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Date : 20230901


Dossier : IMM-7557-22

Référence : 2023 CF 1194

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 1er septembre 2023

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

FAZL MINALLOH MUHAMMAD ANVAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Fazl Minalloh Muhammad Anvar [le demandeur], un citoyen de l’Afghanistan, demande le contrôle judiciaire au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision rendue le 4 juillet 2022 par la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui a accueilli, au titre du paragraphe 108(2) de la LIPR, la demande de constat de perte de l’asile du demandeur présentée par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre].

[2] Le demandeur s’est vu conférer la qualité de réfugié au sens de la Convention en novembre 2005 et est venu s’établir au Canada en 2006. La SPR a conclu que le demandeur s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité, l’Afghanistan, au titre de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR étant donné qu’il avait présenté trois demandes de passeports afghans, qu’il avait obtenus, et qu’il s’était rendu en Afghanistan cinq fois entre 2007 et 2015.

[3] Pour les motifs indiqués ci‑dessous, j’accueille la demande de contrôle judiciaire.

II. Questions préliminaires

[4] Avant l’audience, j’ai donné aux parties la directive de soumettre des observations supplémentaires concernant l’affidavit souscrit par le demandeur à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire [l’affidavit]. En bref, l’affidavit contient certains renseignements qui semblent ne pas avoir été soumis à la SPR, ainsi que des éléments qui semblent contredire les déclarations préalables du demandeur.

[5] Par l’entremise de son avocat, le demandeur prétend que la plupart des renseignements figurant dans l’affidavit [traduction] « correspondent » aux témoignages présentés devant la SPR. La réponse du demandeur ne tient pas compte des problèmes recensés par la Cour.

[6] Le défendeur affirme, et je suis d’accord avec lui, que si certaines des déclarations dans l’affidavit ne sont pas nécessairement en contradiction avec les témoignages réels, nombreuses sont celles qui semblent préciser les arguments du demandeur, ce qui n’est pas approprié.

[7] Par exemple, au paragraphe 12 de l’affidavit, le demandeur indique :

[traduction]

Je pensais pouvoir conserver mon passeport de l’Afghanistan et continuer à voyager avec puisque personne ne m’a demandé de lui remettre mon passeport et que personne ne m’a dit de ne pas voyager avec mon passeport afghan.

[8] Le demandeur se réfère à l’échange suivant, tiré de la transcription de l’audience devant la SPR [la transcription], comme fondement du paragraphe 12 de l’affidavit :

Q : …et cinq voyages. Pourquoi avez‑vous fait une demande de passeport et non une demande de titre de voyage?

R : Ah, oui. Je ne savais pas qu’on pouvait obtenir un titre de voyage. Je pensais que, OK, si vous êtes au Canada depuis trois ou, trois ou… jusqu’à cinq ans, vous pouvez obtenir un passeport canadien. Et tous les autres Afghans et mes amis, ils m’ont dit que je pourrais obtenir un passeport afghan.

[9] Affirmer que tous les autres Afghans et ses amis lui ont dit qu’il pouvait obtenir un passeport afghan n’est pas la même chose que d’affirmer que personne ne lui a demandé de « remettre » son passeport ou ne lui a interdit de voyager avec son passeport afghan.

[10] On note une incohérence similaire au paragraphe 23 de l’affidavit, lorsque le demandeur prétend précisément qu’il ne savait pas qu’il pouvait obtenir un titre de voyage de réfugié et qu’il n’en a été informé qu’au cours de l’audience relative à la perte de l’asile. L’extrait de la transcription ci‑dessus vient contredire cette déclaration puisque le demandeur a affirmé (au passé) dans son témoignage qu’il ne connaissait pas les titres de voyage.

[11] Nous retrouvons un autre exemple d’incohérence au paragraphe 13 de l’affidavit, où le demandeur indique que son frère [traduction] « lui a fait part de sa détresse et l’a supplié » de revenir en Afghanistan et [traduction] « de sauver [leur] père âgé et gravement malade ». Lors de l’audience devant la SPR, le demandeur a simplement mentionné ce qui suit dans son témoignage :

[traduction]

Mon frère qui, qui, qui a eu un terrible accident, ne pouvait pas aider; il avait ses propres ennuis de santé.

[12] Je n’ai pas besoin de passer en revue toutes les incohérences entre l’affidavit et les déclarations préalables du demandeur. Je voudrais simplement noter que ces incohérences sont présentes dans au moins 9 des 29 paragraphes de l’affidavit.

[13] Je ne veux pas insinuer que le demandeur cherche à induire délibérément la Cour en erreur en incluant dans l’affidavit des déclarations qui ne se fondent pas sur les témoignages préalables. À mon avis, cependant, l’avocat du demandeur devrait avoir pris les précautions nécessaires pour faire en sorte qu’il n’y avait aucune inexactitude ni déclaration qui pourrait induire en erreur dans l’affidavit. Il est essentiel pour un avocat d’être précis dans ses affirmations factuelles, car c’est un élément clé d’une assistance judiciaire efficace. Cela fait aussi partie intégrante de sa responsabilité en tant qu’officier de justice.

[14] Comme l’a souligné le défendeur à juste titre, « il est bien établi en droit que l’affidavit du demandeur est au cœur de la demande d’autorisation » : Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 614 au para 9. Qui plus est, en règle générale, la preuve considérée lors du contrôle judiciaire se limite à la preuve dont disposait le décideur. Étant donné que l’affidavit contient des renseignements dont ne disposait pas le décideur, ces renseignements ne devraient pas être pris en compte.

[15] Par conséquent, je ne prendrai pas en considération les renseignements inscrits aux paragraphes 12, 13, 14, 15, 16, 17, 19, 20 et 22, car ils ne concordent pas avec la preuve ni ne se fondent sur celle‑ci.

[16] Avant toute chose, l’orthographe du nom de famille du demandeur sera corrigée dans l’intitulé. J’ai signalé ce problème aux parties, car j’ai remarqué que le nom de famille du demandeur est écrit « Anvar » dans presque tous les documents datés d’avant le dépôt de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire [la DACJ], et notamment dans le passeport du demandeur, alors qu’il est écrit « Anwar » dans la DACJ. Par l’entremise de son avocat, le demandeur a confirmé qu’il « préfère » utiliser « Anvar » comme nom de famille, mais il n’a pas expliqué pourquoi la DACJ porte un nom différent. Le défendeur ne voit aucune objection à modifier l’intitulé.

III. Question en litige et norme de contrôle

[17] La question primordiale à trancher par la Cour est celle de savoir si la décision est raisonnable. Plus précisément, eu égard aux facteurs énoncés dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale [la CAF] Canada (Citoyenneté et Immigration) c Galindo Camayo, 2022 CAF 50 [Camayo], le demandeur fait valoir que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu a) qu’il avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité en se basant sur des circonstances convaincantes probantes et b) qu’il aurait dû être conscient des conséquences juridiques d’acquérir un passeport afghan.

[18] Les parties conviennent que la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable au titre de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[19] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision (Vavilov, au para 100). Avant d’infirmer la décision pour ce motif, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

IV. Analyse

[20] La SPR a fondé sa décision sur les dispositions pertinentes suivantes de la LIPR :

Rejet

Rejection

108 (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108 (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) The person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

[...]

[...]

Perte de l’asile

Cessation of refugee protection

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

Effet de la décision

Effect of decision

3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d’asile.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected.

[21] Il existe trois critères à prendre en compte pour déterminer si la perte de l’asile a eu lieu, conformément au Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, publié par le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [le Guide du HCR] et mentionné dans Camayo, au paragraphe 18 :

  1. la volonté : le réfugié doit avoir agi volontairement;

  2. l’intention : le réfugié doit avoir accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’est réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité;

  3. le succès de l’action : le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection.

[22] Il incombe au ministre de démontrer que ces trois critères ont été remplis afin d’établir la présomption que la personne s’est de nouveau réclamée de la protection du pays dont elle a la nationalité. Il incombe ensuite au réfugié de réfuter la présomption selon la prépondérance des probabilités : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Safi, 2022 CF 1125 au para 33.

a) La SPR a bien pris en considération le témoignage relatif aux urgences familiales du demandeur.

[23] Devant la SPR, le demandeur a témoigné avoir voyagé en Afghanistan en 2007 afin de prendre soin de son père dont l’état de santé se détériorait. Après la mort de son père en janvier 2010, le demandeur s’est rendu en Afghanistan en février 2010 pour accomplir les derniers sacrements. Il s’est ensuite rendu au Tadjikistan et y est resté une semaine chez ses beaux‑parents, avant de revenir au Canada en avril 2010. En mai 2014, le demandeur s’est de nouveau rendu en Afghanistan afin de planifier l’opération médicale de sa mère en Inde et a fait plusieurs allers et retours entre l’Afghanistan et l’Inde avant de revenir au Canada en juillet 2014. Finalement, en septembre 2015, le demandeur s’est rendu en Afghanistan pour voir sa mère malade, qui est décédée pendant sa visite. Il a assisté à ses funérailles avant de revenir au Canada en novembre 2015.

[24] Le demandeur fait valoir que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité au vu des urgences familiales qui motivaient ses voyages. Le demandeur renvoie au paragraphe 125 du Guide du HCR, qui porte que « le fait de rendre visite à un parent âgé ou souffrant n’a pas la même portée du point de vue des rapports du réfugié avec son pays d’origine que le fait de se rendre régulièrement dans ce pays pour y passer des vacances ou pour y établir des relations d’affaires ». En ce qui concerne le facteur de la raison des voyages, le demandeur renvoie également au paragraphe 84 de l’arrêt Camayo, qui dispose, dans le même ordre d’idée :

La SPR peut considérer que le voyage dans le pays de nationalité pour une raison impérieuse, comme la maladie grave d’un membre de la famille, n’a pas la même signification que le voyage dans ce même pays pour une raison plus frivole, comme des vacances ou une visite à des amis[.]

[25] Le demandeur soutient que, selon les directives de la CAF dans l’arrêt Camayo, la SPR doit tenir compte « au minimum » des facteurs énoncés au paragraphe 84 et qu’elle n’a donc pas respecté la jurisprudence, car elle n’a pas pris en considération les raisons de ses voyages.

[26] Plus précisément, la SPR a déterminé que les voyages du demandeur étaient volontaires, malgré l’incapacité financière et physique de son frère à gérer l’état de santé de ses parents, et a observé que les raisons des voyages « n’étaient pas exceptionnelles ni impérieuses ». Le demandeur conteste ces observations. Le demandeur affirme que ces conclusions révèlent un manquement « à s’attaquer de façon significative aux questions clés » et amènent à « se demander si [le décideur] était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Obaid, 2022 CF 1236 au para 31.

[27] Je ne suis pas convaincue par les arguments du demandeur.

[28] La SPR a bien pris note des raisons pour lesquelles le demandeur a effectué ces voyages et a reconnu qu’il était retourné en Afghanistan pour prendre soin de ses parents malades. Elle a aussi noté la situation de son frère. Voici un résumé des conclusions de la SPR, au paragraphe 20 de la décision :

Je compatis avec [le demandeur] quant au fait que son frère, qui vivait avec ses parents en Afghanistan, n’était pas en mesure de s’occuper d’eux financièrement et avait des problèmes de mobilité parce qu’il avait perdu ses jambes lors de l’explosion d’une bombe en 1996. Toutefois, la famille [du demandeur] (son épouse et ses enfants) a supplié ce dernier de ne pas mettre sa vie en danger en se rendant en Afghanistan. Cependant, malgré cela, le demandeur d’asile a volontairement voyagé en Afghanistan, au Tadjikistan et en Inde. Cette preuve montre que les membres de la famille [du demandeur] craignaient assurément pour sa vie et sa sécurité lors de ses séjours en Afghanistan. Il n’a pas tenu compte de leurs conseils et a décidé d’effectuer ces voyages, affirmant qu’il devait prendre soin de ses parents âgés. [Le demandeur] n’a fourni aucun élément de preuve crédible démontrant qu’il avait été forcé de se rendre dans son pays et ensuite au Tadjikistan et en Inde dans des circonstances qui étaient impérieuses à un point tel qu’il avait dû risquer sa vie pour se rendre en Afghanistan alors que l’anarchie dans ce pays était toujours généralisée et l’avait amené à demander l’asile. Quand il a été prié d’expliquer pourquoi il s’était senti suffisamment en sécurité pour retourner en Afghanistan à toutes ces occasions, [le demandeur] a déclaré qu’il n’avait pas eu de problèmes avec qui que ce soit dans son pays et qu’il était resté chez son frère avec ses parents.

[29] La SPR a ensuite conclu, en se fondant sur « l’ensemble des circonstances » que le retour du demandeur en Afghanistan était volontaire, « malgré la nécessité de s’occuper de ses parents âgés ».

[30] La décision lue dans son ensemble révèle que la SPR a pris en compte les raisons des voyages du demandeur, contrairement à ce qu’affirme ce dernier.

[31] Comme l’explique le juge Fuhrer au paragraphe 23 de la décision Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2023 CF 1071, renvoyant au paragraphe 22 de la décision Cabrera Cadena c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 67, [traduction] « [l]’existence d’une raison pour justifier d’un retour vers son pays d’origine n’altère pas nécessairement le caractère volontaire de l’acte ».

[32] Par ailleurs, comme l’indique le défendeur, la Cour a affirmé qu’il incombe à la SPR de déterminer si, dans un cas particulier, la personne se réclame effectivement de nouveau et volontairement de la protection de son pays de nationalité lorsqu’elle voyage en raison de circonstances familiales atténuantes : Norouzi c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 368 aux para 11 et 21

[33] En l’espèce, je considère que la SPR a raisonnablement évalué les raisons pour lesquelles le demandeur se devait de voyager. Le demandeur n’est peut-être pas d’accord avec la conclusion de la SPR selon laquelle ces circonstances ne sont ni exceptionnelles ni impérieuses, mais il n’a néanmoins relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans les conclusions de la SPR.

b) La SPR a commis une erreur en ne prenant pas en considération le manque de connaissance subjective du demandeur.

[34] Dans ses observations écrites, le demandeur affirme que la SPR n’a pas pris en considération son témoignage selon lequel il a obtenu et utilisé ses passeports afghans à de simples fins administratives et [traduction] qu’il « ne connaissait pas ni ne comprenait les implications juridiques de ces actes ». Le demandeur déclare en outre qu’il a témoigné ne pas être au courant qu’il pouvait voyager en faisant la demande d’un titre de voyage canadien. En ce qui concerne le fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité, le demandeur affirme [traduction] qu’« il n’a jamais pensé que le fait de lui délivrer un passeport signifiait que le gouvernement afghan ou les talibans avaient décidé de cesser leur persécution en raison de son identité ethnique ni qu’ils offraient de le protéger ».

[35] Le demandeur soutient que la présomption selon laquelle un réfugié se réclame de nouveau de la protection de son pays de nationalité est réfutable et que la distinction entre la protection de l’État et la protection diplomatique est une [traduction] « subtilité juridique qui échappe souvent aux réfugiés profanes ». Le demandeur soutient que « le manque de connaissance réelle [d’un réfugié] quant aux conséquences de ses actes », s’il n’est pas déterminant, est néanmoins « une considération factuelle clé, et la SPR doit soit la soupeser avec tous les autres éléments de preuve, soit expliquer correctement pourquoi la loi exclut sa prise en compte » (Camayo, au para 70). À ce titre, le demandeur affirme que le manquement de la SPR à prendre en considération cet élément de preuve fondamental dans l’analyse de son intention de vraiment se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité rend la décision déraisonnable.

[36] Je dois m’arrêter ici pour noter que les arguments du demandeur ne sont pas tous fondés sur les éléments de preuve qui figurent au dossier que je détiens. Par exemple, contrairement à son argument écrit, le demandeur n’a jamais fourni la preuve qu’il n’était pas au courant des conséquences juridiques de ses actes ou qu’il ne croyait pas que le fait de se faire délivrer un passeport signifiait que le gouvernement afghan ou les talibans lui offraient une protection. J’insiste sur ce point encore une fois afin de souligner l’importance pour les avocats de veiller à l’exactitude des affirmations factuelles dans les demandes de contrôle judiciaire. De telles inexactitudes sont défavorables au demandeur comme à son avocat et peuvent induire la Cour en erreur.

[37] Lors de l’audience tenue devant moi, l’avocat du demandeur est revenu sur son observation en affirmant que la question de la connaissance subjective n’avait jamais été soulevée lors de l’audience relative à la perte de l’asile. Plus précisément, personne n’a jamais interrogé le demandeur, à commencer par son avocat du moment, pour savoir s’il était au courant qu’il pouvait perdre son statut de réfugié en voyageant avec un passeport afghan. Étant donné l’absence d’éléments de preuve relatifs à la connaissance subjective qui, selon l’arrêt Camayo, est un facteur de l’évaluation, le demandeur a donc affirmé que la décision n’était pas raisonnable.

[38] Dans l’arrêt Camayo, au paragraphe 84, la CAF souligne que l’un des facteurs à considérer lors d’une audience relative à la perte de l’asile est le suivant :

  • L’état des connaissances de la personne en ce qui concerne les dispositions relatives à la perte de l’asile. La preuve qu’une personne est retournée dans son pays d’origine en sachant parfaitement que cela pouvait mettre en péril son statut de réfugié peut avoir une signification différente de la preuve qu’une personne n’est pas consciente des conséquences potentielles de ses actions[.]

[39] On ne peut accuser la SPR de ne pas avoir suivi les directives de la CAF étant donné qu’elle a rendu sa décision avant la publication de l’arrêt Camayo. Cependant, comme l’a clarifié la CAF, tous les éléments de preuve relatifs aux facteurs énoncés « doivent être examinés et équilibrés afin de déterminer si les actions de la personne sont telles qu’elles ont permis de réfuter la présomption selon laquelle elle s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays de nationalité » (Camayo, au para 84). La SPR a commis une erreur lorsqu’elle a omis de prendre en considération le fait de savoir si le demandeur était conscient ou non des conséquences potentielles de ses actes.

[40] J’ai examiné l’argument du défendeur qui soutient qu’étant donné le manque d’éléments de preuve pour réfuter cette présomption, le fait que la SPR n’ait pas pris en considération la question de la connaissance subjective du demandeur n’est pas une erreur susceptible de contrôle. Cependant, compte tenu de l’importance potentielle des éléments de preuve relatifs au fait que le demandeur était conscient — ou inconscient — des conséquences de ses actes, la solution qui convient est de renvoyer l’affaire pour nouvelle décision.

V. Conclusion

[41] La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[42] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7557-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée pour nouvelle décision par un tribunal de la SPR différemment constitué.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

  4. L’orthographe du nom de famille du demandeur sera corrigée dans l’intitulé, qui indiquera « Anvar » au lieu de « Anwar ».

« Avvy Yao‑Yao Go »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7557-22

 

INTITULÉ :

FAZL MINALLOH MUHAMMAD ANVAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 24 août 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er septembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Vineet Kaushal

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vineet Kaushal

DP Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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