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Date : 20230720

Dossier : T-2222-22

Référence : 2023 CF 995

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

MOHAMMAD REZA NASSER

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Mohammad Reza Nasser, a demandé la Prestation canadienne de relance économique [la PCRE]. L’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a déterminé que M. Nasser n’était pas admissible à la PCRE puisqu’il n’avait pas présenté une preuve suffisante selon laquelle ses revenus s’élevaient à au moins 5 000 $ en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande. M. Nasser avait fourni à l’ARC un relevé bancaire attestant un dépôt de 5 500 $ à son compte en 2019, mais n’avait fourni aucun document permettant d’associer ce dépôt au travail qu’il exécutait pour son compte au service de son église.

[2] M. Nasser plaide que l’ARC a violé son droit à l’équité procédurale, car elle ne l’a pas informé des documents, autres que des factures, qu’il aurait pu fournir pour justifier ses revenus de 5 500 $ en 2019. M. Nasser soutient également que la décision de l’ARC, qui l’a jugé inadmissible à la PCRE parce qu’il n’avait pas produit de facture pour les services fournis à l’église, était déraisonnable.

[3] L’ARC a aussi examiné les allégations de M. Nasser concernant ses revenus provenant du salon de coiffure de son épouse. Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, M. Nasser n’a pas contesté les conclusions tirées par l’ARC quant à la preuve de ces revenus. Par conséquent, je n’ai pas examiné la partie de la décision de l’ARC portant sur le salon de coiffure.

[4] Après un examen minutieux du dossier relatif au présent contrôle judiciaire, je suis d’accord avec M. Nasser pour dire que l’ARC a traité l’affaire d’une manière inéquitable sur le plan procédural. M. Nasser ne connaissait pas la preuve qu’il devait produire. L’ARC lui a demandé de fournir une facture confirmant ses revenus. Lorsque le fils de M. Nasser a indiqué que c’était impossible, l’ARC n’a pas précisé qu’il devrait essayer de fournir une autre preuve documentaire du travail exécuté pour son compte. En raison de l’omission de l’ARC, M. Nasser a mal compris les critères d’admissibilité; il croyait que l’ARC accepterait seulement une facture comme preuve de ses revenus en 2019. C’était injuste; l’affaire doit faire l’objet d’un nouvel examen. Comme j’ai conclu que la décision était inéquitable sur le plan procédural, il n’est pas nécessaire que j’examine les arguments de M. Nasser au sujet du caractère raisonnable de la décision.

[5] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

II. Historique des procédures

[6] M. Nasser a demandé la PCRE pour la période du 27 septembre 2020 au 9 octobre 2021. Le fils de M. Nasser l’a aidé à présenter sa demande. Avant de procéder au premier examen de la demande, le 11 mars 2022, un agent de l’ARC s’est entretenu avec M. Nasser et lui a expliqué qu’il devait présenter des relevés bancaires et des factures correspondant aux montants figurant sur ces relevés bancaires pour démontrer qu’il satisfaisait au critère du revenu minimum. M. Nasser a fourni un relevé bancaire de 2019 qui montrait un dépôt de 5 500 $. Le dépôt avait été mis en surbrillance dans le relevé, mais M. Nasser n’en a pas expliqué la provenance et n’a pas indiqué quels éléments du relevé étaient pertinents. L’agent de l’ARC chargé du premier examen a conclu que M. Nasser n’était pas admissible à la PCRE puisque les documents qu’il avait fournis ne démontraient pas qu’il satisfaisait au critère du revenu minimum.

[7] M. Nasser a demandé un deuxième examen de sa demande de PCRE. L’agent qui a procédé au deuxième examen a aussi noté que M. Nasser avait fourni une liste de transactions dont l’une était un dépôt de 5 500 $ datant de juillet 2019, mais qu’il n’avait pas indiqué la nature du travail exécuté pour son compte.

[8] Le 24 août 2022, l’agent de l’ARC chargé du deuxième examen a communiqué avec M. Nasser et s’est entretenu de la preuve de revenus avec le fils de celui-ci. Le fils de M. Nasser a expliqué que les 5 500 $ déposés en juillet 2019 représentaient des revenus gagnés par M. Nasser pour du travail effectué au service d’une église, qu’il n’y avait aucune facture associée à ce travail et que l’église avait fermé ses portes, de sorte qu’il était impossible de produire une facture pour le travail effectué.

[9] Le 14 septembre 2022, l’ARC a déterminé que M. Nasser n’était pas admissible à la PCRE puisqu’il ne satisfaisait pas au critère du revenu minimum de 5 000 $.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[10] La question déterminante dans le présent contrôle judiciaire est de savoir si l’ARC a manqué à l’équité procédurale en n’informant pas M. Nasser qu’il pouvait fournir d’autres documents, autres qu’une facture, à titre de preuve de ses revenus. Cette question ne concerne pas le fond de la décision. La présomption générale selon laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable ne s’applique pas aux questions d’équité procédurale (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 77). La question à laquelle je dois répondre est celle de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).

IV. Manquement à l’équité procédurale

[11] La PCRE fournissait une aide financière directe aux personnes admissibles qui résidaient au Canada et qui ont été touchées par la pandémie de COVID-19 pour toute période de deux semaines entre le 27 septembre 2020 et le 23 octobre 2021. Les demandeurs devaient remplir les critères d’admissibilité pour chaque période de deux semaines. Le critère en cause dans le présent contrôle judiciaire est celui du revenu minimum, établi aux alinéas 3(1)d) à f) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE]. Pour satisfaire à ce critère, le demandeur devait démontrer qu’il avait des revenus d’au moins 5 000 $ en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande.

[12] En application de l’article 6 de la LPCRE, le demandeur devait fournir au ministre tout renseignement que ce dernier pouvait exiger relativement à la demande de PCRE. L’agent chargé du deuxième examen a demandé à M. Nasser de fournir la preuve que le dépôt de 2019 à son compte bancaire était lié à un travail exécuté pour son compte, à savoir la fourniture de services à une église en 2019.

[13] Le défendeur soutient que M. Nasser connaissait la preuve qu’il devait produire compte tenu de la conversation qui avait eu lieu, le 24 août 2022, entre le fils de M. Nasser et l’agent chargé du deuxième examen. Plus précisément, le défendeur soutient que le fils de M. Nasser avait été informé qu’il était possible de [traduction] « téléverser tout document » permettant de confirmer le travail exécuté pour son compte au sein de l’église.

[14] Après avoir examiné l’affidavit de l’agent chargé du deuxième examen, ses notes portant sur la conversation téléphonique du 24 août 2022 et son rapport, ainsi que l’affidavit du fils de M. Nasser, je ne suis pas d’accord avec le défendeur. La conversation téléphonique avec l’agent chargé du deuxième examen a porté sur deux sujets : le prétendu travail exécuté par M. Nasser pour son compte auprès de l’église, en 2019, et les dépôts qui, selon le demandeur, découlaient de son travail pour le compte du salon de coiffure de son épouse. L’extrait des notes et de l’affidavit de l’agent chargé du deuxième examen selon lequel il aurait informé M. Nasser de la possibilité [traduction] « de téléverser tout document qui pourrait confirmer la provenance des paiements ou confirmer l’exploitation de l’entreprise [par M. Nasser] » ne se rapporte pas au travail exécuté pour l’église; il se rapporte aux paiements provenant du salon de coiffure. L’affidavit de l’agent chargé du deuxième examen et ses notes relatives à l’entretien téléphonique confirment qu’il a seulement demandé au fils de M. Nasser s’il était possible de produire une facture pour confirmer les revenus provenant du travail exécuté pour l’église. Rien n’indique que l’ARC ait donné d’autres indications à M. Nasser sur la question de savoir s’il devait essayer de produire d’autres documents, ce qui est conforme aux déclarations faites par le fils de M. Nasser dans son affidavit, qui a été déposé dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[15] M. Nasser est donc demeuré avec la fausse impression qu’il ne pouvait satisfaire au critère d’admissibilité que s’il fournissait une facture pour les services fournis à l’église, document qu’il n’était pas en mesure de fournir. Selon les directives de l’ARC, pour confirmer l’admissibilité à diverses prestations, dont la PCRE, les agents devaient collaborer avec les demandeurs qui n’étaient pas en mesure de fournir les documents suggérés et [traduction] « déterminer quels autres documents acceptables ils pourraient fournir ».

[16] Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, M. Nasser a indiqué que, s’il avait su qu’il pouvait fournir des documents autres qu’une facture, il aurait cherché à obtenir ces documents et les aurait fournis à l’ARC. Récemment, M. Nasser a été en mesure de communiquer avec des personnes qui étaient au courant de son travail auprès de l’église en 2019 et a pu obtenir des documents justificatifs. Il devrait pouvoir fournir ces documents à l’ARC dans le cadre de son nouvel examen.

V. Dispositif

[17] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée pour nouvelle décision par un autre décideur. Il faut offrir à M. Nasser la possibilité de présenter d’autres documents dans le cadre du nouvel examen. M. Nasser n’a pas demandé de dépens. Par conséquent, j’exerce le pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales et je n’adjuge aucuns dépens.

[18] Enfin, à la demande du procureur général du Canada, et en vertu de l’article 303 des Règles des Cours fédérales, l’intitulé de l’instance sera modifié afin de désigner le procureur général du Canada à titre de défendeur.


LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’intitulé de l’instance est modifié afin de désigner le procureur général du Canada à titre de défendeur.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

« Lobat Sadrehashemi »

 

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2222-22

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD REZA NASSER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 JUIN 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 JUILLET 2023

 

COMPARUTIONS :

Mohammad Reza Nasser

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Raphaël Clément

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère de la Justice du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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