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     IMM-4606-96

Ottawa, le 21 octobre 1997

En présence de Monsieur le juge Wetston

Entre :

     BALARANJANI NADESU,

     VAISHNAVI NADESU,

     MITHUNAN NADESU,

     requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     La Cour fait droit au recours en contrôle judiciaire, annule la décision de la Commission et renvoie l'affaire pour nouvelle instruction par une formation de jugement de composition différente.

     Signé : Howard I. Wetston

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     IMM-4606-96

Entre :

     BALARANJANI NADESU,

     VAISHNAVI NADESU,

     MITHUNAN NADESU,

     requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge WETSTON

     La requérante et ses deux enfants sont des tamouls. Elle est née au Sri Lanka, ses deux enfants au Koweït. Ils craignent de retourner au Sri Lanka, en raison surtout d'une grave méprise que la police de Colombo aurait entretenue à l'égard de la mère.

     Selon la requérante, cette méprise a son origine dans les efforts qu'elle a déployés pour trouver, à l'intention de son oncle, de l'argent qui devait permettre d'obtenir des laissez-passer grâce auxquels sa tante et son cousin pourraient, à partir de Jaffna, traverser le territoire sous contrôle LTTE, pour rejoindre son oncle à Colombo. Une fois l'argent recueilli, elle a reçu la visite de son oncle et d'un ami de celui-ci, Sivathansan. Ils ont pris l'argent ainsi qu'un mot de la requérante à sa tante. Les deux ont remis l'argent à un parent éloigné de la requérante, Paramanathan. Le rôle de celui-ci dans l'affaire s'explique par le fait qu'il avait un compte-chèques à Jaffna; il a donc émis un chèque à emporter à Jaffna par Sivathansan.

     Ce dernier a été arrêté par la police, avec en sa possession le chèque et la lettre de la requérante à sa tante. La requérante affirme que par suite, elle a été arrêtée et interrogée. Elle a été remise en liberté après versement d'un pot-de-vin, avec l'ordre de se présenter chaque jour, jusqu'à ce que Sivathansan fût rendu à la police et l'enquête menée à bonne fin. La requérante et ses deux enfants ont quitté dans la journée et demie qui suivit sa remise en liberté. Ses enfants ne comparaissaient pas à l'audience.

     La Commission n'a pas ajouté foi à son témoignage par les motifs suivants :

1.      Son FRP n'indique pas que la police de Colombo lui a produit un mandat d'arrêt. Le tribunal voyait dans son témoignage au sujet du mandat d'arrêt une invention pour embellir ses assertions.
2.      Son FRP n'indique pas que Paramanathan était aussi arrêté. La Commission voyait dans son témoignage au sujet de l'arrestation de ce dernier une invention pour embellir ses assertions.
3.      La Commission note que la requérante avait déclaré que sa lettre n'était pas signée, puis a changé d'histoire (en disant qu'elle portait son adresse) lorsqu'elle s'est aperçue qu'il lui fallait expliquer comment la police l'avait retrouvée.
4.      La Commission conclut qu'elle s'est contredite dans son témoignage, en ce qu'elle avait dit qu'elle avait nié avoir écrit la lettre devant la police, puis a reconnu qu'elle lui avait avoué sa participation dans les arrangements en question. La Commission note qu'elle n'a changé d'histoire que lorsqu'elle a été placée devant le fait que dans son FRP, elle dit qu'elle avait expliqué son action à la police.
5.      Étant donné que la police savait qu'elle avait pris part à l'entreprise et qu'elle était l'auteur de la lettre, la Commission trouve " invraisemblable que les autorités aient obligé Sivathansan à identifier le demanderesse "en personne" ".
6.      La Commission note que la requérante avait initialement déclaré qu'elle ne communiquait pas avec son oncle parce qu'elle ne voulait pas le bouleverser en raison de son mauvais état de santé, mais a fait savoir par la suite qu'elle lui a téléphoné de l'aéroport, pour lui parler de sa détention, de la confiscation du chèque et de l'arrestation de Paramanathan, mais n'avait pas le temps de lui demander si la police l'avait contacté aussi. Le tribunal voit aussi dans la tentative de la requérante d'expliquer cette contradiction manifeste un embellissement de ses prétentions.

     Il échet d'examiner si la Commission a commis une erreur par une mauvaise interprétation des témoignages dont elle était saisie.

     Comme noté supra, elle a pris six motifs pour juger que le témoignage de la requérante n'était pas digne de foi. Normalement, la Cour ne touche pas aux conclusions de la Commission en matière de crédibilité, puisqu'elle a eu la possibilité d'observer de visu la requérante dans son témoignage; cf. Rajaratnam c. M.E.I. (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.).

     J'examinerai dans l'ordre les conclusions de la Commission.

1.      Le mandat d'arrêt

     La Commission n'a pas demandé à la requérante pourquoi elle ne parlait pas du mandat d'arrêt dans son FRP. Elle aurait dû le faire si elle entendait invoquer cette omission dans ses conclusions sur la crédibilité; qu'elle ne l'ait pas fait a privé la requérante de la possibilité de s'expliquer; cf. Gracielone c. M.E.I. (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 237 (C.A.F.). Elle pourrait juger l'explication peu digne de foi, mais elle aurait dû, à tout le moins, en vérifier la véracité.

2.      L'arrestation de Paramanathan

     La Commission voit dans le fait pour la requérante de ne pas mentionner dans son FRP ce qui est arrivé à Paramanathan et d'en parler subséquemment dans son témoignage de vive voix, une omission importante qui engage à une conclusion défavorable sur sa crédibilité. La requérante a communiqué cette information après avoir été longuement interrogée par la Commission. Il me semble que cette information au sujet de Paramanathan ne se rapportant pas à quelque chose qu'elle a connu elle-même, il soit entièrement raisonnable qu'elle ne l'ait pas mentionnée dans son FRP.

     La Commission a vu dans cette omission un facteur suffisant pour tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité de la requérante. Dans les cas où la Commission fonde ses décisions sur des inférences tirées de témoignages, la Cour peut mettre en doute le caractère raisonnable de ces inférences; cf. Frimpong c. M.E.I. (1989), N.R. 164 (C.A.F.).

3.      La lettre à la tante

     La requérante a fait preuve de franchise dans ses réponses aux questions détaillées que lui posait la Commission au cours de son interrogatoire. Rien ne dit qu'elle fût évasive, comme l'a noté la Commission, mais il appert que les fréquentes interruptions de la part de cette dernière l'ont déroutée. Par exemple, la requérante n'a jamais dit que sa lettre n'était pas signée. La Commission a mentionné dans une de ses questions qu'il était possible que la lettre portât une adresse, à quoi la requérante a répondu par l'affirmative.

     La Commission s'intéressait beaucoup à la question de savoir si la note était signée ou portait une adresse, parce qu'elle voulait savoir comment la police avait réussi à retrouver la requérante en premier lieu. La Commission infère que l'explication donnée par celle-ci, savoir qu'elle a inscrit son adresse sur la note mais ne l'a pas signée, n'est pas crédible. Par suite, elle semble avoir conclu que la police n'aurait pu retrouver cette dernière autrement.

     Dans Attakora c. M.E.I. (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.), page 169, le juge Hugessen note que la Commission ne devrait pas " manifester une vigilance excessive en examinant à la loupe les dépositions de personnes qui témoignent par l'intermédiaire d'un interprète ".

4.      L'interrogatoire de la police

     La requérante avait commencé par nier devant la police qu'elle eût écrit la lettre, mais a fini par reconnaître sa participation à l'entreprise après d'autres questions. À mon avis, il n'y a aucune contradiction manifeste dans son témoignage, et il n'y a aucune preuve qu'elle ait donné cette information de plein gré. Puisque cette partie de son témoignage est incontestée, conséquente, et qu'elle n'est pas suspecte ou invraisemblable en soi, la Commission a commis une erreur en y fondant sa conclusion en matière de crédibilité; cf. Armson c. M.E.I. (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150, page 157 (C.A.F.).

     La requérante avait besoin d'un interprète et n'a aucune notion de droit dans ce domaine. Elle a été longuement interrogée sur la question de savoir si elle avait été seulement arrêtée, ou si elle avait été inculpée d'une infraction quelconque. En se fondant sur des contradictions apparentes dans ses réponses à ces questions, la Commission a tiré de façon déraisonnable des conclusions défavorables.

5.      La nécessité de faire venir Sivathansan au poste de police

     La Commission a aussi jugé le témoignage de la requérante non crédible parce qu'elle trouvait invraisemblable que la police ait eu besoin de Sivathansan au poste pour identifier la requérante en personne. Celle-ci a déclaré qu'elle avait été réveillée en pleine nuit, emmenée au poste de police et interrogée pendant deux heures. Elle n'a été remise en liberté sous condition qu'après versement d'un pot-de-vin.

     Selon la requérante, la police lui a dit qu'elle avait besoin de faire venir Sivathansan pour que celui-ci l'identifiât en personne. À supposer qu'elle se fût trompée sur la raison pour laquelle la police voulait parler à Sivathansan, il est manifeste qu'elle témoignait de ce qu'elle avait entendu, et non de l'exactitude de la manière dont la police menait son enquête. En effet, il est plausible que la police ait voulu interroger Sivathansan en personne au sujet de cette affaire, pour savoir ce qui s'était passé exactement.

     La Commission a commis une erreur en se fondant sur cette déposition pour tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité de la requérante. Faute par la Commission d'avoir une raison valide de douter de la requérante, son témoignage doit être tenu pour digne de foi; cf. Sathanandan c. M.E.I. (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 310 (C.A.F.).

6.      La communication téléphonique avec l'oncle

     Il est clair que la Commission a mal interprété le témoignage de la requérante au sujet de sa communication avec son oncle. À la question à ce sujet, elle a répondu : " Je n'allais pas lui parler de tout ça ". Elle expliquait qu'elle n'allait pas lui expliquer ce qui s'était passé, parce qu'il lui restait peu de temps avant son départ du pays et qu'elle ne voulait pas le bouleverser.

     La requérante a fait savoir ensuite qu'elle l'a effectivement appelé de l'aéroport, qu'elle lui a raconté ses déboires, mais qu'elle était trop pressée pour lui demander s'il avait eu des ennuis avec la police. Elle a encore affirmé que vu le grand âge de son oncle, il n'aurait pas été ennuyé par la police. Peu importe que cette croyance fût fondée ou non, n'est-il pas plausible, vu la situation dans laquelle elle se trouvait et le fait que son oncle ne lui disait rien de particulier, qu'elle présumât que tout allait bien de son côté?

     Dans le cas où la Commission relève dans le témoignage d'un demandeur des contradictions qui n'existent pas, le fait qu'elle se fonde sur ces soi-disant contradictions pour tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité de ce demandeur constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire; cf. Owusu-Ansah c. M.E.I. (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.).

CONCLUSION

     Il sera fait droit au recours en contrôle judiciaire. La décision de la Commission sera annulée et l'affaire renvoyée pour nouvelle instruction par une formation de jugement de composition différente.

     Aucune question n'a été proposée pour certification.

     Signé : Howard I. Wetston

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 21 octobre 1997

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-4606-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Balaranjani Nadesu et al.

                     c.

                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto

DATE DE L'AUDIENCE :      18 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE WETSTON

LE :                      21 octobre 1997

ONT COMPARU :

M. Lorne Waldman                  pour la requérante

M. David Tyndale                  pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman and Assoc.          pour la requérante

Toronto (Ontario)

M. George Thomson                  pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

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