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Date : 20230918

Dossier : IMM-6209-22

Référence : 2023 CF 1251

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

DEAN DALY

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS

ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Dean Daly, le demandeur, a 46 ans. Il vit au Canada de façon continue depuis l’âge d’environ un an. M. Daly risque d’être renvoyé en Jamaïque, le seul pays dont il est citoyen. Il n’est pas retourné dans ce pays depuis qu’il est arrivé au Canada lorsqu’il était enfant.

[2] M. Daly a demandé l’asile par l’intermédiaire d’une demande d’examen des risques avant renvoi (« ERAR »), car il croit qu’il courrait un risque advenant son renvoi en Jamaïque. C’est la décision par laquelle un agent principal d’immigration a rejeté sa demande d’ERAR que M. Daly conteste par voie de contrôle judiciaire en l’espèce.

[3] M. Daly soulève un certain nombre d’arguments dans le présent contrôle judiciaire. La question déterminante est celle de l’analyse, par l’agent, du risque auquel M. Daly serait exposé dans les prisons jamaïcaines. L’agent a accordé un [traduction] « poids négligeable » à cette question en raison des efforts déployés par l’État pour lutter contre les violations des droits de la personne visant les prisonniers aux prises avec des problèmes de santé mentale ou une dépendance. Comme je l’explique ci-dessous, le raisonnement de l’agent au sujet de cette question clé manque de cohérence et mine ma confiance envers la décision.

[4] Pour les motifs suivants, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.

II. Antécédents d’immigration au Canada

[5] M. Daly est né en Jamaïque et est arrivé au Canada lorsqu’il avait environ un an. Il croit être venu au pays conformément à un quelconque statut temporaire qui a expiré par la suite. Rien n’indique qu’il n’ait jamais eu de statut permanent au Canada. Durant presque toute sa vie adulte, M. Daly a été en situation d’itinérance et aux prises avec une dépendance au crack. Il n’est pas en communication avec sa famille en Jamaïque.

[6] M. Daly a été reconnu coupable de plusieurs infractions criminelles graves. Il semble que les autorités de l’Immigration n’ont pas eu d’interaction avec M. Daly avant il y a trois ans environ. À l’époque, il a été jugé interdit de territoire au Canada pour grande criminalité conformément aux alinéas 36(1)a) et 36(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. M. Daly a présenté une demande d’ERAR en février 2021. Sa demande a d’abord été rejetée en mai 2021, mais elle a ensuite été renvoyée pour nouvel examen. D’autres observations et éléments de preuve ont été déposés à cette étape. La demande d’ERAR a été rejetée en juin 2022. Cette décision est contestée par voie de contrôle judiciaire en l’espèce.

III. Question en litige et norme de contrôle

[7] La seule question en litige porte sur le bien-fondé de l’analyse, par l’agent, des risques auxquels M. Daly serait exposé dans les prisons jamaïcaines. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que, lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond, la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable (Vavilov, au para 16). Rien ne justifie que l’on s’écarte de cette présomption en l’espèce.

IV. Risques dans le système carcéral jamaïcain

[8] M. Daly a soutenu qu’une combinaison de facteurs fait en sorte qu’il courrait un risque en Jamaïque, notamment parce qu’il y serait de retour en qualité de personne expulsée, de personne en situation d’itinérance, de personne sans famille ainsi que de personne aux prises avec des problèmes de santé mentale et une dépendance aux drogues. L’agent n’a soulevé aucune préoccupation en ce qui concerne le point de vue de M. Daly selon lequel il se retrouverait probablement dans le système carcéral jamaïcain en raison de ces facteurs.

[9] L’agent a évalué la preuve relative aux risques dans les prisons, plus particulièrement pour les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Il a fait référence à un rapport du Département d’État des États-Unis, soulignant les conditions de détention difficiles et pouvant mettre la vie en danger :

[traduction]
Les conditions dans les prisons et les centres de détention sont très difficiles et mettent la vie des détenus en danger en raison de l’importante surpopulation, des sévices physiques subis, de l’accès limité à de la nourriture, des mauvaises conditions sanitaires, des soins médicaux inadéquats et d’une administration déficiente. Les prisonniers aux prises avec des problèmes de santé mentale et les enfants placés dans des établissements pénitentiaires pour mineurs constituent les populations les plus vulnérables dans ces conditions difficiles.

[10] L’agent a admis que les conditions en prison sont [traduction] « généralement médiocres », mais a conclu que ce risque était [traduction] « atténué » puisque, selon le gouvernement de la Jamaïque : [traduction] « des recherches ont été menées et des solutions de rechange à l’incarcération sont recherchées principalement pour les personnes aux prises avec des problèmes de consommation ou des troubles psychiatriques ». L’agent s’est fondé sur cette déclaration vague quant aux recherches réalisées et à la quête de solutions de rechange pour conclure que [traduction] « les autorités étatiques sont au fait des problématiques auxquelles les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie sont confrontées en prison, et [qu’]elles cherchent activement à apporter des changements ». Pour ce motif, l’agent a conclu qu’il convenait d’accorder un [traduction] « poids négligeable » au risque auquel le demandeur serait exposé en prison.

[11] Il s’agit de la totalité de l’analyse sur cette question clé. En raison des graves conséquences de la décision, l’agent avait l’obligation de présenter des motifs adaptés aux questions soulevées pour justifier sa décision auprès du demandeur (Vavilov, au para 133). Compte tenu des conclusions de l’agent sur la nature des violations des droits de la personne en prison, y compris des conditions [traduction] « pouvant mettre la vie en danger », en particulier pour les personnes ayant le même profil que M. Daly, la conclusion de l’agent selon laquelle un [traduction] « poids négligeable » devait être accordé à ce facteur parce que les autorités sont « au fait du problème » n’est pas cohérente; elle ne « se tient » pas (Vavilov, au para 104).

V. Décision

[12] La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

Vide

« Lobat Sadrehashemi »

Vide

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6209-22

 

INTITULÉ :

DEAN DALY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 AOÛT 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 septembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Keith MacMillan

POUR LE DEMANDEUR

 

Asha Gafar

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Hamilton (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Ministère de la Justice Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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