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Date : 20231019


Dossier : IMM-11022-22

Référence : 2023 CF 1388

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2023

En présence de madame la juge Turley

ENTRE :

KALEEM ULLAH BAIG

TASNEEM KOUSAR

SARAH KALEEM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, Kaleem Ullah Baig [le demandeur principal], Tasneem Kousar [la demanderesse associée] et leur fille Sarah Kaleem [la demanderesse mineure] sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] par laquelle elle a rejeté leur demande d’asile présentée en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas examiné sérieusement certains éléments de preuve et arguments clés lorsqu’elle a rendu sa décision. Plus précisément, ils affirment que la SAR n’a pas fait une analyse indépendante de leurs demandes d’asile, mais qu’elle a plutôt souscrit à la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] sans fournir d’explication. Ils avancent également que les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SAR étaient déraisonnables.

[3] Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejetterai la demande. Après avoir examiné les motifs de la SAR, je conclus que la SAR a fait une évaluation indépendante des questions soulevées par les demandeurs et qu’elle a expliqué pourquoi elle a rejeté leurs arguments. En outre, la SAR a examiné et évalué tous les arguments clés que les demandeurs ont avancés. Les demandeurs ne sont tout simplement pas d’accord avec les conclusions tirées par la SAR.

[4] Enfin, je conclus que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans les conclusions défavorables qu’elle a tirées en matière de crédibilité en raison d’incohérences et de contradictions dans les éléments de preuve. Il était raisonnable de la part de la SAR de conclure que la documentation à l’appui était insuffisante pour l’emporter sur ses doutes quant à la crédibilité. En somme, les demandeurs contestent la façon dont la SAR a apprécié les éléments de preuve, mais le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire n’est pas d’apprécier à nouveau les éléments de preuve.

II. Contexte

A. La demande d’asile des demandeurs

[5] Les demandeurs sont des citoyens du Pakistan. Ils ont demandé l’asile parce qu’ils craignent de subir un préjudice de la part du Parti du peuple pakistanais [le PPP], de la police et des fournisseurs commerciaux du demandeur principal. La demanderesse associée et la demanderesse mineure ont toutes deux adopté l’exposé circonstancié du demandeur principal et n’ont pas présenté d’allégations indépendantes à l’appui de leur demande d’asile.

[6] Le demandeur principal était propriétaire d’une chaîne de supermarchés au Pakistan. Il soutient que ses problèmes ont commencé quand il a attiré l’attention du PPP après avoir ouvert son quatrième commerce en 2010.

[7] À l’appui de la demande d’asile des demandeurs, le demandeur principal affirme qu’ils ont fui le Pakistan à la suite d’une série d’incidents survenus sur une période de près de 10 ans, entre 2010 et 2019, dont des agressions violentes contre le demandeur principal et sa famille, des menaces de mort, une tentative d’enlèvement ratée à l’endroit de la demanderesse mineure, des refus d’enquêter et des demandes de pots-de-vin de la police, des tentatives d’extorsion de la part de membres du PPP et des dommages financiers subis par l’entreprise du demandeur principal.

[8] Selon le demandeur principal, après un certain nombre de ces incidents en 2011, il a commencé à verser des paiements mensuels pour pouvoir continuer d’exploiter ses supermarchés. La même année, des membres du PPP ont saisi une partie de ses stocks, et le demandeur principal a dû contracter une dette importante. Entre 2011 et 2012, l’ouverture de dix nouveaux magasins à grande surface, dont les propriétaires avaient des liens avec le PPP, a aussi nui aux activités des supermarchés du demandeur principal. En 2014, le PPP a négocié un contrat plus avantageux avec de nouveaux fournisseurs que le demandeur principal avait trouvés, ce qui a encore une fois eu des conséquences économiques défavorables pour l’entreprise du demandeur principal.

[9] En novembre 2017, le demandeur principal a fermé l’un de ses supermarchés. Il affirme qu’il a été forcé de vendre ses trois autres supermarchés pour un montant 40 % inférieur à leur valeur marchande. Il affirme aussi qu’il doit toujours de l’argent à ses fournisseurs.

[10] La demanderesse associée et la demanderesse mineure sont arrivées au Canada en juillet 2019. Le demandeur principal est arrivé en septembre 2019. Ils ont demandé l’asile peu de temps après leur arrivée.

B. La décision de la Section de la protection des réfugiés

[11] L’audience de la SPR s’est déroulée sur deux jours, le 30 novembre 2021 et le 28 mars 2022. Le demandeur principal a été désigné représentant de la demanderesse mineure en application du paragraphe 167(2) de la LIPR.

[12] La question déterminante devant la SPR était la crédibilité. Plus précisément, la SPR a conclu que le demandeur manquait de crédibilité relativement aux [traduction] « événements centraux de sa demande d’asile, plus précisément quant à la réception de fonds et à la nature de la vente de son entreprise, ou au fait qu’il l’a vendue à un membre d’un parti politique, quel qu’il soit » : motifs et décision de la SPR, datés du 16 mai 2022 [les motifs de la SPR]. De plus, les éléments de preuve présentés à propos des mandats d’arrêt et des rapports de police pour établir le risque prospectif auquel serait exposé le demandeur principal étaient incohérents.

[13] Compte tenu de ces conclusions, la SPR a jugé que le demandeur principal n’avait pas démontré le bien-fondé de sa demande d’asile en vertu des articles 96 ou 97 de la LIPR. Comme les demandes d’asile de la demanderesse associée et de la demanderesse mineure dépendaient entièrement de la demande d’asile du demandeur principal, la SPR a conclu que leurs demandes d’asile devaient aussi être rejetées.

C. La décision de la Section d’appel des réfugiés

[14] La SAR a rejeté l’appel des demandeurs et a confirmé la décision de la SPR; elle a conclu « que des problèmes relatifs à la crédibilité sont survenus dans les éléments de preuve des appelants, lesquels n’ont pas été expliqués raisonnablement, et qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui permettant d’établir la demande d’asile, selon la prépondérance des probabilités » : motifs et décision de la SAR, datés du 20 octobre 2022, au para 56 [les motifs de la SAR].

[15] Après avoir examiné les transcriptions de l’audience de la SPR, la SAR a conclu que les arguments des demandeurs à l’égard de l’équité procédurale n’étaient pas fondés. Plus précisément, la SAR a jugé que la SPR n’était pas tenue de questionner la demanderesse associée et la demanderesse mineure, étant donné que leurs demandes d’asile dépendaient exclusivement de l’exposé circonstancié du demandeur principal. Ayant conclu que la demande d’asile du demandeur principal manque de crédibilité, la SAR a jugé que leurs demandes d’asile devaient donc également être rejetées.

[16] La SAR a aussi rejeté les arguments des demandeurs selon lesquels la SPR n’a pas appliqué les Directives numéro 3 du président intitulées Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié [les Directives concernant les enfants] et n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure. Après avoir examiné les transcriptions de l’audience de la SPR, la SAR a souligné que le commissaire de la SPR avait demandé au demandeur principal, qui était le représentant désigné de la demanderesse mineure, si celle-ci allait rester dans la salle durant l’audience, compte tenu des sujets délicats dont il était question en appel. Le demandeur principal a décidé qu’il était préférable que la demanderesse mineure quitte la salle : motifs de la SAR, au para 21.

[17] La SAR a rejeté l’argument des demandeurs selon lequel la SPR n’avait pas compétence pour examiner la question de savoir si le demandeur principal avait vendu son entreprise sous la contrainte, comme il le prétendait. Même si la SAR a convenu « qu’un contrat signé par la force ou sous la contrainte est nul », elle a jugé que les éléments de preuve dans cette affaire ne permettaient pas d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le contrat avait été signé par la force ou sous la contrainte : motifs de la SAR, au para 32.

[18] La SAR a également souscrit aux conclusions de la SPR selon lesquelles il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve montrant que l’agent de persécution, le PPP, était l’acheteur de l’entreprise du demandeur principal. La SAR a expliqué que les demandeurs n’avaient présenté aucun élément de preuve montrant que le prétendu acheteur, « FKK » était associé au PPP. La SAR a rejeté l’argument des demandeurs selon lequel la SPR ou la SAR étaient responsables « d’effectuer des recherches sur Google pour établir s’il est affilié au PPP ». La SAR a aussi souligné que le nom de FKK ne figurait même pas dans le contrat : motifs de la SAR, au para 38.

[19] Enfin, la SAR a conclu que les éléments de preuve à l’appui des demandeurs (des lettres de la part d’un comptable, d’un voisin et du fils du demandeur principal) ne l’emportaient pas sur les préoccupations au sujet de la crédibilité de la demande d’asile des demandeurs : motifs de la SAR, aux para 47-55. Après avoir examiné chacun des éléments, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indépendants et crédibles appuyant leur demande d’asile : motifs de la SAR, au para 56.

III. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[20] Les demandeurs soulèvent deux questions principales : (i) la SAR a-t-elle commis une erreur parce qu’elle n’aurait pas examiné des éléments de preuve et des arguments clés et qu’elle n’aurait pas tenu valablement compte les questions centrales; (ii) la conclusion relative à la crédibilité tirée par la SAR était-elle déraisonnable?

[21] Il n’est pas contesté que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable. Conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, au para 85. Une cour de révision ne doit pas évaluer les motifs fournis par un décideur administratif au regard d’une norme de perfection : Vavilov, au para 91. Plutôt, les motifs doivent être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » : Vavilov, au para 97. Pour résister à un examen approfondi, une décision doit posséder les caractéristiques requises que sont la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99.

IV. Analyse

A. La Section d’appel des réfugiés a examiné les éléments de preuve et les arguments clés des demandeurs

(1) La Section d’appel des réfugiés a réalisé une évaluation indépendante

[22] Je rejette l’argument des demandeurs selon lequel la SAR n’a pas fait une évaluation indépendante de leur demande d’asile et que les motifs de la SAR ne font que [traduction] « régurgiter » l’évaluation de la SPR : mémoire supplémentaire du droit et des arguments des demandeurs, au para 45. Au contraire, il ressort de l’examen des motifs de la SAR que celle-ci a fait une évaluation approfondie et indépendante des questions soulevées par les demandeurs. De fait, pour chaque question qu’elle a examinée dans ses motifs, la SAR a suivi la même structure d’analyse : d’abord, elle résumait la conclusion de la SPR, puis la position des demandeurs, et ensuite expliquait pourquoi elle rejetait les arguments des demandeurs.

[23] À mon avis, il y a lieu d’établir une distinction entre l’affaire qui nous occupe et les décisions Bai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 304 [Bai] et Ajaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 928 [Ajaj] invoquées par les demandeurs. Dans ces décisions, la Cour a conclu que la SAR n’avait pas fait une évaluation indépendante des demandes d’asile des demandeurs, car la SAR avait constamment usé de termes associés à la déférence et s’était abondamment appuyée sur l’évaluation de la SPR : Bai, au para 33; Ajaj, au para 42. À l’inverse, dans la présente affaire, la SAR n’a pas examiné la décision de la SPR en appliquant la norme de la décision raisonnable; plutôt, elle a clairement compris que son rôle consistait à « établir si la SPR a rendu la décision correcte » : motifs de la SAR, au para 14. En effet, les motifs de la SAR reflètent qu’elle a suivi cette approche.

[24] Comme le juge Norris l’a souligné dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Davoodabadi, 2019 CF 350 [Davoodabadi], il n’est pas nécessaire que les motifs de la SAR soient parfaits ou exhaustifs, mais ils doivent être suffisamment développés pour permettre aux parties de décider si elles doivent demander ou non un contrôle judiciaire : Davoodabadi, au para 26. Je rejette l’affirmation des demandeurs selon laquelle la SAR [traduction] « a laissé les demandeurs totalement dans le noir » quant aux raisons pour lesquelles elle a conclu que leurs arguments n’étaient pas fondés : mémoire supplémentaire du droit et des arguments des demandeurs, au para 46. Pour chaque question soulevée, la SAR a clairement expliqué pourquoi elle rejetait l’argument des demandeurs : motifs de la SAR, aux para 20, 23-25, 31-33, 38-39, 42, 45-46 et 53-55.

[25] De plus, ce n’est pas parce que la SAR a affirmé qu’elle souscrivait au raisonnement de la SPR qu’elle n’a pas mené sa propre évaluation ou analyse : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 332 au para 27; Ademi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 366 au para 28. Comme le juge Gascon l’a judicieusement déclaré : « En s’acquittant de sa fonction en matière d’appel, la SAR avait le droit de faire écho à l’analyse de la SPR et d’abonder dans le même sens » : Kayitankore c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1030 au para 23.

[26] Je conclus que la décision de la SAR repose sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, qui tient valablement compte des questions centrales soulevées par les demandeurs : Vavilov, aux para 85, 102, 126-127.

(2) La SAR a examiné les arguments des demandeurs à l’égard de l’équité procédurale

[27] Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs dans leurs observations, je conclus que la SAR a examiné sérieusement leurs arguments à l’égard de l’équité procédurale. Plus précisément, la SAR a rejeté leurs arguments selon lesquels la SPR aurait dû poser des questions à la demanderesse mineure au sujet de ses allégations concernant une tentative d’enlèvement. La SAR a conclu que la demande d’asile de la demanderesse mineure reposait sur les allégations du demandeur principal :

[20] Je ne vois pas en quoi la SPR était tenue légalement de poser des questions à l’appelante mineure alors qu’elle a jugé que l’appelant principal n’était pas crédible. L’appelant principal a agi en tant que représentant désigné de l’appelante mineure et il était responsable d’agir dans son intérêt supérieur. La SPR a confirmé auprès de l’appelant principal qu’il devait [traduction] « protéger l’intérêt de la demandeure d’asile mineure et aider la demandeure d’asile mineure à faire valoir sa demande d’asile ». L’appelante mineure se fonde sur l’exposé circonstancié de l’appelant principal, et les appelants soutiennent que l’appelante mineure est exposée à un risque d’enlèvement en raison des démêlés de l’appelant principal avec le PPP. Toutefois, la SPR a jugé que les démêlés de l’appelant principal avec le PPP ne sont pas crédibles. Je fais également remarquer que le conseil des appelants n’a pas posé de questions à l’appelante mineure à l’audience. [Non souligné dans l’original]

[28] De même, la SAR a rejeté l’argument des demandeurs selon lequel la SPR n’a pas fait une évaluation indépendante des demandes d’asile de la demanderesse associée et de la demanderesse mineure. Comme l’a souligné la SAR, il était expressément indiqué dans les formulaires Fondement de la demande d’asile de la demanderesse associée et de la demanderesse mineure que celles-ci s’appuyaient sur l’exposé circonstancié du demandeur principal. Comme leurs demandes d’asile étaient liées à celle du demandeur principal, il était raisonnable pour la SPR et la SAR de conclure que les demandes d’asile de la demanderesse associée et de la demanderesse mineure devaient aussi être rejetées, car la demande d’asile du demandeur principal manquait de crédibilité : Nam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 783 aux para 27-29; Song c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 467 au para 20.

[29] En outre, je ne suis pas d’accord pour dire que la SAR a commis une erreur en concluant que la SPR avait appliqué correctement les Directives concernant les enfants et tenu compte de l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure. La SAR a examiné les transcriptions de l’audience de la SPR et a souligné un échange entre le commissaire de la SPR et le demandeur principal, qui était le représentant désigné de la demanderesse mineure. Le commissaire de la SPR a demandé au demandeur principal si la demanderesse mineure devait rester dans la salle durant l’audience, compte tenu des « questions très sensibles » soulevées. Le commissaire de la SPR a précisé qu’il n’avait pas l’intention de poser des questions à la demanderesse mineure, et le demandeur principal a décidé qu’il « [valait] mieux qu’elle parte maintenant » : motifs de la SAR, au para 21. Cet échange montre que la SPR était attentive et sensible au besoin de s’assurer que les procédures se déroulent dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Je conclus, par conséquent, que la SAR n’a commis aucune erreur dans son évaluation de la façon dont la SPR a appliqué les Directives concernant les enfants.

B. Les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SAR

[30] La SAR a conclu que le demandeur principal manquait de crédibilité pour de nombreux motifs. Devant notre Cour, les demandeurs contestent seulement les conclusions de la SAR à l’égard de la crédibilité des allégations du demandeur principal selon lesquelles : (i) il a vendu son commerce sous la contrainte et n’a jamais été payé; (ii) l’agent de persécution était l’acheteur de son entreprise. Les demandeurs contestent également la conclusion de la SAR selon laquelle la documentation présentée à l’appui de la demande ne l’emporte pas sur les préoccupations en matière de crédibilité.

[31] Il est établi que la Cour doit faire preuve d’une déférence importante à l’égard de l’appréciation que fait la SAR de la crédibilité d’un demandeur d’asile : Aldaher c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1375 au para 23; Sary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 178 au para 23; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 au para 22; Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558 au para 11.

[32] Je ne peux pas conclure que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que les demandeurs n’avaient pas démontré de manière crédible le bien-fondé de leur demande d’asile.

(1) La conclusion de la Section d’appel des réfugiés à propos de la vente de l’entreprise est raisonnable

[33] J’estime que l’argument des demandeurs selon lequel la SAR et la SPR n’avaient pas compétence pour conclure que le demandeur principal avait signé le contrat sous la contrainte : mémoire supplémentaire du droit et des arguments des demandeurs, aux para 69-75. Comme l’a souligné le défendeur, les demandeurs ont directement soulevé cette question : le demandeur principal affirme, dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, qu’il a été [traduction] « obligé [...] de signer un acte de vente » : mémoire supplémentaire du droit et des arguments du demandeur, au para 24.

[34] Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, la SPR et la SAR n’avaient pas besoin de connaissances spécialisées en droit des contrats pour déterminer si le demandeur principal avait signé l’entente sous la contrainte. Plutôt, comme l’a jugé la SAR, il s’agit d’une conclusion factuelle qui repose sur les éléments de preuve au dossier :

[32] À la différence des observations des appelants, je juge que la conclusion selon laquelle le contrat est incompatible avec les allégations des appelants ne repose pas sur un autre domaine du droit et ne se fonde pas sur des connaissances spécialisées. Par ailleurs, même si je conviens qu’un contrat signé par la force ou sous la contrainte est nul, je conviens avec la SPR que les éléments de preuve ne permettent pas d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le contrat a été signé par la force ou sous la contrainte.

[35] La SAR a jugé, à la lumière des éléments de preuve qui lui ont été présentés, que la SPR n’a commis aucune erreur en concluant que la preuve documentaire à propos de la vente de l’entreprise réfutait l’allégation du demandeur principal selon laquelle il avait vendu son entreprise sous la contrainte et n’avait jamais reçu de paiement pour la vente. Les éléments de preuve montrent ce qui suit : (i) le demandeur principal a confirmé avoir reçu 12 millions de roupies; (ii) les modalités de l’entente étaient équitables; (iii) le contrat a été signé au terme d’une période de cinq mois : motifs de la SAR, aux para 26, 31, 33.

[36] Compte tenu des incohérences entre la preuve documentaire et le témoignage du demandeur principal, il était raisonnable que la SAR conclue que ce dernier n’avait pas démontré qu’il avait été forcé de conclure l’entente, comme il le prétend. La SAR possède l’expertise pour tirer ce genre de conclusion à l’égard de la crédibilité.

(2) Les éléments de preuve sont insuffisants pour établir que l’agent de persécution était l’acheteur

[37] La SAR était d’accord avec la SPR pour dire qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de l’allégation des demandeurs selon laquelle FKK, le prétendu acheteur, était affilié au PPP. La SAR a rejeté l’observation des demandeurs selon laquelle la SPR ou la SAR aurait dû faire une recherche sur Google pour savoir si FKK était affilié au PPP. Quoi qu’il en soit, la SAR a souligné que le nom de FKK ne figurait nulle part sur le contrat. Par conséquent, je ne peux pas conclure que la SAR a commis une erreur en concluant ce qui suit : « Dans ces circonstances, je crois, tout comme la SPR, que les éléments de preuve établissent que l’appelant principal a vendu l’entreprise à une tierce partie neutre telle qu’elle figurait sur le contrat » : motifs de la SAR, au para 38.

[38] Je rejette l’argument des demandeurs selon lequel la SAR n’a pas accordé de poids aux documents contenus dans le cartable national de documentation sur le Pakistan en ce qui concerne le caractère répandu du blanchiment d’argent et des transactions en espèces : mémoire supplémentaire du droit et des arguments des demandeurs, au para 78. Notre Cour a conclu qu’il incombe au demandeur d’asile de démontrer l’existence d’un lien entre la preuve documentaire de nature générale et la situation qui lui est propre : Salem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 195 au para 22; Chukwunyere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 210 au para 14; Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 426 au para 19. Dans la présente affaire, les demandeurs n’ont pas établi le lien requis.

(3) Les éléments de preuve à l’appui ne l’emportent pas sur les préoccupations en matière de crédibilité

[39] Les demandeurs contestent les conclusions de la SAR concernant certains documents à l’appui qu’ils ont déposés pour renforcer leur demande d’asile. Il s’agit, notamment, des lettres du comptable et de la lettre du voisin. Les arguments des demandeurs se résument essentiellement au fait qu’ils contestent le poids accordé aux éléments de preuve. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve : Vavilov, au para 125. Je ne peux pas conclure que la SAR a commis une erreur en concluant que ces documents à l’appui ne l’emportent pas sur ses préoccupations en matière de crédibilité.

[40] De plus, comme je l’expliquerai plus bas, les demandeurs ont mal interprété la conclusion de la SPR au sujet de l’absence de premiers rapports d’information.

(i) Les lettres du comptable

[41] Les demandeurs affirment que la SAR n’a pas fourni de motifs transparents et intelligibles pour justifier pourquoi elle n’a pas admis que le comptable serait en mesure de se rappeler, de mémoire et sans accéder aux dossiers, certains détails compris dans sa deuxième lettre : mémoire supplémentaire du droit et des arguments des demandeurs, au para 82. Je conclus que la SAR n’a commis aucune erreur en étant d’accord avec la SPR pour accorder peu de poids aux lettres du comptable. La SAR a expliqué, quoique brièvement, dans ses motifs pourquoi elle souscrirait aux motifs de la SPR.

[42] La première lettre n’était pas rédigée sur du papier à en-tête et ne contenait pas les titres de compétence du comptable. La SAR n’a tout simplement pas accepté l’explication des demandeurs au sujet de l’incohérence entre le niveau de détail dans la deuxième lettre du comptable et le témoignage du demandeur principal selon lequel le comptable n’avait accès à aucun dossier et qu’il n’en conservait aucun. Il était loisible à la SAR de rejeter l’argument selon lequel le comptable avait été capable de se rappeler des détails dans sa lettre de mémoire et sans consulter les dossiers.

[43] Il importe de souligner que la SPR a conclu que, même si elle avait admis que la lettre du comptable était authentique, le fait que l’entreprise du demandeur principal ait été vendue bien en dessous de la juste valeur marchande ne donne pas aux demandeurs qualité de réfugié au sens de la Convention ou qualité de personne à protéger : motifs de la SPR, aux para 59-60.

(ii) La lettre du voisin

[44] En ce qui concerne la lettre du voisin, les demandeurs affirment que la SAR n’a pas examiné l’erreur de droit que la SPR a commise quand elle a rejeté la lettre au seul motif qu’elle contenait du ouï-dire : mémoire supplémentaire du droit et des arguments des demandeurs, au para 83. Comme l’a conclu la SAR, cependant, la SPR n’a pas rejeté la lettre parce qu’il s’agissait de ouï-dire; plutôt, la SPR a conclu que la lettre ne l’emportait pas sur les préoccupations en matière de crédibilité : motifs de la SAR, au para 54; motifs de la SPR, au para 65.

[45] La Cour a établi qu’il est raisonnable que les décideurs accordent moins de poids aux affidavits qui contiennent de l’information qui ne découle pas d’une connaissance directe : Nwankwo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 786 au para 34; Nsofor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 274 au para 30; Abraham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 70 aux para 17, 21-22. Dans la présente affaire, la lettre du voisin ne contenait pas un récit direct de la prétendue tentative d’enlèvement, puisque le voisin n’a pas été témoin de cet incident, mais l’a plutôt appris d’une autre personne.

(iii) Les premiers rapports d’information

[46] À mon avis, les demandeurs ont interprété la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur principal [traduction] « a présenté des éléments de preuve incohérents au sujet des prétendus mandats d’arrêt et des premiers rapports d’information » : motifs de la SPR, au para 66; mémoire supplémentaire du droit et des arguments des demandeurs, au para 84. Essentiellement, les demandeurs confondent deux conclusions de la SPR sur les premiers rapports d’information.

[47] La première conclusion de la SPR concerne l’incohérence entre le témoignage du demandeur principal, selon lequel la police a délivré un premier rapport d’information contre lui, et le courriel de son frère, lequel ne contenait aucune mention d’un premier rapport d’information contre le demandeur principal : motifs de la SPR, aux para 35-44. La deuxième conclusion de la SPR sur les premiers rapports d’information concernait le fait que le demandeur principal n’a déposé aucun premier rapport d’information au sujet de la prétendue agression et de la prétendue tentative d’enlèvement contre ses enfants : motifs de la SPR, au para 64.

[48] Il est clair dans ses motifs que, dans sa conclusion à l’égard d’une incohérence concernant [traduction] « les mandats d’arrêt et les premiers rapports d’information », la SPR ne renvoie pas à l’absence de premiers rapports d’information sur l’agression et la tentative d’enlèvement, contrairement à ce qu’affirment les demandeurs. Elle tire plutôt sa conclusion à l’égard de l’incohérence entre les éléments de preuve du demandeur principal et ceux de son frère au sujet d’un premier rapport d’information qui aurait été déposé contre le demandeur principal : motifs de la SPR, au para 66.

[49] En ce qui concerne la prétendue agression et la prétendue tentative d’enlèvement, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas reproché aux demandeurs de ne pas avoir déposé le premier rapport d’information, mais qu’elle s’était plutôt contentée de souligner qu’il n’y avait aucun premier rapport d’information corroborant ces événements, après avoir exprimé des doutes à l’égard de la fiabilité des lettres du fils et du voisin : motifs de la SAR, au para 55. Il s’agit d’une conclusion raisonnable, puisqu’il ressort des motifs de la SPR que celle-ci ne s’est pas appuyée sur l’absence de premiers rapports d’information pour mettre en doute la crédibilité du demandeur : motifs de la SPR, au para 64.

V. Conclusion

[50] La SAR a formulé des motifs clairs pour justifier le rejet des nombreux arguments avancés par les demandeurs dans leur appel. Même si la SAR a souscrit aux conclusions de la SPR, je suis convaincue que la SAR a fait une évaluation indépendante des demandes d’asile et que ses motifs sont justifiés, transparents et intelligibles. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[51] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-11022-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Anne M. Turley »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-11022-22

 

INTITULÉ :

KALEEM ULLAH BAIG, TASNEEM KOUSAR, SARAH KALEEM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 SEPTEMBRE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE TURLEY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 OCTOBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Adela Crossley

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Mariam Shanouda

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Crossley Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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