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Date : 20230728


Dossier : IMM-6464-22

Référence : 2023 CF 1036

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2023

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

SANTOKH SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 8 juin 2022 par laquelle un agent des visas du Haut-commissariat du Canada à New Delhi, en Inde [l’agent], a rejeté, par application de l’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2022-227 [le RIPR], la demande de permis de travail présentée par le demandeur dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie.

II. Faits

  1. Contexte factuel

[3] Le demandeur est un Indien de 49 ans. Il vit dans le village de Chakowal Sheikhan, dans le district d’Hoshiarpur, au Pendjab, avec son épouse et ses deux enfants. Deux membres de sa fratrie vivent à Surrey, en Colombie-Britannique, tandis que ses parents et les autres membres de sa fratrie vivent en Inde. Le demandeur travaille comme ouvrier agricole en Inde depuis 2012 et il aide son père pour les travaux agricoles depuis 2002. Il a présenté une demande de permis de travail au Canada en octobre 2020.

[4] Le demandeur avait reçu et accepté une offre d’emploi d’un employeur de la Colombie-Britannique, Didar Agriculture, comme [traduction] « ouvrier agricole », pour travailler 40 heures par semaine à 14,60 $/heure, pendant 12 mois. L’offre d’emploi précise qu’aucune formation officielle n’est requise. Le poste relève du code CNP 6431 (Ouvriers/ouvrières agricoles). Les tâches associées au poste sont les suivantes :

[traduction]

  • semer, cultiver et récolter des bleuets;

  • faire fonctionner les machines et l’équipement agricoles;

  • entretenir et réparer l’équipement agricole;

  • contrôler la qualité des produits et les préparer pour la vente;

  • rendre compte à un superviseur de l’exploitation et suivre les instructions;

  • accomplir les autres tâches générales liées à l’exploitation agricole, selon les besoins.

[5] En novembre 2021, le demandeur a reçu une lettre d’équité procédurale dans laquelle l’agent a exprimé des doutes sur sa capacité à exécuter l’ensemble des tâches. Plus précisément, l’agent a indiqué que selon l’offre d’emploi, il devra [traduction] « faire fonctionner les machines et l’équipement agricoles » et « entretenir et réparer l’équipement agricole » et que des compétences en lecture et en compréhension sont nécessaires pour faire fonctionner les machines et connaître les mesures de sécurité. L’agent a écrit que la demande ne comprenait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que le demandeur avait les compétences linguistiques nécessaires pour accomplir ces tâches.

[6] En réponse, le demandeur a présenté des observations écrites et soumis les informations suivantes à l’appui de sa demande :

  1. Une copie de son affidavit dans lequel il déclare avoir obtenu un diplôme en application logicielle dans le cadre d’un programme donné en anglais;

  2. Un certificat du directeur de l’école secondaire du gouvernement (l’école), dans le district d’Hoshiarpur, en Inde, attestant que le demandeur a fréquenté l’école et qu’il y a terminé sa 10e année. Le directeur de l’école a en outre certifié que l’anglais avait été la langue d’enseignement principale pendant toute la durée des études du demandeur et que ce dernier avait une bonne maîtrise des bases de la lecture et de l’écriture en anglais;

  3. Un certificat du directeur du Collège S.D. (le Collège), dans le district d’Hoshiarpur, en Inde, certifiant que le demandeur a fréquenté le Collège et qu’il y a terminé sa 12e année. Le directeur a en outre certifié que l’anglais était l’une des langues étudiées par le demandeur et qu’il avait une bonne maîtrise des bases de la lecture et de l’écriture en anglais;

  4. Une lettre de soutien du propriétaire d’une entreprise locale de réparation de machines et d’équipement agricoles, dans laquelle le propriétaire affirme que le demandeur possède toutes les compétences de base nécessaires à l’entretien de son équipement agricole;

  5. Des photos du demandeur travaillant dans l’exploitation agricole et faisant fonctionner des machines agricoles.

[7] En juin 2022, la demande a été rejetée.

  1. Décision faisant l’objet du présent contrôle

[8] Dans sa décision du 8 juin 2022, l’agent a rejeté la demande de permis de travail présentée dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires au motif qu’elle ne respectait pas les exigences de la LIPR et du RIPR, et, plus précisément, que le demandeur n’avait pas démontré qu’il pouvait accomplir adéquatement les tâches associées à l’emploi pour lequel il avait postulé.

[9] Les notes connexes consignées dans le Système mondial de gestion des cas, qui font partie des motifs, sont ainsi rédigées :

[traduction]

L’EIMT est confirmée, elle était valide au moment de la demande et mentionne le nom et la date de naissance du demandeur. La demande et les observations ont été examinées. La demande vise l’obtention d’un permis de travail avec une EIMT au titre de l’article 203 du Règlement, pour un emploi relevant du code CNP 8431 (Ouvriers/ouvrières agricoles). Le demandeur a fourni un relevé de notes de l’école secondaire du conseil scolaire du Pendjab indiquant qu’il a suivi un cours d’anglais pour lequel il a obtenu la note de 58 %. On ne connaît pas le niveau du cours d’anglais qui a été offert. Bien que l’EIMT n’exige aucune compétence linguistique, je souligne que les tâches décrites dans l’offre d’emploi indiquent que le candidat devra « faire fonctionner et entretenir les machines et l’équipement agricoles » et « entretenir et réparer l’équipement agricole ». Ces tâches exigent que le candidat connaisse les mesures de fonctionnement et de sécurité. Je doute que la preuve soumise par le demandeur suffise à démontrer qu’il possède les capacités linguistiques requises pour accomplir les tâches associées au poste. Une lettre d’équité procédurale, ne mettant pas en jeu l’article 40 de la LIPR, doit être envoyée avec le paragraphe suivant, avec une date de rappel dans 15 jours : J’ai des doutes sur votre capacité à accomplir l’ensemble de vos tâches. Plus précisément, votre offre d’emploi indique que vous devrez « faire fonctionner les machines et l’équipement agricoles » et « entretenir et réparer l’équipement agricole ». Cela nécessite un certain degré de maîtrise en lecture et en compréhension pour apprendre à faire fonctionner les machines, ainsi que pour intégrer les mesures de sécurité et les réglementations requises. Il en va de votre santé et de votre sécurité, et de celle de vos collègues de travail. Votre dossier de demande ne contient pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que vous avez les capacités linguistiques nécessaires pour accomplir ces tâches.

La réponse à la lettre d’équité procédurale a été examinée. L’offre d’emploi indique que le candidat devra « faire fonctionner et entretenir les machines et l’équipement agricoles » et « entretenir et réparer l’équipement agricole ». L’apprentissage du fonctionnement de ces machines et des mesures ou règlements de sécurité liés connexes nécessite un certain degré de maîtrise en lecture et en compréhension de l’anglais. Je souligne que le demandeur n’a pas fourni les résultats d’un test de langue en anglais. Les observations soumises en réponse indiquent que le demandeur a terminé sa 12e année d’études et que la langue d’enseignement était l’anglais. En outre, il est précisé que le demandeur a également suivi un programme d’application logicielle donné en anglais. Je souligne que le candidat a obtenu une note de 58 % en anglais, mais le niveau de ce cours d’anglais n’a pas été précisé. Je souligne que l’exigence liée à la connaissance de la langue anglaise vise principalement à protéger la santé du demandeur et de ses collègues de travail, et à assurer leur sécurité, car les machines agricoles peuvent causer des blessures graves, voire mortelles, si elles ne sont pas utilisées correctement. La demande est rejetée par application de l’alinéa 200(3)a) des Règles.

III. Question en litige et norme de contrôle applicable

[10] Les parties font valoir que la présente demande soulève deux questions :

  1. L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur la possibilité de répondre à ses doutes?

  2. La décision de l’agent était-elle déraisonnable?

[11] Les parties conviennent que la norme de contrôle de la décision d’un agent des visas est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 85, 99. Les questions liées à l’équité procédurale sont soumises à la norme du niveau d’équité requis dans les circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 51.

IV. Analyse

  1. Observations du demandeur

[12] Concernant l’équité procédurale, le demandeur soutient qu’il a reçu une lettre d’équité procédurale en novembre 2021, dans laquelle l’agent a exprimé ses doutes sur ses compétences linguistiques et sa capacité à accomplir les tâches requises, mais il fait valoir que son droit d’être entendu et de connaître l’ensemble de la preuve présentée contre lui, et d’y répondre, n’a pas été respecté.

[13] Le demandeur soutient qu’il ressort clairement des notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas que l’agent avait un doute avant de délivrer la lettre d’équité procédurale en novembre 2021, ce qui ne lui a pas été communiqué : [traduction] « [l]e demandeur a fourni un relevé de notes de l’école secondaire du conseil scolaire du Pendjab indiquant qu’il a suivi un cours d’anglais pour lequel il a obtenu la note de 58 %. On ne connaît pas le niveau du cours d’anglais qui a été offert. » Le demandeur soutient que l’agent aurait pu clarifier cette question dans sa lettre d’équité procédurale, et qu’il avait le droit d’être informé de ce doute. Comme cette question ne figurait pas dans la lettre d’équité procédurale, le demandeur n’a pu fournir des explications à l’agent dans sa réponse, et ce dernier a conservé ses doutes. Le demandeur soutient qu’il a répondu à la lettre d’équité procédurale au mieux de ses capacités, mais que l’agent a rejeté sa demande sur la foi de doutes qui ne lui ont pas été communiqués adéquatement. Par conséquent, le processus n’était pas équitable au plan procédural.

[14] En ce qui concerne le caractère raisonnable, le demandeur soutient que la décision n’est ni intelligible ni raisonnable eu égard à la preuve au dossier. Le demandeur soutient que la lecture de la décision dans son ensemble montre que l’agent a rejeté la demande après avoir conclu que le demandeur ne serait pas en mesure d’accomplir adéquatement le travail compte tenu de ses résultats en anglais.

[15] Le demandeur soutient que l’agent a mal interprété les éléments de preuve et a commis une grave erreur de fait susceptible de contrôle dans les notes qu’il a consignées dans le Système mondial de gestion des cas. Il fait valoir que l’agent a mal interprété les éléments de preuve en affirmant que l’apprentissage du fonctionnement des machines agricoles et des mesures et règlements de sécurité qui s’y rapportent exige un certain niveau de maîtrise en lecture et en compréhension de l’anglais, et que le demandeur n’avait pas soumis les résultats d’un test d’anglais. Ce faisant, l’agent n’a pas reconnu le niveau de compétence en anglais du demandeur et sa capacité à lire et écrire dans cette langue.

[16] Le demandeur fait valoir qu’il a obtenu un diplôme en application logicielle dans le cadre d’un programme donné en anglais. Le demandeur a également suivi des études secondaires en Inde, où l’anglais était la principale langue d’étude, et a terminé des études postsecondaires (12e année) lors desquelles il a également étudié l’anglais, et il fait valoir que cela démontre qu’il a une bonne compréhension des bases de la lecture et de l’écriture dans cette langue. Le demandeur soutient également qu’il a déposé une lettre de soutien du propriétaire d’une entreprise locale de réparation de machines et d’équipement agricoles, dans laquelle le propriétaire affirme que le demandeur possède toutes les compétences de base nécessaires à l’entretien de son équipement agricole.

[17] Le demandeur fait remarquer que les agents des visas doivent justifier correctement leur interprétation des éléments de preuve dont ils disposent, en dépit du fait que la jurisprudence a établi qu’ils ont droit à un degré élevé de déférence concernant l’évaluation linguistique. Le demandeur affirme que l’agent doit expliquer en quoi il n’a pas respecté la norme linguistique et en quoi il ne remplit pas les conditions d’admissibilité : Safdar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 189 au para 11.

[18] Le demandeur soutient que la conclusion de l’agent est subjective et qu’il a estimé de manière arbitraire que les résultats du demandeur en matière d’expression orale et de lecture étaient insuffisants. La preuve au dossier ne confirme pas la conclusion selon laquelle les compétences en anglais du demandeur sont insuffisantes pour le poste qu’il souhaite occuper auprès de l’employeur. L’agent a pris sa décision sur la base d’une intuition ou d’un pressentiment, ce qui n’est pas permis : Demyati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 701 au para 16.

  1. Observations du défendeur

[19] Le défendeur soutient que les agents des visas disposent d’un large pouvoir discrétionnaire à l’étape de l’évaluation et que la Cour doit faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard de leurs décisions, compte tenu du niveau d’expertise qu’ils apportent à ces questions : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 240 au para 8.

[20] Tout d’abord, en ce qui concerne la question de l’équité procédurale, le défendeur soutient que les arguments du demandeur équivalent à une contestation de la décision de l’agent, et non de la procédure. Le défendeur fait valoir que les agents qui tranchent les demandes de permis de travail ne sont pas tenus de solliciter des informations supplémentaires, à moins que des questions se posent quant à la crédibilité, à l’exactitude ou à l’authenticité des informations. Le défendeur soutient que l’agent n’était pas tenu de préciser exactement quels étaient les éléments de preuve nécessaires pour établir un niveau d’anglais suffisant. Le défendeur ajoute que suivant la décision Purashaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 663, au paragraphe 18, il n’est pas nécessaire de délivrer une nouvelle lettre d’équité procédurale lorsque les doutes ont déjà été communiqués au demandeur. Le défendeur soutient que l’agent a respecté l’exigence peu élevée en matière d’équité procédurale.

[21] Quant au caractère raisonnable, le défendeur soutient que l’agent pouvait raisonnablement rejeter la demande compte tenu de l’insuffisance de la preuve au dossier sur les compétences en anglais, eu égard aux exigences du poste visé. Le défendeur fait valoir que les lignes directrices d’IRCC indiquent qu’un agent peut évaluer les compétences linguistiques à l’aide d’une entrevue ou d’un test officiel et qu’au moment de déterminer le niveau de compétences linguistiques requis pour le travail, l’agent doit consigner clairement l’évaluation réalisée et se référer aux exigences de l’étude d’impact sur le marché du travail ou de la classification nationale des professions ainsi qu’aux conditions de travail. Il ajoute que l’agent a tenu compte des exigences de l’étude d’impact sur le marché du travail, de la classification nationale des professions et de l’offre d’emploi, et qu’il a conclu qu’un certain niveau de compétences en anglais était nécessaire pour [TRADUCTION] « entretenir et réparer les machines et l’équipement agricoles ».

[22] Le défendeur soutient que les agents ne sont pas liés par l’étude d’impact sur le marché du travail ou par l’opinion des employeurs potentiels au moment d’évaluer les exigences linguistiques. Il renvoie aux lignes directrices d’IRCC selon lesquelles les agents ne doivent pas limiter leur évaluation des exigences linguistiques aux seules exigences de l’étude d’impact sur le marché du travail, et qu’ils peuvent plutôt exercer leur pouvoir discrétionnaire : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 266 aux para 31-32. Le défendeur fait valoir qu’en l’espèce, l’agent a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire en réalisant une évaluation linguistique : l’agent a conclu que le poste exigeait un certain niveau de compétence en lecture et en compréhension de l’anglais pour que le demandeur puisse apprendre à faire fonctionner et à entretenir l’équipement agricole et comprendre les mesures de sécurité. Le défendeur soutient que lorsque des problèmes de sécurité se posent, les agents peuvent en tenir compte dans leur évaluation des compétences : Sangha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 95 au para 42.

[23] Comme le demandeur n’a pas démontré un niveau suffisant de compétences en anglais, l’agent a rejeté la demande de permis de travail et a justifié les raisons pour lesquelles le demandeur n’avait pas réussi à le convaincre qu’il était en mesure d’accomplir les tâches visées, en conformité avec les lignes directrices d’IRCC. Le défendeur fait remarquer que le demandeur n’a pas expliqué comment il a maintenu ses compétences en anglais après avoir obtenu son diplôme et terminé sa scolarité dans les années 90. Il souligne la présence d’une incertitude concernant le niveau d’anglais étudié, et soutient que l’agent pouvait raisonnablement conclure que les informations étaient insuffisantes compte tenu du temps écoulé entre les études du demandeur et sa demande de permis de travail.

[24] Le défendeur soutient que les agents ne sont pas tenus de faire référence à chaque élément de preuve dans leurs motifs et que la décision ne peut être annulée que dans les cas où l’élément de preuve omis est essentiel et qu’il contredit la décision de telle sorte que le tribunal en déduit que le décideur ne l’a pas examiné : Akhtar c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2022 CF 595 au para 24. Par conséquent, le défendeur soutient que les photos du demandeur en train de faire fonctionner des machines agricoles et la lettre de M/S Sighu ne constituent pas une réfutation déterminante de la décision de l’agent et ne démontrent pas la capacité d’apprendre les mesures de sécurité et les règlements en anglais.

[25] Enfin, le défendeur fait valoir qu’il incombe au demandeur d’établir qu’il peut s’acquitter convenablement de ses tâches professionnelles, qu’il ne l’a pas démontré et que la preuve qu’il a présentée ne suffisait pas à prouver qu’il possède les compétences en anglais requises pour comprendre les manuels d’utilisation des machines et les règlements. Par conséquent, il était raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur n’était pas en mesure de s’acquitter convenablement de ses tâches professionnelles et ne satisfaisait pas aux exigences du RIPR : Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 aux para 9 et 14.

  1. Analyse

[26] L’argument du demandeur sur l’équité procédurale repose sur le fait que les doutes de l’agent concernant le niveau du cours d’anglais qu’il avait suivi ne lui ont pas été communiqués dans la lettre d’équité procédurale. À mon avis, cela ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale.

[27] Les obligations relatives à l’équité procédurale à l’égard d’une demande de permis de travail temporaire se situent à l’extrémité inférieure de l’échelle : Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 483 au para 40. Il n’est pas nécessaire que les demandeurs de permis de travail temporaire puissent répondre aux doutes de l’agent concernant le respect des exigences de la LIPR ou du RIPR, sauf si les doutes concernent la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements : Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132 aux para 10-11. Tel n’était pas le cas en l’espèce.

[28] Toutefois, j’estime que l’évaluation des compétences en anglais du demandeur réalisée par l’agent n’était pas raisonnable. Bien que les parties ne contestent pas que les agents disposent d’un pouvoir discrétionnaire pour évaluer le caractère suffisant des compétences linguistiques, il est déraisonnable pour un agent des visas de substituer son appréciation quant à une exigence linguistique sans fournir de justification : Bano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 568 au para 21. En l’espèce, l’agent a substitué son appréciation des exigences linguistiques à celle de la description de l’étude d’impact sur le marché du travail et de la classification nationale des professions, lesquelles n’imposaient aucune exigence.

[29] Les lignes directrices ministérielles que l’agent devait appliquer pour évaluer le caractère suffisant des compétences linguistiques sont les suivantes :

Les notes inscrites dans le système doivent indiquer clairement l’évaluation linguistique effectuée par l’agent et, dans les cas où la demande est rejetée, elles doivent présenter clairement l’analyse portant sur la manière dont le demandeur n’a pas réussi à convaincre l’agent qu’il serait capable d’effectuer le travail souhaité.

[Non souligné dans l’original.]

[30] En l’espèce, il n’y a pas eu d’analyse détaillée des raisons pour lesquelles les compétences en anglais du demandeur ne suffisaient pas pour faire fonctionner des machines agricoles et les réparer, et pour comprendre les mesures de sécurité. Le demandeur a présenté de nombreux éléments de preuve attestant qu’il avait étudié l’anglais aux niveaux secondaire et postsecondaire et qu’il pouvait lire et écrire cette langue. En outre, il a présenté des éléments de preuve afin de démontrer sa capacité à faire fonctionner et à entretenir l’équipement agricole.

[31] L’agent a mission d’apprécier les éléments de preuve dont il dispose et d’expliquer en quoi ils ne remplissent pas les conditions d’admissibilité pour lesquelles il les rejette : Lakhanpal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 694 au para 27; Safdar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 189 au para 11.

[32] Il est vrai, comme le soutient le défendeur, qu’il s’est écoulé un temps considérable entre le moment où le demandeur a étudié l’anglais et celui où il a présenté sa demande, mais ce motif n’a pas été invoqué par l’agent pour rejeter la demande. De plus, aucun élément au dossier ne permet d’affirmer que le demandeur avait perdu les compétences linguistiques qu’il avait acquises pendant ses études.

[33] Dans son affidavit présenté en réponse à la lettre d’équité procédurale, le demandeur a déclaré : [TRADUCTION] « je parle couramment l’anglais et j’ai des compétences de base ou moyennes en lecture et en écriture ». L’agent n’a pas expliqué pourquoi ces compétences linguistiques n’étaient pas suffisantes pour faire fonctionner des machines dans une petite exploitation de bleuets en Colombie-Britannique.

V. Conclusion

[34] En conséquence, je suis convaincu que la décision est déraisonnable et que l’affaire doit être renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée, et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-6464-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIER :

IMM-6464-22

INTITULÉ :

SANTOKH SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 AVRIL 2023

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE MOSLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 28 JUILLET 2023

COMPARUTIONS :

Arashveer Brar

POUR LE DEMANDEUR

Ely-Anna Hidalgo-Simpson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Citylaw Group

Surrey (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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