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Date : 20230623

Dossier : IMM-9595-22

Référence : 2023 CF 885

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 23 juin 2023

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

HAO CHEN

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire par laquelle le demandeur, un citoyen chinois, sollicite une ordonnance de mandamus enjoignant à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] de rendre une décision à l’égard de sa demande de permis d’études en instance.

[2] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que le demandeur ait démontré qu’il soit justifié d’accorder une ordonnance de mandamus. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Contexte

[3] Le demandeur, qui est titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en génie électrique et génie informatique de l’université du Zhejiang en Chine, a été admis au programme de doctorat en génie électrique et génie informatique de l’Université de la Colombie-Britannique.

[4] Le 23 décembre 2021, le demandeur a présenté une demande de permis d’études.

[5] Selon les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), la demande de permis d’études présentée par le demandeur a été provisoirement approuvée en janvier 2022, dans l’attente de renseignements de la part de partenaires en matière de sécurité. Les données biométriques ont ensuite été fournies en juillet 2022.

[6] Un examen des notes consignées dans le SMGC après le mois de janvier 2022 révèle que le demandeur s’est enquis de l’état de traitement de sa demande de permis d’études à de nombreuses reprises.

[7] Le 15 juin 2022, le demandeur a présenté une deuxième demande de permis d’études en lien avec le même programme de doctorat. Le 8 juillet 2022, le demandeur a reçu un appel téléphonique d’un agent d’IRCC concernant ses deux demandes de permis d’études en traitement; durant cet appel, l’agent lui a demandé de retirer la deuxième demande de permis d’études. Le demandeur a accepté de ce faire et a rapidement présenté une demande de retrait de la deuxième demande de permis d’études. Cependant, le 12 juillet 2022, le demandeur a reçu un courriel d’IRCC indiquant que la première demande avait été retirée, plutôt que la deuxième. Le demandeur a envoyé une demande de renseignements et a appelé IRCC pour l’informer de l’erreur qu’il avait commise et du fait que la première demande devait continuer à être traitée. Le lendemain, la demande initiale de permis d’études a été rouverte et la deuxième demande a été retirée, comme il était prévu à l’origine.

[8] Les notes du SMGC révèlent également que des conversations ont eu lieu avec divers fonctionnaires relativement à l’état de traitement de la demande de permis d’études du demandeur.

[9] Les notes du SMGC ne contiennent aucune entrée après le 28 janvier 2023.

[10] À la demande de la Cour, le 9 juin 2023, le défendeur a fourni une mise à jour quant à l’état de traitement de la demande de permis d’études et indiqué que celle-ci était toujours à l’étape de la vérification de sécurité.

[11] Le demandeur indique qu’il a pu commencer son programme de doctorat, de manière limitée et à distance, en mai 2022. Cependant, il souligne que le décalage horaire de 12 heures entre la Chine et le Canada nuit à sa santé mentale et physique et qu’il n’est toujours pas en mesure de réaliser les expériences en personne requises dans le cadre de son programme. Le demandeur déclare qu’il a reporté la date de début de ses études en présentiel à deux reprises.

II. Analyse

[12] La seule question à trancher dans le cadre de la présente demande est de savoir si le demandeur a démontré qu’il y a lieu d’accorder une ordonnance de mandamus enjoignant au défendeur de statuer sur sa demande de permis d’études.

[13] Une ordonnance de mandamus force l’exécution d’une obligation légale donnée. Il s’agit d’une réparation extraordinaire et les demandes de mandamus doivent être appréciées en fonction des faits particuliers de chaque cas [voir Tapie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1048 au para 7].

[14] Au paragraphe 45 de l’arrêt Apotex c Canada (Procureur général) (CA), [1994] 1 CF 742, [1993] ACF no 1098, la Cour d’appel fédérale a confirmé que les conditions suivantes doivent être remplies pour accorder une ordonnance de mandamus :

  1. Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public dans les circonstances.

  2. L’obligation doit exister envers le requérant.

  3. Il doit exister un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

  1. le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

  2. il y a eu :

  1. une demande d’exécution de l’obligation;

  2. un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ, et;

  3. un refus ultérieur qui peut être explicite ou implicite, par exemple un retard déraisonnable.

  1. Le requérant ne dispose d’aucun autre recours.

  2. L’ordonnance sollicitée doit avoir un effet pratique.

  3. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal doit constater que, sur le plan de l’équité, il n’y a pas d’obstacle au redressement demandé.

  4. Selon la prépondérance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

[15] La question du délai raisonnable est examinée dans le cadre de la troisième condition. Un retard dans l’exécution d’une obligation légale à caractère public peut être déraisonnable lorsque les trois conditions suivantes sont remplies : (i) le délai en question est plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie; (ii) ni le demandeur ni son conseiller juridique n’en sont responsables; (iii) l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante [voir Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 33 au para 23]. Il n’existe pas de norme uniforme quant à ce qui constitue un délai raisonnable. Chaque affaire dépend des faits qui lui sont propres, surtout en ce qui concerne le régime d’immigration pertinent [voir Bidgoly c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 283 au para 33].

[16] En outre de ces trois conditions, la personne qui réclame une ordonnance de mandamus pour cause de retard doit démontrer qu’un délai inacceptable lui cause un préjudice important [voir Vaziri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1159 au para 52; Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 au para 101].

[17] La présente affaire porte sur la question de savoir si le demandeur a démontré que le retard dans le traitement de son permis d’études était déraisonnable et, le cas échéant, que ce retard lui a causé un préjudice important.

[18] Je suis d’avis que l’explication donnée par le défendeur pour justifier le délai est insuffisante. Le simple fait d’invoquer les répercussions de la pandémie, sans aucune preuve que celles-ci ont eu une incidence réelle sur la demande du demandeur, n’est pas suffisant. En outre, une affirmation générale selon laquelle les contrôles de sécurité sont en cours sans plus de précision (tels que des détails sur ce qui rend le cas du demandeur relativement plus complexe, quelles considérations de sécurité spécifiques liées au demandeur ont contribué au délai ou une preuve de demandes de renseignements ou de suivis auprès des partenaires de sécurité sur l’état d’avancement de leurs contrôles de sécurité) n’est pas non plus suffisante pour expliquer raisonnablement la raison du délai [voir Almuhtadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 712; Bidgoly, précitée; Samideh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 854].

[19] Cependant, malgré ces lacunes dans la preuve du défendeur, je ne suis pas convaincue que le demandeur ait démontré qu’il a subi un préjudice important en raison du délai. Il faut garder à l’esprit que le demandeur cherche à obtenir un permis d’études. Les retards accumulés n’ont pas eu pour effet de supprimer de quelconques droits matériels du demandeur; ils ont plutôt pour effet d’empêcher, pour un certain temps, l’exercice du droit d’étudier au Canada (en supposant que le demandeur réponde aux exigences relatives à la vérification de sécurité) [voir Vaziri, précitée au para 50].

[20] Malgré le délai en l’espèce, le demandeur a pu commencer ses études au programme de doctorat à distance; il a obtenu d’excellents résultats et a reçu de nombreux prix pour ses réalisations universitaires. Le demandeur affirme que la poursuite de son programme à distance est difficile sur le plan de sa santé mentale et physique, ainsi qu’en raison du décalage horaire entre Vancouver et la Chine et des restrictions liées à l’utilisation d’Internet. Il affirme également que le délai lui a causé de l’anxiété. Cependant, je ne suis pas convaincue que cela constitue un préjudice grave, notamment en raison de l’absence d’une preuve médicale à l’appui de cette affirmation. De plus, bien que le demandeur affirme que le délai l’empêche de progresser dans ses études et qu’il pourrait avoir une incidence sur son cheminement professionnel, il lui est toujours possible de poursuivre ses études ailleurs et rien dans la preuve dont je suis saisie ne laisse croire que seul le programme de l’Université de la Colombie-Britannique peut répondre à ses objectifs de formation. De plus, rien ne prouve que le demandeur ne sera pas en mesure de reporter de nouveau le début de la partie dispensée en personne de son programme d’études. Quant à toute incidence potentielle du délai sur sa carrière, je considère que l’affirmation à cet égard est purement conjecturale.

[21] Bien que le demandeur soit à juste titre frustré par le temps qu’il a fallu jusqu’à présent pour traiter sa demande de permis d’études, la Cour doit examiner attentivement une demande d’ordonnance de mandamus pour s’assurer que le demandeur remplit toutes les conditions nécessaires (y compris celle relative au préjudice important). Dans le cas contraire, l’octroi d’une ordonnance de mandamus aurait pour effet de permettre à un demandeur de « sauter la file d’attente » et de voir sa demande traitée avant celle d’autres personnes qui ont patiemment attendu leur tour.

III. Les dépens

[22] Le demandeur sollicite les dépens relatifs à la présente demande, soit sur une base avocat-client, soit sur la base de « raisons spéciales » aux termes de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22. Cependant, comme il n’a pas obtenu gain de cause dans le cadre de la présente demande, je ne vois aucune raison de lui adjuger les dépens.

IV. La conclusion

[23] Je ne suis pas convaincue que le demandeur ait démontré qu’il soit justifié d’accorder une ordonnance de mandamus et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[24] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-9595-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Il n’y a pas d’adjudication de dépens.

« Mandy Aylen »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9595-22

INTITULÉ DE LA CAUSE :

HAO CHEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 JUIN 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 23 JUIN 2023

COMPARUTIONS :

Jayson Thomas

POUR LE DEMANDEUR

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Abramovich & Tchern PC

Toronto(Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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