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Date : 20230721


Dossier : T‑2250‑22

Référence : 2023 CF 1000

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2023

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

ZEIFMANS LLP

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le ministre du Revenu national (le ministre) dépose la présente demande sommaire au titre de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp), dans sa version modifiée [la LIR]. Le ministre cherche à obtenir une ordonnance de production enjoignant à Zeifmans LLP (Zeifmans), une société de personnes qui offre des services fiscaux et comptables, de fournir des renseignements et de produire des documents qui ont été demandés dans une lettre du 30 janvier 2019 intitulée « Production de documents ou fourniture de renseignements » (la demande péremptoire), délivrée en vertu de l’article 231.2 de la LIR.

[2] La demande péremptoire est liée aux vérifications fiscales que l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) mène dans le cadre du programme de vérification des parties apparentées (VPA), concernant des personnes et des entités apparentées ou économiquement liées aux membres de la famille Ghermezian (le groupe Ghermezian). En 2014, l’ARC a informé Nader Ghermezian qu’elle avait entrepris la vérification de ses déclarations de revenus des particuliers et des déclarations de revenus des entités contrôlées par lui et par des personnes qui lui sont liées. En 2015, l’ARC a avisé la fille de M. Ghermezian, Diana Vaturi, ainsi que son beau‑fils, Marc Vaturi, qu’elle avait entrepris la vérification de leurs déclarations de revenus des particuliers.

[3] Zeifmans ne fait pas l’objet d’une vérification. Le ministre a envoyé la demande péremptoire à Zeifmans en sa qualité de représentante autorisée des Vaturi. La demande péremptoire exigeait de Zeifmans qu’elle produise des catégories de documents et de renseignements concernant M. Ghermezian, Mme et M. Vaturi ainsi que les entités détenues, exploitées, contrôlées par eux ou autrement apparentées à eux, pour la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2017. Zeifmans n’a fourni aucun des documents ou renseignements demandés.

[4] En réponse à la demande d’une ordonnance de production du ministre, Zeifmans soutient que la Cour ne devrait pas rendre une ordonnance qui l’obligerait à produire les documents et les renseignements figurant dans la demande péremptoire, et ce, pour deux raisons. D’une part, les conditions prévues par la loi pour rendre une ordonnance de production en vertu de l’article 231.7 de la LIR n’ont pas été respectées, notamment parce que le ministre était tenu d’obtenir une autorisation judiciaire aux termes du paragraphe 231.2(3) de la LIR avant de délivrer la demande péremptoire, ce qu’il n’a pas fait. D’autre part, même si les conditions prévues par la loi avaient été respectées, le pouvoir discrétionnaire judiciaire prévu à l’article 231.7 devrait être exercé pour empêcher la délivrance d’une ordonnance enjoignant à Zeifmans de se conformer à la demande péremptoire ou à une partie de celle‑ci. Par conséquent, Zeifmans demande à la Cour de rejeter la demande du ministre.

[5] Le ministre soutient que la Cour ne devrait pas admettre les arguments de Zeifmans. Il affirme que les arguments de Zeifmans contre l’octroi d’une ordonnance de production touchent essentiellement à la validité de la demande péremptoire, et qu’elle a déjà eu l’occasion de contester la validité de cette demande. La demande de contrôle judiciaire présentée par Zeifmans en vue de faire annuler la demande péremptoire a été rejetée : Zeifmans LLP c Canada (Revenu national), 2021 CF 363 [Zeifmans CF]. L’appel interjeté par Zeifmans à l’encontre de la décision Zeifmans CF a également été rejeté : Zeifmans LLP c Canada, 2022 CAF 160 [Zeifmans CAF]. Les arguments soulevés par Zeifmans dans le cadre de la présente demande, qui ont été ou qui auraient dû être soulevés en contrôle judiciaire, constituent une contestation indirecte inadmissible de la demande péremptoire. Par ailleurs, le ministre affirme que les arguments de Zeifmans constituent un abus de procédure. Zeifmans tente de faire juger à nouveau des questions qui ont été tranchées dans la décision Zeifmans CF et dans l’arrêt Zeifmans CAF, notamment en invoquant un jugement antérieur qui a été expressément rejeté dans l’arrêt Zeifmans CAF.

[6] Subsidiairement, et en tout état de cause, le ministre soutient que les arguments de Zeifmans sont dénués de fondement. Le ministre a, à son avis, respecté les conditions énoncées à l’article 231.7 pour l’obtention d’une ordonnance de production, et l’exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire de ne pas ordonner à Zeifmans de se conformer à la demande péremptoire n’est pas justifié en l’espèce.

[7] Je ne suis pas convaincue que la position de Zeifmans dans la présente demande constitue une contestation indirecte de la demande péremptoire. L’article 231.7 de la LIR oblige expressément la Cour à examiner la demande sous‑jacente fondée sur l’article 231.2, et les arguments de Zeifmans portent sur cette question. La demande de contrôle judiciaire portait sur une question différente, qui était de savoir si la décision du ministre de procéder sans autorisation judiciaire était raisonnable. Les arguments de Zeifmans selon lesquels les conditions prévues à l’article 231.7 à l’égard de l’ordonnance de production n’ont pas été respectées sont présentés dans le forum approprié, et non de façon incidente.

[8] En outre, dans chaque instance, la décision du juge doit être fondée sur le dossier dont il dispose. Dans la présente instance, le dossier est sensiblement différent de celui qui était devant la Cour dans la décision Zeifmans CF. Dans cette dernière, la Cour a conclu que le caractère raisonnable de la décision du ministre de procéder sans autorisation judiciaire dans chaque cas dépend de la question de savoir si la preuve au dossier établit que les personnes non désignées nommément font l’objet d’une enquête ou d’une vérification par l’ARC, et il n’y avait « aucun élément de preuve dans le dossier indiquant que les personnes non désignées nommément [étaient] visées par l’enquête » : Zeifmans CF, aux para 49, 64. La preuve produite dans le cadre de la présente demande démontre que les personnes non désignées nommément, au sens où cette expression est définie dans la décision Zeifmans CF, étaient et sont ciblées par une enquête. En effet, les personnes non désignées nommément faisaient déjà l’objet d’une vérification lorsque la demande péremptoire a été délivrée, et les vérifications ne sont pas encore terminées.

[9] Le fait de permettre à Zeifmans de soulever des arguments de fond portant sur les questions mêmes que la Cour est tenue de trancher dans la présente demande ne constitue pas un abus de procédure. Si la Cour se fonde sur le dossier dont elle dispose pour statuer sur la question de savoir s’il y a lieu d’accorder une ordonnance de production, cela ne permet pas de réexaminer la décision Zeifmans CF ou l’arrêt Zeifmans CAF ni de les remettre en question. La nature de la procédure, les critères juridiques et les dossiers de preuve sont différents.

[10] À mon avis, les arguments de Zeifmans sont fondés. Compte tenu du dossier dont je suis saisie, je ne suis pas convaincue que les conditions énoncées au paragraphe 231.7 pour la délivrance d’une ordonnance de production ont été respectées. De plus, je ne suis pas convaincue que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire pour rendre une ordonnance de production.

[11] Pour les motifs qui précèdent, la demande sera rejetée.

II. Les questions en litige

[12] Les questions à trancher sont les suivantes :

  1. La doctrine de la contestation indirecte et celle de l’abus de procédure interdisent‑elles à Zeifmans de faire valoir ses arguments?

  2. La Cour devrait‑elle, en vertu de l’article 231.7 de la LIR, rendre une ordonnance de production portant que Zeifmans doit fournir les documents et les renseignements figurant dans la demande péremptoire?

[13] J’examinerai également une question préliminaire concernant l’objection soulevée par Zeifmans à l’égard du mémoire en réplique du ministre.

III. Analyse

A. Les dossiers des parties

[14] Étant donné que les différences entre le présent dossier et le dossier en contrôle judiciaire sont pertinentes à l’égard des questions à trancher, je commencerai par résumer le dossier dont je suis saisie.

[15] Le ministre a engagé la présente procédure en déposant un avis de demande sommaire le 26 octobre 2022. Le dossier de demande du ministre, déposé le 2 novembre 2022, est composé d’un avis de demande sommaire, d’observations écrites, d’un projet d’ordonnance et de la preuve par affidavit suivante :

  1. Affidavit d’Andrew Bowe, souscrit le 1er novembre 2022 : M. Bowe est conseiller stratégique à la Direction de l’observation des contribuables à valeur nette élevée, au sein de la Direction générale des programmes d’observation de l’ARC. Avant le 18 janvier 2021, il était gestionnaire de cas du secteur international et des grandes entreprises, dans l’ancien bureau des services fiscaux d’Edmonton de l’ARC. De mai 2015 au 18 janvier 2021, M. Bowe était gestionnaire de cas pour les vérifications menées à l’égard du Groupe Ghermezian dans le cadre du programme de VPA. Il a supervisé les vérifications menées à l’égard de M. Ghermezian et des Vaturi à l’époque pertinente. L’affidavit de M. Bowe fournit des renseignements sur l’historique des vérifications et sur les faits qui ont conduit à la délivrance de la demande péremptoire.

  2. Affidavit d’Ismail Choulli, souscrit le 1er novembre 2022 : M. Choulli est gestionnaire de cas du secteur international et des grandes entreprises, au Bureau des services fiscaux de vérification de complexité élevée de l’ARC (ancien bureau des services fiscaux d’Edmonton). En août 2021, M. Choulli a été désigné gestionnaire de cas pour les vérifications visant M. Ghermezian et les Vaturi. L’affidavit de M. Choulli fournit certains renseignements qui sont les mêmes que ceux figurant dans l’affidavit de M. Bowe, mais il est plus limité, parce que M. Choulli n’a participé aux vérifications qu’après la délivrance de la demande péremptoire.

  3. Affidavit de Brendan Tait, souscrit le 2 novembre 2022 : M. Tait est parajuriste au Bureau régional de l’Ontario du ministère de la Justice du Canada, Section du droit fiscal. M. Tait a participé à la préparation de la demande d’une ordonnance de production du ministre. L’affidavit de M. Tait comporte en annexe une lettre et un courriel du ministère de la Justice du Canada informant Zeifmans de l’intention du ministre d’introduire une demande visant à obtenir une ordonnance de production, et faisant suite à la lettre de l’avocat de Zeifmans. M. Tait atteste que le ministère de la Justice du Canada n’a reçu de la part de Zeifmans aucun des documents ou renseignements figurant dans la demande péremptoire.

[16] Zeifmans a procédé à la signification d’un affidavit de Tomer Shenhav, souscrit le 7 novembre 2022. Me Shenhav est avocat associé du cabinet d’avocats qui représente Zeifmans dans la présente demande. Son affidavit comporte en annexe des extraits de la LIR ainsi que des extraits de manuels de vérification de l’impôt sur le revenu de l’ARC, qui ont été publiés en avril 2015 et en juillet 2020. Il comporte également une copie du dossier certifié du tribunal (DCT) que le ministre a produit dans le cadre de l’instance en contrôle judiciaire concernant Zeifmans, qui certifie et renferme des copies des deux documents qui ont été pris en compte par le délégué du ministre lors de la délivrance de la demande péremptoire, à savoir une ébauche de la demande péremptoire et un document de neuf pages intitulé [traduction] « Feuille de renseignements concernant une demande péremptoire de renseignements » (la feuille de renseignements). La feuille de renseignements reproduite, en tant que partie du DCT, est fortement censurée. Une feuille de renseignements moins censurée, produite plus tard dans le cadre de l’instance en contrôle judiciaire, est également annexée à l’affidavit de Me Shenhav.

[17] M. Bowe, M. Choulli et Me Shenhav ont été interrogés au sujet de leur affidavit.

[18] Le dossier de réponse de Zeifmans, déposé le 1er décembre 2022, est composé de l’affidavit de Me Shenhav, des transcriptions des trois interrogatoires et des observations écrites de Zeifmans.

[19] Les éléments de preuve qui se rapportent aux questions soulevées dans la présente demande proviennent principalement de l’affidavit et du contre‑interrogatoire de M. Bowe, ainsi que de la feuille de renseignements.

[20] Le 2 décembre 2022, le ministre a signifié un mémoire en réplique de 50 pages, renvoyant à plus de 30 sources de jurisprudence supplémentaires.

B. La question préliminaire – le mémoire en réplique du ministre

[21] À l’audience, le ministre a demandé l’autorisation de [traduction] « régulariser » le dépôt des observations écrites en réplique. Zeifmans s’est opposée à cette demande, en faisant valoir que les Règles des Cours fédérales (les Règles) ne prévoyaient pas le dépôt d’une réplique écrite et que Zeifmans serait lésée. Le ministre a signifié la réplique le vendredi précédant l’audience prévue le mardi, sans avoir cherché à en aviser Zeifmans ou à obtenir son consentement.

[22] Selon le ministre, les observations en réplique avaient pour but de donner à Zeifmans un préavis aussi long que possible relativement aux observations qu’elle avait le droit de présenter oralement. Le ministre reconnaît que la réplique écrite a été présentée après 17 heures le vendredi précédant l’audience et qu’il n’a pas demandé le consentement de Zeifmans ni fourni de lettre d’accompagnement pour expliquer les raisons pour lesquelles il avait préparé cette réplique, une erreur qu’il dit avoir commise en raison de l’empressement avec lequel il avait agi. Le ministre explique qu’il n’a eu connaissance des arguments de Zeifmans que lorsqu’il a reçu le dossier de réponse, et qu’il a préparé une réplique écrite afin de permettre que les deux heures allouées à l’audition de la présente demande puissent être utilisées de manière efficace.

[23] Zeifmans rétorque en disant que, dans le cadre d’une demande d’ordonnance de production, la charge de la preuve incombe toujours au ministre, et celui‑ci n’a pas le droit d’être avisé à l’avance de la position du défendeur. Zeifmans affirme que le volume des observations écrites du ministre sur cette demande dépasse largement celui de ses propres observations écrites, et qu’elle n’a pas eu suffisamment de temps pour examiner entièrement les arguments en réplique et les sources supplémentaires. Si la Cour devait admettre le mémoire en réplique du ministre, Zeifmans demande qu’on lui accorde une plus grande partie du temps d’audience pour qu’elle puisse y répondre.

[24] À l’audience, j’ai indiqué que j’accepterais que le mémoire en réplique du ministre soit déposé sous réserve de l’objection, que j’examinerais après l’audience, et que j’accorderais à Zeifmans du temps additionnel pour qu’elle puisse répondre aux observations du ministre.

[25] Le ministre aurait dû demander une séance spéciale. Il a prévu une audience de deux heures en séance générale pour cette affaire. Il n’a pas révisé le temps prévu, malgré le fait que la Cour lui ait demandé de vérifier si l’estimation était toujours exacte. Étant donné que le ministre a lu la plus grande partie du mémoire en réplique à titre d’observations orales, les gains d’efficacité qu’il espérait réaliser en préparant une réplique écrite ne se sont pas concrétisés. La demande étant la dernière affaire inscrite au rôle général, la Cour a siégé tard pour permettre la tenue d’une audience de trois heures et, malgré le fait que la durée ait été prolongée d’une heure, l’audience s’est déroulée dans la hâte. Bien que j’aie indiqué que j’accorderais à Zeifmans un délai supplémentaire pour lui permettre de répondre aux observations du ministre, les deux parties ont finalement disposé d’un temps à peu près égal pour présenter leurs observations.

[26] Avec le recul, je reconnais que la capacité de Zeifmans à répondre adéquatement aux questions soulevées pour la première fois dans la réplique du ministre a peut‑être été compromise. Les observations écrites du ministre dépassaient le nombre de pages prévu par les Règles et représentaient plus du double des 30 pages d’observations écrites de Zeifmans. La prolongation de la durée d’audience d’une heure n’a pas permis de remédier à ce déséquilibre et, bien qu’aucune des parties n’ait demandé d’ajournement, il aurait probablement été préférable que l’affaire soit reportée à une séance spéciale.

[27] Cela étant dit, et comme il en a déjà été fait mention, le ministre a lu une grande partie de la réplique à titre d’observations orales et, bien que les observations de Zeifmans aient peut‑être été moins organisées et moins approfondies qu’elle ne l’aurait souhaité, Zeifmans a adéquatement répondu aux nouvelles questions soulevées dans la réplique. J’ai informé les parties qu’il me faudrait du temps additionnel pour rendre ma décision et j’ai examiné attentivement toutes les observations écrites et orales, ainsi que la jurisprudence citée. Étant donné que j’ai conclu que la demande du ministre devait être rejetée, le préjudice subi par Zeifmans n’était pas suffisamment important pour influer sur le résultat. Pour les motifs qui précèdent, j’ai décidé d’admettre le mémoire en réplique du ministre.

C. Les conditions légales prévues à l’article 237.1 de la LIR

[28] Avant d’examiner les questions que je dois trancher, je décrirai dans cette section les arguments de Zeifmans qui sont censés constituer une contestation indirecte inadmissible ou un abus de procédure. Pour situer le contexte, je formulerai quelques observations générales sur le régime légal et je reproduirai les dispositions applicables.

[29] Pour préserver l’intégrité du régime fiscal et pour assurer le respect du régime canadien d’imposition fondé sur le principe de l’autodéclaration et de l’autocotisation, la LIR prévoit des dispositions qui accordent au ministre de larges pouvoirs de vérification et d’enquête à l’égard des contribuables : R c McKinlay Transport Ltd, [1990] 1 RCS 627 au para 648. Les dispositions légales en cause dans la présente instance font partie des dispositions de la LIR en matière d’application et d’exécution qui permettent au ministre, ou aux personnes autorisées, d’agir en son nom, d’effectuer des vérifications à l’égard des contribuables, de demander des documents et des renseignements aux contribuables ou à des tiers et de prendre les mesures prescrites si les contribuables ou les tiers ne se conforment pas aux dispositions de la LIR.

[30] Le ministre a délivré une demande péremptoire à Zeifmans en vertu de l’article 231.2 de la LIR. Le paragraphe 231.2(1) confère au ministre le pouvoir étendu et général d’exiger de quiconque la fourniture de renseignements ou de documents à toutes fins afférentes à l’application ou à l’exécution de la LIR : Canada (ministre du Revenu national) c Lee, 2016 CAF 53 [Lee] au para 5. Toutefois, le paragraphe 231.2(2) impose des limites aux pouvoirs du ministre. Dans certaines circonstances, le ministre doit obtenir l’autorisation d’un juge pour délivrer une demande de production de renseignements ou de documents exigés à l’article 231.2 : LIR, art 231.2(2) et (3). Le ministre n’a pas obtenu d’autorisation judiciaire avant de délivrer la demande péremptoire à Zeifmans.

[31] La demande péremptoire est datée du 30 janvier 2019 et est adressée à « Zeifmans LLP ». Les passages essentiels de la demande péremptoire sont les suivants (caractères gras dans l’original) :

[traduction]
Objet : demande péremptoire de renseignements concernant Marc Vaturi, Diana Vaturi (aussi appelée Diana Ghermezian) et Nader Ghermezian

Pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi), Zeifmans LLP (Zeifmans) est tenue de fournir dans les trente (30) jours suivant la date du présent avis de demande péremptoire, conformément aux dispositions du paragraphe 231.2(1) de la Loi, les renseignements et les documents mentionnés ci‑dessous, concernant la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2017.

Pour les personnes désignées nommément susmentionnées, seules ou conjointement, et les entités détenues, exploitées, contrôlées par ces personnes ou autrement apparentées à elles, veuillez fournir :

1. Toute la correspondance, y compris les courriels et les documents dans une chaîne de communications, notamment les pièces jointes, entre Zeifmans et les personnes et les entités apparentées mentionnées plus haut;

2. Tous les documents relatifs aux communications effectuées avec d’autres cabinets comptables nationaux et/ou internationaux, des bureaux d’enregistrement, des organismes provinciaux et d’autres organismes gouvernementaux (à l’exclusion des requêtes de vérification et des réponses transmises entre Zeifmans et l’Agence du revenu du Canada), au nom des personnes et des entités apparentées mentionnées plus haut;

3. Tous les éléments de correspondance mentionnant ou identifiant Dalia Ghermezian, James Ghermezian et Michael Ghermezian, de quelque manière que ce soit, conjointement ou individuellement;

4. L’ensemble des documents comptables, des résolutions des administrateurs et des actionnaires, des certificats d’actions, des documents de registres, des évaluations foncières et des relevés bancaires fournis à Zeifmans par les personnes ou les entités apparentées mentionnées plus haut (ou fournis à Zeifmans par des tiers, pour le compte des personnes ou des entités apparentées mentionnées précédemment);

5. Les documents comptables, y compris les documents de travail, les écritures d’ajustement et les balances de vérification;

6. Les notes sur les étapes d’une opération, les lettres relatives à la planification fiscale et les lettres de mission;

7. Les notes au dossier et les profils des clients;

8. Les documents de prêt, y compris les contrats signés et les documents relatifs aux prêts à grille [grid loan, en anglais];

9. Les courriels, y compris les versions provisoires des contrats de prêt et des documents de travail ou des calculs concernant des prêts à grille [grid loan, en anglais];

10. Les documents autorisant les décisions relatives à la planification fiscale et/ou aux services de comptabilité;

11. Toute autre correspondance ou l’ensemble des lettres, instructions, lettres d’opinion ou rapports, comptes rendus de réunions, enregistrements de discussions et de conversations téléphoniques, notes, annotations ou autres communications écrites ou enregistrées portant sur la discussion, la planification des renseignements demandés ou s’y rapportant.

La liste qui précède n’est pas exhaustive et nous pourrions vous demander ultérieurement des renseignements supplémentaires nécessaires à notre vérification. Pour les personnes concernées par la demande, veuillez fournir les renseignements soit conjointement, s’il s’agit de plusieurs personnes, soit individuellement, s’il ne s’agit que d’une seule personne.

[…]

[32] Comme nous en avons déjà fait mention, Zeifmans n’a pas fourni de documents ni de renseignements dont la production était exigée dans la demande péremptoire, et la demande de contrôle judiciaire qu’elle a présentée pour contester la demande péremptoire a été rejetée. Le ministre cherche donc à obtenir une ordonnance de production au titre de l’article 231.7 de la LIR.

[33] L’article 231.7 de la LIR autorise la Cour à rendre une ordonnance qui obligerait Zeifmans à fournir les renseignements ou les documents dont la production est exigée dans la demande péremptoire « [si le juge] est convaincu » que Zeifmans n’a pas fourni ces documents ou ces renseignements bien qu’elle en soit tenue par l’article 231.2.

Ordonnance

231.7 (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 238(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 s’il est convaincu de ce qui suit :

Compliance order

231.7 (1) On summary application by the Minister, a judge may, notwithstanding subsection 238(2), order a person to provide any access, assistance, information or document sought by the Minister under section 231.1 or 231.2 if the judge is satisfied that

a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2;

(a) the person was required under section 231.1 or 231.2 to provide the access, assistance, information or document and did not do so; and

b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1), ne peut être invoqué à leur égard.

(b) in the case of information or a document, the information or document is not protected from disclosure by solicitor‑client privilege (within the meaning of subsection 232(1)).

[34] En raison des graves conséquences qui peuvent découler du non‑respect d’une demande de production, Zeifmans soutient que la Cour ne devrait pas ordonner la production des renseignements ou des documents que demande le ministre, à moins d’être convaincue que les conditions de l’article 231.7 ont été remplies de façon claire : Canada (Revenu national c Chamandy, 2014 CF 354 [Chamandy] au para 41; Canada (ministre du Revenu national) c SML Operations (Canada) Ltd, 2003 CF 868 [SML] au para 15. Zeifmans affirme que les conditions prévues par la loi pour la délivrance d’une ordonnance de production n’ont pas été remplies en l’espèce. La société de personnes n’était pas tenue, au titre de l’article 231.2 de la LIR, de fournir les documents et les renseignements demandés, et la demande péremptoire n’est pas valide.

[35] Zeifmans avance, comme argument principal à cet égard, que le ministre a délivré la demande péremptoire sans avoir obtenu une autorisation judiciaire, alors qu’il en était tenu par le paragraphe 231.2(3) de la LIR. Le ministre était tenu d’obtenir l’autorisation judiciaire, parce que, dans sa demande péremptoire, il cherchait à obtenir des documents et des renseignements concernant une personne ou plus d’une « personne non désignée nommément » qui faisait l’objet d’une vérification par l’ARC à ce moment‑là.

[36] L’article 231.2 de la LIR est ainsi libellé :

Production de documents ou fourniture de renseignements

Requirement to provide documents or information

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), d’un accord international désigné ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis

:

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), of a listed international agreement or, for greater certainty, of a tax treaty with another country, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

b) qu’elle produise des documents.

(b) any document.

Personnes non désignées nommément

Unnamed persons

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque — appelé « tiers » au présent article — la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

(2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a “third party”) a requirement under subsection 231.2(1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection 231.2(3).

Autorisation judiciaire

Judicial authorization

(3) Sur requête du ministre, un juge de la Cour fédérale peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la fourniture de renseignements ou la production de documents prévues au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément — appelée « groupe » au présent article —, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

(3) A judge of the Federal Court may, on application by the Minister and subject to any conditions that the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection (1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the “group”) if the judge is satisfied by information on oath that

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

(a) the person or group is ascertainable; and

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act.

c) et d) [Abrogés, 1996, ch. 21, art. 58(1)]

(c) and (d) [Repealed, 1996, c. 21, s. 58(1)]

[37] Zeifmans présente deux autres arguments pour expliquer pourquoi les conditions de l’article 231.7 n’ont pas été remplies : (i) certains passages de la demande péremptoire sont vagues et ambigus, de telle sorte qu’il est impossible de fournir une réponse sensée sans spéculation, et (ii) la demande péremptoire a été délivrée à une société à responsabilité limitée, qui n’est pas une « personne » pour l’application de la LIR, et la preuve n’établit pas que les personnes qui étaient tenues de répondre à la demande péremptoire sont les mêmes que celles qui seraient sanctionnées sur le fondement d’une ordonnance de production.

[38] Zeifmans soutient que, même si les conditions prévues par la loi étaient remplies, le pouvoir judiciaire discrétionnaire prévu au paragraphe 231.7(1), qui dispose qu’un juge « peut » ordonner à une personne de fournir les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu de l’article 231.2, devrait être exercé de façon à empêcher que soit rendue une ordonnance enjoignant à Zeifmans de se conformer à la demande péremptoire, en totalité ou en partie. Les raisons invoquées par Zeifmans comprennent ce qui suit : les conditions prévues à l’article 231.7 n’ont pas été clairement remplies; Zeifmans ne fait pas elle‑même l’objet d’une vérification; Zeifmans doit respecter ses obligations envers le ministre ainsi que ses obligations professionnelles concurrentes envers ses clients et les organismes de réglementation qui régissent la déontologie des comptables, et il serait injuste de lui imposer une obligation de décider, sur la base du libellé vague et ambigu de la demande péremptoire, quelles sont les demandes de documents et de renseignements du ministre qui sont valables et quelles sont celles qui ne le sont pas.

D. La première question : la doctrine de la contestation indirecte et celle de l’abus de procédure interdisent‑elles à Zeifmans de faire valoir ses arguments?

[39] Le ministre soutient que la Cour ne devrait pas admettre les arguments [traduction] « de fond » de Zeifmans selon lesquels les conditions prévues par la loi pour l’obtention d’une ordonnance de production en vertu de l’article 231.7 n’ont pas été remplies. Le ministre établit une distinction entre les arguments de fond de Zeifmans et ses arguments de nature [traduction] « discrétionnaire » qui reposent sur l’exercice d’un pouvoir judiciaire discrétionnaire.

[40] Le ministre affirme que, dans l’affaire Zeifmans CF, Zeifmans a formulé les arguments suivants pour contester la validité de la demande péremptoire : (i) le ministre était tenu d’obtenir une autorisation judiciaire pour délivrer une demande péremptoire au titre du paragraphe 231.2(2) de la LIR, car les renseignements exigés dans la demande péremptoire concernaient des personnes non désignées nommément; (ii) la demande péremptoire est ambiguë, car les [traduction] « entités détenues, exploitées, contrôlées par M. Ghermezian, Mme Vaturi et M. Vaturi ou autrement apparentées » à eux ne sont pas des expressions définies, et on ne comprend pas très bien pourquoi ces entités sont mentionnées; (iii) la demande péremptoire n’a pas été délivrée à une personne comme l’exige l’article 231.2, parce qu’une société de personnes n’est pas reconnue comme une personne par la LIR. Les arguments de Zeifmans ont été rejetés par la Cour dans la décision Zeifmans CF, et par la Cour d’appel fédérale (CAF) dans l’arrêt Zeifmans CAF. Selon le ministre, les arguments de fond avancés par Zeifmans dans la présente instance ne sont pas simplement proches ou connexes à ceux qu’elle a présentés dans la décision Zeifmans CF : ils sont identiques.

[41] Ainsi, le ministre soutient que Zeifmans a eu l’occasion de contester la demande péremptoire, que cette contestation n’a pas abouti et qu’elle tente maintenant de présenter une contestation indirecte inadmissible contre la demande péremptoire en l’espèce. Pour les mêmes raisons, le ministre soutient que Zeifmans tente de rouvrir les mêmes questions qui ont été tranchées dans la décision Zeifmans CF et dans l’arrêt Zeifmans CAF, ce qui constitue un abus de procédure.

(1) la contestation indirecte

[42] La règle interdisant les contestations indirectes empêche une partie d’attaquer les ordonnances antérieures d’un tribunal judiciaire ou administratif : Garland c Consumers’ Gas Co, 2004 CSC 25 au para 71. En général, cette règle est invoquée lorsqu’une partie tente de contester la validité d’une ordonnance exécutoire devant un tribunal non compétent en la matière, c’est‑à‑dire lorsque la validité de l’ordonnance est contestée dans le cadre de procédures autres que celles dont cette partie disposait pour la contester directement, comme un appel ou un contrôle judiciaire : Ibid.

[43] Le ministre soutient que les arguments de fond de Zeifmans touchent au cœur même de la validité de la demande péremptoire et constituent une contestation indirecte de cette demande. À son avis, la contestation est indirecte, parce que l’objet de l’article 231.7 est de fournir un moyen d’assurer l’observation de la loi. Bien que le libellé du paragraphe 231.7(1) permette de présenter à la Cour la question de savoir si Zeifmans « n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2 », la procédure ne vise pas précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de la demande péremptoire : R c Bird, 2019 CSC 7 [Bird] au para 21. La procédure visant précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de la demande péremptoire était la demande de contrôle judiciaire présentée par Zeifmans.

[44] En se fondant sur l’arrêt R c Consolidated Maybrun Mines Ltd, [1998] 1 RCS 706 [Maybrun], rendu par la Cour suprême du Canada (la CSC), le ministre affirme que la contestation indirecte de la demande péremptoire par Zeifmans est inadmissible. L’arrêt Maybrun propose cinq facteurs à prendre en compte pour déterminer si le législateur avait l’intention de permettre qu’une ordonnance administrative soit attaquée de façon incidente dans le cadre de procédures visant à faire exécuter l’ordonnance. Ces facteurs sont :

  1. les termes de la loi dont découle le pouvoir de rendre l’ordonnance;

  2. l’objectif de la loi;

  3. l’existence d’un droit d’appel;

  4. la nature de la contestation eu égard à l’expertise de l’instance d’appel ou de sa raison d’être; et

  5. la sanction imposable pour défaut d’avoir respecté l’ordonnance.

(Maybrun, aux para 41‑52)

[45] Dans l’arrêt Bird, la CSC a reconnu que le troisième facteur énoncé dans l’arrêt Maybrun permet au tribunal de tenir compte non seulement de l’existence d’un droit d’appel auprès d’un tribunal administratif d’appel, mais aussi de l’existence d’autres mécanismes efficaces ou forums pour contester l’ordonnance en cause, y compris le contrôle judiciaire : Bird, aux para 44, 49. De même, le quatrième facteur permet au tribunal de tenir compte de la nature de la contestation incidente eu égard à l’expertise du décideur ou de la raison d’être d’autres mécanismes ou forums pour contester l’ordonnance : Bird, au para 75.

[46] Le ministre soutient que les cinq facteurs énoncés dans l’arrêt Maybrun, explicités dans l’arrêt Bird, étayent une conclusion selon laquelle le législateur n’avait pas l’intention de permettre à un défendeur de contester de façon indirecte l’obligation énoncée à l’article 231.2 dans le cadre d’une demande d’une ordonnance de production fondée sur l’article 231.7. Selon le ministre, les troisième et quatrième facteurs énoncés dans l’arrêt Maybrun sont les plus pertinents en l’espèce, car le contrôle judiciaire a fourni à Zeifmans un autre mécanisme efficace pour contester la validité de la demande péremptoire.

[47] Le ministre soutient que la position de Zeifmans dans la présente instance ressemble à la thèse avancée par l’intimé à la Cour d’appel de la Saskatchewan (la CASK), qui l’a rejetée, dans l’arrêt Mitchell v Candle Lake (Resort Village), 2021 SKCA 44 [Mitchell]. M. Mitchell, qui avait entrepris des travaux de construction sans permis de construire, n’a pas respecté une ordonnance d’arrêt des travaux délivrée par le village en vertu de l’article 17 de l’Uniform Building and Accessibility Standards Act, SS 1983‑84, c U‑1.2 [l’UBASA]. Le village a présenté une demande à la cour en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant d’observer en vertu de l’article 23 de l’UBASA, et, dans le cadre de cette instance, M. Mitchell a fait valoir que la cour n’avait pas le pouvoir de rendre une telle ordonnance, parce que l’ordonnance d’arrêt des travaux sous‑jacente délivrée en vertu de l’article 17 était invalide. Le juge en chambre n’était pas de cet avis, et il a conclu qu’en l’absence d’un appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance d’arrêt des travaux, celle‑ci restait en vigueur. Le juge en chambre a rendu une ordonnance en vertu de l’article 23 de l’UBASA qui obligeait M. Mitchell à se conformer à l’ordonnance d’arrêt des travaux délivrée en vertu de l’article 17. La CASK a rejeté l’appel interjeté par M. Mitchell, et a conclu que le juge en chambre n’avait pas commis d’erreur en lui refusant l’autorisation de contester de façon indirecte l’ordonnance d’arrêt des travaux dans le cadre de l’instance relative à la demande d’une ordonnance enjoignant d’observer.

[48] Le ministre soutient qu’il était implicite dans l’arrêt de la CASK qu’une demande d’ordonnance enjoignant d’observer présentée en vertu de l’article 23 de l’UBASA n’est pas une procédure [traduction] « visant précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de l’ordonnance sous‑jacente ». Il précise qu’il en va de même pour une demande de production présentée en vertu de l’article 231.7 de la LIR. La présente instance relative à la demande de production n’a pas pour objet d’infirmer, de modifier ou d’annuler la demande péremptoire et, par conséquent, la contestation de Zeifmans à l’égard de la demande péremptoire est une contestation indirecte.

[49] Zeifmans soutient que la position du ministre est contraire au libellé de l’article 231.7 et à la jurisprudence établie, y compris les décisions SML et Chamandy, selon lesquels les sanctions prévues à l’article 231.7 ne peuvent être imposées que si les conditions énoncées à cette disposition ont été clairement remplies. Elle souligne que la position du ministre aurait pour effet d’empêcher tout défendeur à une demande fondée sur l’article 231.7 de soulever ce que l’on appelle un moyen de défense de fond, qu’il ait déjà ou non contesté la demande sous‑jacente fondée sur l’article 231.1 ou 231.2 en contrôle judiciaire.

[50] À mon avis, la position de Zeifmans dans la présente demande ne constitue pas une contestation indirecte de la demande péremptoire. Bien que j’accepte le fait que la présente procédure ne vise pas précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de la demande péremptoire (et Zeifmans ne demande pas une telle réparation), c’est un objectif précis de l’instance relative à une demande d’une ordonnance de production de déterminer si les conditions énoncées à l’article 231.7 sont remplies. C’est le juge qui instruit la demande d’une ordonnance de production qui doit être convaincu que ces conditions sont remplies, et, par conséquent, il n’y a pas d’autre forum pour trancher la question.

[51] Zeifmans demande à la Cour de rejeter la demande du ministre, parce que les conditions de l’article 231.7 ne sont pas remplies. Les arguments de Zeifmans sont présentés dans le forum approprié. Ils ne sont pas « indirects ».

[52] Je ne puis souscrire à la position du ministre selon laquelle la thèse de Zeifmans ressemble à celle de M. Mitchell dans l’arrêt Mitchell.

[53] La CASK a expliqué l’argument de M. Mitchell en appel de la manière suivante (Mitchell, au para 28) :

[traduction]

Dans un contexte d’appel, je comprends que M. Mitchell soutienne qu’en examinant la possibilité de rendre une ordonnance en vertu de l’article 23, le juge en chambre était tenu d’examiner les conditions préalables prévues par la loi pour sa délivrance, ce qui, à son avis, comprenait un examen de la validité de l’ordonnance sous‑jacente. Selon cet argument, si le juge en chambre avait examiné la demande de Village de cette façon, il aurait constaté qu’il n’avait pas le pouvoir de rendre une ordonnance en vertu de l’article 23. Pour cette raison, M. Mitchell affirme que la décision du juge en chambre ne peut être maintenue et doit être annulée.

[54] La CASK a examiné les arrêts de principe sur la question de la contestation indirecte, y compris l’arrêt Maybrun, et a souligné que M. Mitchell cherchait à contester l’ordonnance administrative sous‑jacente, dans le cadre d’une instance relative à une demande d’ordonnance enjoignant d’observer, plutôt que dans le cadre d’une instance pénale : Mitchell, au para 41. La CASK a exposé les raisons pour lesquelles la règle de la contestation indirecte devrait s’étendre aux situations dans lesquelles une partie n’est pas au courant de la procédure d’appel réglementaire et cherche ensuite à contester une ordonnance administrative dans une instance subséquente relative à une demande d’ordonnance enjoignant d’observer : Mitchell, au para 48.

[55] Cela étant dit, la CASK a ensuite examiné le cadre d’analyse de l’arrêt Maybrun, afin de déterminer ce que le législateur avait considéré comme étant le forum approprié pour permettre à M. Mitchell de contester l’ordonnance d’arrêt des travaux délivrée en vertu de l’article 17 de l’UBASA: Mitchell, aux para 46‑79. La CASK a conclu que la plupart des facteurs énoncés dans l’arrêt Maybrun militaient en faveur d’une conclusion selon laquelle le législateur n’avait pas voulu permettre à une personne de pouvoir contester de façon indirecte la validité d’une ordonnance d’arrêt des travaux délivrée en vertu de l’article 17, dans le cadre d’une instance subséquente fondée sur l’article 23.

[56] Bien que, dans l’arrêt Mitchell, la CASK ait appliqué la doctrine de la contestation indirecte dans une instance relative à une demande d’ordonnance enjoignant d’observer, je suis d’accord avec Zeifmans pour dire qu’il existe des différences importantes entre les dispositions de l’UBASA qui étaient en cause dans cette affaire et l’article 231.7 de la LIR. Une différence essentielle réside dans le fait que l’article 231.7 de la LIR oblige expressément le juge qui instruit l’instance à examiner la demande sous‑jacente fondée sur l’article 231.1 ou 231.2. Le fait que, selon les mots du ministre, [traduction] « le libellé du paragraphe 231.7(1) permette de présenter à la Cour la question de savoir si Zeifmans “n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2” », démontre que les arguments de Zeifmans sont présentés dans le forum approprié, et non de façon indirecte.

[57] Comme la CAF l’a fait observer dans l’arrêt Miller c Canada (Revenu national), 2022 CAF 183 [Miller], le ministre doit convaincre la Cour de l’existence de trois « conditions préalables » avant que celle‑ci ne puisse rendre une ordonnance de production en vertu de l’article 231.7 : (i) la personne contre qui l’ordonnance est rendue doit avoir été tenue, aux termes de l’article 231.1 ou 231.2 de la LIR de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents visés par l’ordonnance; (ii) cette personne doit avoir fait défaut de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents en question; et (iii) quant aux renseignements ou aux documents, ils ne doivent pas faire l’objet du privilège des communications entre client et avocat : Miller, aux para 19, 25‑27; LIR, art 231.7(1)a), b); voir aussi Lee, au para 6.

[58] Ainsi, les conditions énoncées à l’article 231.7 exigent que la Cour se prononce sur la question de savoir si le ministre avait le pouvoir de délivrer la demande péremptoire sous‑jacente (par exemple, voir Miller, au para 60), et limitent le pouvoir de la Cour de rendre une ordonnance de production (par exemple, voir Miller, au para 79). Dans les affaires portant sur une contestation indirecte sur lesquelles le ministre se fonde, la doctrine n’a pas été invoquée dans des circonstances semblables, pour interdire aux parties de faire valoir des arguments quant à la question de savoir si les conditions prévues par la loi pour la délivrance d’une ordonnance d’exécution ont été remplies.

[59] Zeifmans ajoute que le ministre n’a présenté aucune affaire portant sur l’article 231.7, dans laquelle la doctrine de la contestation indirecte avait été invoquée. Le ministre rétorque que la question qui se pose est de savoir si la doctrine s’applique, et non pas si elle a été invoquée auparavant. Bien que cela puisse être vrai, le point soulevé par Zeifmans demeure digne d’intérêt. La doctrine de la contestation indirecte s’applique sans égard à la question de savoir si une partie a eu recours ou non aux procédures de contestation directe dont elle pouvait se prévaloir, et pourtant, la jurisprudence invoquée par les parties démontre que la Cour admet régulièrement des arguments en réponse portant que les exigences énoncées à l’article 231.7 n’ont pas été remplies. La CAF a également admis de tels arguments en réponse dans des appels relatifs à une demande de production.

[60] Même dans des instances relatives à une demande d’une ordonnance de production où il était évident que les parties défenderesses avaient déposé des demandes de contrôle judiciaire pour contester les demandes de renseignements du ministre fondées sur l’article 231.1 ou 231.2, la doctrine de la contestation indirecte n’a pas été soulevée. Zeifmans souligne que, dans l’arrêt Friedman c Canada (Revenu national ), 2021 CAF 101 [Friedman], les appels portant sur des demandes de contrôle judiciaire et des demandes d’une ordonnance de production ont été instruits et examinés ensemble, et ont été décrits comme étant des « procédures judiciaires distinctes »: Friedman, au para 26. J’ajouterais que, dans la décision Canada (Revenu national ) c Ghermezian, 2022 CF 236 [Ghermezian conformité], la Cour a reconnu que certaines des parties défenderesses à l’instance relative à une demande d’une ordonnance de production avaient contesté les demandes péremptoires délivrées par le ministre en vertu de l’article 231.2, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, et pourtant, la Cour a tenu compte des arguments selon lesquels les exigences de la loi n’avaient pas été respectées.

[61] Bien que j’aie conclu que la position adoptée par Zeifmans dans la présente demande n’est pas une contestation indirecte de la demande péremptoire, les parties se sont penchées assez longuement sur les facteurs énoncés dans l’arrêt Maybrun, et je vais les examiner par souci d’exhaustivité. L’application du cadre établi dans l’arrêt Maybrun mène à une conclusion semblable.

[62] Le cadre défini dans l’arrêt Maybrun fournit des indices permettant de dégager l’intention du législateur quant au forum approprié pour contester une ordonnance administrative : Mitchell, au para 75. À mon avis, les cinq facteurs militent en faveur d’une conclusion selon laquelle l’intention du législateur était de permettre à une personne lésée de contester une demande sous‑jacente fondée sur l’article 231.1 ou 231.2 dans le cadre d’une instance relative à une demande d’une ordonnance de production en vertu de l’article 231.7. Par conséquent, les arguments de Zeifmans ne constituent pas une attaque indirecte inadmissible de la demande péremptoire.

i. les termes de la loi dont découle le pouvoir de rendre l’ordonnance

[63] Le ministre soutient que le libellé de la LIR indique l’intention du législateur d’exiger que les personnes se conforment à la loi rapidement et dès le départ, et non que le ministre soit tenu de « recourir aux accusations et aux peines pénales afin d’en assurer le respect » : Bird, au para 28. Le ministre souligne que l’article 231.2 de la LIR s’inscrit dans un ensemble plus large de dispositions qui visent à assurer un accès sans entrave et immédiat aux dossiers et renseignements du contribuable et qui sont au cœur de la capacité du ministre à assurer le respect des lois fiscales : Canada (Revenu national ) c Cameco Corporation, 2019 CAF 67 au para 27; Roofmart Ontario Inc c Canada (Revenu national ), 2020 CAF 85 au para 55 [Roofmart]. Le paragraphe 231.2(1) confère au ministre des pouvoirs généraux et étendus ainsi qu’un grand pouvoir discrétionnaire pour déterminer à qui une demande est adressée et les renseignements ou documents précis que le destinataire est tenu de produire. Il s’applique malgré les autres dispositions de la LIR, sous réserve uniquement du paragraphe 231.2(2).

[64] Selon Zeifmans, le libellé de l’article 231.7 exprime l’intention claire du législateur selon laquelle une demande fondée sur l’article 231.1 ou 231.2 doit être examinée dans le cadre d’une demande de production. Il en va autrement de la disposition relative à la conformité dont il est question dans l’arrêt Mitchell : l’article 23 de l’UBASA n’exige pas du juge qu’il examine la question de savoir si l’intimé était tenu de se conformer à l’ordonnance administrative sous‑jacente. Zeifmans soutient que la position du ministre dans la présente demande mène à un [traduction] « absurde cercle vicieux » : sa décision d’exiger la production de documents et de renseignements sans avoir obtenu une autorisation judiciaire permet de contourner la surveillance judiciaire dont il est question au paragraphe 231.2(3), tandis que la doctrine de la contestation indirecte circonscrit les arguments que le juge peut prendre en compte pour déterminer s’il est convaincu qu’une personne était tenue de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents au titre des articles 231.1 ou 231.2. Tel ne peut pas avoir été le résultat voulu par le législateur.

[65] Je suis d’accord avec Zeifmans. Le libellé de l’article 231.7 confie expressément au juge qui instruit la demande le soin de déterminer si la personne à l’égard de laquelle l’ordonnance de production sera rendue était tenue, au titre de l’article 231.1 ou 231.2 de la LIR, de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou le document visés par l’ordonnance. Aucune des décisions relatives à la contestation indirecte invoquées par le ministre ne concernait un régime qui exigeait que la Cour examine la validité de l’ordonnance ou de la directive administrative sous‑jacente. Le contrôle judiciaire d’une demande fondée sur l’article 231.1 ou 231.2 porte sur une question différente, qui est de savoir si la décision du ministre était déraisonnable. Dans chaque type de demande, la décision du juge repose sur le dossier dont il dispose. En l’espèce, le dossier, qui comprend les affidavits du ministre à l’appui et les témoignages obtenus en contre‑interrogatoire, est sensiblement différent de celui dont disposait la Cour dans la décision Zeifmans CF.

[66] Il est aussi utile de souligner que la LIR ne prévoit pas de mécanisme permettant à une partie lésée de contester une demande délivrée au titre de l’article 231.1 ou 231.2. Le ministre affirme que le législateur est censé savoir qu’un droit au contrôle judiciaire existe. À mon avis, cet argument n’est d’aucun secours au ministre. Alors qu’il savait qu’une demande délivrée au titre de l’article 231.1 ou 231.2 pouvait faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le destinataire, le législateur a néanmoins décidé d’imposer les conditions énoncées à l’alinéa 231.7(1)a). Il s’agit d’une indication selon laquelle le législateur n’a pas voulu faire du contrôle judiciaire le seul recours permettant d’examiner la question de savoir si le ministre a adéquatement exercé son pouvoir en délivrant la demande péremptoire.

ii. l’objectif de la loi

[67] Le ministre soutient que la loi milite contre la possibilité de porter une contestation indirecte à l’encontre de la demande péremptoire. La LIR renferme une vaste gamme de mécanismes d’application, car il serait naïf de croire que tous les contribuables feront les autodéclarations appropriées et paieront les impôts dus : Miller, aux para 6, 8. Selon le ministre, l’étendue de ces pouvoirs témoigne de l’importance que le législateur a accordée au respect du régime fiscal fondé sur l’autodéclaration. L’adoption d’une approche permettant de « contrevenir d’abord, pour ensuite contester » contredirait cet objectif, car cela contrecarrerait le régime administratif et compromettrait la capacité du ministre à appliquer et à exécuter la LIR en temps utile. Plutôt que de faire endosser la responsabilité de se conformer à une demande péremptoire au destinataire individuel, l’autorisation de porter une contestation indirecte dans une instance relative à une demande d’une ordonnance de production aurait pour effet de transférer cette responsabilité, en obligeant en fait le ministre à agir par la présentation d’une demande d’une ordonnance de production, pendant que le destinataire attend, après avoir contrevenu à la demande péremptoire.

[68] Zeifmans reconnaît que les mécanismes d’application de la LIR sont larges, mais soutient que les limites expresses prévues par les dispositions légales traduisent aussi l’intention du législateur. Je suis d’accord.

[69] Il existe une jurisprudence abondante sur l’interprétation des conditions prévues à l’article 231.7 à la lumière de l’objet de la LIR. Comme il en a été déjà fait mention, il existe une condition préalable à la délivrance d’une ordonnance de production : le juge qui instruit la demande d’une ordonnance de production doit être convaincu que l’intimé était tenu, aux termes de l’article 231.1 ou 231.2 de la LIR de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents visés par l’ordonnance (Miller, aux para 19, 25‑27). Comme la CAF l’a fait observer dans l’arrêt Roofmart (au para 20) :

[20] […] Lorsque le législateur précise les conditions à remplir pour obtenir un résultat donné, on peut raisonnablement supposer qu’il a voulu que le contribuable et le ministre s’appuient sur ces dispositions (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 11). Il n’est pas possible de voir dans la loi des conditions supplémentaires par interprétation large. Un objectif supposé « ne peut pas servir à créer une exception tacite à ce qui est clairement prescrit » ni mettre de côté le texte clair d’une disposition (Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715, au paragraphe 23).

[70] Je ne vois pas comment les arguments de fond de Zeifmans en l’espèce auraient pour effet de « transférer » la responsabilité au ministre. La procédure à suivre pour obtenir une ordonnance de production est prescrite par le législateur. Les conditions légales sont imposées par le législateur.

[71] Enfin, je ne suis pas convaincue par les arguments du ministre selon lesquels l’autorisation accordée à un défendeur de contester le fait qu’une condition prévue par la loi pour l’obtention d’une ordonnance de production a été remplie contrecarre le régime administratif ou compromet la capacité du ministre à appliquer et à exécuter la LIR en temps utile. Le ministre fixe le délai pour répondre à une demande présentée en vertu de l’article 231.1 ou 231.2. Le législateur a prévu un mécanisme rapide et sommaire grâce auquel la demande d’une ordonnance de production du ministre peut être instruite dans un délai très court après le début de la procédure : un avis de cinq jours francs seulement est nécessaire (LIR, art 231.7(2)). L’appel interjeté à l’encontre d’une ordonnance de production n’a pas pour effet de suspendre l’exécution de l’ordonnance, sauf ordonnance contraire d’un juge du tribunal saisi de l’appel : LIR, art 231.7(5). La procédure concernant une demande sommaire prévue à l’article 231.7 est plus rapide qu’une demande de contrôle judiciaire, et le ministre peut engager une procédure relative à une demande d’une ordonnance de production pendant qu’une demande de contrôle judiciaire est en instance : Canada (Revenu national ) c Friedman, 2019 CF 1583.

iii. l’existence d’un droit d’appel

[72] Selon le ministre, ce facteur qui a été énoncé dans l’arrêt Maybrun, et tel qu’il a été explicité dans l’arrêt Bird, est important pour la présente demande. Même si la LIR ne prévoit pas de droit d’appel à l’égard d’une demande fondée sur l’article 231.1 ou 231.2, le contrôle judiciaire constitue un mécanisme efficace permettant de contester une telle demande. Le contrôle judiciaire met adéquatement deux principes en balance : (1) veiller à ce que la décision du législateur de conférer des pouvoirs décisionnels à des organismes administratifs ne soit pas contrecarrée; et (2) veiller à ce que les justiciables disposent d’un moyen efficace de contester les ordonnances administratives : Bird, au para 26. Le ministre soutient que le législateur a clairement envisagé la possibilité d’un contrôle judiciaire, puisque l’alinéa 231.8a) de la LIR proroge le délai dans lequel le ministre peut établir une cotisation à l’égard d’un contribuable pour une année d’imposition lorsque le contribuable présente une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une demande fondée sur l’article 231.2. La seule déduction raisonnable, selon le ministre, est que le législateur était conscient de la possibilité d’un contrôle judiciaire lorsqu’il a adopté les articles 231.2 et 231.7 et voulait que le destinataire d’une demande de production fondée sur l’article 231.2 conteste celle‑ci au moyen du mécanisme de contrôle judiciaire. Zeifmans a véritablement eu une occasion raisonnable de contester la demande péremptoire dans le cadre de procédures précisément prévues à cet effet, et le législateur ne peut pas avoir eu l’intention de lui permettre d’avoir [traduction] « une seconde chance ».

[73] Zeifmans soutient que l’alinéa 231.8a) de la LIR est une disposition héritée de l’époque où le processus visant à obtenir une autorisation judiciaire au titre du paragraphe 231.2(3) se faisait par voie de requête ex parte, et où le destinataire de la demande avait le droit de demander la révision de l’ordonnance du juge ayant accordé l’autorisation.

[74] Bien que l’argument de Zeifmans puisse justifier pourquoi l’alinéa 231.8a) n’est pas applicable lorsqu’un destinataire demande le contrôle judiciaire d’une demande de production présentée en vertu de l’article 231.1, ce qui importe le plus, à mon avis, est que le législateur, conscient de la possibilité qu’un contrôle judiciaire puisse être exercé, a imposé une condition selon laquelle le juge qui instruit une demande d’une ordonnance de production doit être convaincu que le destinataire était tenu, au titre de l’article 231.1 ou 231.2, de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents. Le contrôle judiciaire ne traite pas de cette question. Le libellé de l’article 231.8 ne l’emporte pas sur les termes clairs de l’article 231.7.

[75] Zeifmans souligne également, et je suis d’accord avec elle, que l’absence d’un mécanisme d’appel constitue un critère de distinction important entre l’espèce et l’affaire Mitchell. La CASK a considéré que le processus d’appel prévu par l’UBASA était [traduction] « rigoureux », car il offrait un moyen express et rapide de contester une ordonnance rendue en vertu de l’article 17 devant une commission d’appel spécialisée, dotée des moyens nécessaires pour exercer sa fonction juridictionnelle et capable de rendre une décision dans un délai de 30 jours, et prévoyait un autre recours auprès de la Cour du Banc de la Reine pour des questions de droit. Elle a conclu que l’octroi d’une autorisation à M. Mitchell d’attaquer la validité d’une ordonnance rendue en vertu de l’article 17 dans le cadre d’une procédure d’exécution [traduction] « porterait atteinte à l’intégrité du système administratif et lui permettrait de contourner les mécanismes de contrôle appropriés mis en place par le législateur » : Mitchell, au para 77.

[76] J’ajouterais que, dans l’arrêt Bird, la CSC a énoncé trois mécanismes différents dont disposait M. Bird pour contester l’ordonnance administrative sous‑jacente, et a décidé que deux d’entre eux, le mécanisme consistant à écrire à la Commission des libérations conditionnelles et la possibilité de présenter une demande d’habeas corpus devant une cour supérieure provinciale, constituaient ensemble un moyen efficace de contester l’ordonnance. La CSC « [n’était] pas en mesure d’affirmer » que le troisième mécanisme, à savoir le contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, aurait constitué un moyen efficace de contester l’ordonnance administrative, principalement parce que le contrôle judiciaire n’aurait peut‑être pas pu procurer un recours rapide et accessible : Bird, aux para 59, 72. Même si les délais prévus pour présenter une demande de contrôle judiciaire en vue de contester une demande de production fondée sur l’article 231 ou 231.2 ne mettent pas en jeu les mêmes droits à la liberté que ceux qui étaient en cause dans l’arrêt Bird, je tiens à souligner que Zeifmans a déposé son avis de demande de contrôle judiciaire le 1er mars 2019 (Zeifmans CF, au para 7) et que l’audience a eu lieu plus de 18 mois plus tard. En comparaison, l’avis de demande d’une ordonnance de production du ministre a été déposé le 26 octobre 2022, et l’audience a eu lieu le 6 décembre 2022, et ce, en dépit d’un ajournement visant à faciliter l’établissement du calendrier des contre‑interrogatoires. Malgré un dossier de preuve plus détaillé que celui en contrôle judiciaire (point sur lequel je reviendrai), cette affaire a été instruite en moins de 6 semaines.

[77] En résumé, ce facteur étaye aussi une conclusion selon laquelle une procédure relative à une demande d’une ordonnance de production présentée en vertu de l’article 231.7 est un forum approprié pour déterminer si Zeifmans était tenue, au titre de l’article 231.2, de fournir les renseignements et les documents figurant dans la demande péremptoire.

iv. la nature de la contestation eu égard à l’expertise de l’instance d’appel ou à sa raison d’être

[78] Comme nous l’avons déjà souligné, ce facteur, tel qu’il a été affiné dans l’arrêt Bird, permet au tribunal de tenir compte de la nature de la contestation incidente, eu égard à l’expertise du décideur et à la raison d’être d’autres mécanismes ou forums permettant de contester l’ordonnance : Bird, au para 75.

[79] Le ministre affirme que la nature de la contestation de Zeifmans à l’égard de la demande péremptoire est le type de contestation que le législateur a chargé la Cour fédérale de traiter par voie de contrôle judiciaire, et relève de l’expertise de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire. La présentation d’une demande sommaire en vertu du paragraphe 231.7(1) de la LIR est une option moins souhaitable pour statuer sur les contestations de fond quant à la validité de la demande péremptoire. Les demandes sommaires sont entendues dans des délais très courts, et comme le dossier de réponse est déposé après que le ministre a déposé un dossier et que les contre‑interrogatoires ont eu lieu, il se trouve dans la position injuste, sur le plan procédural, de devoir deviner la position du défendeur. Selon le ministre, il n’est pas possible que le législateur ait voulu créer une procédure fondamentalement injuste qui permettrait aux défendeurs de [traduction] « demeurer à l’affût, munis de nombreuses contestations à l’égard de la validité de la demande, pour ne les révéler qu’après que le ministre a signifié et déposé ses affidavits et ses observations écrites, et que les contre‑interrogatoires sont terminés ».

[80] À mon avis, l’expertise de la Cour fédérale est une considération neutre. Un juge de la Cour fédérale possède l’expertise et le pouvoir que lui confère la loi de se prononcer aussi bien dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire que dans celui d’une procédure relative à une demande d’une ordonnance de production. Dans chaque type de procédure, la Cour joue un rôle particulièrement pertinent quant à la détermination de l’intention du législateur, comme c’est le cas pour les différences de nature procédurale et les questions liées à l’équité. Ces facteurs militent en faveur de la position de Zeifmans.

[81] Dans la décision Zeifmans CF, la Cour devait effectuer un contrôle selon la norme de la décision raisonnable à l’égard de la décision du ministre de délivrer la demande péremptoire. En l’absence de motifs officiels permettant d’expliquer la décision du ministre, la Cour était tenue de déterminer, à partir du dossier, si le ministre était bien au fait des questions litigieuses importantes, notamment des questions d’interprétation législative, et s’il en était arrivé à une décision raisonnable : Zeifmans CAF, aux para 10, 11.

[82] La Cour joue un rôle différent dans une procédure relative à une demande présentée en vertu de l’article 231.7, et les arguments de fond de Zeifmans se rapportent directement aux questions en litige que la Cour doit trancher. Il ne serait guère logique que le législateur confie à la Cour le soin de trancher la question de savoir si les conditions prévues à l’article 231.7 sont remplies, en fonction d’un dossier comprenant les affidavits du ministre et les éléments de preuve obtenus lors des contre‑interrogatoires de Zeifmans, et de restreindre les arguments que Zeifmans pourrait soulever sur la base de ces éléments de preuve.

[83] Je ne suis pas convaincue que ce sont les délais plus courts applicables à la procédure relative à une demande d’une ordonnance de production qui en font une instance moins appropriée pour statuer sur des contestations de fond quant à la validité de la demande péremptoire. Pour les raisons exposées précédemment, la procédure expéditive et sommaire applicable aux demandes d’une ordonnance de production présentées en vertu de l’article 231.7 est avantageuse pour le ministre sur le plan de la procédure. Malgré des délais plus courts, le dossier dont je dispose est plus détaillé que celui dont la Cour était saisie dans la décision Zeifmans CF, qui consistait en un DCT de 15 pages (dont la partie la plus pertinente était la fiche de renseignements de 9 pages) et en un affidavit de l’un des associés chez Zeifmans; le ministre n’a pas déposé de preuve par affidavit à l’appui de sa position : Zeifmans CF, au para 8.

[84] La procédure prescrite par le législateur pour l’obtention d’une ordonnance de production est une demande sommaire présentée par le ministre. Le ministre détermine la portée d’une demande présentée en vertu de l’article 231.1 ou 231.2, la portée de l’ordonnance qu’il cherche à obtenir dans le cadre de la demande présentée en vertu de l’article 231.7 et la preuve qu’il déposera à l’appui de la demande. Je ne vois aucune injustice à suivre l’ordre habituel selon lequel un demandeur dépose ses éléments de preuve et son dossier en premier, surtout dans la présente affaire où le ministre aurait pu prévoir la présentation de certains des arguments par Zeifmans et aurait pu adapter sa preuve en conséquence.

v. la sanction imposable pour défaut d’avoir respecté l’ordonnance

[85] Le ministre soutient que ce facteur milite contre la possibilité d’autoriser une contestation indirecte. Il affirme que Zeifmans ne court aucun risque sur le plan pénal à ce stade de la procédure, car une ordonnance de production ne l’obligerait qu’à se conformer à la demande péremptoire. Les conséquences qui découleraient du défaut d’observer l’ordonnance de production, comme l’incarcération et les amendes, sont trop indirectes pour être pertinentes.

[86] L’argument du ministre ne repose sur aucun fondement. Je suis d’accord avec Zeifmans pour dire que le non‑respect d’une ordonnance de production entraîne de graves conséquences. La sanction est l’outrage au tribunal : LIR, art 231.7(4). L’article 231.7 s’applique nonobstant les dispositions de l’article 238 relatives aux sanctions en cas de non‑respect d’une demande ou d’une exigence en vertu de l’article 231.1 ou 231.2 de la LIR, et impose des conséquences plus graves. Ces conséquences graves sont la raison d’être même d’une demande présentée en vertu de l’article 231.7.

[87] Pour ces motifs, je ne suis pas convaincue que les facteurs énoncés dans l’arrêt Maybrun font ressortir l’intention du législateur de restreindre les arguments de Zeifmans à l’instance en contrôle judiciaire. Les arguments de Zeifmans portent sur les conditions légales qui font partie du processus prescrit par le législateur à l’article 231.7, et la position de Zeifmans à l’égard de la présente demande ne constitue pas une contestation indirecte inadmissible de la demande péremptoire.

(2) L’abus de procédure

[88] La doctrine de l’abus de procédure a été appliquée pour empêcher la réouverture de litiges dans des circonstances où les exigences strictes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, ou res judicata, n’étaient pas remplies, mais où la réouverture porterait atteinte aux principes d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice : Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, 2003 CSC 63 [SCFP] aux para 37, 42. Le ministre soutient que les arguments de fond de Zeifmans constituent une tentative de rouvrir les questions litigieuses qui ont été tranchées dans la décision Zeifmans CF et l’arrêt Zeifmans CAF, ainsi qu’un abus de procédure.

[89] Selon le ministre, l’arrêt SCFP détermine trois fondements sous‑jacents à l’application du principe de l’abus de procédure pour préserver l’intégrité du processus juridictionnel : SCFP, au para 51. Premièrement, on ne peut présumer que la remise en cause produira un résultat plus exact que l’instance originale. Deuxièmement, si l’instance subséquente donne lieu à une conclusion similaire, la remise en cause aura été un gaspillage de ressources judiciaires et une source de dépenses inutiles pour les parties, sans compter les difficultés supplémentaires qu’elle aura pu occasionner à certains témoins. Troisièmement, si le résultat de la seconde instance diffère de la conclusion formulée à l’égard de la même question dans la première, l’incohérence, en soi, ébranlera la crédibilité de tout le processus judiciaire et en affaiblira ainsi l’autorité, la crédibilité et la vocation à l’irrévocabilité. Le ministre est d’avis que le fait de permettre à Zeifmans de présenter les mêmes arguments que ceux qui ont été rejetés dans la décision Zeifmans CF et en appel violerait les principes d’économie judiciaire, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice : SCFP, au para 51.

[90] Dans l’arrêt Zeifmans CAF, la CAF a conclu que l’interprétation implicite de l’article 231.2 faite par le ministre était « conforme au niveau conceptuel avec une jurisprudence abondante », y compris les arrêts Canada (Agence des Douanes et du Revenu) c Artistic Ideas Inc, 2005 CAF 68 [Artistic Ideas CAF], et eBay Canada Ltd c MRN, 2008 CAF 348 [eBay]. Le ministre affirme que Zeifmans tente de faire renaître une interprétation de l’article 231.2 faite dans l’arrêt Canada (MRN) c Banque Toronto Dominion, 2004 CAF 359 [Banque TD CAF], malgré la conclusion tirée dans l’arrêt Zeifmans CAF selon laquelle l’arrêt Banque TD CAF n’est pas conforme à la jurisprudence contraignante et ne doit pas être suivi : Zeifmans CAF, aux para 5, 6. Le ministre soutient que l’interprétation judiciaire de l’article 231.2 faite dans la décision Zeifmans CF et dans l’arrêt Zeifmans CAF était bien plus qu’un « contrôle selon la norme de la décision raisonnable », et le fait de permettre à Zeifmans de remettre ce point en cause compromettrait la fonction essentielle de la CAF d’assurer la cohérence du droit. Ce serait porter atteinte à la crédibilité du processus judiciaire si la Cour devait adopter une interprétation de l’article 231.2 qui est incohérente avec l’arrêt Zeifmans CAF, une instance qui faisait intervenir les mêmes parties et portait sur les mêmes faits.

[91] Le ministre soutient qu’il n’y a pas de nouveaux éléments de preuve qui justifient que l’on s’écarte de la conclusion antérieure tirée dans la décision Zeifmans CF et dans l’arrêt Zeifmans CAF selon laquelle la demande péremptoire n’était pas trop imprécise, une conclusion qui, selon le ministre, se rapprochait davantage d’une décision factuelle que d’une décision quant au caractère raisonnable. Bien que le ministre ait déposé de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de la présente demande, l’argument de Zeifmans porte sur la question de savoir si elle pouvait répondre à la demande péremptoire, et elle n’a pas déposé de nouveaux éléments de preuve.

[92] Le ministre affirme que l’argument de Zeifmans selon lequel la demande péremptoire n’a pas été signifiée à une personne remet en cause un point de droit qui a été tranché en sa défaveur. Dans la décision Zeifmans CF, la Cour a conclu que la demande péremptoire avait effectivement été adressée à chaque associé du cabinet comptable en vertu du paragraphe 244(20) de la LIR. La CAF a considéré que la signification faite à Zeifmans LLP était valide et applicable.

[93] Je ne suis pas d’accord avec le ministre pour dire que les arguments de Zeifmans constituent un abus de procédure.

[94] Dans la décision Zeifmans CF, la Cour fédérale a procédé au contrôle, selon la norme de la décision raisonnable, de la décision du ministre de délivrer la demande péremptoire sans autorisation judiciaire préalable. La CAF a confirmé que c’était l’approche adéquate qu’il fallait adopter (Zeifmans CAF, au para 2) :

[2] La Cour fédérale a procédé au contrôle de la demande péremptoire du ministre concernant la fourniture de renseignements selon la norme de la décision raisonnable. Cette décision était adéquate. La norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable par présomption : voir ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 [Vavilov]. Et, contrairement aux prétentions du cabinet comptable, rien en l’espèce ne réfute cette présomption; il ne s’agit pas d’un cas rare comme celui décrit dans l’arrêt Vavilov où la loi habilitante nous donnerait des indices pointant vers l’application de la norme de la décision correcte.

[95] L’interprétation que fait le ministre de l’article 231.2 de la LIR et l’application de cette interprétation aux faits de l’affaire ne lient pas la Cour, même si elles sont raisonnables. Dans la mesure où l’interprétation implicite faite par le ministre de l’article 231.2 et son application aux faits sont conformes à la jurisprudence contraignante, c’est cette dernière que je dois suivre.

[96] Dans la décision Zeifmans CF, la Cour a procédé à un contrôle de la décision du ministre pour en déterminer le caractère raisonnable, en fonction du dossier dont elle était saisie, qui consistait essentiellement en la fiche de renseignements de neuf pages. Les principales conclusions sont notamment les suivantes : (i) lorsqu’il n’y a pas de preuve que les personnes non désignées nommément elles‑mêmes font l’objet d’une vérification ou d’une enquête de la part de l’ARC pour vérifier si elles respectent la LIR, il n’y a aucune raison que le ministre procède en vertu du paragraphe 231.2(2). Le ministre a le droit d’exiger que le tiers fournisse les renseignements demandés si les personnes non désignées nommément ne font pas l’objet d’une vérification. (Zeifmans CF, aux para 45, 47); (ii) le caractère raisonnable de la décision du ministre de procéder sans autorisation judiciaire dans chaque cas dépend de la question de savoir si la preuve au dossier établit que les personnes non désignées nommément font l’objet d’une enquête ou d’une vérification par l’ARC (Zeifmans CF, au para 49); (iii) il n’y avait aucun élément de preuve au dossier indiquant que les personnes non désignées nommément (définies comme étant des entités détenues, exploitées, contrôlées par M. Ghermezian, Mme Vaturi et M. Vaturi ou autrement apparentées à eux) étaient visées par l’enquête actuelle, et rien dans la fiche de renseignements n’indiquait que la demande péremptoire de renseignements était nécessaire à d’autres fins que de poursuivre la vérification en cours visant M. Ghermezian et les Vaturi (Zeifmans CF, aux para 24, 64, 67).

[97] La conclusion de fait de la Cour selon laquelle les personnes non désignées nommément n’étaient pas visées par une vérification ou une enquête a suscité de la retenue en appel (Zeifmans CAF, au para 7) :

[7] Pour ce qui est de la conclusion de fait de la Cour fédérale, selon laquelle l’Agence du revenu du Canada ne visait pas les personnes non désignées nommément par une enquête, seules les erreurs de droit ou les erreurs manifestes et dominantes pourraient nous amener à l’écarter. La Cour fédérale disposait d’éléments de preuve pour tirer cette conclusion de fait et elle n’a commis aucune erreur de droit. Par conséquent, notre Cour doit maintenir la conclusion de fait de la Cour fédérale, selon laquelle les personnes non désignées nommément n’étaient pas visées par une enquête.

[98] L’approche adoptée dans le cadre de la présente demande n’est pas un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. De plus, les questions ne seront pas tranchées [traduction] « sur la base des mêmes faits », comme le prétend le ministre. La CAF a fait observer ceci, au paragraphe 4 de l’arrêt Zeifmans CAF : « Selon les faits en l’espèce, la Cour fédérale a conclu qu’il “n’y a aucun élément de preuve dans le dossier indiquant que les personnes non désignées nommément sont visées par l’enquête actuelle” (au para. 64) et que la décision du ministre de délivrer la demande sans autorisation judiciaire préalable était raisonnable. » Comme nous le verrons plus loin, il n’y a aucun élément de preuve au dossier dont je dispose qui indique que des [traduction] « entités détenues, exploitées, contrôlées [par M. Ghermezian ou les Vaturi] ou autrement apparentées » à eux étaient visées par une vérification lorsque le ministre a délivré la demande péremptoire.

[99] Le deuxième argument de Zeifmans, concernant le caractère vague ou ambigu, dépend également de la nature du contrôle judiciaire et du dossier de preuve dont disposait la Cour dans la décision Zeifmans CF.

[100] Dans la décision Zeifmans CF, Zeifmans a soutenu que les demandes de renseignements et de documents figurant dans la demande péremptoire étaient si vastes qu’elles n’avaient aucun lien apparent avec la vérification menée par l’ARC à l’égard de M. Ghermezian, de Mme Vaturi et de M. Vaturi, et qu’il n’était pas possible de conclure que le ministre avait raisonnablement exercé son pouvoir d’obtenir des renseignements dans les limites de son pouvoir, pour un objectif lié à l’application ou à l’exécution de la LIR : Zeifmans CF, au para 74. Zeifmans a également fait valoir que la demande péremptoire ne définissait pas clairement les [traduction] « entités détenues, exploitées, contrôlées [par les trois personnes] ou autrement apparentées à elles » . La Cour a examiné ces arguments en utilisant un cadre d’examen selon la norme de la décision raisonnable. La Cour a conclu qu’aucun élément de preuve dans le dossier n’indiquait que la demande péremptoire avait été délivrée pour d’autres fins que la vérification des trois particuliers contribuables, et a tiré des conclusions fondées sur la fiche de renseignements. La description par Zeifmans de divers paragraphes de la demande péremptoire comme étant trop généraux ou indûment vagues ne suffit pas à miner l’objectif déclaré de la demande péremptoire, le contexte de la vérification fourni dans la fiche de renseignements et les raisons données pour exiger les renseignements et les documents énumérés dans la demande péremptoire. Zeifmans CF, au para 76.

[101] Dans la présente demande, il existe plus que la feuille de renseignements. Le dossier comprend l’affidavit de M. Bowe et son témoignage en contre‑interrogatoire, et la Cour doit analyser les arguments de Zeifmans dans ce contexte ainsi qu’à la lumière des exigences énoncées à l’article 231.7 de la LIR.

[102] En ce qui concerne la question de savoir si la demande péremptoire a été délivrée pour d’autres fins que de poursuivre les vérifications à l’égard de M. Ghermezian et des Vaturi, M. Bowe a déclaré ce qui suit dans son affidavit :

  • il était gestionnaire de cas principal pour les vérifications dont le groupe Ghermezian faisait l’objet au moment où la demande péremptoire a été délivrée;

  • le terme [traduction] « Vérifications », selon sa définition, s’entend des vérifications menées à l’égard de Nader Ghermezian, de Diana Vaturi et de Marc Vaturi, ainsi que des vérifications visant les « entités détenues, exploitées, contrôlées [par eux] ou autrement apparentées » à eux;

  • la demande péremptoire a été délivrée dans le cadre des [traduction] Vérifications et pour s’assurer que M. Ghermezian et les Vaturi se conformaient à la LIR;

  • la direction de l’ARC d’où découlaient les [traduction] Vérifications (la Direction du secteur international et des grandes entreprises) était plus axée sur les sociétés;

  • de nombreuses entités ayant des liens économiques entre elles faisaient l’objet d’une vérification par l’ARC au moment où la demande péremptoire a été délivrée, y compris des entités étrangères;

  • les vérifications menées à l’égard des entités apparentées visaient notamment à s’assurer que celles‑ci respectaient les obligations qui leur incombaient au titre de la LIR;

  • les renseignements exigés dans la demande péremptoire pourraient être pertinents quant aux vérifications des entités apparentées, et l’ARC pourrait utiliser ces renseignements dans le cadre des vérifications.

[103] Le troisième argument de Zeifmans, concernant la question de savoir si une société de personnes est une personne n’est pas identique à l’argument qu’elle a soulevé en contrôle judiciaire. Des considérations différentes s’appliquent dans une procédure d’exécution. Dans la décision Zeifmans CF, la Cour a conclu que le ministre avait agi de façon raisonnable en adressant la demande péremptoire à la société de personnes, Zeifmans LLP. Cependant, la Cour a expressément souligné que toute préoccupation concernant l’exécution de la loi serait prise en compte dans toute mesure de conformité requise : Zeifmans CF, au para 73.

[104] Je souscris à l’argument de Zeifmans selon lequel aucun des trois fondements sous‑jacents à l’application de la doctrine de l’abus de procédure ne milite en faveur de la position du ministre. Premièrement, les dossiers de preuve dans les deux instances sont différents. L’application du résultat du contrôle judiciaire à la question que la Cour doit trancher dans la présente demande donnerait lieu à un résultat inexact. Deuxièmement, si la Cour devait parvenir à un résultat semblable à celui du contrôle judiciaire, la procédure ne constituerait pas un gaspillage des ressources judiciaires, puisqu’une ordonnance de production pourrait être rendue. Troisièmement, un résultat différent de celui du contrôle judiciaire n’ébranlerait pas la crédibilité du processus judiciaire ni n’affaiblirait la vocation à l’irrévocabilité. La différence peut être expliquée. Dans la présente demande, la Cour ne statue pas sur la question de savoir s’il faut annuler la demande péremptoire. Selon le processus prescrit par le législateur pour l’obtention d’une ordonnance de production, je suis tenue de déterminer si les critères énoncés à l’article 231.7 ont été remplis. Si je ne suis pas convaincue, sur la base du dossier dont je dispose, qu’une ordonnance de production devrait être accordée, les conclusions tirées dans la décision Zeifmans CF ou dans l’arrêt Zeifmans CAF ne sont pas remises en question.

[105] De plus, le ministre n’a jamais déclaré spontanément que les « entités détenues, exploitées, contrôlées [par M. Ghermezian ou les Vaturi] ou autrement apparentées » à eux faisaient l’objet d’une vérification au moment où il a délivré la demande péremptoire. Le ministre n’a pas déposé de preuve par affidavit dans l’instance en contrôle judiciaire et, en l’espèce, la preuve au sujet de ces autres vérifications a été révélée en contre‑interrogatoire. En présence d’une preuve contraire sur une prémisse factuelle ayant servi de fondement aux conclusions tirées dans la décision Zeifmans CF et dans l’arrêt Zeifmans CAF, je suis d’accord avec Zeifmans pour dire que le fait de l’empêcher de soulever des arguments de fond porterait atteinte à l’intégrité du processus judiciaire.

[106] En conclusion, le fait de permettre à Zeifmans de soulever des arguments de fond qui portent sur les questions que la Cour doit trancher dans le cadre de la présente demande ne constitue pas un abus de procédure.

E. La deuxième question : la Cour devrait‑elle, en vertu de l’article 231.7 de la LIR, rendre une ordonnance de production portant que Zeifmans doit fournir les documents et les renseignements figurant dans la demande péremptoire?

[107] Les parties s’entendent sur le fait que la Cour doit être convaincue de ce qui suit avant de rendre une ordonnance qui obligerait Zeifmans à fournir des documents ou des renseignements figurant dans la demande péremptoire :

a. Zeifmans était tenue, au titre de l’article 231.2 de la LIR, de fournir les documents ou les renseignements;

b. Zeifmans n’a pas fourni les documents ou les renseignements;

c. les documents ou les renseignements ne sont pas soustraits à la divulgation en raison du privilège des communications entre client et avocat (au sens du paragraphe 232(1) de la LIR).

[108] Le premier point est déterminant pour la deuxième question, c’est‑à‑dire, la question de savoir si Zeifmans était tenue, au titre de l’article 231.2 de la LIR, de fournir les documents et les renseignements figurant dans la demande péremptoire.

[109] Comme nous l’avons déjà souligné, le paragraphe 231.2(1) autorise le ministre à exiger d’une personne qu’elle produise des documents ou fournisse tout renseignement pour l’application ou l’exécution de la LIR, sous réserve du paragraphe 231.2 (2). Le ministre « ne peut exiger de quiconque — appelé "tiers" au présent article » — la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3) : LIR, art 231.2(2).

[110] Le ministre affirme qu’il a satisfait aux conditions énoncées à l’article 231.7 en ce qui concerne les documents et les renseignements dont la fourniture est exigée dans la demande péremptoire. Celle‑ci a été présentée en vertu du paragraphe 231.2(1), pour l’application ou l’exécution de la LIR, à savoir vérifier si Nader Ghermezian, Diana Vaturi et Marc Vaturi s’étaient conformés à leurs devoirs et obligations prévus par la LIR pour la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2017, notamment s’ils s’étaient conformés aux obligations en matière de déclaration de biens étrangers et s’ils avaient déclaré leurs revenus de toutes provenances. La restriction prévue au paragraphe 231.2(2) ne s’applique pas.

[111] Le ministre et Zeifmans ne sont pas d’accord sur les conditions qui donneraient naissance à l’obligation prévue au paragraphe 231.2(2) d’obtenir une autorisation judiciaire. Selon le ministre, l’autorisation judiciaire serait limitée aux cas où le ministre cherche à obtenir des renseignements d’un tiers concernant des personnes inconnues du ministre, principalement pour effectuer des vérifications à l’égard de ces personnes. Zeifmans soutient que les restrictions prévues par la loi à l’égard du pouvoir conféré au ministre par l’article 231.2 se rapportent à des personnes non désignées nommément. Il n’y a pas de disposition relative aux [traduction] « personnes inconnues » dans la LIR.

[112] Zeifmans fait valoir que, dans la décision Canada (ministre du Revenu national) c Banque Toronto Dominion, 2004 CF 169 [Banque TD CF], qui a été confirmée dans l’arrêt Banque TD CAF, la Cour a refusé de rendre une ordonnance de production en vertu de l’article 231.7, parce que les formalités exigées à l’article 231.2 de la LIR n’avaient pas été remplies. Zeifmans affirme que, comme dans la décision Banque TD CF, le ministre cherche à obtenir, dans la présente demande, une ordonnance de production contre un tiers détenteur de documents qui n’est pas visé par une vérification. Contrairement à la décision Banque TD CF, les documents et les renseignements que l’on cherche à obtenir, selon la demande péremptoire, sont nombreux et concernent des personnes non désignées nommément, et le ministre procédait activement à la vérification de personnes non désignées nommément lorsqu’il a délivré la demande péremptoire. Par conséquent, il y a davantage lieu de s’inquiéter de l’absence d’une autorisation judiciaire en l’espèce.

[113] Dans l’arrêt Banque TD CAF, la CAF a conclu que le ministre devait obtenir une autorisation judiciaire avant de délivrer une demande de renseignements et de documents fondée sur l’article 231.2 concernant des personnes non désignées nommément, qu’elles fassent ou non l’objet d’une vérification. Zeifmans affirme que le paragraphe 231.2(2) est clair et sans réserve, et demande instamment à la Cour de ne pas faire abstraction du sens littéral de la disposition : Banque TD CF, aux para 27‑29, 34, conf par Banque TD CAF; Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54 aux para 10‑13. Elle avance que, bien que la CAF ait fait observer dans l’arrêt Zeifmans CAF que l’arrêt Banque TD CAF ne devrait pas être suivi dans la mesure où il n’est pas conforme à l’arrêt Artistic Ideas CAF, elle n’a pas écarté l’arrêt Banque TD CAF.

[114] Quoi qu’il en soit, Zeifmans soutient que, dans l’arrêt Artistic Ideas CAF, une affaire dans laquelle le tiers destinataire faisait lui‑même l’objet d’une vérification et où les renseignements recherchés par le ministre concernant des parties non désignées nommément se limitaient à leur nom, le ministre était tenu d’obtenir une autorisation judiciaire avant d’imposer à un tiers l’obligation de fournir des documents ou des renseignements concernant des personnes non désignées nommément que le ministre voulait soumettre à une enquête. Zeifmans affirme que, même en fonction du critère que l’on pourrait qualifier de faible établi dans l’arrêt Artistic Ideas CAF, le ministre aurait dû obtenir une autorisation judiciaire avant de délivrer la demande péremptoire, car les personnes non désignées nommément dans la demande péremptoire faisaient l’objet d’une enquête de la part de l’ARC, à ce moment‑là. Il s’agit précisément des personnes non désignées nommément auxquelles s’appliquent les paragraphes 231.2(2) et (3) de la LIR : Artistic Ideas CAF, au para 10.

[115] Zeifmans soutient que l’affidavit de M. Bowe et son témoignage en contre‑interrogatoire, la fiche de renseignements et les nombreuses demandes de renseignements et de documents de fond adressées à des personnes non désignées nommément constituent une preuve abondante que des personnes non désignées nommément faisaient l’objet d’une enquête active lorsque la demande péremptoire a été délivrée, que celle‑ci a été délivrée dans le cadre des vérifications visant des personnes non désignées nommément et que l’ARC pouvait utiliser les renseignements et les documents pour ces vérifications. Si le ministre n’était pas tenu d’obtenir une autorisation judiciaire préalable pour délivrer la demande péremptoire de documents et de renseignements concernant des personnes non désignées nommément qui faisaient l’objet d’une vérification, il est difficile, selon Zeifmans, de concevoir à quel moment la protection conférée par le paragraphe 231.2(2) entrerait en jeu.

[116] La réponse du ministre à l’argument de Zeifmans semble reposer sur deux prémisses qui se recoupent. La première concerne la définition de l’expression « personnes non désignées nommément ». Le ministre semble la définir de manière à exclure les personnes qui sont connues de lui. La seconde a trait à l’objectif de la demande péremptoire.

[117] Le ministre soutient que la CAF a confirmé, dans l’arrêt Zeifmans CAF, que l’autorisation judiciaire prévue aux paragraphes 231.2(2) et (3) n’est requise que lorsque le ministre cherche à obtenir des renseignements sur des personnes inconnues, principalement pour effectuer des vérifications à l’égard de ces personnes. Il est d’avis qu’une autorisation judiciaire n’est pas nécessaire lorsqu’il (i) effectue une vérification à l’égard de personnes désignées ou connues; (ii) demande à la personne faisant l’objet d’une vérification ou à un tiers de fournir des renseignements sur la personne faisant l’objet de la vérification; et (iii) demande des renseignements qui peuvent comprendre de l’information concernant des personnes non désignées nommément ou inconnues et qui se rapportent à l’évaluation de la dette fiscale de personnes connues. Le ministre cite à l’appui les décisions et arrêts suivants : Zeifmans CAF, aux para 4‑6; Artistic Ideas CAF, aux para 8, 10, 11; eBay, au para 23; Redeemer Foundation c Canada (Revenu national), 2008 CSC 46 [Redeemer Foundation] aux para 19‑22; Ghermezian c Canada (Procureur général), 2020 CF 1137 [Ghermezian CJ] aux para 39‑41; Ghermezian conformité, aux para 258, 259. Comme je l’expliquerai plus loin, les paragraphes cités n’étayent pas, à mon avis, les principes qu’énonce le ministre.

[118] Selon le ministre, Zeifmans se fonde en grande partie sur l’arrêt Banque TD CAF pour contester les principes évoqués précédemment. Cet arrêt a été écarté et ne fait plus jurisprudence : Zeifmans CAF, aux para 5, 6. Le ministre affirme également que l’arrêt Banque TD CAF a été supplanté par l’arrêt Redeemer Foundation, qui confirme qu’une autorisation judiciaire n’est pas nécessaire lorsque le ministre effectue une vérification à l’égard de contribuables désignés nommément, même si les renseignements, une fois obtenus, mèneraient à des enquêtes sur d’autres personnes : Redeemer Foundation, au para 22. Le ministre soutient que les faits en l’espèce s’apparentent à ceux de l’affaire Redeemer Foundation : le ministre effectue une vérification à l’égard de contribuables désignés nommément et cherche à obtenir des documents et des renseignements aux fins de la vérification portant sur ces contribuables. Il affirme que le raisonnement de Zeifmans conduirait à un résultat absurde. Dans de telles situations, le ministre ne pourrait jamais obtenir des renseignements ou des documents concernant une personne non désignée nommément qui ne fait pas l’objet d’une vérification, même si ces renseignements ou documents sont pertinents quant à la vérification visant un autre contribuable.

[119] Le ministre affirme qu’il n’y a aucun élément de preuve au dossier permettant de conclure qu’il a cherché à obtenir les documents et les renseignements requis dans la demande péremptoire pour mener une vérification à l’égard de personnes non désignées nommément ou inconnues. Il ajoute que la question de savoir si des entités au Canada ou à l’étranger étaient détenues, exploitées, contrôlées par M. Ghermezian et M. Vaturi ou autrement apparentées à eux est pertinente pour déterminer s’ils se conformaient à la LIR et s’ils avaient correctement déclaré ou divulgué leurs revenus de toutes provenances. Plus précisément, Mme Vaturi et/ou M. Vaturi ont reçu d’importants virements électroniques de fonds de la part de trois sociétés liées de Hong Kong entre 2014 et 2018, qui n’ont pas été inclus en tant que revenus dans leurs déclarations fiscales. M. Vaturi a été administrateur des sociétés jusqu’au milieu de l’année 2014. L’ARC croit que les virements électroniques de fonds proviennent d’activités d’entreprises exploitées à l’étranger.

[120] Le ministre affirme que c’est à juste titre qu’il a délivré la demande péremptoire en vertu du paragraphe 231.2(1) de la LIR, parce qu’aucune personne non désignée nommément n’a été visée aux fins de vérification. Il ajoute que Zeifmans a [traduction] « limité » la preuve de M. Bowe et n’a pas donné un tableau complet de la preuve dans son ensemble (ce que Zeifmans conteste vigoureusement). Le ministre souligne que la demande péremptoire n’a pas été délivrée pour lui permettre de mener une vérification à l’égard de personnes non désignées nommément ou inconnues afin de vérifier qu’elles se conformaient à la LIR; elle a plutôt été délivrée pour lui permettre de poursuivre la vérification visant [traduction] « six contribuables désignés nommément ou connus », dont Nader Ghermezian, Diana Vaturi et Marc Vaturi, et M. Bowe a déclaré à plusieurs reprises que la demande péremptoire avait été délivrée à cette fin et uniquement à cette fin. Le ministre insiste sur le fait que M. Bowe n’a pas laissé entendre que la demande péremptoire avait été délivrée dans le but de mener une vérification à l’égard de personnes non désignées nommément ou d’entités connues détenues, exploitées, contrôlées par Nader Ghermezian, Diana Vaturi et Marc Vaturi ou autrement apparentées à eux qui faisaient l’objet d’une vérification par l’ARC. Les entités connues qui faisaient l’objet d’une vérification [traduction] « n’étaient pas nécessairement » les mêmes entités qui envoyaient des fonds par virements électroniques aux Vaturi, ou les mêmes entités au sujet desquelles Zeifmans détiendrait des renseignements.

[121] Je ne souscris pas à l’avis du ministre selon lequel sa position a été récemment confirmée aux paragraphes 4 à 6 de l’arrêt Zeifmans CAF. La CAF n’a pas précisé que l’autorisation judiciaire n’est requise que lorsque le ministre cherche à obtenir des renseignements concernant des personnes qui lui sont inconnues, ou lorsqu’une demande a pour but principal de mener une vérification à l’égard de personnes inconnues. L’arrêt ne fait pas mention de l’expression « personnes inconnues ».

[122] Les paragraphes 4 à 6 de l’arrêt Zeifmans CAF sont ainsi rédigés :

[4] La Cour fédérale a conclu que le ministre avait raisonnablement interprété l’article 231.2 et qu’une autorisation préalable n’était pas nécessaire. Il semblerait que le ministre ait été d’avis qu’une autorisation judiciaire préalable n’est requise que lorsque la demande péremptoire s’applique à des renseignements et à des documents liés à des personnes identifiables et non désignées nommément pour vérifier que ces personnes ont rempli leurs obligations aux termes de la Loi. Selon les faits en l’espèce, la Cour fédérale a conclu qu’il « n’y a aucun élément de preuve dans le dossier indiquant que les personnes non désignées nommément sont visées par l’enquête actuelle » (au para. 64) et que la décision du ministre de délivrer la demande sans autorisation judiciaire préalable était raisonnable.

Nous sommes du même avis. Selon les observations de la Cour fédérale, l’interprétation que fait le ministre de l’article 231.2 de la Loi est conforme au niveau conceptuel avec une jurisprudence abondante : les multiples décisions qui lient notre Cour (Canada (Agence des Douanes et du Revenu) c. Artistic Ideas Inc., 2005 CAF 68, [2006] 2 R.C.F. F‑15 et eBay Canada Limited c. Canada (Revenu national), 2008 CAF 348, [2010] 1 R.C.F. 145 au para. 23); une remarque incidente de la Cour suprême du Canada qui est conforme au niveau conceptuel avec l’arrêt Artistic Ideas (Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643); de nombreuses décisions de la Cour fédérale qui ont suivi l’arrêt Artistic Ideas (p. ex. Canada (Revenu national) c. Morton, 2007 CF 503, [2007] 4 C.T.C. 108 au para. 11, Canada (Revenu national) c. Advantage Credit Union, 2008 CF 853, [2009] 2 R.C.F. 185 aux para. 16 et 17, Canada (Revenu national) c. Banque Amex du Canada, 2008 CF 972, [2009] 2 R.C.F. F‑3 au par. 54, London Life c. Canada (Procureur général), 2009 CF 956 aux para. 21 à 24, et Ghermezian c. Canada (Procureur général), 2020 CF 1137, [2021] 1 R.C.F. F‑16 aux para. 39 à 41). Nous estimons que nous sommes liés par l’interprétation de l’article 231.2 que notre Cour en a fait dans les arrêts Artistic Ideas et eBay, des décisions postérieures qui diffèrent, au niveau conceptuel et dans leur interprétation, de l’arrêt Canada (ministre du Revenu national) c. Banque Toronto Dominion, 2004 CAF 359, [2006] 1 R.C.F. F‑18.

[6] La décision d’adopter et d’appliquer une interprétation de l’article 231.2 de la Loi qui est conforme aux jugements Artistic Ideas et eBay ainsi qu’aux jugements rendus dans leur foulée est une décision raisonnable du ministre. Les jugements Artistic Ideas et eBay ainsi que les jugements rendus dans leur foulée interprètent l’article 231.2 correctement. L’arrêt Banque Toronto Dominion ne doit pas être suivi dans la mesure où il propose une autre interprétation que celle adoptée dans les jugements Artistic Ideas et eBay ainsi que dans les jugements rendus dans leur foulée. C’est exactement ce qu’a dit la Cour fédérale. Nous souscrivons à cette conclusion, essentiellement pour les motifs que la Cour fédérale a donnés.
[Non souligné dans l’original.]

[123] La mention faite par la CAF de renseignements et de documents concernant des personnes non désignées nommément qui sont identifiables et dont la fourniture peut être exigée, afin de vérifier qu’elles ont respecté quelque obligation prévue par la LIR, correspond au libellé du paragraphe 231.2(3). À mon avis, ce libellé ne permet pas d’étayer la position du ministre selon laquelle une autorisation judiciaire n’est pas nécessaire lorsqu’il (i) effectue une vérification à l’égard de personnes désignées ou connues; (ii) demande à la personne faisant l’objet d’une vérification ou à un tiers de fournir des renseignements sur la personne faisant l’objet de la vérification; et (iii) demande des renseignements qui peuvent comprendre de l’information concernant des personnes non désignées nommément ou inconnues et qui se rapportent à l’évaluation de la dette fiscale de personnes connues.

[124] Dans la décision Zeifmans CF, la Cour a utilisé les termes « personnes non désignées nommément » pour décrire les personnes au sujet desquelles les renseignements et les documents sont demandés : Zeifmans CF, au para 33. Dans cette affaire, l’expression définie « personnes non désignées nommément » s’entendait des entités détenues, exploitées, contrôlées par M. Ghermezian, Mme Vaturi et M. Vaturi ou autrement apparentées à eux : Zeifmans CF, au para 24. Selon la Cour, le caractère raisonnable de la décision du ministre de procéder sans autorisation judiciaire dans chaque cas dépend de la question de savoir si la preuve au dossier établit que les personnes non désignées nommément font l’objet d’une enquête ou d’une vérification par l’ARC (Zeifmans CF, aux paras 33, 49), et il n’y a « aucun élément de preuve dans le dossier indiquant que les personnes non désignées nommément sont visées par l’enquête actuelle » (Zeifmans CF, au para 64).

[125] Selon la preuve produite dans le cadre de la présente demande, les personnes non désignées nommément, tel que l’expression a été définie dans la décision Zeifmans CF, étaient et demeurent visées par une enquête. En effet, les personnes non désignées nommément faisaient déjà l’objet d’une vérification lorsque la demande péremptoire a été délivrée, et les vérifications ne sont pas encore terminées.

[126] Dans l’arrêt Zeifmans CAF, la CAF a cité la conclusion factuelle figurant au paragraphe 64 de la décision Zeifmans CF, et son raisonnement était lié à cette conclusion :

[7] Pour ce qui est de la conclusion de fait de la Cour fédérale, selon laquelle l’Agence du revenu du Canada ne visait pas les personnes non désignées nommément par une enquête, seules les erreurs de droit ou les erreurs manifestes et dominantes pourraient nous amener à l’écarter. La Cour fédérale disposait d’éléments de preuve pour tirer cette conclusion de fait et elle n’a commis aucune erreur de droit. Par conséquent, notre Cour doit maintenir la conclusion de fait de la Cour fédérale, selon laquelle les personnes non désignées nommément n’étaient pas visées par une enquête.

[…]

[10] […] En examinant l’ensemble du dossier, la cour de révision doit avoir la certitude que le décideur administratif était bien au fait des questions litigieuses importantes, notamment des questions d’interprétation législative, pour en arriver à ses décisions, en vérifiant ce qui est explicite dans les motifs ou ce qui est implicite ou sous‑entendu dans le dossier.

[11] En l’espèce, pour obtenir cette certitude, il suffit d’examiner le dossier dont disposait le ministre et la décision du ministre : nous connaissons le point de vue du ministre, le ministre était conscient de l’article 231.2, le ministre a adopté de façon implicite ou sous‑entendue une interprétation de l’article 231.2 qui est conforme aux jugements Artistic Ideas et eBay ainsi qu’aux jugements rendus dans leur foulée, et le ministre a appliqué raisonnablement cette interprétation aux faits de l’espèce. La décision du ministre s’avère raisonnable.
[Non souligné dans l’original.]

[127] Sur la base du dossier de preuve dont je dispose, je conclus que la position du ministre en l’espèce n’est pas conforme à l’arrêt Artistic Ideas CAF.

[128] Dans l’affaire Artistic Ideas CAF, il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision rendue sur une demande visant à obtenir la radiation d’une partie de la demande de fourniture de renseignements et de production de documents délivrée en vertu de l’article 231.2. La demanderesse, Artistic Ideas Inc, avait organisé la vente d’œuvres d’art à des contribuables canadiens, qui en faisaient ensuite don à des organismes de bienfaisance enregistrés afin d’obtenir un avantage fiscal fondé sur la différence entre la valeur d’expertise des œuvres d’art et le prix d’achat. Dans le cadre d’une vérification menée à l’égard d’Artistic Ideas Inc, le ministre a délivré une demande de fourniture de renseignements et de production de documents, dont le nom des donateurs et des organismes de bienfaisance. Les donateurs et les organismes de bienfaisance étaient des personnes non désignées nommément.

[129] La CAF a énoncé les conclusions factuelles pertinentes suivantes tirées de la décision Artistic Ideas Inc c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2004 CF 573 [Artistic Ideas CF] : (i) la vérification d’Artistic Ideas Inc par le ministre constituait une enquête réelle et sérieuse sur son assujettissement à l’impôt; (ii) les noms des donateurs et des organismes de bienfaisance étaient utiles pour la vérification d’Artistic Ideas Inc; (iii) le ministre voulait établir de nouvelles cotisations à l’égard des donateurs, parce qu’ils s’étaient livrés à des opérations d’achat et de vente successifs d’œuvres d’art; (iv) aucune preuve n’indiquait que le ministre avait l’intention d’effectuer la vérification des organismes de bienfaisance. En se fondant sur ces conclusions, la Cour a jugé, dans la décision Artistic Ideas FC, que le ministre avait le droit de connaître le nom des organismes de bienfaisance, mais non celui des donateurs.

[130] La conclusion de la Cour a été confirmée par la CAF (Artistic Ideas CAF, aux para 10‑13, 17):

[10] Selon la preuve en l’espèce, ce sont les donateurs qui sont censés faire l’objet d’enquêtes de la part du ministre. Il s’agit précisément des personnes auxquelles les paragraphes 231.2(2) et (3) s’appliquent. Si le ministre veut qu’Artistic lui communique leur nom, il doit obtenir l’autorisation d’un juge. Or, une telle autorisation n’a pas été obtenue en l’espèce et le ministre ne peut pas, par conséquent, exiger d’Artistic qu’elle fournisse des renseignements concernant les donateurs.

[11] Par contre, les paragraphes 231.2(2) et (3) ne s’appliquent pas si les personnes non désignées nommément ne font pas elles‑mêmes l’objet d’une enquête. On peut supposer que leur nom est alors nécessaire seulement pour l’enquête effectuée par le ministre sur le tiers. Dans un tel cas, le tiers à qui est signifiée une demande de fourniture de renseignements et de production de documents en vertu du paragraphe 231.2(1) doit fournir tous les renseignements et documents pertinents, y compris le nom de personnes non désignées nommément, vu que le paragraphe 231.2(2) vise seulement les personnes non désignées nommément à l’égard desquelles le ministre peut obtenir l’autorisation d’un juge en vertu du paragraphe 231.2(3).

[12] Aucune preuve n’indique que le ministre souhaite obtenir le nom des organismes de bienfaisance pour vérifier si elles se conforment à la Loi. Par conséquent, il a le droit de se faire communiquer le nom de ces organismes en vertu du paragraphe 231.2(1) parce que les paragraphes 231.2(2) et (3) ne s’appliquent pas à eux.

[13] Ainsi, la juge Snider a conclu à juste titre qu’Artistic devait communiquer le nom des organismes de bienfaisance, mais non celui des donateurs.

[…]

[17] Si le ministre avise le tiers qu’il n’a aucune raison d’invoquer le paragraphe 231.2(3) et que le tiers refuse de communiquer le nom de personnes non désignées nommément parce qu’il n’est pas convaincu que ces personnes ne font pas l’objet d’une enquête, le tiers peut intenter un recours devant la Cour fédérale ou le ministre peut intenter un recours en vertu des autres dispositions de la Loi.

[131] En l’espèce, la demande péremptoire vise l’obtention de documents et de renseignements concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément qui ont fait, et font encore, l’objet d’une enquête. Le ministre était tenu d’obtenir une autorisation judiciaire préalable, mais il ne l’a pas fait.

[132] Le ministre accuse Zeifmans de limiter les éléments de preuve et de ne pas en fournir un tableau complet. Cette accusation n’est pas justifiée. En fait, c’était le résumé de la preuve du ministre qui était parfois inexact ou qui pouvait même induire en erreur. Le ministre ne définit pas clairement les personnes non désignées nommément, et il alterne, dans son argumentation, entre les expressions « personnes non désignées nommément » et « personnes inconnues », ce qui porte à confusion. Par exemple, au paragraphe 118 du mémoire en réplique, le ministre affirme que c’est [traduction] « à juste titre qu’il a délivré la demande péremptoire en vertu du paragraphe 231.2(1), parce qu’aucune personne non désignée nommément n’était visée par une vérification », sans même expliquer que cette affirmation n’est probablement pas vraie, à moins que « personnes non désignées nommément » soit synonyme de « personnes inconnues du ministre ». Dans le cas qui nous occupe, de nombreuses entités apparentées sont connues du ministre, y compris celles qui font l’objet d’une vérification. Le ministre précise qu’il ne les a pas nommées dans la demande péremptoire pour éviter des complications inutiles et qu’il ne connaissait pas trop les relations qui existaient entre elles.

[133] La distinction entre les deux expressions est d’autant plus importante, eu égard à la définition de l’expression « personnes non désignées nommément » que la Cour a donnée dans la décision Zeifmans CF. Il ressort clairement du contre‑interrogatoire de M. Bowe que les personnes non désignées nommément, au sens de la définition de cette expression dans la décision Zeifmans CF, faisaient l’objet d’une vérification au moment où le ministre a délivré la demande péremptoire, et que les vérifications sont toujours en cours :

[traduction]
120. Q. Ainsi, cette expression, « les entités détenues, exploitées, contrôlées par Marc Vaturi, Diana Vaturi et/ou Nader Ghermezian ou autrement apparentées à eux », que nous appellerons « entités apparentées », certaines de ces entités faisaient l’objet de vérifications au moment de l’envoi de cette lettre du 30 janvier 2019.

R. Oui, oui. Je ne me rappelle pas très bien quelles entités auraient fait l’objet d’une vérification.

121. Q. Mais certaines d’entre elles faisaient l’objet d’une vérification au moment de l’envoi de cette lettre, le 30 janvier 2019.

R. Oui.

[…]

138. Q. Et, comme vous l’avez dit plus tôt, bon nombre de ces entités économiquement liées faisaient l’objet d’une vérification au moment de l’envoi de la lettre, n’est‑ce pas?

R. C’est exact.

139. Q. Si je comprends bien, la vérification visant le groupe Ghermezian n’est pas encore terminée. Est‑ce exact?

R. Je crois que c’est vrai.

[134] Le ministre essaie d’expliquer que les entités connues qui faisaient l’objet d’une vérification « n’étaient pas nécessairement » les mêmes entités qui effectuaient des virements électroniques de fonds aux Vaturi ou les mêmes entités au sujet desquelles Zeifmans avait des renseignements. Cet argument est difficile à comprendre. Le ministre devrait connaître les entités qui sont visées par une vérification. La Cour ne les connaît pas. En tout état de cause, la demande péremptoire n’est pas limitée aux trois entités étrangères qui ont fait des virements électroniques de fonds aux Vaturi. Elle comporte une phrase fourre‑tout qui engloberait les entités qui sont apparentées, d’une manière ou d’une autre, à M. Ghermezian et aux Vaturi. Selon le témoignage de M. Bowe, ces entités apparentées faisaient, et font toujours, l’objet d’une vérification.

[135] Compte tenu de la conclusion que j’ai tirée, selon laquelle la position du ministre n’est pas conforme à l’arrêt Artistic Ideas CAF, il n’est pas nécessaire que j’examine les arguments des parties au sujet de l’arrêt Banque TD CAF. Bien que je sois d’accord avec Zeifmans pour dire que la CAF n’a pas purement et simplement rejeté l’arrêt Banque TD CAF, une analyse de la mesure dans laquelle l’arrêt Banque TD CAF propose une autre interprétation que celle adoptée dans les jugements Artistic Ideas CAF et eBay, ainsi que dans les jugements rendus dans leur foulée, serait contextuelle (chaque affaire portait sur des types de procédures différents et sur des dispositions différentes de la LIR), et il vaudrait mieux réserver une telle analyse à une autre affaire.

[136] J’ai examiné les autres précédents invoqués par le ministre à l’appui de sa position selon laquelle l’autorisation judiciaire prévue aux paragraphes 231.2(2) et (3) n’est requise que lorsque le ministre cherche à obtenir des renseignements sur des personnes inconnues, principalement pour effectuer une vérification à l’égard de ces personnes. Je ne suis pas convaincue qu’ils établissent que le ministre n’a pas outrepassé ses pouvoirs en délivrant la demande péremptoire sans autorisation judiciaire préalable :

  • Artistic Ideas CAF, aux para 8, 10, 11 : il n’est fait aucune mention de l’expression « personnes inconnues » dans cet arrêt. En effet, il semble que le ministre connaissait le nom de certains donataires au moment de délivrer la demande de fourniture de renseignements et de production de documents (voir Artistic Ideas CF, au para 18), et les donataires « non désignés nommément » formaient un groupe qui comprenait des personnes connues et inconnues du ministre.

  • eBay, au par 23 : il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision rendue par la Cour fédérale confirmant une ordonnance ex parte rendue antérieurement, qui autorisait le ministre à exiger d’eBay la fourniture de renseignements ou la production de documents prévue à l’article 231.2 (comme nous l’avons déjà souligné, une version antérieure de l’article 231.2 autorisait le ministre à présenter une requête ex parte pour obtenir une autorisation judiciaire de délivrer une demande de fourniture de renseignements ou de production de documents, et permettait au destinataire de demander la révision de l’ordonnance du juge ayant accordé l’autorisation). Dans la demande, on cherchait à obtenir le nom de « PowerSellers » canadiens ayant des volumes de ventes élevés. Au paragraphe 23 de l’arrêt eBay, il est énoncé que le paragraphe 231.2(2) est conçu pour permettre au ministre de vérifier si les personnes non désignées nommément se conforment aux obligations découlant pour elles de la LIR. Il n’est pas précisé à ce paragraphe que les personnes non désignées nommément s’entendent des personnes inconnues du ministre.

  • Redeemer Foundation, aux para 19‑22 : dans cet arrêt, il s’agissait de déterminer si le ministre devait demander une autorisation judiciaire, en vertu du paragraphe 231.2(2) de la LIR, avant d’exiger que l’organisme de bienfaisance enregistré lui remette des renseignements sur l’identité de ses donateurs. Dans le cadre d’une vérification légitime de l’organisme de bienfaisance, le vérificateur de l’ARC a demandé verbalement une liste des donateurs, un renseignement qui aurait dû figurer dans les registres que l’organisme de bienfaisance devait tenir. La CSC a conclu que l’autorisation judiciaire n’était pas nécessaire, parce que l’effet combiné de l’alinéa 230(2)a) et de l’article 231.1 de la LIR permettait au ministre d’obtenir des renseignements sur l’identité des donateurs. Au paragraphe 22, la CSC a formulé les observations suivantes : « La restriction énoncée au par. 231.2(2) ne devrait pas s’appliquer aux situations où les renseignements demandés sont nécessaires pour vérifier que le contribuable visé par la vérification se conforme à la Loi. Qu’il existe ou non une possibilité ou une probabilité que la vérification donne lieu à une enquête concernant d’autres contribuables non désignés nommément, l’ARC devrait pouvoir obtenir les renseignements dont elle pourrait autrement prendre connaissance dans le cadre d’une vérification. » Les circonstances de l’espèce vont au‑delà d’une possibilité ou d’une probabilité d’enquête : les entités apparentées étaient déjà visées par une enquête, et certaines faisaient déjà l’objet d’une vérification. Par ailleurs, l’arrêt Redeemer Foundation concernait une demande fondée sur l’article 231.1 qui était adressée à un contribuable faisant l’objet d’une vérification. À mon avis, il y a lieu d’établir une distinction entre les circonstances de l’affaire Redeemer Foundation et celles de la présente affaire, et l’arrêt Redeemer Foundation n’étaye pas la position du ministre.

  • Ghermezian CJ, aux para 39‑41 : dans la décision Ghermezian CJ, la Cour a examiné les arguments des parties quant à la question de savoir si les mots « personnes non désignées nommément » qui figurent aux paragraphes 231.2(2) et (3) s’entendent des personnes non désignées nommément dans la demande péremptoire de renseignements prévue à l’article 231.2 ou des personnes inconnues du ministre. Toutefois, la Cour n’a pas déterminé le sens des mots, « personnes non désignées nommément », parce qu’il ne lui appartenait pas de le faire dans le cadre du contrôle judiciaire. La Cour devait plutôt décider s’il était raisonnable de la part du ministre de délivrer les demandes péremptoires de renseignements sans d’abord solliciter une autorisation judiciaire : Ghermezian CJ, au para 57. Après avoir passé en revue quelques décisions, la Cour a conclu qu’aucune d’entre elles ne répondait à la question d’interprétation légale soulevée dans cette affaire : Ghermezian CJ, au para 71. Finalement, la Cour n’a pu conclure que la décision du ministre était déraisonnable : il n’y avait pas de jurisprudence définitive à ce sujet, les facteurs pertinents quant au texte, au contexte et à l’objet des dispositions en cause n’apportaient pas une solution claire et, « à certains égards », la jurisprudence et les facteurs en question étayaient les décisions implicites du ministre de délivrer des demandes péremptoires de renseignements sans autorisation judiciaire préalable : Ghermezian CJ, au para 73. Cette décision n’établit pas que les personnes non désignées nommément s’entendent des personnes inconnues du ministre.

  • Ghermezian conformité, aux para 258, 259 : la décision Ghermezian conformité se rapproche le plus de la position du ministre, mais même cette décision n’établit aucun principe général selon lequel une autorisation judiciaire n’est nécessaire que lorsque le ministre cherche à obtenir des renseignements sur des personnes inconnues, principalement pour mener une vérification à leur égard. La Cour a examiné les principes généraux applicables au pouvoir du ministre de délivrer une demande de fourniture de renseignements et de production de documents à des personnes non désignées nommément aux paragraphes 161 à 169 de la décision Ghermezian conformité, et non aux paragraphes 258 et 259, et a fait observer que le bien‑fondé des arguments des parties ne pouvait être apprécié qu’en fonction de la demande péremptoire individuelle sur laquelle le ministre se fonde. Les paragraphes 258 et 259 font partie de l’analyse contextuelle de la Cour portant sur les arguments des parties pour une requête précise, la requête GG‑24, adressée à M. Ghermezian ainsi qu’à ses frères : Ghermezian conformité, aux para 250‑260. Comme je l’expliquerai plus loin, il y a lieu d’établir une distinction entre le contexte sur lequel repose l’analyse de la requête GG‑24 et le contexte de la demande péremptoire que le ministre a adressée à Zeifmans.

[137] Le ministre avait présenté la requête GG‑24 en vertu de l’article 231.1 de la LIR, et non en vertu de l’article 231.2, et la Cour a analysé l’« argument sur les personnes non désignées nommément » en se fondant sur le fait que le ministre ne peut échapper à l’obligation d’obtenir l’autorisation judiciaire préalable en présentant une requête en vertu de l’article 231.1 plutôt que de l’article 231.2 : Ghermezian conformité, au para 258. Les limites du pouvoir du ministre de demander des renseignements sur des personnes non désignées nommément sont différentes dans le cas d’une demande fondée sur l’article 231.1. En vertu de l’article 231.1 de la LIR, le ministre est autorisé à inspecter tous documents d’un contribuable visé par une vérification qui devraient figurer dans ses livres et registres, y compris les renseignements concernant des tiers que le contribuable est tenu de conserver : Miller CAF, aux para 47, 52; Redeemer Foundation, aux para 1, 24. Zeifmans n’est pas visée par une vérification, et le même principe ne s’applique pas dans le contexte de la demande péremptoire fondée sur l’article 231.2 adressée à Zeifmans.

[138] En outre, il apparaît que, dans la décision Ghermezian conformité, la demande présentée par le ministre en vue d’obtenir une ordonnance de fourniture de renseignements ou de production de documents était relativement limitée. L’ordonnance demandée par le ministre concernait un seul point de la requête GG‑24. Bien que je ne sois pas en mesure de déterminer la portée exacte de ce point à partir des motifs de la Cour, il semble que l’« argument sur les personnes non désignées nommément » portait principalement sur une demande adressée à M. Ghermezian ainsi qu’à ses frères « de dire quels accords pourraient être considérés comme des fiducies en droit canadien ». En revanche, la portée des renseignements demandés sur les personnes non désignées nommément en l’espèce est large. Dans la demande péremptoire, une « phrase fourre‑tout » est utilisée pour permettre d’englober les entités apparentées à Nader Ghermezian, Diana Vaturi et Marc Vaturi, d’une manière ou d’une autre, et il est ensuite demandé à Zeifmans de produire un grand nombre de documents et de renseignements pour chacune de ces entités, notamment les documents comptables, les lettres relatives à la planification fiscale, les notes au dossier, les profils de client, la correspondance et tous les documents relatifs aux communications effectuées avec d’autres cabinets comptables nationaux et/ou internationaux, des bureaux d’enregistrement, des organismes provinciaux et d’autres organismes gouvernementaux. Comme le souligne Zeifmans, le ministre exige précisément, dans la demande péremptoire, la production du même grand volume de renseignements et de documents au sujet de chacune des entités apparentées que pour les contribuables qu’il dit cibler.

[139] J’aimerais ajouter que, dans la décision Ghermezian conformité, la Cour a conclu que « la jurisprudence et des considérations de principe milit[aient] en faveur de la position du ministre ». La Cour a jugé, en fonction des faits de cette affaire, qu’il serait pertinent d’obtenir des renseignements et des documents concernant de possibles fiducies inconnues pour enquêter sur la situation fiscale de M. Ghermezian et de sa famille.

[140] En l’espèce, je ne suis pas convaincue que la jurisprudence et des considérations de principe militent en faveur de la position du ministre.

[141] Le ministre soutient qu’il n’existe aucune preuve établissant qu’il a cherché à obtenir les documents et les renseignements contenus dans la demande péremptoire pour mener une vérification à l’égard de personnes non désignées nommément ou inconnues. Il affirme qu’il ressort clairement du témoignage de M. Bowe que la demande péremptoire n’a été délivrée que pour permettre la vérification visant les personnes désignées nommément. Je ne suis pas d’accord.

[142] Comme il en a déjà été fait mention, le ministre affirme que la demande péremptoire a été délivrée pour vérifier si Nader Ghermezian, Diana Vaturi et Marc Vaturi avaient respecté leurs devoirs et obligations prévus par la LIR pour la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2017, notamment s’ils avaient respecté les obligations en matière de déclaration de biens étrangers et s’ils avaient déclaré leurs revenus de toutes provenances. Il précise que la demande péremptoire a été délivrée pour lui permettre d’obtenir les documents et les renseignements nécessaires à la vérification qu’il mène à l’égard de M. Ghermezian et des Vaturi.

[143] Toutefois, le ministre affirme également que la demande péremptoire devait lui permettre de poursuivre les vérifications visant [traduction] « six contribuables désignés nommément ou connus », dont M. Ghermezian et les Vaturi. Le ministre ne dit pas qui sont les trois autres [traduction] « contribuables désignés nommément ou connus ». La fiche de renseignements indique que le ministre a demandé des renseignements sur M. Ghermezian, les Vaturi et trois autres contribuables canadiens dont les noms sont caviardés. Les trois contribuables non identifiés ne sont pas mentionnés dans l’affidavit de M. Bowe ni dans le mémoire initial du ministre, et le dossier ne permet pas d’expliquer pourquoi ils font l’objet d’une vérification ni en quoi les documents et les renseignements exigés dans la demande péremptoire se rapportent à eux.

[144] Le témoignage de M. Bowe au sujet de la demande péremptoire n’est pas clair. Tout au plus, son témoignage est ambigu. M. Bowe n’a pas pu dire quelles entités faisaient l’objet d’une vérification, mais il ne s’agissait [traduction] « pas nécessairement » des mêmes entités que celles qui avaient effectué des virements électroniques de fonds aux Vaturi, et [traduction] « ce n’est pas simplement parce que des entités apparentées sont visées par une vérification que l’objet de cette [demande péremptoire] est de recueillir des renseignements sur ces autres entités à des fins de vérification ». Cependant, l’affidavit de M. Bowe indique que la demande péremptoire a été délivrée dans le cadre des « Vérifications » et pour vérifier que M. Ghermezian et les Vaturi ont respecté leurs obligations prévues par la LIR, et il a confirmé en contre‑interrogatoire que le terme « Vérifications », qu’il a défini, s’entendait des vérifications portant sur le groupe Ghermezian dans son ensemble. M. Bowe était le principal gestionnaire de cas pour les vérifications visant le groupe Ghermezian qui étaient en cours au moment où la demande péremptoire avait été délivrée, dans une direction qui était plus axée sur les sociétés, et il a déclaré que de nombreuses entités économiquement liées faisaient l’objet d’une vérification par l’ARC au moment où la demande péremptoire avait été délivrée. Il a également précisé que l’un des objectifs des vérifications était de vérifier que les entités respectaient leurs obligations prévues par la LIR, et que l’ARC pourrait utiliser les renseignements contenus dans la demande péremptoire pour ces vérifications. Comme nous l’avons déjà souligné, le ministre exigeait précisément, dans la demande péremptoire, la production d’un grand volume de renseignements et de documents aussi bien de la part des entités apparentées que des contribuables qu’il disait cibler.

[145] Enfin, le dossier n’explique pas clairement en quoi les documents et les renseignements précis exigés dans la demande péremptoire feraient progresser les vérifications visant M. Ghermezian et les Vaturi, un point qui revêt une importance accrue, au vu des éléments de preuve au sujet de l’objectif de la demande péremptoire.

[146] Le ministre affirme que la question de savoir si des entités au Canada ou à l’étranger sont détenues, exploitées, contrôlées par M. Ghermezian et M. Vaturi ou sont autrement apparentées à eux est pertinente pour déterminer si ces derniers se sont conformés à la LIR et s’ils ont correctement déclaré ou divulgué leurs revenus de toutes provenances. Plus précisément, Mme Vaturi et/ou M. Vaturi ont reçu d’importants virements électroniques de fonds de la part de trois entités liées de Hong Kong entre 2014 et 2018, qui n’ont pas été inclus dans leurs déclarations de revenus. Selon le ministre, il est utile de vérifier si les entités liées sont gérées et contrôlées à partir du Canada par ces contribuables, parce que M. Vaturi a affirmé que les virements électroniques de fonds étaient des prêts visés au paragraphe 15(2) de la LIR et qu’il y aurait une déduction correspondante au titre de l’alinéa 20(1)j) au cours d’une année d’imposition subséquente. Le ministre précise qu’il est utile de connaître les relations qui existent entre les entités apparentées et M. Ghermezian ou les Vaturi, pour déterminer si les virements électroniques de fonds relèvent du paragraphe 15(2) et si une déduction au titre de l’alinéa 20(1)j) est autorisée. Pour que l’on puisse se prévaloir du paragraphe 15(2) et de l’alinéa 20(1)j), il ne doit pas y avoir de lien de dépendance avec les entités apparentées qui auraient consenti les prêts allégués, et le ministre dit qu’il a besoin de comprendre la relation qui existe entre les entités apparentées et ces trois contribuables pour faire cette détermination.

[147] Je ne suis pas convaincue que cela explique en quoi la demande péremptoire fait avancer les vérifications visant M. Ghermezian et les Vaturi. Dans la demande péremptoire, on ne fait même pas mention des virements électroniques de fonds et on ne demande pas non plus de renseignements sur la relation entre les entités payeuses et M. Ghermezian ou les Vaturi durant la période en question. Je ne vois pas comment les demandes précises formulées dans la demande péremptoire visent à déterminer s’il y avait un lien de dépendance avec les entités payeuses et si les paiements provenaient d’activités d’entreprises à l’étranger. Le ministre a demandé des renseignements directement auprès de M. Ghermezian et des Vaturi, mais ils ont fourni des renseignements incomplets (il ne précise pas les renseignements qu’ils ont fournis ni pourquoi ils étaient incomplets). Si M. Ghermezian et les Vaturi n’ont pas fourni suffisamment de renseignements pour convaincre le ministre du fait que les virements électroniques de fonds étaient des prêts, plutôt que le produit des activités d’entreprises étrangères, je ne vois pas très bien pourquoi l’ARC a besoin des documents et des renseignements exigés dans la demande péremptoire pour conclure que les virements électroniques de fonds devraient être déclarés à titre de revenus.

[148] Je ne suis pas d’accord avec le ministre pour dire que le raisonnement de Zeifmans mène à un résultat absurde, parce que le ministre ne pourrait jamais obtenir de renseignements ou de documents concernant une personne non désignée nommément qui ne fait pas l’objet d’une vérification, même si ces renseignements ou documents sont pertinents pour la vérification visant un autre contribuable. Si des personnes non désignées nommément font l’objet d’une enquête, le ministre peut obtenir une autorisation judiciaire en respectant les exigences prévues au paragraphe 231.2(3), à savoir que les renseignements ou documents concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément (formant un groupe identifiable) sont exigés pour vérifier le respect de la LIR : Canada (Revenu national) c Chambre immobilière du Grand Montréal, 2007 CAF 346 [CIGM] au para 21. Il n’est pas nécessaire que les personnes non désignées nommément soient connues du ministre ni qu’une vérification soit en cours : CIGM, aux para 19‑21, 44, 45. Dans la présente affaire, les vérifications visant le groupe Ghermezian dans le cadre du VPA sont en cours depuis plusieurs années.

[149] En résumé, le ministre n’a pas établi qu’il n’avait pas besoin d’une autorisation judiciaire au titre du paragraphe 231.2(3) de la LIR avant de délivrer la demande péremptoire. Je ne suis pas convaincue que les conditions énoncées à l’article 231.7 ont été remplies.

[150] Selon le ministre, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’imposer des conditions ou de supprimer des parties de la demande péremptoire. Je ne suis pas convaincue qu’en l’espèce, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour agir dans ce sens.

[151] Bien que le ministre précise qu’il n’est pas tenu de demander une ordonnance de production pour tous les éléments figurant dans la demande péremptoire, il demande, dans la présente affaire, une ordonnance qui obligerait Zeifmans à fournir tous les documents et renseignements figurant dans la demande péremptoire. Il n’a pas présenté d’observations sur les parties de la demande péremptoire qui pourraient être supprimées, ou sur les conditions qui pourraient être imposées dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour, et je ne suis pas en mesure de me prononcer à cet égard.

[152] Dans l’arrêt Miller CAF, le ministre avait sollicité une ordonnance de production à l’égard de plusieurs éléments relativement à une demande fondée sur l’article 231.1. La Cour fédérale a rendu une ordonnance portant sur sept d’entre eux et a rejeté la demande concernant plusieurs autres éléments : Miller CAF, au para 11. La CAF a fait observer que la Cour fédérale avait reconnu que tous les éléments qu’elle avait ordonné à l’appelant de fournir étaient des éléments qu’un contribuable pouvait être tenu de fournir en vertu de l’article 231.1 et que, par conséquent, ils pouvaient faire l’objet d’une ordonnance de production au titre de l’article 231.7 de la LIR : Miller CAF, au para 17.

[153] Le dossier relatif à la présente demande ne m’autorise pas à tirer une conclusion semblable. Je ne suis pas en mesure de déterminer quels sont les éléments de la demande péremptoire ou quels sont les renseignements ou les documents que Zeifmans pourrait être tenue de fournir au titre de l’article 231.2.

[154] En outre, le pouvoir du ministre de délivrer une demande de fourniture de renseignements et de production de documents est limité, en ce sens qu’elle doit viser l’application et l’exécution de la LIR.

[155] Si le ministre avait demandé une autorisation judiciaire avant de délivrer la demande péremptoire, il aurait dû convaincre la Cour, sur dénonciation sous serment, que (i) les personnes non désignées nommément sont identifiables et que (ii) la fourniture ou la production est exigée dans la demande péremptoire pour vérifier si ces personnes ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la LIR. À l’égard d’une demande d’autorisation judiciaire, la Cour dispose également d’un pouvoir discrétionnaire supérieur de refuser l’autorisation ou d’imposer les conditions qu’elle juge indiquées pour remédier aux abus, à condition que ce pouvoir ne constitue pas un moyen par lequel les choix politiques du législateur peuvent être réexaminés de façon à insérer, de nouveau, des conditions légales pour l’obtention d’une autorisation qui ont été abrogées : CIGM, au para 38; Roofmart CAF, au para 56.

[156] Je ne dispose d’aucun élément de preuve concernant les personnes non désignées nommément : elles ne sont pas identifiées, il n’y a aucun renseignement sur la nature des vérifications dont elles font l’objet et il n’existe aucun renseignement sur les efforts déployés par l’ARC pour obtenir des renseignements directement auprès d’elles. Je ne suis pas en mesure d’exercer le pouvoir discrétionnaire dont je dispose de manière à concilier les intérêts du ministre et ceux de Zeifmans, des personnes non désignées nommément et des autres personnes touchées, afin de garantir que toute ordonnance de production n’obligerait Zeifmans qu’à produire des documents ou des renseignements qui répondent aux conditions énoncées à l’article 231.7 de la LIR.

[157] Étant donné que j’ai décidé de ne pas rendre d’ordonnance de production pour les motifs exposés plus haut, il n’est pas nécessaire que j’examine les deuxième et troisième arguments de Zeifmans concernant le caractère ambigu ou vague de la demande péremptoire, et le fait que la demande péremptoire a été signifiée à une société de personnes. Comme je l’ai expliqué dans la section portant sur l’abus de procédure, il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre de la présente demande, de trancher la question de savoir si la demande péremptoire devrait être annulée, en totalité ou en partie. Compte tenu du rôle de la Cour dans la présente demande, il me semble que les deuxième et troisième arguments de Zeifmans ne seraient pertinents que si j’étais disposée à rendre une ordonnance de production pour au moins certains des documents et renseignements figurant dans la demande péremptoire, parce que le non‑respect d’une telle ordonnance pourrait donner lieu à des sanctions pour outrage au tribunal. Puisqu’une ordonnance de production ne sera pas rendue, les préoccupations relatives à la capacité de se conformer à l’ordonnance pour cause d’ambiguïté et à la garantie que les parties concernées sont liées par l’ordonnance ne se posent pas.

F. Conclusion

[158] Pour les motifs qui précèdent, la demande du ministre sera rejetée, et les dépens seront adjugés à Zeifmans.

[159] Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur la question des dépens, Zeifmans pourra signifier et déposer des observations sur les dépens dans les vingt jours suivant la date de la présente décision, et le ministre pourra signifier et déposer ses observations à ce sujet dans les quinze jours suivants. Les observations sur les dépens des parties ne doivent pas dépasser deux pages, à l’exclusion du mémoire de dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‑2250‑22

LA COUR STATUE que :

  1. Le mémoire en réplique du demandeur est admis.

  2. La demande sommaire présentée en vue de l’obtention d’une ordonnance de production en vertu de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu est rejetée.

  3. Les dépens sont adjugés à la défenderesse. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre, le montant et les modalités relatifs aux dépens seront déterminés par la Cour.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Espérance Mabushi, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2250‑22

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL c ZEIFMANS LLP

 

LEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 décembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :


Le 21 juillet 2023

 

COMPARUTIONS :

Peter Swanstrom

Rita Araujo

 

Pour le demandeur

 

Domenic Marciano

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Marciano Beckenstein LLP

Avocats

Concord (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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