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Date : 20230829


Dossier : IMM-10495-22

Référence : 2023 CF 1167

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 29 août 2023

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

ASHISH SHARMA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 25 août 2022 [la décision contestée] par laquelle un agent des visas [l’agent] a rejeté la demande de permis de travail que le demandeur avait présentée au titre du Programme des travailleurs étrangers temporaires. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour, conformément à l’alinéa 200(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], et il a rejeté la demande au motif que le demandeur n’avait pas démontré qu’il serait en mesure d’exercer convenablement l’emploi pour lequel le permis de travail était demandé. L’agent n’était pas non plus convaincu que le demandeur avait répondu véridiquement à toutes les questions posées dans le cadre de la demande qu’il avait présentée, comme l’exige le paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Pour les motifs exposés ci-après, la présente demande sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

I. Contexte

[3] Le demandeur, Ashish Sharma, est un citoyen de l’Inde. Le 4 novembre 2020, Emploi et Développement social Canada a délivré une étude d’impact sur le marché du travail [EIMT] favorable à 0800126 BC Ltd pour l’embauche d’un travailleur étranger temporaire en tant que directeur de motel dans un établissement Days Inn en Colombie-Britannique. En décembre 2020, le demandeur a présenté une demande de permis de travail au titre de l’EIMT favorable [la demande de permis de travail].

[4] L’agent chargé de l’examen avait des réserves concernant les renseignements contradictoires sur l’expérience de travail du demandeur qui avaient été fournis dans une demande présentée au titre du programme Entrée express en 2016 pour un poste de gérant de restaurant [la demande de 2016]. Dans la demande de 2016, il était indiqué que le demandeur travaillait à l’hôtel Shiven depuis 2011 en tant que gérant de restaurant. Cependant, dans la demande de permis de travail, le demandeur a indiqué qu’il était employé par l’hôtel Ramneek depuis 2011 à divers titres, notamment en tant que maître d’hôtel et en tant que directeur.

[5] Le demandeur a reçu une lettre d’équité procédurale dans laquelle l’agent soulevait la divergence en question et lui demandait de fournir des documents et/ou une explication afin de répondre à ses réserves dans un délai de 15 jours.

[6] Le demandeur a demandé des documents et des renseignements portant sur la prétendue fausse déclaration relative à ses antécédents professionnels. Dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, le demandeur a indiqué qu’il n’avait pas reçu ces documents. Il a mentionné qu’il n’était pas au courant de la demande de 2016, qu’il pensait être victime d’une usurpation d’identité et qu’il avait déposé une plainte auprès de la police. Le demandeur a indiqué qu’il travaillait pour l’hôtel Ramneek depuis 2011 et qu’il n’avait jamais travaillé pour l’hôtel Shiven. Il a mentionné qu’il avait essayé de se renseigner auprès de l’Hôtel Shiven pour démontrer qu’il n’y avait jamais travaillé, mais qu’il n’avait pas pu localiser l’hôtel et que, selon ce que d’autres personnes lui avaient appris, l’hôtel n’était plus en activité.

[7] En août 2022, l’agent a effectué une vérification de l’emploi du demandeur auprès de l’hôtel Ramneek. L’agent a d’abord composé le numéro de l’hôtel et s’est entretenu avec le gérant du restaurant, qui n’a pas été en mesure de confirmer si le demandeur travaillait à l’hôtel et qui l’a renvoyé à son supérieur. L’agent a ensuite appelé le supérieur, qui était également le signataire de la lettre de recommandation présentée par le demandeur. Le supérieur a confirmé que le demandeur travaillait à l’hôtel et a indiqué qu’il était actuellement en congé, mais n’a pas pu expliquer la raison de ce congé. Lorsque l’agent a posé des questions sur le salaire et le profil d’emploi du demandeur, le supérieur a renvoyé l’agent au propriétaire de l’hôtel. L’agent a appelé le propriétaire de l’hôtel, mais ce dernier a déclaré qu’il ne pouvait pas entendre clairement l’agent et a mis fin à l’appel. L’agent n’a pas pu joindre le demandeur, car il n’avait pas son numéro de téléphone personnel.

[8] Le 25 août 2022, l’agent a rejeté la demande de permis de travail. Dans ses notes consignées au Système mondial de gestion des cas (SMGC), l’agent a indiqué qu’il n’était pas convaincu que le demandeur serait en mesure d’exercer convenablement l’emploi proposé parce que son expérience professionnelle était insuffisante. L’agent a déclaré avoir des réserves concernant les lettres relatives à l’expérience de travail du demandeur et la preuve présentée par ce dernier pour démontrer qu’il possédait l’expérience requise. L’agent s’est reporté à la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale. Il a fait observer que le demandeur avait utilisé le même numéro de passeport pour la demande de 2016 et la demande de permis de travail et que les mêmes antécédents professionnels de mai 2010 à août 2010 étaient mentionnés dans les deux demandes. L’agent a déclaré que, [traduction] « tout compte fait », il était convaincu que le demandeur avait présenté une demande en 2016 et que l’expérience professionnelle qu’il avait déclarée n’était pas cohérente. Il a conclu que le demandeur n’avait pas été sincère dans ses réponses aux questions concernant ses antécédents professionnels et dans ses réponses à la lettre d’équité procédurale et qu’il avait des doutes sur sa crédibilité.

II. Analyse

[9] Le demandeur soutient que la décision contestée est déraisonnable parce que l’agent a mal interprété les éléments de preuve dont il disposait, que les conclusions tirées par l’agent ne reposaient pas sur une analyse rationnelle ou intelligible et que la décision contestée est fondée sur une conclusion subjective. Le demandeur soutient également que l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne formulant pas toutes ses réserves dans la lettre d’équité procédurale.

[10] Les parties soutiennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle applicable au fond de la décision contestée est celle de la décision raisonnable. Aucune des situations permettant de réfuter la présomption selon laquelle toutes les décisions administratives sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16-17 et 25. Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, aux para 85‑86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31. Une décision est raisonnable si, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif est pris en compte, elle possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité : Vavilov, aux para 91‑95, 99‑100.

[11] Lorsque des questions d’équité procédurale sont soulevées, il faut déterminer si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, la question fondamentale étant celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54, 56.

[12] Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que, en l’espèce, la décision contestée ne fait pas état d’une analyse rationnelle justifiant le rejet de la demande au motif que le demandeur ne serait pas en mesure d’exercer convenablement l’emploi pour lequel le permis de travail était demandé, et elle ne fournit pas non plus de justification suffisante quant à la conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas répondu de manière véridique à tous les aspects de la demande.

[13] Le défendeur soutient que le deuxième motif de refus (le fait que le demandeur n’ait pas répondu véridiquement à toutes les questions dans le cadre de sa demande) est lié au premier motif de refus (l’incapacité du demandeur à démontrer qu’il serait en mesure d’exercer convenablement l’emploi pour lequel le permis de travail était demandé). Cependant, la décision contestée n’établit pas ce lien avec suffisamment de transparence et de justification.

[14] Bien que l’agent n’ait pas accepté l’explication du demandeur selon laquelle il n’était pas au courant de la demande de 2016, l’agent n’a pas expliqué de manière suffisante comment il est parvenu à cette conclusion et il n’a pas non plus fait de lien entre cette dernière et la conclusion distincte (et au motif de refus de la demande) fondée sur l’expérience professionnelle insuffisante du demandeur.

[15] L’agent a plutôt déclaré avoir des réserves concernant les lettres relatives à l’expérience de travail du demandeur et la preuve produite par ce dernier, sans préciser en quoi consistaient ces réserves. L’agent a fait abstraction des renseignements obtenus lors de ses appels de vérification et ne les a pas non plus analysés à la lumière des autres éléments de preuve présentés par le demandeur.

[16] Comme l’a fait remarquer le demandeur, les demandes de renseignements de l’agent ont révélé qu’il était employé à l’hôtel Ramneek en tant que directeur de la réception et qu’il travaillait à l’hôtel depuis 2011. Ces renseignements concordaient avec les autres documents du demandeur, parmi lesquels se trouvaient des offres d’emploi, des lettres de promotion et de recommandation, des fiches de paye, des documents relatifs à l’impôt sur le revenu et des photographies. L’agent n’a pas indiqué pourquoi il a conclu que la preuve présentée par le demandeur était insuffisante pour établir ses compétences professionnelles ni quels autres éléments de preuve auraient dû être fournis pour étayer l’expérience professionnelle qu’il affirmait avoir. Des explications supplémentaires étaient nécessaires : Ayeni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1202 au para 28.

[17] Les demandes de renseignements de l’agent donnent à penser que si quelques renseignements étaient incorrects, il s’agissait de ceux figurant dans la demande de 2016 et non de ceux figurant dans la demande de permis de travail ou dans les documents qui y étaient joints, car ces derniers indiquaient invariablement que le demandeur travaillait à l’hôtel Ramneek.

[18] L’agent a pris acte de la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale dans laquelle ce dernier indiquait ne pas être au courant de la demande de 2016. Plus précisément, le demandeur a indiqué qu’il n’avait pas présenté la demande et que, dès qu’il en a eu connaissance, il a déposé une plainte auprès de la police pour usurpation d’identité, qu’il a jointe à sa réponse. L’agent n’a pas suffisamment justifié sa décision d’écarter cette explication. L’observation selon laquelle la demande de 2016 et la demande de permis de travail reposaient toutes deux sur les mêmes renseignements relatifs au passeport du demandeur et sur son expérience professionnelle de 2010 n’est pas incompatible avec l’explication de ce dernier. L’agent s’est appuyé sur ces faits comme motif pour écarter la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale, ce qui fait en sorte que ses conclusions manquent de transparence et de justification.

[19] Pour ces motifs, je suis d’avis que la décision contestée est déraisonnable. Par conséquent, la demande sera être accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[20] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-10495-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision datée du 25 août 2022 est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Angela Furlanetto »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-10495-22

INTITULÉ :

ASHISH SHARMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 AOÛT 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

DATE DES MOTIFS :

LE 29 AOÛT 2023

COMPARUTIONS :

Puneet Khaira

POUR LE DEMANDEUR

Richard Li

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Citylaw Group

Avocats

Surrey (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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