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Date : 20230919


Dossier : IMM-12549-22

Référence : 2023 CF 1253

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2023

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

REZA JAHANTIGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] En octobre 2019, Reza Jahantigh a présenté une demande de permis d’études, afin de poursuivre un doctorat en génie informatique à l’École de technologie supérieure de Montréal. En décembre 2022, soit 38 mois après sa première demande et 24 mois après avoir été informé que sa demande était rendue à l’étape de la [traduction] « vérification des antécédents », il a déposé la présente demande, en vue d’obtenir une ordonnance de mandamus enjoignant à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] de traiter sa demande et de prendre une décision sur celle-ci.

[2] Le 12 septembre 2023, soit la veille de l’audition de la présente demande, un agent d’IRCC a délivré une « lettre d’équité » indiquant qu’il avait des motifs raisonnables de croire que M. Jahantigh pourrait être interdit de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], du fait qu’il constituait un danger pour la sécurité du Canada [la lettre d’équité procédurale de dernière minute]. Le ministre a déposé la lettre d’équité procédurale de dernière minute à la Cour le matin de l’audience, avec le consentement de M. Jahantigh. Les inquiétudes relatives à la sécurité soulevées dans la lettre concernent le travail que M. Jahantigh [traduction] « aurait pu faire » lorsqu’il occupait un poste au sein d’une entreprise privée de logiciels, ainsi que son emploi antérieur en tant qu’assistant de recherche et ses domaines de recherche futurs possibles pendant la préparation de son doctorat, [traduction] « qui pourraient être considérés comme des domaines de recherche sensibles ». Selon la lettre, M. Jahantigh disposait de 30 jours pour présenter des renseignements supplémentaires sur cette question.

[3] Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que la lettre d’équité procédurale de dernière minute rend théorique une partie seulement de la demande d’ordonnance de mandamus présentée par M. Jahantigh. Dans sa demande, M. Jahantigh sollicite une ordonnance enjoignant au ministre (i) [traduction] « de poursuivre le traitement » de sa demande de permis; (ii) de prendre une décision sans délai. La première question est devenue théorique, mais ce n’est pas le cas de la deuxième. Vu les circonstances, je conclus que je ne devrais pas exercer mon pouvoir discrétionnaire pour statuer sur la première question en dépit de son caractère théorique. Je conclus également que je ne devrais pas accueillir la demande quant à la deuxième question, selon les conditions actualisées recherchées par M. Jahantigh à l’audience, c’est-à-dire enjoindre au ministre de prendre une décision dans les 15 jours suivant sa réponse à la lettre d’équité procédurale de dernière minute. Au contraire, vu les questions évoquées en matière de sécurité et les réserves soulevées par la Cour sur la possibilité de retarder davantage le dossier, je conclus qu’il convient de rendre une ordonnance enjoignant au ministre de rendre compte mensuellement à la Cour de l’état d’avancement de la demande, afin que les questions pendantes ou tout nouveau retard puissent être réglés rapidement.

[4] Je conclus cet aperçu en reprenant deux des observations formulées par la Cour durant l’audience. Premièrement, le moment choisi pour présenter la lettre d’équité procédurale de dernière minute est inopportun et injuste à l’égard de M Jahantigh. IRCC et l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] étaient au courant de cette demande de mandamus depuis décembre 2022 ainsi que de la date d’audience depuis qu’elle a été fixée il y a trois mois. La délivrance de la lettre la veille de l’audience a contraint les avocats des parties et la Cour à traiter des questions à la dernière minute. Il s’ensuit aussi que le temps réservé par la Cour pour instruire la présente demande ne pouvait être alloué à d’autres plaideurs. Le moment choisi pour présenter la lettre ne peut être une coïncidence : IRCC et/ou l’ASFC souhaitaient vraisemblablement s’assurer qu’une mesure avait été prise à l’égard du traitement de la demande de M. Jahantigh avant l’audience. En soi, ce souhait est louable. Toutefois, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve permettant d’expliquer pourquoi une telle mesure n’aurait pas pu être prise bien avant l’audience, afin d’éviter la situation qui s’est produite. En d’autres termes, s’il vaut mieux tard que jamais, il vaut aussi beaucoup mieux tôt que tard.

[5] Deuxièmement, l’examen de sécurité exigé dans le cadre de la demande de M. Jahantigh est mené par la Division du filtrage pour la sécurité nationale [la DFSN] de l’ASFC. Dans ses observations sur la présente demande, le ministre a fait valoir qu’étant donné que le filtrage était effectué par l’un des [traduction] « partenaires en matière de sécurité » d’IRCC, il ne pouvait pas, en pratique, obtenir des éléments de preuve pour expliquer le retard à effectuer le filtrage ni les présenter à la Cour. Comme je l’explique plus loin et ainsi que la Cour l’a jugé à maintes reprises, le ministre ne peut pas s’attendre à ce que la Cour accepte simplement le caractère raisonnable d’un retard dans le traitement d’une demande d’immigration, sur l’invocation du fait qu’un partenaire en matière de sécurité du gouvernement du Canada effectue un examen, en l’absence d’élément de preuve pour justifier le retard.

II. Le caractère théorique

A. La demande de contrôle judiciaire présentée par M. Jahantigh

[6] Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Jahantigh sollicite une ordonnance de mandamus relativement à sa demande de permis d’études. Il affirme que les fonctionnaires d’IRCC ont une obligation de nature publique de prendre une décision sur sa demande et qu’ils ont négligé ou refusé de la traiter et de prendre une décision sur celle-ci. Il soutient que le retard de plus de trois ans pour prendre une décision relative à un visa d’étudiant est déraisonnable dans les circonstances.

[7] Dans son avis de demande, le demandeur sollicite [traduction] « [u]ne ordonnance de mandamus enjoignant au défendeur de poursuivre le traitement de [sa] demande de permis d’études et de prendre une décision sans délai ». Dans son mémoire complémentaire des faits et du droit, déposé après que l’autorisation a été accordée le 21 juin 2023, M. Jahantigh demande de la même manière que soit rendue une ordonnance de mandamus enjoignant à IRCC de traiter sa demande de permis d’études dans les 30 jours.

[8] Ainsi, la demande de M. Jahantigh vise, de façon intrinsèque et expresse, à obtenir une ordonnance enjoignant à IRCC de (i) poursuivre le traitement de sa demande de permis d’études et de (ii) rendre une décision à cet égard. Le traitement d’une demande et la décision s’y rapportant sont manifestement liés, puisque la décision est généralement le résultat du traitement de la demande. Toutefois, je suis d’avis qu’une ordonnance enjoignant à IRCC de poursuivre le traitement de la demande de M. Jahantigh n’est pas de la même nature que celle d’une ordonnance enjoignant à IRCC de rendre une décision définitive sur la demande dans un délai déterminé.

B. La demande est partiellement théorique

[9] Pour déterminer le caractère théorique, la Cour applique l’analyse en deux temps élaborée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Borowski : (1) il faut se demander si le « différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique », de sorte que l’affaire se trouve dénuée de portée pratique; et (2) si c’est le cas, le tribunal décide alors s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et instruire néanmoins l’affaire : Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 à la p 353.

(1) La demande pour obtenir une ordonnance enjoignant à IRCC de « poursuivre le traitement » est théorique

[10] Comme il ressort clairement de la lettre d’équité procédurale de dernière minute, IRCC a récemment pris une mesure à l’égard du traitement de la demande de visa d’étudiant de M. Jahantigh. Plus précisément, M. Jahantigh a été informé des inquiétudes relatives à la sécurité pouvant mener au rejet de sa demande de permis d’études, au motif qu’il serait interdit de territoire. À mon avis, cela rend théorique la demande présentée par M. Jahantigh à la Cour pour obtenir une ordonnance enjoignant à IRCC de « poursuivre le traitement » de sa demande, parce que pareille ordonnance n’aurait pas d’effet pratique.

[11] À cet égard, M. Jahantigh fait valoir que la Cour devrait en réalité faire fi de la lettre d’équité procédurale de dernière minute. Il soutient que la date et le contenu de la lettre donnent une indication qu’elle a été délivrée de mauvaise foi et qu’elle ne devrait pas être considérée comme une lettre d’équité procédurale de dernière minute sincère ou comme une étape dans le traitement de sa demande. Plus précisément, il affirme que les préoccupations liées au risque possible pour la sécurité mentionnées dans la lettre sont trop vagues pour apporter une réponse valable, tandis que les références à son service militaire antérieur ne tiennent pas compte du fait qu’il s’agit simplement du service militaire obligatoire pour tous les hommes en Iran. Il souligne l’exigence énoncée dans l’arrêt Suresh selon laquelle « [i]l doit exister une possibilité réelle et sérieuse d’un effet préjudiciable au Canada », en faisant valoir que la lettre n’indique pas l’existence d’une telle possibilité : Suresh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CSC 1 au para 88.

[12] Je ne suis pas d’avis que la Cour devrait simplement faire fi de la lettre d’équité procédurale de dernière minute. M. Jahantigh pourrait avoir des réponses valables à la lettre et il pourrait en définitive convaincre IRCC et l’ASFC qu’il ne constitue pas un danger pour la sécurité du Canada selon la norme pertinente. Toutefois, la Cour n’est pas convaincue qu’à première vue, la lettre a été délivrée de mauvaise foi. En soutenant que la lettre ne soulève aucune question de fond en matière de sécurité nationale, M. Jahantigh invite essentiellement la Cour à apprécier le bien-fondé des préoccupations soulevées relativement à l’interdiction de territoire. Toutefois, la LIPR confère la responsabilité d’apprécier les questions touchant la sécurité au ministre et à ses délégués, et non à la Cour, sous réserve de la possibilité d’un recours en contrôle judiciaire. Je conclus qu’il ne serait pas approprié pour la Cour de statuer à l’avance de quelque façon que ce soit sur la question touchant la sécurité nationale soulevée dans la lettre.

[13] Par souci de clarté, je précise que les mesures qui ont une apparence de « traitement » ne rendront pas nécessairement théorique l’intégralité ou une partie d’une demande de mandamus. Les circonstances d’une affaire en particulier et la nature des mesures prises doivent être appréciées.

(2) La Cour n’exercera pas son pouvoir discrétionnaire pour statuer sur la question théorique

[14] La Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de s’écarter de la pratique habituelle de refuser d’entendre et de trancher des affaires ou des questions théoriques. Dans l’arrêt Borowski, le juge Sopinka a décrit trois facteurs non exhaustifs dont la Cour doit tenir compte en exerçant son pouvoir discrétionnaire : 1) l’existence d’un contexte contradictoire; 2) le souci d’économie des ressources judiciaires; et 3) la nécessité pour la Cour de se montrer sensible à son rôle véritable dans l’élaboration du droit, c’est-à-dire sa fonction juridictionnelle dans la structure politique canadienne : Borowski, aux p 358-363).

[15] J’accepte le fait que le contexte contradictoire existe toujours en l’espèce. Toutefois, le souci d’économie des ressources judiciaires et la sensibilité de la Cour à l’égard du processus administratif m’amènent à conclure que la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider si M. Jahantigh a démontré qu’il remplissait les conditions requises pour obtenir une ordonnance de mandamus énoncées dans l’arrêt Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CA) aux p 766-769.

[16] À cet égard, le principal litige opposant les parties portait sur la question de savoir si le retard de traitement de la demande de M. Jahantigh était « déraisonnable » : Apotex à la p 767; Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 33 (1re inst) au para 23. Le ministre invoque la pandémie de COVID-19 et l’enquête de sécurité menée par ses partenaires pour justifier le retard. M. Jahantigh souligne que sa demande de permis d’études est en suspens depuis près de quatre ans, qu’IRCC a publié ses propres estimations des temps de traitement et qu’aucune explication n’a été donnée concernant la durée de la [traduction] « vérification des antécédents ».

[17] À mon avis, il serait peu utile que la Cour se prononce sur ces questions dans les circonstances de l’espèce. L’appréciation du bien-fondé du mandamus repose nécessairement sur les faits et dépend des circonstances : Platonov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16104 (CF) au para 10. Une conclusion selon laquelle le retard en l’espèce était ou n’était pas raisonnable ou justifié dans le contexte de la pandémie et de l’examen de sécurité n’aiderait guère M. Jahantigh ou le ministre. Cette conclusion ne pourrait pas non plus donner une orientation jurisprudentielle importante. Compte tenu de ces facteurs et du rôle limité de la Cour en matière de contrôle judiciaire, je conclus que je ne devrais pas exercer mon pouvoir discrétionnaire pour statuer sur la question en dépit de son caractère théorique.

[18] Néanmoins, je souligne que la Cour aurait eu des difficultés à apprécier le caractère raisonnable du retard en l’espèce, vu les éléments de preuve déposés par le ministre. Comme je l’ai mentionné, le ministre s’est appuyé fortement sur le filtrage de sécurité effectué par l’ASFC pour justifier le retard d’IRCC pour traiter la demande de M. Jahantigh. Comme le ministre l’a affirmé dans ses observations écrites, [traduction] « s’il y a eu un retard, il y a une justification raisonnable : la demande de permis d’études du demandeur fait actuellement l’objet d’un filtrage de sécurité ».

[19] La Cour a affirmé clairement que la simple référence à un examen de sécurité ne pouvait justifier un retard, quelle que soit sa durée ou sa nécessité. Même lorsque la loi confère au ministre un pouvoir discrétionnaire exprès de suspendre une procédure d’examen « pendant la période nécessaire », dans l’attente du résultat d’une enquête concernant l’admissibilité, la Cour a pris acte du fait qu’une telle suspension était circonscrite dans les limites du raisonnable : Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 938 aux para 33-38; Niu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 520 aux para 13-15; Gentile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 452 aux para 19, 20; ces décisions traitaient de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29. La Cour fait nécessairement preuve de retenue face à des questions portant sur la durée d’une enquête de sécurité, mais cela ne donne pas carte blanche au ministre en matière d’enquête. Pour reprendre les termes du juge Manson dans la décision Zhang, « ce n’est pas la Cour qui détermine la durée d’une telle enquête, dans des limites du raisonnable » (non souligné dans l’original) : Zhang, au para 38.

[20] Pour que la Cour puisse apprécier si la durée d’un examen de sécurité est raisonnable, elle doit avoir des renseignements sur l’examen et les raisons de sa durée. C’est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, les préoccupations soulevées en fin de compte semblent être fondées sur des renseignements qui figuraient déjà dans la demande initiale d’octobre 2019 présentée par M. Jahantigh : son ancien emploi au sein d’une société privée de logiciels, son service militaire obligatoire antérieur et son domaine d’études en informatique.

[21] Toutefois, IRCC n’a déposé aucun élément de preuve sur la nature du filtrage de sécurité ou sur la raison pour laquelle il a fallu près de trois ans après que M. Jahantigh a été informé que sa demande était rendue à l’étape de la [traduction] « vérification des antécédents » pour délivrer la lettre d’équité procédurale de dernière minute. IRCC semble penser qu’il ne peut tout simplement pas fournir ces renseignements à la Cour, mises à part les observations générales selon lesquelles les partenaires en matière de sécurité ont été aussi touchés par la pandémie de COVID-19. IRCC laisse entendre que le filtrage étant effectué par son partenaire en matière de sécurité, soit la DFSN de l’ASFC, il ne peut que s’informer auprès de l’ASFC de l’état d’avancement de l’enquête. Après avoir reçu comme seule réponse de la part de l’ASFC que l’enquête est en cours, IRCC semble considérer qu’il a fait tout ce qu’il pouvait et qu’il ne peut pas obtenir d’autres renseignements ni les présenter à la Cour.

[22] La Cour a rejeté cette approche à plusieurs reprises. Il y a plus de vingt ans, le juge Lemieux a critiqué le retard d’un filtrage de sécurité effectué par le Service canadien du renseignement de sécurité [le SCRS] et le fait qu’il n’y avait « aucune explication à la Cour à cet effet » : Latrache c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CanLII 22063 (CF) aux para 18-20. Je souscris aux observations de la juge Tremblay-Lamer dans la décision Abdolkhaleghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 729 :

Il me semble que la question nécessite que l’on revienne au principe de base établi par le juge Strayer, plus tard juge à la Cour d’appel, dans l’affaire Bhatnager [c MEI, [1985] 2 CF 315 (1re inst)] : s’il y a un long retard sans explication valable, le mandamus peut être accordé. En d’autres termes, la réponse aux demandes de renseignements des demandeurs relatives à la longueur du traitement de leurs demandes, qu’il y a une enquête de sécurité du SCRS, n’est pas une explication valable. Ce qui constitue une explication valable dépend, naturellement, de la complexité relative des considérations de sécurité dans chaque cas. Une déclaration générale d’existence d’une enquête de vérification de sécurité, qui est tout ce qui a été donné ici, ne permet aucunement de juger de la validité de l’explication. Et par conséquent, il semble n’exister aucune préoccupation de sécurité.

[Caractères gras ajoutés; soulignements dans l’original; Abdolkhaleghi, au para 23.]

[23] Dans la décision Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 544, le juge Harrington a également souligné qu’il n’était pas suffisant pour IRCC d’informer simplement la Cour qu’un autre organisme menait une enquête :

Que les délais soient imputables au bureau du ministre ou au SCRS importe peu. Le ministre était tenu d’agir avec diligence raisonnable, en tenant compte du fait que les ressources peuvent être restreintes. Ce devoir ne se limite pas simplement à une délégation au SCRS, qui relève d’un autre ministre. Le délégué à son tour peut exercer une diligence raisonnable. Personne ne prétend que M. Singh avait droit à une décision instantanée. Les files d’attente font partie de la vie, mais à ce stade-ci, les délais sont tout simplement inacceptables.

[Non souligné dans l’original; Singh, au para 16.]

[24] La Cour va dans le même sens dans les décisions Kanthasamyiyar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1248 aux para 49, 50; Almuhtadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 712 aux para 40-42; Gentile, aux para 27-33; Bidgoly c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 283 aux para 38, 39, 46; et Ghaddar v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 946 au para 33.

[25] La Cour comprend la nécessité de veiller à ce que les contrôles de sécurité soient effectués avec rigueur et le souci que les éléments de preuve déposés dans le cadre d’une demande de mandamus ne compromettent pas eux-mêmes le contrôle de sécurité. Cependant, cela ne signifie pas qu’il est impossible pour le gouvernement de déposer des renseignements concernant le processus et la raison de sa durée qui permettraient à la Cour d’en apprécier le caractère raisonnable, plutôt que de formuler une simple « déclaration générale » selon laquelle le délai est attribuable à une enquête de sécurité.

(3) La demande d’ordonnance enjoignant à IRCC de prendre une décision sur la demande n’est pas théorique

[26] Même si IRCC a délivré une lettre d’équité procédurale, aucune décision n’a encore été rendue sur la demande de permis d’études de M. Jahantigh. Il s’ensuit que la demande visant à obtenir une ordonnance de mandamus enjoignant à IRCC de prendre une décision sur la demande demeure concrète et tangible, et n’est pas théorique. Je me pencherai donc sur cet aspect de la demande ci-après.

III. La demande de M. Jahantigh pour qu’une décision soit rendue dans un délai déterminé

[27] Bien que la demande de M. Jahantigh visant à obtenir une ordonnance de mandamus enjoignant à IRCC de prendre une décision sur la demande ne soit pas théorique, la situation factuelle a changé avec la délivrance de la lettre d’équité procédurale de dernière minute et les questions touchant la sécurité nationale qu’elle soulève. Ce changement peut avoir des répercussions sur des éléments de l’analyse relative au mandamus, par exemple, la question de savoir si toutes les conditions préalables à l’existence d’une obligation d’agir ont été satisfaites; la question du retard déraisonnable; et la prépondérance des inconvénients. De plus, ce changement crée une situation qui évoluera nécessairement dans un avenir proche, en raison de la réponse de M. Jahantigh à la lettre d’équité procédurale de dernière minute, à supposer qu’il choisisse d’en déposer une.

[28] M Jahantigh a fait valoir que, vu la nature de la lettre d’équité procédurale de dernière minute et le retard accumulé jusqu’à maintenant, la Cour devrait enjoindre à IRCC de prendre une décision sur sa demande dans les 15 jours suivant sa réponse à la lettre. La Cour a déjà rendu des ordonnances de mandamus ordonnant qu’une décision soit prise dans un certain délai, même lorsqu’une vérification de sécurité était pendante : voir, p. ex., Bidgoly, aux para 1, 11, 45-47; Ghaddar, aux para 14-17, 41, 50. En l’espèce, le ministre n’a pu présenter des observations sur un délai raisonnable ou envisageable pour effectuer le filtrage de sécurité, compte tenu du moment où la lettre d’équité procédurale de dernière minute a été délivrée et du peu de renseignements que même l’avocate du ministre avait reçus au sujet du filtrage de sécurité.

[29] Je conclus que la Cour ne peut déterminer à ce stade si une ordonnance de mandamus enjoignant à IRCC de prendre une décision devrait être rendue, ou à quelles conditions. Encore qu’il soit attribuable à IRCC et à ses partenaires en matière de sécurité le fait que la Cour a peu de renseignements sur le processus, celle-ci n’est pas disposée, à la lumière du dossier dont elle est saisie, à risquer d’imposer un délai irréaliste pour un processus décisionnel qui touche la sécurité nationale. Toutefois, pour les mêmes raisons et compte tenu du retard à traiter la demande jusqu’à présent, la Cour n’est pas non plus disposée à rejeter simplement l’affaire, laissant à M. Jahantigh la seule option de déposer une autre demande de mandamus s’il y avait davantage de retard après qu’il aurait répondu à la lettre d’équité procédurale de dernière minute.

[30] Dans ces circonstances, je demeurerai saisi de l’affaire et rendrai une ordonnance enjoignant au ministre de rendre compte à la Cour de l’état d’avancement de la demande de M. Jahantigh dans les 30 jours de la présente ordonnance, et tous les 30 jours par la suite, jusqu’à l’achèvement du traitement ou jusqu’à ce que la Cour rende une nouvelle ordonnance. J’encourage les parties à se consulter avant la production de ces rapports, afin de relever tous les sujets de préoccupation concernant l’état d’avancement du traitement et de les porter à l’attention de la Cour, de sorte que celle-ci puisse les régler dans les plus brefs délais.

[31] Si le ministère cherche à expliquer ou à justifier un nouveau retard pour traiter la demande de M. Jahantigh par l’enquête de sécurité en cours et la nécessité d’attendre la décision de ses partenaires en matière de sécurité, je rappelle les observations formulées précédemment aux paragraphes [19] à [25].

IV. Les dépens

[32] M. Jahantigh n’a pas demandé de dépens dans sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Toutefois, à l’audition de la demande, il a fait valoir qu’une ordonnance sur les dépens serait appropriée, en invoquant la présentation de la lettre d’équité procédurale de dernière minute et l’absence de proposition de délai pour que le ministre prenne sa décision.

[33] Je mettrai en délibéré la question des dépens ainsi demandés jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue dans la présente affaire.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-12549-22

LA COUR STATUE :

  1. Le défendeur rendra compte à la Cour de l’état d’avancement de la demande de permis d’études de M. Jahantigh dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance, et tous les 30 jours par la suite, jusqu’à ce qu’une décision soit prise sur cette demande ou jusqu’à ce que la Cour rende une nouvelle ordonnance;

  2. Le soussigné demeure saisi de l’affaire;

  3. La question des dépens afférents à la présente demande de contrôle judiciaire est mise en délibéré jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue en l’espèce.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12549-22

 

INTITULÉ :

REZA JAHANTIGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 SEPTEMBRE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :


LE 19 SEPTEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jocelyne Mui

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

North Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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