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Date : 20231011


Dossier : IMM-2656-22

Référence : 2023 CF 1351

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

SATHISHKUMAR ELANGOVAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Le demandeur est un citoyen indien d’origine tamoule âgé de 30 ans. Il est entré au Canada muni d’un visa de visiteur en mars 2019. Il a demandé l’asile en décembre 2020. Le demandeur a allégué qu’il craint avec raison d’être persécuté parce qu’il est un partisan de longue date du parti Marumalarchi Dravida Munnetra Kazhagam (MDMK), un parti politique indien connu pour son soutien aux Tamouls sri‑lankais, et qui appuierait la cause des Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Le demandeur a aussi affirmé qu’il craint à juste titre d’être persécuté au motif qu’en 2015, il a commencé à s’intéresser à une fille issue d’une caste supérieure, ce à quoi la famille de cette dernière s’opposait fermement.

[2] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) a entendu la demande du demandeur le 16 décembre 2021. La SPR a rejeté la demande dans sa décision du 25 février 2022. Ce faisant, elle a conclu, en vertu du paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’absence de minimum de fondement de la demande et, en vertu de l’article 107.1 de la LIPR, que la demande était manifestement infondée.

[3] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SPR en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR. Il soutient que les conclusions relatives à l’absence de minimum de fondement de la demande et au fait que celle-ci est manifestement infondée sont déraisonnables. Il fait aussi valoir, de façon plus générale, que la décision par laquelle la SPR a rejeté la demande d’asile est déraisonnable.

[4] Il ne fait aucun doute que la conclusion selon laquelle la demande est manifestement infondée, qui n’est étayée par aucune analyse, est déraisonnable. Le défendeur soutient toutefois que cette conclusion peut être dissociée de la conclusion relative à l’absence de minimum de fondement. Le demandeur n’est pas en désaccord. La principale question en litige est donc celle de savoir si la conclusion relative à l’absence de minimum de fondement est aussi déraisonnable.

[5] Comme je l’expliquerai dans les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que la conclusion de la SPR relative à l’absence de minimum de fondement de la demande du demandeur est déraisonnable.

II. LE CONTEXTE

[6] Le demandeur est né en juin 1993 dans la ville de Mannargudi, dans l’État du Tamil Nadu. Selon l’exposé figurant dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, le demandeur, après qu’il eut terminé ses études secondaires en avril 2008, a travaillé à temps plein dans le secteur agricole jusqu’à son départ pour le Canada. Sa famille comprenait des partisans de longue date du parti MDMK, et il participait occasionnellement à des manifestations organisées par celui‑ci.

[7] Le demandeur affirme qu’en décembre 2018, il a été détenu et interrogé par la police au sujet de deux travailleurs tamouls du Sri Lanka qui travaillaient dans sa ferme. Le demandeur affirme qu’il a été détenu pendant la nuit, a subi des violences physiques et verbales et a été accusé d’avoir embauché d’anciens militants. Il a été libéré deux jours plus tard, après que son père a versé un pot-de-vin.

[8] Le demandeur soutient aussi qu’il a rencontré, sur Internet, une fille d’une caste supérieure en 2015. Ils ne se sont jamais rencontrés en personne. À un moment donné, aux environs de novembre 2018, les parents de la jeune fille ont fouillé dans son téléphone et ont appris l’existence de la relation. Puis, le 10 janvier 2019, la police a emmené le demandeur à un poste local, l’a agressé physiquement et l’a mis en garde contre le fait d’avoir une relation avec une femme d’une caste supérieure. Dans son exposé, le demandeur affirme qu’il a [traduction] « compris que la famille de [sa] petite amie était derrière cette action de la police ».

[9] Avec l’aide d’un agent, le demandeur a obtenu un visa de visiteur au Canada. Il a quitté l’Inde pour le Canada en mars 2019.

[10] En avril 2019, il y a eu une série d’attentats à la bombe au Sri Lanka. Selon l’exposé du demandeur, même si des groupes islamistes étaient soupçonnés d’être les responsables, les autorités du Tamil Nadu ont profité de cette occasion pour harceler et intimider les membres du parti MDMK et ses partisans. La police s’est rendue au domicile du demandeur et a demandé à ses parents où il se trouvait. Le demandeur craint que la police s’intéresse toujours à lui s’il retourne en Inde.

[11] De plus, il craint que les parents de sa petite amie ne le tuent s’il rentre au pays. Comme il l’a expliqué dans son exposé, il ne voulait pas mettre fin à la relation avec sa petite amie, et, même si elle épousait quelqu’un d’autre, son retour en Inde [traduction] « pourrait lui faire changer d’avis, ce qui constituerait une honte pour leurs familles ».

[12] Comme je l’ai mentionné précédemment, le demandeur a seulement demandé l’asile en décembre 2020, soit 19 mois après son arrivée au Canada.

III. LA NORME DE CONTRÔLE

[13] Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la décision de la SPR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85). La cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard d’une décision qui possède ces attributs (ibid). Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision n’a pas pour rôle d’apprécier ou d’évaluer de nouveau la preuve examinée par le décideur ni de modifier des conclusions de fait en l’absence de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125).

[14] L’arrêt Vavilov prévoit aussi que, « [l]orsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs fournis à ce dernier doivent refléter ces enjeux » (au para 133). L’importance des répercussions possibles de la décision sur la personne visée par une analyse du caractère raisonnable a été soulignée récemment au paragraphe 76 de l’arrêt Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21.

[15] Il ne fait aucun doute qu’une décision relative à une demande d’asile a une incidence importante sur les droits et intérêts du demandeur. Lorsque la demande est rejetée, les conséquences défavorables sont multipliées dans le cas où la SPR conclut à l’absence de minimum de fondement de la demande et au fait que celle-ci est manifestement infondée. En effet, ces conclusions font obstacle au droit d’appel habituel devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la CISR : voir l’alinéa 110(2)c) de la LIPR. Par conséquent, le seul recours qui s’offre au demandeur est de présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire auprès de la Cour. De plus, contrairement à une situation où la décision défavorable de la SAR est contestée dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le renvoi du demandeur d’asile du Canada n’est pas automatiquement suspendu tant qu’une demande de contrôle judiciaire, présentée en temps opportun, est en instance : voir le paragraphe 231(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. (Ces conséquences graves signifient également que le seuil relatif aux conclusions d’absence de minimum de fondement et au fait que la demande est manifestement infondée est élevé. J’y reviendrai plus loin.)

[16] Avant de pouvoir infirmer une décision au motif qu’elle est déraisonnable, la cour de révision doit être convaincue qu’elle « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). En d’autres termes, il ne suffit pas de signaler les erreurs commises par le décideur dans ses motifs; les erreurs doivent avoir une incidence importante sur l’issue de l’affaire (BCE Inc c Québecor Média Inc, 2022 CAF 152 au para 43).

IV. ANALYSE

[17] La SPR énonce sa conclusion générale de la façon suivante :

Compte tenu du manque de crédibilité du demandeur d’asile et de l’insuffisance d’éléments de preuve à l’appui, j’estime qu’il y a absence de minimum de fondement de l’allégation voulant que le demandeur d’asile soit exposé à une possibilité sérieuse de persécution en Inde ou qu’il ait qualité de personne à protéger, étant donné qu’il est peu probable qu’il soit exposé soit au risque d’être soumis à la torture, soit à une menace à sa vie ou au risque de peines cruelles et inusitées. La demande d’asile est manifestement infondée et, au titre du paragraphe 107(1) de la LIPR, je suis donc tenu de la rejeter.

[18] Comme je l’ai déjà mentionné, une conclusion relative à l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile ou au fait qu’elle est manifestement infondée revêt de graves conséquences pour le demandeur. Par conséquent, le seuil relatif à l’une ou l’autre de ces conclusions est élevé (Ramón Levario c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 314 au para 18; Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 755 au para 45; Rejuyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 642 au para 23).

[19] La question de la conclusion de la SPR selon laquelle la demande est manifestement infondée peut être réglée brièvement. Le passage cité au paragraphe 17 constitue l’unique réflexion de la SPR sur cette question. La décision est complètement dépourvue d’analyse à savoir pourquoi la SPR était d’avis que la demande est clairement frauduleuse, laquelle est requise afin de rendre un constat de demande manifestement infondée : voir le paragraphe 107.1 de la LIPR; voir aussi Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596 aux para 26-32. La conclusion selon laquelle la demande est manifestement infondée doit être annulée parce qu’elle est déraisonnable.

[20] La question la plus difficile qui se pose est celle de savoir si la conclusion de la SPR concernant l’absence de minimum de fondement est aussi déraisonnable.

[21] Le paragraphe 107(2) de la LIPR prévoit ce qui suit :

(2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

(2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim.

[22] Lorsqu’elle s’est penchée sur l’expression « absence de minimum de fondement », telle qu’elle apparaissait dans des textes législatifs antérieurs, la Cour d’appel fédérale a conclu que la SPR « ne devrait pas systématiquement statuer qu’une revendication n’a pas un minimum de fondement lorsqu’elle conclut que le revendicateur n’est pas un témoin crédible » (Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CA), [2002] 3 CF 537, 2002 CAF 89 au para 51). Ce principe s’applique aussi au paragraphe 107(2) de la LIPR. La SPR peut uniquement conclure à l’absence de minimum de fondement d’une demande lorsqu’il n’existe aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié du demandeur. Si la SPR conclut qu’il existe un élément de preuve crédible ou digne de foi quelconque qui est susceptible d’étayer une reconnaissance positive, « il n’est pas loisible à la Commission de conclure que la demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement, même si, au bout du compte, elle conclut que cette demande n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités » (Ramón Levario, au para 19).

[23] En l’espèce, la SPR a conclu sans équivoque que le demandeur n’était pas un témoin crédible. Elle a conclu que son récit de sa prétendue détention par la police en décembre 2018 était truffé d’incohérences et qu’il avait changé au fil des interrogatoires. Au sujet du prétendu incident, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas « précis, honnête et crédible ». De même, en ce qui concerne le récit que le demandeur a fait de sa relation avec sa petite amie issue d’une caste supérieure, la SPR avait « l’impression [qu’il] inventait son témoignage au fur et à mesure » et qu’il « inventait son histoire ». De plus, en examinant l’explication du demandeur quant aux raisons pour lesquelles il a attendu si longtemps avant de présenter une demande d’asile au Canada, la SPR a conclu qu’il n’était « pas disposé à témoigner de façon exacte et honnête, peu importe le sujet de son témoignage ».

[24] Il s’agit de conclusions sévères, mais le demandeur ne m’a pas convaincu qu’il y avait lieu de les modifier. La SPR se trouve dans une position plus avantageuse que les cours de révision, notamment en ce qui concerne les questions en matière de crédibilité (Vavilov, au para 125). L’appréciation de la crédibilité est « essentiellement de nature factuelle », et il « faut reconnaître » l’avantage relatif dont jouit le décideur qui a entendu les témoignages de vive voix (Dr Q c College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 RCS 226, 2003 CSC 19 au para 38).

[25] Le demandeur n’a relevé aucune preuve importante selon laquelle la SPR se serait fondamentalement méprise sur la preuve qui lui a été soumise ou aurait omis d’en tenir compte. Même si je suis d’accord pour dire que l’affirmation de la SPR (au paragraphe 22 de la décision) selon laquelle le demandeur a été accusé par la police après sa petite amie et lui ont été vus ensemble lors d’une manifestation est erronée, j’estime que cette erreur est secondaire. Le demandeur n’a pas non plus établi que l’analyse de la crédibilité effectuée par la SPR présente des défauts de logique. Le demandeur souligne que, dans sa décision, la SPR a conclu à l’absence « d’élément de preuve clair et sans équivoque que le demandeur d’asile est susceptible d’être persécuté ou d’être victime d’un meurtre d’honneur ». Je conviens avec le demandeur que cette affirmation est potentiellement problématique parce qu’elle semble refléter une interprétation erronée du critère juridique applicable à l’octroi de l’asile. Néanmoins, comme la SPR a rejeté la preuve du demandeur dans son ensemble, je ne suis pas convaincu que cette erreur compromet le caractère raisonnable de la décision. Indépendamment de ces lacunes précises, le demandeur me demande essentiellement, par ses arguments, de soupeser la preuve à nouveau et de tirer une conclusion différente de celle de la SPR en ce qui concerne sa crédibilité. Il ne s’agit pas du rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable.

[26] Avant de passer au point suivant, je ferai écho aux préoccupations du défendeur concernant les tentatives du demandeur de contester les conclusions factuelles de la SPR en l’absence d’une transcription de l’audience. Comme je l’ai expliqué dans un autre jugement, cette situation désavantage considérablement la Cour et le défendeur (Zararsiz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 692 aux para 61-64). De plus, le demandeur est aussi désavantagé puisqu’il lui incombe de démontrer que l’appréciation de son témoignage par la SPR est déraisonnable (Adeleye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 640 au para 14). Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il n’a pas présenté de transcription de l’audience. À la lumière de la preuve qu’il a présentée, le demandeur ne m’a pas convaincu que les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité sont déraisonnables.

[27] Comme je l’ai déjà mentionné, lorsqu’une demande d’asile est appuyée par des éléments de preuve en sus du témoignage du demandeur, il n’est pas suffisant de conclure que celui-ci manque de crédibilité pour étayer une conclusion d’absence de minimum de fondement (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1133 au para 16). Le décideur doit aussi conclure qu’il n’existe aucune autre preuve crédible ou digne de foi sur laquelle il aurait pu fonder une décision favorable. Ce n’est qu’à ce moment‑là que le décideur peut conclure à l’absence de minimum de fondement de la demande (Behary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 794 au para 53).

[28] Hormis son témoignage, le demandeur a présenté très peu d’éléments de preuve à l’appui de sa demande : une lettre de son père datée du 24 septembre 2021, une lettre d’un représentant du parti MDMK datée du 25 septembre 2021, une lettre d’un ami datée du 24 septembre 2021 et une lettre d’un ami de sa petite amie datée du 25 septembre 2021.

[29] La SPR a examiné chacun de ces éléments de preuve. Elle n’a accordé aucun poids à la lettre du père du demandeur, car il ne faisait que répéter le récit de son fils. De même, la SPR a conclu que la lettre du représentant du parti MDMK ne faisait « que reprendre le contenu de l’exposé circonstancié » du demandeur. La SPR n’a accordé aucun poids à la lettre de l’ami de la petite amie du demandeur, car elle ne mentionne pas la différence de caste entre eux. En effet, elle « donne plutôt l’impression qu’il n’y en a pas ». La SPR n’accorde aucun poids à la lettre de l’ami du demandeur parce qu’elle ne précise pas les sources des renseignements qui sont rapportés (à l’exception d’une conversation avec le père du demandeur portant sur un détail), n’indique pas que l’auteur tient le contenu de la lettre pour véridique, est écrite « sans solennité », et imite simplement une grande partie de ce qui figure dans l’exposé circonstancié du demandeur.

[30] À mon avis, il était loisible à la SPR de conclure qu’aucun de ces éléments de preuve n’était suffisant pour appuyer une décision favorable en ce qui concerne la demande. La SPR a raisonnablement conclu que les lettres de l’ami du demandeur et du représentant du parti MDMK, qui ne faisaient que reprendre son récit sans préciser la source des renseignements qu’elles rapportaient, n’était pas suffisamment indépendantes pour qu’une valeur probante leur soit accordée. Cette affirmation s’applique aussi en grande partie à la lettre du père. Même si la SPR semble avoir omis au moins un élément dont le père aurait eu une connaissance directe – le versement d’un pot-de-vin afin que la police relâche le demandeur en décembre 2018 – je ne suis pas convaincu que cela compromet le caractère raisonnable global de l’évaluation de la lettre par la SPR. Enfin, compte tenu de l’importance qu’occupe la différence de castes entre le demandeur et sa petite amie dans la demande d’asile, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de n’accorder aucun poids à la lettre de l’ami de la petite amie au motif qu’elle n’abordait pas cette question essentielle. Selon les dires du demandeur, l’ami était au fait de la situation et du conflit que celle‑ci aurait causé auprès des parents de sa petite-amie. Quoi qu’il en soit, à la lumière du contenu de la lettre dans son ensemble, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de conclure que celle‑ci était insuffisante pour appuyer une décision favorable en ce qui concerne la demande. La SPR aurait certainement pu en dire davantage à cet égard, mais je ne suis pas convaincu que, dans l’ensemble, son évaluation de la preuve à l’appui est déraisonnable.

[31] Surtout, la SPR n’a pas conclu qu’il convenait d’accorder un certain poids à la preuve documentaire du demandeur, en tout ou en partie, mais que celle‑ci n’était pas suffisante pour étayer la demande; elle a plutôt conclu qu’il n’y avait pas lieu d’y accorder aucun poids. Par conséquent, on ne peut affirmer que la SPR a confondu une conclusion relative à l’absence de minimum de fondement avec une conclusion selon laquelle la demande d’asile n’avait pas été établie selon la prépondérance des probabilités. Ce faisant, elle aurait commis une erreur susceptible de contrôle : voir Boztas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 139 aux para 11-13; Mahdi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 218 au para 10; Adeshina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1559 au para 34.

[32] En résumé, la SPR n’a pas conclu à l’absence de minimum de fondement de la demande simplement parce qu’elle avait jugé que le demandeur n’était pas un témoin crédible. Elle a examiné les autres éléments de preuve présentés par le demandeur et a conclu qu’ils étaient insuffisants pour étayer la demande puisqu’ils ne méritaient aucun poids. Le demandeur n’a établi aucun motif justifiant que l’une ou l’autre de ces conclusions ne soit modifiée. Comme la SPR a raisonnablement conclu que les conditions essentielles permettant de conclure à l’absence de minimum de fondement étaient remplies, je suis convaincu que sa conclusion finale selon laquelle la demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement est raisonnable.

[33] Cela dit, je ferais aussi remarquer que, nulle part dans sa décision, la SPR n’énonce expressément le critère établi pour conclure à l’absence de minimum de fondement ni ne reconnaît qu’une telle conclusion est assortie d’un seuil élevé. Pour ces motifs, je suis convaincu que la SPR a raisonnablement conclu que la demande du demandeur est dénuée d’un minimum de fondement. Néanmoins, dans un souci de transparence et d’intelligibilité, et compte tenu des conséquences graves que revêt une conclusion relative à l’absence de fondement crédible, il aurait été préférable que la SPR énonce le critère applicable dans la décision.

V. CONCLUSION

[34] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie en partie. La conclusion de la SPR selon laquelle la demande est manifestement infondée est annulée. La demande sera par ailleurs rejetée.

[35] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2656-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie.

  2. La conclusion de la SPR selon laquelle la demande est manifestement infondée est annulée.

  3. La demande est par ailleurs rejetée.

  4. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2656-22

 

INTITULÉ :

SATHISHKUMAR ELANGOVAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23MARS 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 OCTOBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sally Thomas

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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