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Date : 20230718


Dossier : IMM-3634-22

Référence : 2023 CF 982

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

LIGUO SHAO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur est un citoyen chinois. En juillet 2017, il a obtenu un visa de visiteur pour aller en vacances au Canada. Peu après son arrivée au pays le 1er août 2017, le demandeur a présenté une demande d’asile parce qu’il craignait d’être persécuté en tant qu’adepte du Falun Gong.

[2] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) a rejeté la demande à l’issue d’une audience tenue en février 2020. Le demandeur a interjeté appel de la décision devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la CISR. Son appel a été accueilli et l’affaire a été renvoyée à la SPR pour nouvel examen. À l’issue d’une nouvelle audience, la SPR a rejeté de nouveau la demande d’asile du demandeur pour des motifs de crédibilité.

[3] Dans une décision datée du 24 mars 2022, la SAR a rejeté l’appel du demandeur et confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[4] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[5] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que la décision de la SAR était déraisonnable pour l’un ou l’autre des motifs invoqués par le demandeur. La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

[6] Il est bien établi que la décision de la SAR doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 au para 29. La Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, au paragraphe 10 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[7] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). La cour de révision doit faire preuve de déférence envers une décision qui possède ces attributs (ibid.). Lorsque la cour de révision applique la norme de la décision raisonnable, elle n’a pas pour rôle d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur ni de modifier les conclusions de fait rendues par celui-ci, à moins de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Pour infirmer une décision au motif qu’elle est déraisonnable, « la cour de révision doit être convaincue que [la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[8] Le demandeur a affirmé qu’il avait été initié au Falun Gong par un ami en juillet 2015 après être tombé en dépression à la suite du décès de son père et de sa sœur. Il a commencé à assister à des rencontres de groupe en août 2015. En février 2017, le Bureau de la sécurité publique (PSB) a effectué une descente lors d’une pratique de groupe. Le demandeur a pu s’échapper. Il s’est ensuite caché jusqu’à ce que, avec l’aide d’un passeur, il réussisse à quitter la Chine pour le Canada à la fin du mois de juillet 2017. Selon le demandeur, le PSB s’est présenté à son domicile peu de temps après la descente et a laissé une citation à comparaître enjoignant au demandeur de se présenter à un interrogatoire sur ses activités liées au Falun Gong le 28 février 2017. Bien que le demandeur ne se soit pas présenté, la police n’a pris aucune autre mesure. Elle se serait contentée d’aller au domicile du demandeur et de parler à l’épouse de ce dernier à quelques reprises.

[9] Le ministre est intervenu devant la SPR et a présenté des documents établissant ce qui suit :

  • Le demandeur avait obtenu un visa américain de 30 jours pour un voyage d’affaires en 2004, mais n’avait pas quitté le territoire à l’échéance de son visa. À l’audience de la SPR, le demandeur a admis qu’il avait résidé aux États-Unis sans titre régulier pendant quatre ans, information qu’il n’avait pas antérieurement divulguée aux autorités canadiennes.

  • Le demandeur a présenté une autre demande de visa de visiteur américain en février 2015 à l’aide de renseignements qui différaient à divers égards importants de ceux fournis ultérieurement aux autorités canadiennes (par exemple, l’information concernant ses antécédents professionnels).

  • Sa demande de visa américain a été rejetée en février 2015. Le demandeur n’a pas mentionné ce refus dans sa demande de visa de visiteur canadien en 2017. Dans le formulaire « Annexe A – Antécédents/Déclaration » qu’il a rempli dans le cadre de sa demande d’asile, le demandeur a déclaré qu’il s’était vu refuser un visa américain en décembre 2015. Même alors, le demandeur n’a pas initialement divulgué ce refus lorsqu’il a signé le formulaire le 9 septembre 2017, il l’a seulement déclaré le 12 octobre 2017 lorsqu’il a été reçu en entrevue par un agent d’immigration.

  • Les renseignements que le demandeur a fournis dans sa demande de visa de visiteur canadien de 2017 différaient, sur des aspects importants, des renseignements présentés par la suite à l’appui de sa demande d’asile (par exemple, ses antécédents en matière d’études et d’emploi).

[10] À l’audience de la SPR, le demandeur a admis qu’il avait fait de fausses déclarations dans ses demandes de visa américain et canadien, mais il a blâmé le passeur auquel il avait eu recours pour ces faux renseignements.

[11] La SPR a conclu que le récit du demandeur concernant sa prétendue pratique du Falun Gong en Chine n’était pas crédible. À cet égard, elle s’est appuyée en partie sur les conclusions défavorables relatives à la crédibilité du demandeur fondées sur les antécédents de ce dernier en matière d’immigration aux États-Unis et au Canada. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas recherché par le PSB à cause de ses activités liées au Falun Gong ni pour une autre raison. Elle a également conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il pratiquait réellement le Falun Gong au Canada ou que ses activités en lien avec cette pratique au Canada avaient attiré l’attention des autorités chinoises. Elle a donc conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[12] En appel devant la SAR, le demandeur a soutenu que la SPR avait commis des erreurs dans son évaluation de la crédibilité et dans son analyse de la demande d’asile sur place. Dans ses motifs détaillés, la SAR a rejeté tous les motifs invoqués par le demandeur pour contester les conclusions de la SPR et a confirmé ces dernières.

[13] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur soutient que la décision de la SAR est déraisonnable à trois égards : 1) son appréciation de l’importance à accorder au fait que le demandeur avait fait de fausses déclarations aux autorités américaines dans sa demande de visa de 2015; 2) son évaluation du récit du demandeur au sujet des efforts déployés par le PSB pour le trouver; et 3) son appréciation de la demande d’asile sur place effectuée par le demandeur (d’autres motifs de révision ont été soulevés dans les observations écrites du demandeur, mais n’ont pas été retenus lors de l’audience de la présente demande.)

[14] Je ne suis pas convaincu que la décision est déraisonnable pour l’un ou l’autre des motifs invoqués par le demandeur.

[15] Premièrement, au vu du dossier dont elle disposait, il était loisible à la SAR de conclure que le recours par le demandeur aux services d’un passeur en 2015, alors qu’il ne craignait pas d’être persécuté, et la divulgation tardive du rejet de la demande de visa en 2015 minaient sa crédibilité. Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en décidant que cette conclusion défavorable l’emportait sur le reste de la preuve, mais je ne peux souscrire à ce point de vue. En effet, le demandeur me demande de réévaluer l’importance de cette preuve et de tirer une conclusion différente de celle de la SAR. Or, ce n’est pas le rôle de la cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable. Je dois aussi mentionner que la décision défavorable concernant la crédibilité du demandeur, et que la SAR a rendue à la lumière des antécédents en matière d’immigration de ce dernier, ne reposait pas uniquement sur ces considérations. La SAR s’est également appuyée sur la période de quatre ans au cours de laquelle le demandeur a vécu sans statut aux États-Unis et sur l’absence d’explication raisonnable pour justifier son omission de divulguer ce fait aux autorités canadiennes en temps utile. Le demandeur n’a pas contesté ces conclusions dans le cadre de la présente demande.

[16] Deuxièmement, lors de son témoignage devant la SPR, le demandeur a affirmé que le PSB s’était présenté à son domicile à plusieurs reprises entre le moment auquel la citation à comparaître avait été remise (février 2017) et le départ du demandeur pour le Canada (fin juillet 2017). Le demandeur n’a pas mentionné ces visites dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA). La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle cette omission remettait en question la crédibilité du récit du demandeur. Il était loisible à la SAR de conclure qu’il ne s’agissait pas de détails mineurs, mais plutôt d’évènements importants et relativement récents, en lien avec la persécution alléguée par le demandeur. La SAR a conclu à juste titre qu’il aurait été raisonnable que ces évènements soient inclus dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA s’ils s’étaient produits. Il était loisible à la SAR de rejeter le témoignage du demandeur selon lequel il n’avait pas réalisé que ces éléments auraient dû être inclus. À cet égard, la SAR a également raisonnablement conclu que la crédibilité du récit du demandeur était mise en doute en raison de l’absence de suivi sous la forme d’une citation à comparaître coercitive, après que le demandeur eût omis de se présenter comme prévu le 28 février 2017. En outre, la SAR a également noté, à juste titre, qu’elle fondait sa conclusion à cet égard sur le fait que la lettre rédigée par l’épouse du demandeur, datée du 23 août 2017, ne faisait aucunement état de visites du PSB au domicile de cette dernière.

[17] Troisièmement, la SAR a convenu avec la SPR que le demandeur n’avait pas réussi à établir qu’il était un véritable adepte du Falun Gong au Canada. En effet, la SAR a jugé, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur « a[vait] pris part à des activités du Falun Gong et s’[était] renseigné sur cette pratique au Canada uniquement dans le but d’étayer une demande d’asile frauduleuse ». La SAR a fourni des motifs transparents et intelligibles pour parvenir à ces conclusions. Le demandeur n’a fourni aucun motif justifiant une modification de ces conclusions.

[18] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[19] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3634-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3634-22

 

INTITULÉ :

LIGUO SHAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 JANVIER 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 JUILLET 2023

 

COMPARUTIONS :

Shervin Ghiami

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Allison Grandish

 

PoUr LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis &Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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