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Date : 20230926


Dossier : T-1353-20

Référence : 2023 CF 1294

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2023

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

JILL MARIE SWANN

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, la caporale Jill Swann, est membre régulière de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC ou la Gendarmerie). Elle demande le contrôle judiciaire de la décision datée du 1er octobre 2020 (la décision ou la décision contestée) dans laquelle l’officier responsable du groupe 5 du service Crimes graves et Crime organisé de la Police fédérale (le service CGCOPF) a évalué sa candidature pour le poste vacant de sergent du service CGCOPF à Nanaimo, en Colombie‑Britannique.

[2] Pour les motifs exposés dans le présent jugement, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I. Contexte

[3] La demanderesse est une membre active de la GRC depuis de nombreuses années. En 2016, elle a déposé deux plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) pour harcèlement sexuel et discrimination sur le lieu de travail. En 2017, elle a déposé un avis d’action civile auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la CSCB), dans lequel elle alléguait également qu’elle avait été victime de harcèlement sexuel et de discrimination sur le lieu de travail et réclamait des dommages-intérêts.

[4] Le 23 juillet 2018 ou vers cette date, la demanderesse a conclu une entente de règlement à l’égard de toutes les allégations formulées dans les plaintes déposées auprès de la CCDP en 2016 et dans l’action civile introduite à la CSCB en 2017 (l’entente de règlement). Le paragraphe 2 de l’entente de règlement accorde à la demanderesse un droit de priorité pour une promotion à un poste vacant au grade de sergent ne relevant pas des services généraux sur l’île de Vancouver.

[5] Le 1er septembre 2020, la sergente Popat, conseillère en développement de carrière et ressourcement (DCR) à la GRC, a envoyé un courriel au conseiller en DCR de la demanderesse concernant le poste de sergent du service CGCOPF (le code d’emploi 3235). La sergente Popat a demandé au conseiller en DCR de communiquer avec la demanderesse pour savoir si elle serait intéressée par le poste vacant. La sergente Popat a indiqué que, si c’était le cas, la demanderesse devrait [traduction] « présenter un curriculum vitae de deux pages pour le code d’emploi 3235 en tenant compte des points à considérer pour le poste, des compétences supplémentaires requises, des qualités souhaitables et du résumé des fonctions/des compétences fonctionnelles ci‑joint ». Les points à considérer pour le poste, les compétences supplémentaires et les qualités souhaitables ont été énoncés dans le courriel de la sergente Popat.

[6] Parmi les membres de la GRC, la demanderesse a été la première que la sergente Popat a invitée à poser sa candidature au poste de sergent au service CGCOPF.

[7] La description du poste et les exigences relatives au poste de sergent au service CGCOPF sont énoncées dans trois documents : [traduction] (1) le Code d’emploi 3235, (2) la Demande de dotation d’un poste de membre et (3) l’Addenda.

[8] Le Code d’emploi fournit une description générale du poste de sergent du service CGCOPF et de ses responsabilités :

[traduction]

Résumé du poste

Le mandat de la police fédérale (PF) est de mener des enquêtes sur les affaires de drogue, le crime organisé, la criminalité économique et les activités terroristes; d’appliquer les lois fédérales; d’assurer la sécurité des frontières du Canada; de s’occuper du renforcement des capacités, des activités de liaison et du maintien de la paix à l’étranger; et de veiller à la sécurité des événements majeurs, des représentants de l’État, des dignitaires et des missions à l’étranger.

  1. Le membre s’acquitte des fonctions suivantes :

1. identifier et cibler les groupes importants du crime organisé;

2. assurer la liaison avec diverses unités et services de police afin de recueillir et de partager des renseignements sur les groupes criminels importants;

3. assurer la supervision et la révision des dossiers opérationnels;

4. jouer le rôle de gestionnaire de dossiers dans le cadre d’enquêtes de haut niveau et de longue durée;

5 procéder à l’examen de documents juridiques et effectuer des fonctions administratives;

6. assurer la liaison et travailler avec des organisations partenaires;

7. fournir des conseils et des orientations en matière de traitement et de développement des sources humaines/agents.

[9] Le Code d’emploi contient une liste des « exigences du poste » avec peu ou pas de renseignements sur le poste d’attache et un profil de compétences qui définit les compétences requises et les niveaux minimums et souhaités pour chaque compétence.

[10] La demande de dotation indique que les exigences et les compétences pour le poste de sergent au service CGCOPF figurent dans le Code d’emploi, les Points à considérer pour le poste, les Qualités souhaitables et l’Addenda (tous transmis par la sergente Popat au conseiller en DCR de la demanderesse) :

[traduction]

Points à considérer pour le poste :

La mission du service Crimes graves et Crime organisé de la Police fédérale est de perturber les activités des groupes du crime organisé et des auteurs de crimes graves, et de démanteler ces groupes et d’appuyer les poursuites intentées contre ces criminels, en collaboration avec nos partenaires au pays et à l’étranger. Le sous-officier ou la sous-officière dirigera une équipe dont le travail sera axé sur les priorités nationales, participera notamment à des enquêtes nationales et transnationales sur les drogues et le crime organisé, et fera appel aux techniques d’enquête les plus récentes, comme les opérations d’infiltration, le recours à des informateurs et à des agents de police, et les autorisations judiciaires complexes (dont celles liées à la partie VI du Code criminel). Le ou la titulaire du poste doit posséder une vaste expérience en matière d’enquête et une bonne connaissance des principes de gestion des cas graves, et être en mesure de donner des directives au sujet de diverses stratégies et techniques d’enquête. Le poste relève d’un bureau de district (service Crimes graves et Crime organisé de la Police fédérale), et le ou la titulaire sera appelé à voyager souvent.

Qualités souhaitables :

expérience en direction ou gestion d’enquêtes nationales et transnationales complexes sur les drogues et le crime organisé;

expérience liée aux opérations d’infiltration;

expérience en rédaction et révision d’autorisations judiciaires complexes, y compris celles liées à la partie VI du Code criminel.

[11] L’Addenda énumère des compétences supplémentaires (souci de la sécurité, capacité de former et de gérer des sources humaines et capacité de mener des enquêtes), et il est demandé de fournir une justification et un niveau minimum pour chacune de ces compétences. Il est également précisé que la [traduction] « connaissance des lois ainsi que des politiques, des procédures et des priorités stratégiques applicables de la GRC » se rapporte expressément au contexte des drogues et du crime organisé.

[12] Le 14 septembre 2020, la sergente Popat a reçu le curriculum vitæ de la demanderesse et une copie signée du formulaire de planification de mutation exigé. Le jour suivant, la sergente Popat a transmis à l’officier responsable, pour examen, le curriculum vitæ de la demanderesse et les évaluations récentes de la GRC. Dans le courriel qu’elle a envoyé à l’officier responsable, la sergente Popat a indiqué que le dossier de la demanderesse était une priorité de la division et qu’il devait être étudié en priorité avant que la Gendarmerie n’examine d’autres candidatures pour le poste.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[13] L’officier responsable a estimé que les antécédents de la demanderesse en matière d’enquête ne répondaient pas aux besoins d’un poste opérationnel de sous-officier sergent dans la police fédérale, en particulier pour le groupe 5 du service CGCOPF de la Colombie‑Britannique, Projets majeurs. L’officier responsable a déclaré que le poste de sergent du service CGCOPF n’est pas un poste de perfectionnement. La personne qui obtient ce poste doit posséder une vaste expérience dans la conduite d’enquêtes complexes et transnationales sur le crime organisé, axées sur les priorités de la police fédérale nationale de la GRC. Le sergent dirige une équipe de gendarmes et de caporaux compétents qui sont eux‑mêmes expérimentés et savent mener à bien de telles enquêtes. La participation antérieure à des enquêtes sur le crime organisé est essentielle compte tenu du niveau de raffinement des cibles et de la propension de ces dernières à la violence. L’officier responsable a également indiqué que le titulaire du poste devait avoir de l’expérience dans les opérations secrètes et les plans d’installation, les opérations d’infiltration et l’exécution de mandats de perquisition afin d’atteindre les objectifs opérationnels et d’atténuer les risques pour la sécurité des agents.

[14] L’officier responsable a fait les observations suivantes concernant l’expérience de la demanderesse :

  • -La demanderesse déclare avoir occupé de nombreuses fonctions de gestion de cas graves (GCG), mais n’a pas d’expérience comme membre d’une équipe d’enquête coordonnée ou dans un rôle de direction du triangle de commandement pour des enquêtes de projet mettant en jeu des techniques à haut risque, des groupes criminels organisés et des équipes d’enquêteurs.

  • -La demanderesse possède une expertise en tant qu’artiste judiciaire, intervieweuse auprès d’enfants, négociatrice et enquêtrice sur les incendies criminels. Le développement de ces compétences nécessite de toute évidence beaucoup de temps et de connaissances, mais celles‑ci ne sont que peu utiles pour les projets majeurs de la police fédérale.

  • -La demanderesse n’a pas d’expérience en matière d’enquêtes nationales ou internationales sur le crime organisé, y compris dans la direction de tels projets, la supervision de techniques à haut risque ou la gestion d’ensembles de données complexes et la divulgation avancée.

  • -La demanderesse n’a pas d’expérience ou de relations établies avec des partenaires externes, en particulier avec des partenaires à l’étranger, qui sont essentiels au succès des enquêtes du service CGCOPF.

  • -Le curriculum vitæ de la demanderesse décrit son expérience et ses connaissances en tant que collaboratrice individuelle et superviseuse dans des postes de police de première ligne et de détachement/région en tenue civile. Les contextes dans lesquels cette expérience est acquise présentent peu d’intérêt pour un poste de sergent chargé des projets majeurs en raison du travail spécialisé et à haut risque de la police fédérale.

[15] En conclusion, l’officier responsable a souligné que le poste de sergent du service CGCOPF exigeait des connaissances, des compétences et des aptitudes directement liées aux opérations quotidiennes d’une unité de police fédérale et que le [traduction] « parcours professionnel [de la demanderesse] n’a été associé à aucune équipe de projet ou unité de police fédérale et, à ce titre, son expérience ne répond pas aux exigences du poste de sergent de la police fédérale à pourvoir ». L’officier responsable a conclu que la demanderesse n’était pas apte à occuper le poste.

[16] La demanderesse a déposé son avis de demande de contrôle judiciaire de la décision contestée le 9 novembre 2020. Elle a également introduit devant la CSCB une action civile contre le défendeur pour violation de l’entente de règlement.

III. Recevabilité de certains paragraphes de l’affidavit de la demanderesse

[17] Le défendeur soutient que les paragraphes 4 à 10 et 12 à 17 de l’affidavit de la demanderesse souscrit le 19 novembre 2020, ainsi que les pièces C, D et E jointes à l’affidavit, devraient être écartés dans leur intégralité parce que l’officier responsable ne disposait pas de ces éléments. Le défendeur fait valoir que les paragraphes et les pièces en question ne contiennent pas de renseignements relevant de l’une des exceptions autorisées à la règle générale selon laquelle le dossier de preuve d’une demande de contrôle judiciaire est limité au dossier dont disposait le décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19 (Access Copyright); voir aussi ‘Namgis First Nation c Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 149 au para 7).

[18] Je suis en partie d’accord avec le défendeur et je ne tiendrai pas compte des paragraphes 4, 5 et 12 à 17 inclusivement ni des pièces C et D jointes à l’affidavit de la demanderesse.

[19] Les paragraphes 6 à 10 inclusivement et la pièce E relatent des faits relatifs aux plaintes déposées par la demanderesse auprès de la CCDP en 2016 et à l’action civile intentée devant la CSCB en 2017. Ces faits ne sont pas contestés et figurent à bon droit dans l’affidavit. L’admissibilité de la pièce E est limitée à l’existence de l’action civile de la demanderesse et ne peut être considérée comme une conclusion sur la véracité des affirmations qui sont formulées dans cette action.

[20] Les paragraphes 4 et 5 de l’affidavit relatent les faits à l’origine des plaintes de 2016 et de l’action civile de 2017. Ces renseignements ne sont pas recevables. L’officier responsable ne disposait pas de ces renseignements lorsqu’il a évalué l’aptitude de la demanderesse à occuper le poste de sergent du service CGCOPF, et ils n’ont aucune incidence sur l’issue de la présente demande (Ewert c Canada (Procureur général), 2019 CF 733 aux para 34-35). Je ne souscris pas à l’argument de la demanderesse selon lequel ces deux paragraphes fournissent un contexte crucial pour la demande qui nous occupe. Le contexte nécessaire est exposé aux paragraphes 6 à 10 de l’affidavit.

[21] Les paragraphes 12 à 17 et les pièces C et D concernent la candidature de la demanderesse à un autre poste au sein de la Gendarmerie en 2018. Encore une fois, ces renseignements n’ont pas été présentés à l’officier responsable et ne constituent pas des renseignements généraux permettant à la Cour de mieux comprendre les questions dont elle est saisie. Le fait que la candidature de la demanderesse pour ce poste a été présentée en 2018 conformément aux dispositions de l’entente de règlement n’établit pas de lien avec la décision de l’officier responsable. La demanderesse soutient que les faits relatés aux paragraphes 12 à 17 démontrent le manque de bonne foi de la GRC dans la mise en œuvre de l’entente de règlement, mais ces faits n’ont pas été portés à l’attention de l’officier responsable. Selon cet argument, la Cour doit accepter la véracité des faits relatés sans qu’ils soient adéquatement appuyés par des éléments de preuve et tirer une inférence de mauvaise foi qui ne s’inscrit pas dans le contexte de l’affaire qui nous occupe. L’argument de la demanderesse ne peut pas être accepté. Il repose sur des conjectures et est injuste pour le défendeur, qui n’a pas la possibilité de répondre à des allégations portant sur un processus de nomination distinct.

IV. Questions en litige

[22] La Cour est saisie des questions suivantes :

  1. La demande de contrôle judiciaire est-elle prématurée parce que la demanderesse ne s’est pas prévalue d’un autre recours adéquat dans le cadre de la procédure de règlement des griefs de la GRC?

  2. Si la Cour décide d’exercer sa compétence, la décision contestée est-elle raisonnable?

[23] La demanderesse cherche à obtenir plusieurs mesures de réparation qui ne se limitent pas à l’annulation de la décision contestée et un nouvel examen de sa candidature. Étant donné que j’ai refusé d’exercer la compétence de la Cour pour examiner la présente demande et que j’ai subsidiairement jugé que la décision contestée est raisonnable, il n’est pas nécessaire d’examiner les mesures de réparation sollicitées.

V. Prématurité de la demande

[24] Le défendeur soutient que la Cour devrait refuser d’examiner le fond de la présente demande de contrôle judiciaire parce qu’elle est prématurée. Il fait valoir que, comme elle n’a pas contesté la décision dans le cadre de la procédure de règlement des griefs de la GRC, la demanderesse ne s’est pas prévalue de tous les autres recours appropriés. Le défendeur invoque le principe bien établi selon lequel, en l’absence de circonstances exceptionnelles, le demandeur doit épuiser toutes les voies de recours administratifs utiles avant d’exercer un recours judiciaire (Canada (Agence des services frontaliers) c C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61 aux para 30-31 (CB Powell); Dugré c Canada (Procureur général), 2021 CAF 8 au para 34 (Dugré); Xanthopoulos c Canada (Procureur général), 2020 CF 401 au para 22 (Xanthopoulos), conf par Xanthopoulos c Canada (Procureur général), 2022 CAF 79)).

[25] Dans l’arrêt CB Powell, la Cour d’appel fédérale a souligné que les circonstances dans lesquelles un tribunal examinera une demande de contrôle judiciaire même si le demandeur n’a pas cherché à obtenir réparation en recourant à la procédure administrative à sa disposition sont très rares : « il ressort des précédents que très peu de circonstances peuvent être qualifiées d’“exceptionnelles” et que le critère minimal permettant de qualifier des circonstances d’exceptionnelles est élevé [citations omises] » (CB Powell, au para 33). La Cour d’appel fédérale a récemment qualifié ce principe de « quasi-absolu » (Dugré, au para 37) et a expliqué que les circonstances exceptionnelles sont « très rares, et exigent que les conséquences d’une décision interlocutoire soient à ce point “immédiates et radicales” qu’elles mettent en question la primauté du droit [citations omises] » (Dugré, au para 35; Herbert c Canada (Procureur général), 2022 CAF 11 aux para 11-12 (Herbert)).

[26] La demanderesse soutient qu’elle se trouve dans des circonstances exceptionnelles parce que la procédure générale de règlement des griefs de la GRC est totalement inefficace et présente des lacunes systémiques. Elle invoque le rapport cinglant de 2020, rédigé par l’ancien juge de la Cour suprême du Canada, l’honorable Michel Bastarache, concernant l’entente de règlement de Merlo Davidson, Rêves brisés, vies brisées : Les effets dévastateurs du harcèlement sexuel sur les femmes de la GRC, Rapport final sur la mise en œuvre de L’accord de Règlement de Merlo Davidson (le rapport Bastarache). La demanderesse fait valoir que la Cour devrait connaître de l’affaire en tant qu’organe externe parce que la culture de la GRC est toxique et que l’on ne peut pas faire confiance à la procédure interne de règlement des griefs pour la mise en œuvre de réparations résultant de plaintes de harcèlement sexuel et de discrimination.

[27] Le rapport Bastarache a mis l’accent sur la discrimination et le harcèlement sexuel endémiques et persistants dont sont victimes les femmes travaillant pour la GRC. L’honorable Michel Bastarache a recommandé la création d’« un organisme efficace, externe et indépendant auquel les employés de la GRC peuvent signaler les cas de harcèlement sexuel ou de mauvaise conduite, qui a le pouvoir d’enquêter et de tirer des conclusions de fait exécutoires et de recommander des sanctions ». Son mandat ne comprenait pas un examen approfondi du processus de promotion de la GRC, mais l’honorable Michel Bastarache a souligné les lacunes de ce processus et indiqué qu’il pouvait être considéré comme un autre exemple de « club réservé aux hommes » où l’on peut craindre que les compétences requises ne soient pas évaluées de façon sérieuse et où on a adopté une approche de type « cocher la case ».

[28] Les allégations sous-jacentes à l’entente de règlement font état de harcèlement sexuel et de discrimination, mais la demanderesse ne fait aucune allégation de discrimination ou de harcèlement de la part de l’officier responsable dans la présente demande. Les arguments de la demanderesse pour contester la décision sont plutôt que l’officier responsable a) a pris en compte des qualifications pour le poste de sergent du service CGCOPF qui ne figuraient pas dans les exigences du code d’emploi 3235 et qu’il b) n’a pas mis en œuvre le droit de priorité que lui conférait l’entente de règlement.

[29] En outre, la demanderesse n’a fourni aucune preuve que l’officier responsable n’a pas respecté son droit de priorité découlant des plaintes de harcèlement sexuel et de discrimination qu’elle avait précédemment déposées. En fait, elle s’inquiète du fait que l’officier responsable n’a pas été informé des faits qui ont conduit à l’entente de règlement. Dans l’affaire Xanthopoulos, le demandeur avait choisi de ne pas exercer son droit d’interjeter appel d’une décision du Comité de déontologie de la GRC recommandant son licenciement. Au lieu de cela, il avait déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision au motif que « la lenteur et la lourdeur excessives du processus font en sorte qu’il [traduction] “ne fonctionne pas dans les faits” » (Xanthopoulos, au para 17). En accueillant la requête du défendeur visant à faire rejeter la demande pour cause de prématurité, la Cour a déclaré qu’elle ne devait pas présumer qu’une procédure d’appel serait entachée d’irrégularités. L’absence de preuve que le demandeur ne pouvait se prévaloir de son droit d’appel parce que les voies de recours sont inefficaces ou inappropriées a empêché la Cour de conclure à l’existence de circonstances exceptionnelles (Xanthopoulos, aux para 24-25). Je tire la même conclusion en l’espèce. La Cour ne peut pas présumer que la demanderesse ne peut se prévaloir de son droit de déposer un grief en l’absence d’éléments de preuve établissant un lien entre la décision en cause en l’espèce et ses plaintes antérieures.

[30] Rien dans le dossier ou la décision contestée ne tend non plus à indiquer que les compétences de la demanderesse pour la nomination au poste de sergent du service CGCOPF n’ont pas été sérieusement évaluées. La décision contient une évaluation approfondie d’éléments particuliers du curriculum vitæ de la demanderesse au regard des exigences et des compétences du poste. Elle ne reflète en rien le processus « sélectif » décrié par l’honorable Michel Bastarache.

[31] La demanderesse souligne que les raisons de son droit de priorité n’ont pas été communiquées à l’officier responsable. Selon elle, cette omission établit un lien entre le rejet de sa candidature au poste de sergent du service CGCOPF et la violation de l’entente de règlement. La demanderesse prétend que la décision contestée est, du fait qu’on a omis d’informer l’officier responsable de la discrimination fondée sur le sexe et du harcèlement dont elle a été victime, une continuation du traitement qui a déclenché ses plaintes auprès de la CCDP en 2016. Elle fait valoir que si l’officier responsable en avait été informé, il aurait pu tenir compte, pour prendre sa décision, de la genèse de l’entente de règlement et de son droit à une promotion prioritaire.

[32] Le dossier démontre que, le 15 septembre 2020, la sergente Popat a fait connaître, par courriel, à l’officier responsable la priorité de la demanderesse en déclarant qu’une affectation pour [traduction] « la sergente Jill Swan[n] est une priorité de la division, ce qui exige que sa candidature à ce poste soit étudiée en priorité avant que nous n’examinions les autres candidatures ». Le courriel n’explique aucunement pourquoi cette candidature est prioritaire. Cependant, il n’y a pas non plus dans le dossier d’explication de ce qu’on entend par [traduction] « droit de priorité » (ce terme ou toute autre expression semblable) et rien n’indique si les raisons pour lesquelles une personne a ce droit ou ce statut doivent être communiquées ou sont habituellement communiquées au décideur. En d’autres termes, la Cour n’a aucune raison d’examiner l’argument de la demanderesse selon lequel l’omission de ces renseignements a pour effet de perpétuer la discrimination et le harcèlement qui ont donné lieu à l’entente de règlement. Je ne doute pas que la demanderesse soit de cet avis. Néanmoins, à la lumière du dossier dont je dispose, je ne peux pas établir de lien entre le traitement antérieur subi par la demanderesse et les communications de la sergente Popat avec l’officier responsable ou l’évaluation du curriculum vitæ de la demanderesse par l’officier responsable.

[33] L’absence d’éléments de preuve à l’appui de la conviction de la demanderesse met en lumière l’une des raisons qui sous-tendent l’insistance des tribunaux à ce que toutes les voies administratives disponibles soient épuisées avant que l’on puisse demander une intervention judiciaire. Pour reprendre les termes employés dans la décision Xanthopoulos (au para 22), « [e]n court-circuitant le processus décisionnel au niveau administratif, les tribunaux de révision risqueraient de se priver d’un dossier complet sur la question en litige ». La Cour d’appel fédérale a expliqué, au paragraphe 9 de l’arrêt Herbert, l’importance d’éviter la fragmentation de la procédure administrative et la nécessité de s’assurer que l’examen final de l’affaire par une cour de justice repose sur un dossier de preuve complet :

Ce principe permet aux cours de révision de disposer, « à la fin du processus administratif », de « toutes les conclusions du décideur administratif », des conclusions qui « se caractérisent souvent par le recours à des connaissances spécialisées, par des décisions de principe légitimes et par une précieuse expérience en matière réglementaire » (CB Powell, para. 32).

[34] La demanderesse soutient ensuite que la procédure de règlement des griefs ne peut pas répondre adéquatement à son allégation selon laquelle la Gendarmerie a violé l’entente de règlement en ne mettant pas en œuvre son droit à une promotion prioritaire.

[35] La procédure de règlement des griefs en deux étapes de la GRC est décrite dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R-10, (la Loi sur la GRC) et les Consignes du commissaire (griefs et appels) (DORS/2014-289) (les Consignes du commissaire). Au premier niveau, le grief d’un membre est examiné par un arbitre une fois que les deux parties ont eu la possibilité de déposer des éléments de preuve et de présenter des observations. Le paragraphe 16(2) des Consignes du commissaire exige que l’arbitre évalue si la décision contestée « est conforme à la législation pertinente ou à la politique pertinente du Conseil du Trésor ou de la Gendarmerie et si, en cas de non-conformité, un préjudice a été causé au plaignant ». Lors du deuxième ou dernier niveau de la procédure, l’arbitre évalue si la décision initiale contrevient aux principes de justice naturelle, est entachée d’une erreur de droit ou est manifestement déraisonnable (Consignes du commissaire, paragraphe 18(2)).

[36] La présente demande ne met en cause l’entente de règlement que dans la mesure où elle concerne le droit de priorité de la demanderesse à une promotion à un poste vacant de sergent ne relevant pas des services généraux (île de Vancouver). Si la demanderesse devait déposer un grief à l’encontre de la décision, les parties auraient la possibilité de présenter des éléments de preuve concernant l’étendue du droit de priorité de la demanderesse et le respect de ce droit, le processus de nomination à la GRC et l’évaluation des compétences de la demanderesse par l’officier responsable. La demanderesse ne m’a pas convaincue qu’un arbitre de premier ou de deuxième niveau ne pourrait pas tenir compte de ces facteurs lors de l’examen du grief. La demanderesse aurait alors le droit de demander à la Cour d’examiner une décision finale sur le grief en bénéficiant d’un dossier complet, y compris l’évaluation de l’arbitre de la mise en œuvre par la Gendarmerie du droit de la demanderesse issu de l’entente de règlement. Toute déclaration concernant la violation de l’entente de règlement et les dommages qui en découlent peut être traitée dans le cadre de l’action civile de la demanderesse.

[37] En conclusion, je conclus que la procédure interne de règlement des griefs de la GRC constitue un autre recours adéquat et approprié dont peut se prévaloir la demanderesse. Je ne dispose d’aucune preuve que la décision contestée ou le processus qui y a conduit ont été entachés de discrimination fondée sur le sexe ou de harcèlement. La demanderesse n’a pas établi de lien convaincant entre la décision de l’officier responsable et les conclusions du rapport Bastarache ou la discrimination et le harcèlement qu’elle a subis. Sa ferme conviction du contraire n’établit pas l’existence de circonstances exceptionnelles et je suis d’avis que l’objection de prématurité soulevée par le défendeur est fondée.

VI. La décision est raisonnable

[38] Ma conclusion concernant la prématurité est déterminante pour la présente demande. Cependant, la demanderesse et son avocat ont consacré beaucoup d’efforts et de temps dans leurs observations pour s’attaquer au fond de la décision et les raisons de la conclusion négative de l’officier responsable sont d’un grand intérêt personnel pour la demanderesse. J’ai donc examiné les observations écrites et orales détaillées des deux parties concernant le caractère raisonnable de la décision au regard du cadre établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25 (Vavilov).

[39] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 85, 105). Avant de pouvoir infirmer une décision, la cour de révision doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[40] Les observations contenues dans le mémoire de la demanderesse portent essentiellement sur son argument selon lequel l’officier responsable n’a pas évalué son curriculum vitæ par rapport aux exigences du code d’emploi 3235. Au contraire, il a « défini unilatéralement » les qualifications supplémentaires requises pour le poste de sergent du service CGCOPF. La demanderesse soutient également que l’officier responsable a déraisonnablement négligé ou a mal interprété certains éléments de son curriculum vitæ.

[41] Le défendeur affirme que la Cour ne devrait pas prendre en considération l’argument selon lequel l’officier responsable devait limiter son analyse aux critères du code d’emploi, car ni l’avis de demande ni l’affidavit de la demanderesse n’ont clairement formulé cette question. Le défendeur ajoute qu’il a ainsi été privé de la possibilité de répondre pleinement à l’argument dans son affidavit de réponse (alinéa 301e) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles); Young c Canada (Procureur général), 2020 CF 1023 au para 49).

[42] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les motifs de révision énoncés dans l’avis de demande paraphrasent largement l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. La demanderesse décrit les motifs de sa demande comme a) des erreurs de fait et de droit commises par l’officier responsable et b) le défaut de la part de l’officier responsable de prendre en compte de manière appropriée son droit de priorité à la promotion expressément énoncé dans l’entente de règlement.

[43] L’alinéa 301e) des Règles exige que le demandeur sollicitant un contrôle judiciaire expose dans son avis de demande les motifs qu’il invoque. Il ne peut pas présenter de nouveaux motifs dans son mémoire de fait et de droit, même si le défendeur n’a pas subi de préjudice. En l’espèce, aucune des parties n’a présenté d’éléments de preuve concernant des restrictions (ou l’absence de restrictions) imposées à l’officier responsable le limitant à l’examen des critères du code d’emploi. Toutefois, les observations des parties sont suffisantes pour que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire et j’examine l’argument de la demanderesse, mais je ne tire aucune conclusion défavorable du défaut du défendeur de présenter une preuve expressément sur ce point.

[44] Le paragraphe 5(2) de la Loi sur la GRC autorise le commissaire, qui a le contrôle et la gestion de toutes les questions liées à la Gendarmerie, à déléguer à tout membre ses pouvoirs, devoirs et fonctions. Le défendeur soutient raisonnablement que ce pouvoir de délégation s’étend à l’établissement d’exigences particulières du poste s’ajoutant à celles contenues dans un code d’emploi général. En l’occurrence, la demande de dotation pour le poste de sergent du service CGCOPF indique que les exigences du poste sont celles énumérées dans le code d’emploi, [traduction] « plus celles énumérées à la partie F. (La partie G peut contenir des justifications sur des omissions, le cas échéant) ». La partie F renvoie les lecteurs à l’addenda joint en annexe. La partie G (Justification) présente les [traduction] « Points à considérer pour le poste et [la] Justification des qualités souhaitables » (voir le paragraphe 11 du présent jugement). La demanderesse n’a cité aucun précédent ou article de loi limitant l’officier responsable à une évaluation de ses qualités et compétences au regard du code d’emploi. Elle invoque le paragraphe 9.1(1) de la Loi sur la GRC, mais, comme le fait remarquer le défendeur, ce paragraphe vise la première nomination d’une personne à la Gendarmerie en tant que membre et ne s’applique pas en l’espèce.

[45] La demanderesse ne soutient pas qu’elle n’était pas au courant des exigences particulières du poste mentionnées dans la demande de dotation. Dans le courriel qu’elle a envoyé au conseiller en DCR de la demanderesse, la sergente Popat précise que, si la demanderesse est intéressée par le poste, il faut [traduction] « lui demander de présenter un curriculum vitæ de deux pages pour le code d’emploi 3235 [qui tienne] compte des points à considérer pour le poste, des compétences supplémentaires requises, des qualités souhaitables et du résumé du poste/des compétences fonctionnelles ci-joint ». Les exigences du poste sont clairement énoncées dans ces dispositions supplémentaires et dans les pièces jointes, et l’officier responsable examine dans la décision contestée la carrière et les compétences de la demanderesse par rapport à ces exigences.

[46] Par conséquent, je conclus que la demanderesse n’a fourni aucun argument convaincant susceptible d'expliquer pourquoi l’officier responsable n’aurait pas dû prendre en compte les exigences détaillées du poste de sergent du service CGCOPF.

[47] La deuxième série d’observations de la demanderesse porte sur des conclusions particulières tirées par l’officier responsable qui, selon elle, n’étaient pas des exigences ou des compétences énoncées dans le Code d’emploi, les Points à considérer pour le poste ou les Qualités souhaitables. Elle fait valoir que certaines des lacunes de son curriculum vitæ relevées par l’officier responsable peuvent être mentionnées dans l’un des documents, mais il n’est pas indiqué qu’il s’agit d’exigences. Elle fait également valoir que l’officier responsable a ajouté des exigences et des compétences. Par exemple, la demanderesse admet que, parmi les éléments mentionnés dans les Points à considérer pour le poste, il est fait état des enquêtes nationales et transnationales et des techniques d’enquête avancées, mais elle affirme que les renvois de l’officier responsable aux livraisons contrôlées, aux entrées et installations secrètes et au partage de renseignements au niveau international ne figurent dans aucun des documents. Un autre exemple fourni par la demanderesse est la déclaration de l’officier responsable selon laquelle elle n’a pas de relations établies avec des partenaires externes, en particulier avec des partenaires à l’étranger, qui sont essentiels pour les enquêtes du service CGCOPF. Elle affirme qu’il s’agit d’un nouveau critère malgré le renvoi, dans les Points à considérer pour le poste, à la mission du groupe CGCOPF qui consiste à poursuivre les groupes criminels organisés [traduction] « en collaboration avec nos partenaires au pays et à l’étranger ». La demanderesse conteste également la déclaration de l’officier responsable selon laquelle le candidat retenu doit avoir [traduction] « une grande expérience » dans des projets majeurs, car ce niveau d’expérience n’est pas une exigence mentionnée dans les documents.

[48] Je ne souscris ni à ces arguments ni à d’autres arguments similaires présentés par la demanderesse à cet égard. Selon les Points à considérer pour le poste, le sergent du service CGCOPF dirigera une équipe dont le travail sera axé sur les priorités nationales, [traduction] « participera notamment à des enquêtes nationales et transnationales sur les drogues et le crime organisé, et fera appel aux techniques d’enquête les plus récentes […]. Le ou la titulaire du poste doit posséder une vaste expérience en matière d’enquête [...] ». L’un des points mentionnés dans les Qualités souhaitables est une [traduction] « expérience en direction ou gestion d’enquêtes nationales et transnationales complexes sur les drogues et le crime organisé ». Dans sa décision, l’officier responsable a insisté sur la nécessité pour le candidat retenu d’avoir de l’expérience dans l’utilisation de [traduction] « techniques d’enquête avancées et de pouvoir diriger des équipes menant des enquêtes sur le crime organisé ». L’officier responsable s’est inquiété du fait que la demanderesse [traduction] « n’a pas d’expérience comme membre d’une équipe d’enquête coordonnée ou dans un rôle de direction du triangle de commandement pour des enquêtes de projet mettant en jeu des techniques à haut risque, des groupes criminels organisés et des équipes d’enquêteurs », une déclaration qui reflète la description et les compétences du poste.

[49] La demanderesse a insisté sur le fait que l’officier responsable ne pouvait pas prendre en compte d’autres qualifications que celles décrites dans le Code d’emploi, les Points à considérer pour le poste ou les Qualités souhaitables, mais son argument n’est pas convaincant. Je tire la même conclusion en ce qui concerne sa contestation des mots de l’officier responsable pris isolément et la façon dont ce dernier a tenu compte de l’objectif et de la fonction du groupe CGCOPF au regard du rôle de leadership du sergent du service CGCOPF. L’examen du caractère raisonnable effectué par la Cour porte sur le raisonnement suivi et la justification des conclusions de l’officier responsable en fonction du dossier dont disposait ce dernier. Il ne s’agit pas de faire un décorticage de la décision, phrase par phrase (Vavilov, au para 102). Il est tout aussi important de souligner que l’évaluation d’une candidature à des fins de promotion est un processus complexe. Au paragraphe 52 de l’arrêt Canada (Procureur général) c Boogaard, 2015 CAF 150 (Boogaard), la Cour d’appel fédérale a reconnu l’importance de l’expertise du décideur et de ses connaissances en ce qui concerne le poste à pourvoir et l’organisation dans les décisions en matière de promotion de la GRC :

[52] En outre, une décision concernant une promotion, comme celle dans le cas qui nous intéresse, n’est pas simple, et il ne suffit pas de traiter l’information objectivement et logiquement par rapport à un critère juridique établi pour y arriver. Il s’agit plutôt d’une décision complexe comportant de multiples aspects pour laquelle il faut apprécier avec finesse les renseignements, les impressions et les indications en utilisant des critères qui peuvent changer et être appréciés différemment d’une fois à l’autre selon les priorités et les besoins changeants de l’organisme.

[50] Le commissaire, ou son délégué, doit faire appel à ses connaissances, à son expérience et à son expertise en ce qui concerne les besoins de la GRC pour prendre des décisions en matière de promotion (Boogaard, au para 46). À l’époque où la décision a été rendue, l’officier responsable était un inspecteur du groupe des officiers des opérations 5, Division E de la police fédérale. La Division E est la division de la Colombie-Britannique de la GRC. La décision met en évidence son expérience et son expertise.

[51] Il ne fait aucun doute, au vu de son curriculum vitæ, que la demanderesse possède une expérience significative dans la conduite et la direction d’enquêtes, mais ses qualifications ne s’étendent pas à une expérience dans les enquêtes nationales ou internationales sur le crime organisé ou dans la collaboration avec des partenaires à l’étranger. L’officier responsable était d’avis que ces aspects de l’expérience en matière d’enquête sont essentiels au succès des enquêtes du service CGCOPF. La demanderesse fait valoir qu’elle a approfondi sa connaissance des opérations d’infiltration et des autorisations judiciaires, et qu’elle a tissé des liens avec des informateurs, mais cet argument oblige la Cour à soupeser à nouveau la preuve malgré l’expertise de l’officier responsable. L’argument ne tient pas compte non plus du contexte dans lequel l’officier responsable a évalué l’expérience de la demanderesse : l’accent mis par le service CGCOPF sur la police fédérale et le crime organisé transnational.

[52] Je conclus que l’examen du curriculum vitæ de la demanderesse effectué par l’officier responsable ne s’écarte pas de manière déraisonnable des éléments mentionnés dans les Points à considérer pour le poste et les Qualités souhaitables. L’officier responsable a évalué les compétences énumérées dans le Code d’emploi dans le contexte particulier des Points à considérer et des Qualités souhaitables. La demanderesse se concentre sur des mots ou groupes de mots isolés, mais chacun de ces mots et groupes de mots désigne un ensemble de compétences ou une exigence technique dans le cadre des fonctions décrites dans la Demande de dotation et l’Addenda. L’officier responsable a reconnu les compétences de la demanderesse, mais il a conclu qu’elles étaient peu applicables aux projets majeurs de la police fédérale en raison du travail spécialisé et à haut risque effectué par le groupe CGCOPF. La demanderesse n’a pas établi que cette déclaration était erronée. L’analyse effectuée par l’officier responsable est respectueuse et démontre qu’il a raisonnablement tenu compte des exigences énoncées pour le poste de sergent du service CGCOPF ainsi que de l’expérience et des qualifications de la demanderesse.

[53] La demanderesse soutient également que l’officier responsable n’a pas tenu compte de son droit contractuel à avoir priorité pour une nomination à un poste de sergent vacant ne relevant pas des services généraux. Bien que la sergente Popat ait informé l’officier responsable de ce droit, la décision n’y fait aucunement référence, pas plus qu’à l’entente de règlement. La demanderesse souligne que l’entente de règlement n’avait pas été présentée à l’officier responsable lorsque ce dernier a examiné sa demande.

[54] L’officier responsable ne fait pas référence à l’entente de règlement dans sa décision, mais cette omission ne compromet pas son évaluation du curriculum vitæ de la demanderesse au regard des expériences et des compétences techniques requises pour le poste de sergent du service CGCOPF. Le rôle de l’officier responsable dans le processus de nomination consistait à évaluer l’aptitude de la demanderesse à occuper le poste.

[55] Le terme [traduction] « droit de priorité » n’est pas défini dans l’entente de règlement et les parties ne s’entendent pas sur sa signification. Le défendeur insiste sur le fait que ce droit ne peut pas supplanter l’exigence selon laquelle la demanderesse doit satisfaire aux compétences professionnelles de tout poste de sergent vacant relevant des sept possibilités contractuelles s’offrant à elle. Le défendeur déclare que la question de la priorité ne se pose pas dans le cadre de la présente demande, car la demanderesse n’a pas été jugée apte à occuper le poste. La demanderesse n’est pas du même avis et soutient que ce terme doit avoir une portée réelle : si elle était la seule candidate prioritaire pour le poste, elle devait être nommée au poste.

[56] Il n’existe aucune preuve dans le dossier concernant les questions de savoir en quoi consiste un droit de priorité à la promotion et si un tel droit supplante les exigences professionnelles pour un poste particulier. L’entente de règlement est silencieuse à ce sujet. Elle ne prévoit pas que la demanderesse doit être nommée à un poste vacant de sergent pour lequel elle postule ni ne précise comment sa candidature doit être évaluée. En l’absence de preuve, je ne peux pas accepter l’argument de la demanderesse. La réalité concrète d’une organisation de premier plan au sein de laquelle le personnel a des rôles hautement spécialisés exige plus vraisemblablement qu’on retienne le candidat à un poste de haut niveau qui satisfait aux compétences requises pour le poste sans considération de l’existence d’un droit de priorité. Par conséquent, l’absence d’analyse du droit de priorité de la demanderesse dans l’entente de règlement ne remet pas en cause le caractère raisonnable de la décision.

[57] Enfin, la demanderesse soutient que l’officier responsable a commis une erreur susceptible de révision en n’exposant pas les contraintes factuelles et juridiques qui ont une incidence sur sa décision, mais je ne suis pas d’accord. Une décision raisonnable est une décision qui est justifiée au regard des faits pertinents et des contraintes juridiques (Vavilov, aux para 99, 101). Cette exigence ne signifie pas que l’officier responsable était tenu de fournir une liste de ces contraintes.

[58] Pour tous les motifs exposés ci-dessus, et à titre subsidiaire, je conclus que la décision contestée est raisonnable à la lumière des éléments de preuve figurant dans le dossier et du cadre juridique dans lequel elle a été rendue.

VII. Conclusion

[59] En dépit des observations pertinentes de la demanderesse et de la croyance sincère de cette dernière en sa cause, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Pour arriver à cette conclusion, je ne minimise en rien le traitement qui a abouti aux plaintes déposées auprès de la CCDP en 2016 et à l’entente de règlement.

[60] Le défendeur a soutenu à l’audience que la présente demande était théorique et que la Cour ne devrait pas entendre l’affaire parce qu’il n’y a plus de litige actuel qui aura une incidence sur les droits des parties (Doucet-Boudreau c Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62 au para 17). Le poste en cause de sergent du service CGCOPF à Nanaimo, en Colombie-Britannique, est pourvu depuis longtemps et la demanderesse a depuis posé sa candidature à un poste de sergent dans le cadre d’une autre possibilité de promotion (pas pour le service CGCOPF). Le défendeur affirme que mon ordonnance n’aurait aucun effet pratique si j’annulais la décision et ordonnais un réexamen.

[61] En réponse, la demanderesse a fait valoir que la demande n’est pas théorique, car les postes du service CGCOPF offrent des possibilités de carrière uniques, notamment la possibilité de travailler avec le Service canadien du renseignement de sécurité. Elle a ajouté que sa carrière a été freinée en raison du harcèlement sexuel et la discrimination dont elle a fait l’objet et que la Cour devrait intervenir pour l’aider.

[62] Mes conclusions sur la prématurité de la demande et le caractère raisonnable de la décision traitent des aspects importants des arguments de la demanderesse. Comme ces questions ont été longuement débattues et que la question du caractère théorique n’a fait l’objet que de brèves observations orales, je m’abstiendrai de me prononcer sur cette question supplémentaire par souci d’efficacité.

[63] À la demande du défendeur, l’intitulé des motifs de la présente demande sera modifié de façon à ce que le procureur général du Canada soit désigné, comme il se doit, à titre de défendeur, conformément à l’alinéa 303(1)a) et au paragraphe 303(2) des Règles.

VIII. Dépens

[64] Les parties ont convenu que la partie qui obtient gain de cause devrait avoir droit à des dépens fixés à la somme globale de 2 500 $. Je ne vois aucune raison justifiant que l’on s’écarte du montant négocié par les parties. J’adjugerai donc la somme convenue au défendeur à titre de dépens.

 


JUGEMENT dans le dossier T-1353-20

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié afin d’indiquer que le procureur général du Canada est le défendeur.

  3. Une somme globale de 2 500 $ est adjugée au défendeur à titre de dépens.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1353-20

 

INTITULÉ :

JILL MARIE SWANN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 juillet 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 septembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Sébastien Anderson

Sean Bailey

 

Pour la demanderesse

 

Thomas Bean

Zahida Sharkat

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Labour Rights Law Office

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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