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Date : 20230922


Dossier : IMM-8706-22

Référence : 2023 CF 1277

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2023

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

HAJRA RASHID

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Hajra Rashid est une citoyenne du Pakistan. Elle sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas [l’agent] a rejeté sa demande de permis d’études pour suivre un cours en cybersécurité à Toronto. L’agent n’était pas convaincu que Mme Rashid quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé.

[2] Mme Rashid a obtenu un baccalauréat en droit de l’Université de Londres en 2016. De 2017 à 2020, elle a exercé des rôles en administration et en recherche au sein du Centre pour les droits de la personne et la justice au Pakistan. À partir de 2020, elle a mené des recherches juridiques pour le compte du cabinet Awan Law Associates, également au Pakistan.

[3] Mme Rashid a eu l’occasion de toucher au domaine de la cybersécurité dans les deux emplois qu’elle a occupés. Elle a décidé d’obtenir un diplôme dans ce domaine. Incapable de trouver un programme qui lui convenait au Pakistan, elle a présenté une demande d’admission au programme de cybersécurité au Toronto School of Management. Elle a été admise au programme en décembre 2020 et a payé environ le tiers des frais applicables. Elle a également reçu une bourse d’une valeur s’élevant à environ un tiers des frais de scolarité.

[4] Mme Rashid a présenté une demande de permis d’études en mars 2021. La demande a été rejetée deux mois plus tard. L’agent des visas a conclu que les études que Mme Rashid envisageait de faire étaient incompatibles avec son emploi antérieur. Mme Rashid a sollicité un contrôle judiciaire de la décision de l’agent des visas. La demande s’est réglée par un désistement sur consentement, et l’affaire a été renvoyée à l’agent pour un nouvel examen.

[5] En juin 2022, Mme Rashid a présenté des documents à l’appui du nouvel examen, mais, en raison d’une erreur technique, ces documents n’ont jamais été reçus. Sa demande a été rejetée une deuxième fois en août 2022. Elle a été autorisée à présenter de nouveau les documents, et sa demande a de nouveau été rejetée en septembre 2022.

[6] D’après la lettre de refus de l’agent : [traduction]

Le but de votre visite au Canada ne concorde pas avec un séjour temporaire compte tenu des détails que vous avez fournis dans votre demande.

Vous avez des liens familiaux significatifs au Canada.

Votre situation professionnelle actuelle ne montre pas que vous êtes financièrement établie dans votre pays de résidence.

Vos biens et votre situation financière sont insuffisants pour vous permettre d’atteindre le but déclaré de votre voyage (et celui des membres de votre famille qui vous accompagnent, le cas échéant).

[7] D’après les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] par l’agent :

[traduction]
La demande et les observations ont été examinées. La demanderesse a obtenu un diplôme universitaire en droit au Royaume-Uni et elle travaille dans la profession juridique au Pakistan. La demanderesse souhaite maintenant étudier la cybersécurité au niveau collégial au Canada. La demanderesse a expliqué dans ses observations que son travail touche au domaine de la cybersécurité et que c’est pour cette raison qu’elle veut faire des études au Canada. Son frère, qui est apparemment un étudiant en Australie, a l’intention de payer les études de la demanderesse au Canada. De plus, la sœur de Mme Rashid, qui est maintenant au Canada, a présenté un affidavit; elle offre un logement à sa sœur pendant ses études. J’ai évalué les renseignements au dossier, mais je ne suis pas convaincu du but déclaré de Mme Rashid concernant des études au Canada; il n’y a pas suffisamment de renseignements selon lesquels ces études, qui constitueraient une dépense importante pour Mme Rashid et ses proches, permettraient effectivement à Mme Rashid de progresser de manière significative sur le plan professionnel ou scolaire. Je ne suis pas convaincu, d’après les renseignements au dossier, que les liens personnels et financiers de Mme Rashid avec son pays d’origine sont en effet suffisants pour l’inciter à quitter le Canada à l’expiration du statut qui lui serait accordé : d’après les références professionnelles au dossier, la demanderesse gagnait un revenu plutôt modeste alors que ses liens familiaux au Pakistan ne sont pas solides à en juger par le formulaire de renseignements sur la famille versé au dossier. Demande rejetée.

II. Question en litige

[8] La seule question en litige soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

III. Analyse

[9] La décision de l’agent est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour n’interviendra que si « la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[10] Les critères « de justification, d’intelligibilité et de transparence » sont respectés si les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement qui a mené à la décision et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85-86, citant l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[11] Les notes versées dans le SMGC par l’agent font partie des motifs de la décision faisant l’objet du présent contrôle (Ebrahimshani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 89 au para 5).

[12] Mme Rashid affirme que l’agent a) a évalué de manière déraisonnable la pertinence de son programme d’études envisagé eu égard à ses aspirations professionnelles; b) a conclu de manière déraisonnable que le coût des études proposées était excessif; c) a évalué de manière déraisonnable la solidité de ses liens au Pakistan et au Canada.

A. Pertinence des études

[13] Mme Rashid invoque la jurisprudence de la Cour qui met en garde contre « l’incursion de l’agent des visas dans le domaine de l’orientation professionnelle » (Adom c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 26 au para 17). La Cour a déjà critiqué la façon dont certains agents des visas comparent les qualifications existantes d’un demandeur avec celles qui seront acquises au Canada et concluent que l’une des qualifications est d’un niveau supérieur ou inférieur à l’autre (voir, par exemple, Seyedsalehi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1250 au para 16). Il faut également faire attention au moment de comparer deux qualifications de même « niveau » (p. ex., deux diplômes de maîtrise) sans tenir compte de la matière de chacune (Fallahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 506 aux para 14‑15).

[14] Il y a cependant des circonstances où un agent des visas peut légitimement remettre en question le plan d’études d’un demandeur sans faire une incursion dans le domaine de l’orientation professionnelle. Comme le juge Sébastien Grammond l’a fait observer dans la décision Khosravi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 805 au paragraphe 9 :

Le fait que les études proposées semblent redondantes par rapport aux études ou à l’emploi antérieurs peut être un élément pertinent pour trancher une demande de permis d’études. En effet, il est peu probable que l’on entreprenne un programme d’études qui ne procure aucun bénéfice. Toutefois, ce genre d’affirmation doit cadrer avec la preuve.

[15] En l’espèce, l’agent a conclu que le diplôme en cybersécurité que Mme Rashid envisage d’obtenir de la Toronto School of Management ne lui permettrait pas de [traduction] « progresser de manière significative sur le plan professionnel ou scolaire ». Les notes versées dans le SMGC montrent que l’agent savait que Mme Rashid avait touché au domaine de la cybersécurité dans le cadre de son emploi antérieur et qu’elle avait exprimé l’intérêt d’approfondir ses connaissances en la matière afin de progresser dans sa carrière. L’agent a souligné que Mme Rashid détenait déjà un diplôme en droit du Royaume-Uni, mais il n’a pas comparé le « niveau » de ce diplôme avec celui qu’elle espérait obtenir à Toronto.

[16] Mme Rashid n’a présenté aucun élément de preuve pour contredire les conclusions de l’agent concernant la pertinence du programme d’études envisagé pour l’avancement de sa carrière. La lettre de l’employeur de Mme Rashid précisait seulement qu’elle reprendrait son emploi actuel au terme de ses études. Aucun avancement professionnel n’était évoqué.

[17] Cet élément de la décision de l’agent était donc raisonnable.

B. Coût du programme

[18] L’agent a conclu que le programme d’études envisagé par Mme Rashid au Canada constituait [traduction] « une dépense importante pour [elle] et ses proches ». L’agent a souligné le « revenu modeste » de Mme Rashid au Pakistan. L’agent a également reconnu que le frère de Mme Rashid, qui était lui-même étudiant en Australie, avait accepté de payer ses études, et que sa sœur lui fournirait un logement au Canada.

[19] Selon Mme Rashid, l’agent a omis de mentionner qu’environ le tiers des frais de scolarité avait déjà été payé et que la demanderesse avait obtenu une bourse d’une valeur s’élevant à un tiers des frais. L’agent n’a pas mentionné non plus les renseignements financiers du frère, qui démontraient la disponibilité de fonds suffisants détenus dans des comptes en Australie et au Pakistan.

[20] Mme Rashid a estimé que le coût de ses études à Toronto s’élèverait à un peu moins de 15 000 $. Elle recevait un salaire annuel d’environ 4 000 $ au Pakistan. Les comptes de son frère en Australie et au Pakistan contenaient environ 17 500 $ et 3 000 $ CA respectivement, en mai-juin 2022, et ce, après le paiement du premier tiers des frais de scolarité de la demanderesse. La sœur de la demanderesse gagnait approximativement 45 000 $ par année et elle devrait assumer les dépenses supplémentaires de cohabitation de Mme Rashid. Il faudrait également tenir compte des frais de transport de Mme Rashid (Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art 220c)).

[21] La conclusion de l’agent selon laquelle le coût du programme d’études que Mme Rashid comptait suivre représentait une dépense importante pour elle-même et ses proches était raisonnablement étayée par les éléments de preuve.

C. Liens avec le Pakistan et le Canada

[22] Mme Rashid affirme que l’agent s’est appuyé de manière déraisonnable sur la présence de sa sœur au Canada pour conclure que la demanderesse ne quitterait pas le pays au terme du séjour autorisé. Bien que la Cour ait parfois conclu qu’un tel raisonnement était erroné (voir, par exemple, Rivaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 198 au para 12), le principe qui ressort de la jurisprudence est le suivant : la simple existence de liens familiaux au Canada, sans plus, n’étayera pas la conclusion selon laquelle un demandeur demeurera au pays de façon irrégulière. Dans la présente affaire, il ressort clairement des motifs de l’agent que les liens familiaux de Mme Rashid au Canada n’étaient pas le seul motif du rejet de la demande de visa, ni d’ailleurs le principal motif.

[23] L’agent a également fait allusion aux liens [traduction] « personnels et financiers » de Mme Rashid au Pakistan, en particulier au revenu modeste qu’elle gagnait là-bas. Mme Rashid a fourni peu de renseignements concernant sa relation avec ses parents, au-delà du fait qu’elle avait l’intention de retourner vivre avec eux à la fin de ses études au Canada.

[24] En raison du contexte et de la nature des demandes de visa et des refus, les exigences de l’équité et la nécessité de fournir des motifs étaient minimales (Iriekpen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1276 au para 7). Les motifs de l’agent, bien que brefs, étaient fondés « sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et […] justifié[s] au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Vavilov, au para 85).

IV. Conclusion

[25] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8706-22

 

INTITULÉ :

HAJRA RASHID c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 AOÛT 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 SEPTEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Harsimran Makkar

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Eli Lo Re

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Harsimran Makkar Law Professional Corporation

Brampton (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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