ellis

Timothy C. Bourne

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ridout & Maybee LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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