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Date : 20230831


Dossier : IMM-11364-22

Référence : 2023 CF 1186

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Vancouver (Colombie-Britannique), le 31 août 2023

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

SHOHREH KHOSRAVI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 31 octobre 2022 [la décision] par laquelle un agent des visas a rejeté une demande de permis d’études au titre du paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]. L’agent n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour compte tenu du but de sa visite, de ses biens et de sa situation financière.

[2] Pour les motifs exposés ci‑après, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire, car j’estime que l’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle.

I. Le contexte

[3] La demanderesse, Shohreh Khosravi, est une ressortissante iranienne âgée de 38 ans qui est mariée avec deux enfants. Elle a obtenu un baccalauréat en génie logiciel de l’Université islamique Azad en 2010. La demanderesse travaille chez Kalleh Co [l’employeur] depuis 2010. Elle a commencé sa carrière à titre [traduction] d’« experte des TI » avant d’être promue au poste d’« experte de la programmation » en 2013. Plus récemment, en 2021, elle a été promue au poste d’« experte principale des TI et gestionnaire des RH ». Elle soutient qu’elle s’est fait offrir une troisième promotion, soit le poste de « directrice de la programmation, Ventes ».

[4] La demanderesse a présenté une demande de permis d’études après avoir été admise au programme de maîtrise en administration des affaires [le MBA] de l’Université Trinity Western à Langley, en Colombie-Britannique [le programme]. L’employeur s’est engagé à garder le poste de la demanderesse pendant trois ans, le temps qu’elle termine ses études à l’étranger, puis à la promouvoir à la fin du programme. La demanderesse a payé d’avance un acompte de 9 990 $ pour les frais de scolarité et a fourni des renseignements financiers pour étayer sa demande, notamment des relevés bancaires et des relevés de transactions du compte bancaire de son conjoint ainsi que des titres de propriété de biens immobiliers en Iran à son nom et au nom de son conjoint.

[5] La demande a été rejetée le 31 octobre 2022. L’agent n’était pas convaincu que la demanderesse disposait de ressources financières suffisantes pour la durée prévue de son séjour au Canada ou que le programme d’études envisagé serait avantageux pour la demanderesse ou son employeur.

II. Analyse

[6] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle du fond de la décision est celle de la décision raisonnable. Aucune des situations permettant de réfuter la présomption selon laquelle toutes les décisions administratives sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16, 17 et 25. Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, aux para 85‑86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31. Une décision est raisonnable si, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif est pris en compte, elle possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité : Vavilov, aux para 91‑95, 99‑100.

[7] Lorsqu’il y a des questions d’équité procédurale, il faut se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances et la question fondamentale est celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54, 56. Dans le cadre d’une demande de permis d’études, il est reconnu que le degré d’équité procédurale auquel ont droit les demandeurs se situe à l’extrémité inférieure du spectre : Nourani v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 732 au para 50.

[8] La demanderesse soutient que la décision de l’agent était déraisonnable parce qu’elle était vague et ne répondait pas à la preuve. Elle prétend que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a apprécié les renseignements financiers et a adopté une approche arbitraire lorsqu’il s’est penché sur la question de savoir si le but de la visite concordait avec un séjour temporaire.

[9] L’article 220 du RIPR prévoit que l’agent ne devrait pas délivrer de permis d’études au demandeur qui ne dispose pas de ressources financières suffisantes pour acquitter les frais de scolarité, subvenir à ses besoins et acquitter les frais de transport pour venir au Canada et en repartir. Quand le demandeur ne remplit pas ces exigences, l’agent n’a aucun pouvoir discrétionnaire et doit rejeter la demande : Ohuaregbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 480 au para 23; Adekoya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1234 au para 9.

[10] Dans sa demande, la demanderesse affirme qu’elle entend compter sur l’appui financier de son conjoint pendant ses études. Selon l’offre d’admission, les frais de scolarité estimatifs du programme s’élèvent à 36 225 $ et une somme de 9 990 $ a été payée d’avance. La demanderesse a produit un relevé de solde du compte bancaire de son conjoint qui fait état d’un solde disponible de quelque 9 milliards de rials (42 000 $ CA) au 30 août 2022. De plus, elle a fourni des relevés de transactions du compte bancaire; ces relevés viseraient une période de cinq mois.

[11] Dans les notes qu’il a versées au Système mondial de gestion des cas (le SMGC), l’agent indique qu’il y a un écart entre le relevé de solde et les relevés de transactions bancaires, ce qui l’amène à conclure que la demanderesse ne dispose pas de ressources financières suffisantes pour la durée prévue de son séjour au Canada.

[12] La demanderesse fait valoir qu’elle a fourni suffisamment de renseignements financiers qui prouvent qu’elle dispose des ressources financières nécessaires pour étudier au Canada en tant qu’étudiante étrangère. Elle déclare que les motifs de l’agent ne sont pas transparents quant à la nature des incohérences relevées. En outre, si l’agent se préoccupait des incohérences dans les documents de la demanderesse, il aurait dû les lui signaler et lui donner la chance d’y donner suite au moyen d’une lettre d’équité procédurale [la LEP].

[13] J’abonde toutefois dans le même sens que le défendeur : l’incohérence entre les documents est manifeste à première vue. L’agent n’avait pas à en dire davantage en l’espèce. Premièrement, la période visée par le relevé de transactions s’échelonne entre mars 2022 et la fin de juin 2022; elle ne comprend pas la date du relevé de solde, soit le 30 août 2022. Deuxièmement, comme l’indique le défendeur, les relevés de transactions du compte bancaire font état d’une somme considérablement moins élevée (le maximum étant d’environ 425 millions de rials (13 500 $ CA)) comparativement au relevé de solde bancaire. Bien que l’agent n’ait pas fait référence à des nombres précis du relevé de transactions, il ressort clairement de ce document que les nombres qui y paraissent entre mars 2022 et juin 2022 sont bien inférieurs au montant indiqué dans le relevé de solde. Il appert du document que les fonds dans le compte étaient habituellement bien inférieurs à ce que la demanderesse affirme, et ne suffisaient même pas pour couvrir sa première année d’études.

[14] De plus, même si l’avocat de la demanderesse a tenté de faire valoir que le relevé de transactions du compte bancaire pouvait faire référence à un autre compte bancaire, rien dans la preuve n’étaye cette prétention. Qui plus est, la prétention contredit le relevé de transactions, qui porte le même numéro de compte que le relevé de solde.

[15] Comme l’a souligné le défendeur, il incombe au demandeur d’établir qu’il a droit à un visa et de produire les renseignements nécessaires pour étayer sa demande. Les agents ne sont pas tenus de fournir aux demandeurs un « résultat intermédiaire » des lacunes que comporte leur preuve lorsque les doutes n’ont pas trait à la crédibilité ou à l’authenticité des renseignements fournis : Baybazarov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 665 aux para 11 et 12; Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 au para 38. La question en l’espèce en était une d’incohérence, pas de crédibilité; une LEP n’était pas justifiée.

[16] La demanderesse affirme que l’agent a commis une erreur parce qu’il n’a pas tenu compte des titres de propriété. Je ne crois toutefois pas que cette omission est déraisonnable. Même si la demanderesse avait démontré que les biens immobiliers visés par les titres pouvaient être hypothéqués ou vendus (aucune preuve n’a été produite à cet égard), leur valeur (53 407 661 rials, soit 1 698 $ CA) ne constituerait pas un apport appréciable aux dépenses envisagées.

[17] J’estime qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure à la lumière de l’incohérence entre les documents bancaires que la preuve n’établissait pas que la demanderesse disposait de ressources financières suffisantes pour acquitter ses frais de scolarité, subvenir à ses besoins et acquitter les frais de transport nécessaire. La demanderesse n’a pas démontré qu’il y a une erreur susceptible de contrôle dans cette portion de la décision.

[18] Les autres arguments de la demanderesse équivalent à demander à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve, ce qui va à l’encontre du rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire. Bien que la demanderesse affirme que l’agent n’a pas examiné les facteurs favorables qui appuient sa demande, cet argument ne me convainc pas. L’agent n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve contraire à sa conclusion (Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1083 au para 34) tant que les motifs de décision sont suffisamment justifiés, transparents et intelligibles.

[19] En l’espèce, l’agent a expressément dit avoir examiné le plan d’études de la demanderesse, la lettre d’observations du représentant ainsi que la lettre de l’employeur. Le plan d’études de la demanderesse porte sur ses études, ses antécédents professionnels, ses liens familiaux, ses finances et ses études envisagées. Cependant, l’agent a signalé que le plan d’études et les observations du représentant ne sont pas étayés par des documents. Ceux-ci ne font référence qu’à des commentaires généraux positifs, qui ne précisent pas comment ou pourquoi l’obtention de ce diplôme au Canada sera avantageuse pour l’entreprise de l’employeur ou pour la demanderesse. J’estime, après avoir examiné le dossier, dont le plan d’études de la demanderesse, que ces commentaires ne sont pas déraisonnables. Je ne considère pas non plus que les commentaires sont vagues ou inintelligibles.

[20] Bien que le plan d’études indique que la promotion offerte à la demanderesse [traduction] « nécessite des connaissances associées au MBA », aucune raison n’a été donnée pour expliquer pourquoi c’est le cas et aucune précision n’a été apportée quant à la nature de ces connaissances. Comme le défendeur l’a souligné, ni l’employeur ni la demanderesse n’ont fait état d’interruptions dans les antécédents professionnels et les études de la demanderesse qui l’empêcheraient d’obtenir le nouvel emploi sans les études envisagées. Il est difficile de savoir quels avantages la demanderesse retirerait du programme dans son poste actuel ou dans un nouveau poste.

[21] Comme il appert de la décision Mehrjoo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 886 au para 15, il incombe au demandeur de visa de fournir suffisamment de renseignements concernant les avantages du programme qu’il envisage de suivre, et le défaut de le faire peut compromettre sa capacité à établir le but de sa visite. C’est ce qui s’est passé en l’espèce.

[22] Pour ces motifs, la demande de contrôle sera rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-11364-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Angela Furlanetto »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

IMM-11364-22

INTITULÉ :

SHOHREH KHOSRAVI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 août 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 31 août 2023

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

Pour la demanderesse

Matthew Tarasoff

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

Avocats

North Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

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