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Date : 20231013


Dossier : IMM-1889-22

Référence : 2023 CF 1365

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

PREM GURUNG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur est un citoyen du Népal. En juillet 2019, il a demandé l’asile au Canada parce qu’il craignait d’être persécuté par un groupe connu sous le nom des maoïstes de Biplav, une faction du parti communiste du Népal. Le demandeur a affirmé qu’il avait été attaqué et menacé par les membres du groupe parce qu’il avait parlé contre le groupe, notamment en dénonçant sa collecte forcée de [traduction] « dons ». Selon le demandeur, l’incident le plus récent est survenu à Katmandou en juillet 2019, lorsqu’il est retourné au Népal, plusieurs années après avoir vécu à l’étranger, et quelques jours seulement avant de venir au Canada. (Le demandeur s’est vu octroyer un visa de visiteur pour le Canada en avril 2019.)

[2] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) a instruit la demande du demandeur le 27 mai 2021, et l’a rejetée dans une décision du 13 juillet 2021. La SPR a conclu que les allégations du demandeur n’étaient pas crédibles et que, quoi qu’il en soit, le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable dans deux villes au Népal.

[3] Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR à la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la CISR. Il a affirmé que la SPR avait commis une erreur en concluant que son exposé circonstancié n’était pas crédible et qu’il disposait d’une PRI viable. Le demandeur a également soutenu que la conduite du commissaire de la SPR donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité. À l’appui de son appel, il a demandé l’admission de plusieurs nouveaux éléments de preuve au titre de l’article 110(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[4] La SAR a rejeté l’appel dans une décision datée du 14 janvier 2022. À une exception près, la SAR a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve, car ils étaient normalement accessibles au demandeur avant la décision de la SPR ou répétaient des renseignements déjà communiqués à la SPR. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi que sa crainte que le commissaire de la SPR ait fait preuve de partialité était raisonnable. Elle a également estimé que la SPR avait conclu à juste titre que le demandeur disposait d’une PRI viable, ce qui était une question déterminante pour l’appel. Par conséquent, la SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[5] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAR au titre de l’article 72(1) de la LIPR. Le seul motif de contrôle qu’il soulève est que la conclusion relative à la PRI tirée par la SAR est déraisonnable.

[6] Je conviens avec les parties que la décision de la SAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Une décision raisonnable doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85). La cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard d’une décision qui possède ces attributs (ibid.). Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision n’a pas pour rôle d’apprécier ou d’évaluer à nouveau la preuve examinée par le décideur ni de modifier des conclusions de fait en l’absence de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Pour infirmer une décision au motif qu’elle est déraisonnable, la cour de révision doit être convaincue qu’elle « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[7] Le critère relatif à la PRI est bien établi. Une PRI est un lieu situé dans le pays dont le demandeur d’asile a la nationalité, où il n’est pas exposé à un risque (au sens pertinent et selon la norme applicable, suivant que la demande d’asile est présentée au titre de l’article 96 ou de l’article 97 de la LIPR) et où il n’est pas déraisonnable pour lui de se réinstaller. Lorsqu’il existe une PRI viable, le demandeur d’asile n’a pas droit à la protection d’un autre pays. Pour réfuter la proposition qu’elle dispose d’une PRI viable, la partie qui demande l’asile a le fardeau de démontrer qu’elle serait soit exposée à un risque dans la ville proposée comme PRI ou, même si elle n’y serait pas exposée à un risque, qu’il serait déraisonnable qu’elle s’y réinstalle compte tenu de l’ensemble des circonstances. Pour ce qui est du critère relatif à la PRI en général, voir les arrêts Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706 (CA), Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 (CA) et Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16789 (CAF), [2001] 2 CF 164 (CA).

[8] À mon avis, il était raisonnable pour la SAR de conclure que les deux volets du critère applicable à la PRI ont été respectés.

[9] En ce qui concerne le premier volet, la SAR a conclu que le demandeur n’était pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution au sens de l’article 96 de la LIPR ni à un risque au titre de l’article 97 parce qu’il n’avait pas établi que les agents de persécution avaient les moyens pour le retrouver dans les villes proposées comme PRI. Même si les agents de persécution avaient pu le retrouver ailleurs au Népal, le demandeur n’a pas établi qu’ils pourraient le faire dans les villes proposées comme PRI. Il s’agit d’une conclusion raisonnable à la lumière du dossier dont disposait la SAR.

[10] De plus, la SAR a conclu que l’accord de paix conclu entre les maoïstes de Biplav et le gouvernement du Népal le 4 mars 2021, soit après que le demandeur a quitté le Népal, faisait douter de la motivation qu’auraient pu avoir les agents de persécution de pourchasser le demandeur. Suivant cet accord, l’interdiction criminelle qui pesait sur le groupe a été levée, et le groupe s’est engagé à mener ses activités politiques de façon pacifique et légale.

[11] La SAR a reconnu que le demandeur n’avait pas confiance en l’accord de paix et qu’il continuait de craindre les maoïstes de Biplav. Cependant, cette crainte n’était pas suffisante pour réfuter le premier volet du critère. Il incombait au demandeur d’établir que, malgré l’accord de paix, les agents de persécution avaient tout de même les moyens et la motivation de le pourchasser et de le persécuter. La SAR a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait. Il est important de souligner que tous les incidents sur lesquels se fondait le demandeur (qui le concernaient lui-même ou d’autres personnes prises pour cible par les agents de persécution) se sont produits avant la signature de l’accord de paix, dont un il y a une vingtaine d’années. La SAR a raisonnablement souligné ce qui suit : « L’accord a été signé en mars 2021, et nous sommes aujourd’hui en janvier 2022. Aucun renseignement portant à croire que l’accord de paix a échoué ne m’a été fourni. » Le demandeur me demande essentiellement d’apprécier à nouveau les éléments de preuve et de tirer une conclusion différente de celle qu’a tirée la SAR quant à savoir s’il serait en sécurité dans les villes proposées comme PRI. Comme je l’ai déjà indiqué, la cour qui procède au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable n’a pas ce rôle.

[12] En ce qui concerne le second volet du critère applicable à la PRI, le demandeur soutient que la SAR n’a pas tenu compte ou a fait fi des difficultés qu’il a soulevées devant la SPR. Contrairement aux observations du demandeur, la SAR a examiné ces facteurs de façon détaillée (voir les paragraphes 70 à 78 de la décision). Le demandeur n’avance aucun autre argument pour démontrer que l’évaluation faite par la SAR du second volet du critère est déraisonnable.

[13] En résumé, les motifs de la SAR qui expliquent sa conclusion selon laquelle le demandeur dispose d’une PRI viable sont clairs, intelligibles et justifiés au regard du critère applicable et du dossier dont elle dispose. Le demandeur n’a établi aucun fondement justifiant une modification de la décision de la SAR.

[14] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[15] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1889-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est formulée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1889-22

 

INTITULÉ :

PREM GURUNG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 MARS 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 OCTOBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Atul Subedi

Pour le demandeur

 

Charles J. Jubenville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Atul Subedi

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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