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Date : 20231121


Dossier : T‑1793‑22

Référence : 2023 CF 1538

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2023

En présence de madame la juge Tsimberis

ENTRE :

EXPORTATION ET DÉVELOPPEMENT CANADA

demandeur

et

COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

A. Nature de l’affaire

[1] Exportation et développement Canada (EDC, ou la Société) exerce le présent recours au titre de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 [la LAI] en vue d’obtenir une ordonnance infirmant l’ordonnance par laquelle le commissaire à l’information du Canada [« le commissaire »] a prescrit de communiquer les renseignements caviardés concernant les numéros de police et les montants maximums prévus pour la responsabilité. Ce faisant, le commissaire a conclu que les renseignements caviardés ne sont pas soustraits à la communication, conformément au paragraphe 24.3(1) de Loi sur le développement des exportations, LRC 1985, c E‑20 [la LDE] ou aux articles 18.1 et 24 de la LAI.

[2] La question à trancher en l’espèce consiste à savoir si EDC doit ou peut refuser de communiquer des renseignements conformément au paragraphe 24(1) de la LAI (qui incorpore par renvoi le paragraphe 24.3(1) de la LDE) ou à l’alinéa 18.1(1)b) de la LAI.

[3] Le présent recours dépend de l’interprétation législative des mots « recueillis par », qui figurent au paragraphe 24.3(1) de la LDE (incorporé par renvoi au paragraphe 24(1) de la LAI), et des mots « appartiennent à », qui figurent à l’alinéa 18.1(1)b) de la LAI, dans le but de déterminer si les exceptions s’appliquent. Il s’agit de la première fois que la Cour fédérale examine le paragraphe 24.3(1) de la LDE dans le contexte d’un recours fondé sur l’article 41, et de la première fois qu’un tribunal quelconque interprète l’article 18.1 de la LAI. Le présent recours traite de la manière d’appliquer l’article 18.1 de la LAI aux renseignements relatifs au compte d’un client particulier.

B. Le contexte factuel

[4] EDC est une société d’État établie par la LDE à l’article 3. Selon le paragraphe 10(1) de la LDE, EDC est principalement investie d’une triple mission :

a) de soutenir et de développer, directement ou indirectement, l’activité commerciale intérieure, à la demande du ministre et du ministre des Finances, pour la période qu’ils précisent;

b) de soutenir et de développer, directement ou indirectement, le commerce extérieur du Canada ainsi que la capacité du pays d’y participer et de profiter des débouchés offerts sur le marché international;

c) de fournir, directement ou indirectement, du financement de développement et d’autres formes de soutien du développement, d’une manière compatible avec les priorités du Canada en matière de développement international.

[5] Pour citer les propos de Mme Laura W. Davison, directrice, Protection des renseignements personnels et risques liés à l’information à EDC, [TRADUCTION] « EDC exécute ce mandat en fournissant de l’assurance‑crédit et investissement, du financement à l’exportation, du crédit‑bail et des garanties de prêt et d’obligation, entres autres services » (affidavit de Mme Davison, au paragraphe 8).

[6] EDC est tenue de communiquer certains renseignements, conformément à la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11 et à la LAI. Cela étant, elle dispose d’une Politique sur la transparence et la divulgation [la PTD] (affidavit de Mme Davison à la pièce D).

[7] Les parties ont convenu de façon générale que les faits du présent recours ne sont pas contestés et, plus particulièrement, sur la foi des déclarations de fait qui suivent (aux paragraphes 10‑15 du mémoire des faits et du droit d’EDC).

[8] Le 9 juillet 2019, EDC a reçu une demande de renseignements en vertu de la LAI, datée du 3 juillet 2019. L’auteur de la demande a indiqué ce qui suit :

[traduction]
Veuillez fournir un résumé de toute aide financière d’un montant de plus de 50 000 $ qu’EDC a fournie entre 2009 et 2019 à toute entreprise canadienne exploitant ses activités au Honduras. En particulier, le nom de chaque entreprise, ainsi que le type et le montant de l’aide financière qui lui a été consentie. Pour les prêts, veuillez indiquer quand le remboursement était exigible, ainsi que le moment où il a été fait.

[9] Les dossiers de réponse à la demande de renseignements figurent à la pièce A de l’affidavit de Marc Deschênes. Le dossier en litige se compose d’un tableau énumérant les types de police par acronyme, le numéro de police, le nom du client et le montant maximum pour la responsabilité qui étaient associés aux polices d’assurance d’EDC d’un montant de 50 000 $ (ou plus) au Honduras entre les années 2009‑2019, et ce tableau est présenté en quatre colonnes :

  • a)La première, intitulée [traduction] « Programme », représente le programme d’assurance général auquel appartient la police en question;

  • b)La deuxième, intitulée [traduction] « Police », représente le type et le numéro de la police en question;

  • c)La troisième, intitulée [traduction] « Exportateur », indique le nom du client d’EDC;

  • d)La quatrième, intitulée [traduction] « Responsabilité maximale CAD », indique le montant maximum prévu pour la responsabilité, en dollars canadiens, qui s’applique à chaque police (collectivement, ces renseignements sont appelés les dossiers de réponse).

[10] Le 7 octobre 2019, EDC a écrit à l’auteur de la demande de renseignements pour répondre officiellement à sa demande. Les renseignements recueillis avaient été retranchés, et EDC a signalé que :

[traduction]
[L]es renseignements retranchés n’ont pas été communiqués en vertu des dispositions suivantes de la [LAI] : 18.1(1)b) Exportation et développement Canada; 24(1) Interdictions fondées sur d’autres lois.

[11] Compte tenu de la réponse d’EDC à la demande de renseignements, son auteur a porté plainte auprès du commissaire, ce qui a donné lieu à la tenue d’une enquête sous le régime de la LAI. Le 22 juin 2022, le commissaire a signifié un premier rapport en vertu des alinéas 37(1)a) et b) de la LAI (le rapport initial); ce rapport comportait une ordonnance que le commissaire entendait rendre avec son rapport définitif. Le 20 juillet 2022, Mairead Lavery, présidente et chef de la direction à EDC, a écrit au commissaire, répondant officiellement à la lettre du 22 juin 2022. Dans sa lettre du 20 juillet 2022, EDC a indiqué qu’elle prendrait les mesures suivantes, telles qu’exigées par l’alinéa 37(1)c) :

[traduction]

EDC communiquera les types de police (par acronymes) qui n’ont pas été communiqués en vertu du paragraphe 18.1(1) et/ou du paragraphe 24(1).

EDC ne communiquera pas les numéros de police et les montants maximums prévus pour la responsabilité qui n’ont pas été communiqués en vertu des paragraphes 18.1(1) et/ou du paragraphe 24(1), et sollicitera plutôt une révision, par la Cour fédérale, de l’ordonnance du Commissaire à l’information, relativement à ces renseignements. [Souligné dans l’original.]

[12] Le 22 juillet 2022, le commissaire a produit son rapport définitif, conformément au paragraphe 37(2) de la LAI (le rapport définitif). Ce document comportait des renseignements sur la plainte et sur l’enquête, les conclusions du commissaire ainsi qu’une ordonnance (l’ordonnance) prescrivant à la présidente d’EDC de :

Communiquer les types de police (par acronymes), les numéros de police et les montants maximums prévus pour la responsabilité qui n’ont pas été communiqués en vertu du paragraphe18.1(1) et/ou du paragraphe 24(1).

[13] Selon le rapport définitif, le commissaire a reconnu que l’inclusion de l’identité des clients d’EDC dans les renseignements à communiquer serait une violation de la LDE. Les seuls éléments restants qui sont en litige dans le présent recours sont les numéros de police et les montants maximums prévus pour la responsabilité qui ont été caviardés (les renseignements caviardés). Le commissaire a déclaré :

[31] De prime abord, les types de police, les numéros de police et les montants maximums prévus pour la responsabilité ne sont pas des renseignements recueillis par EDC relativement à ses clients. Ce sont plutôt des renseignements créés par EDC. Concernant ces derniers, bien que je reconnaisse que les montants maximums prévus pour la responsabilité se fondent en partie sur des renseignements recueillis par EDC, ils sont le fruit de décisions prises par EDC à la suite d’une analyse interne des renseignements dont elle dispose et rien n’indique que ces montants reflètent ou révèlent des renseignements directement recueillis par EDC.

II. Les questions en litige

[14] Le présent recours soulève les questions suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer, et à qui incombe le fardeau de la preuve?

  2. EDC a‑t‑elle établi que la communication des renseignements caviardés est restreinte par le paragraphe 24(1) de la LAI et le paragraphe 24.3(1) de la LDE?

  3. EDC a‑t‑elle établi qu’elle était autorisée à exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer les renseignements caviardés en vertu de l’alinéa 18.1(1)b) de la LAI?

  4. Si les renseignements caviardés répondent aux exigences de l’alinéa 18.1(1)b) de la LAI, le responsable d’EDC a‑t‑il exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire en décidant de refuser de communiquer les renseignements caviardés?

III. Survol de la LAI

[15] Avant d’examiner les questions soulevées, et comme l’a fait antérieurement mon collègue, le juge Gleeson, dans la décision Canada (Commissariat à l’information) c Administration Portuaire Toronto, 2016 CF 683, il est utile de faire un survol de l’objet de la LAI, de la jurisprudence interprétant le droit d’accès à des documents, ainsi que du rôle que jouent les exceptions.

(i) L’objet de la LAI

[16] Au paragraphe 2(1) de la LAI, le législateur a établi que « [l]a présente loi a pour objet d’accroître la responsabilité et la transparence des institutions de l’État afin de favoriser une société ouverte et démocratique et de permettre le débat public sur la conduite de ces institutions ».

[17] Dans l’arrêt Merck Frosst Canada Ltée c Canada (Santé), 2012 CSC 3 (CanLII), [2012] 1 RCS 23 aux paragraphes 21‑22 [Merck], le juge Cromwell, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada, a énoncé la jurisprudence de la Cour sur l’objet de la LAI :

[21] La Loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale. Elle repose sur trois principes directeurs : premièrement, le public a droit à la communication des documents de l’administration fédérale; deuxièmement, les exceptions indispensables à ce droit doivent être précises et limitées; troisièmement, les décisions quant à la communication sont susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif (par. 2(1)).

[22] Dans l’arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), 1997 CanLII 358 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 403, par. 61, le juge La Forest (dissident, mais non sur ce point) a souligné que la Loi a pour objet général de favoriser la démocratie et qu’elle réalise cet objet de deux façons : en aidant à garantir, d’une part, que les citoyens possèdent l’information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique, et, d’autre part, que les politiciens et bureaucrates soient véritablement tenus de rendre des comptes à la population. La Cour a répété tout récemment cet objet dans Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23, [2010] 1 R.C.S. 815, où il était question de la loi ontarienne en matière d’accès à l’information. La Cour a relevé au par. 1 que la législation sur l’accès à l’information « peut accroître la transparence du gouvernement, aider le public à se former une opinion éclairée et favoriser une société ouverte et démocratique ». Cette législation vise donc à appuyer l’un des fondements de notre société, à savoir la démocratie. Il faut donner à la législation une interprétation large et téléologique, et tenir dûment compte du par. le paragraphe 4(1), selon lequel on doit appliquer la Loi nonobstant toute autre loi fédérale.

[18] La Cour adopte une interprétation large du droit d’accès que prévoit le paragraphe 4(1) de la LAI parce que celle‑ci « peut être considérée comme une loi de nature quasi constitutionnelle » (Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25 au para 40). La Cour suprême du Canada a déclaré que, bien que l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés ne garantisse pas l’accès à l’information, « [l’]accès est un droit dérivé qui peut intervenir lorsqu’il constitue une condition qui doit nécessairement être réalisée pour qu’il soit possible de s’exprimer de manière significative sur le fonctionnement du gouvernement » (Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23 au para 30 [Criminal Lawyers’ Association]).

(ii) Le droit d’accès et les exceptions

[19] Le paragraphe 4(1) de la LAI prévoit ce qui suit :

Droits d’accès

4 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande :

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[20] La LAI, et plus précisément le paragraphe 4(1), prévoit un large « droit à l’accès en temps utile » (Statham c Société Radio‑Canada, 2010 CAF 315 au para 1 [Statham]) à tout document relevant d’une institution fédérale, sous réserve d’« un certain nombre d’exceptions à la règle générale de divulgation » (Merck, au para 96). C’est donc dire que « [l’]interprétation de l’exception prévue par la Loi doit respecter l’objet de la Loi tel qu’énoncé au paragraphe 2(1), tout en assurant que l’objectif de l’exception est atteint. Le droit du public d’être informé du fonctionnement de l’administration n’est pas un droit absolu. Il doit céder devant les valeurs que les exceptions prévues par la loi veulent protéger » (3430901 Canada Inc c Canada (Ministre de l’Industrie), 1999 CanLII 9066 (CF), [1999] ACF no 1859 au para 44 [Telezone CF]).

[21] Toutefois, le juge Heald de la Cour d’appel fédérale a établi que « [l]orsqu’on se rappelle que le paragraphe 4(1) de la Loi confère aux citoyens canadiens et aux résidents permanents un droit général d’accès et que les exemptions à cette règle doivent être précises et limitées, le législateur a, à mon avis, clairement voulu que les exemptions fassent l’objet d’une interprétation stricte » (Rubin c Canada (Société canadienne d’hypothèques et de logement), 1988 CanLII 5656 (CAF), [1988] ACF no 610 au para 25 [Rubin]). Ces « exemptions » (appelées « exceptions » dans la Loi) se trouvent aux articles 13 à 24 de la LAI et, comme l’a établi la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Merck, au paragraphe 97 :

[97] […] [Elles] peuvent être classées selon qu’il s’agit d’exceptions catégorielles ou d’exceptions visant à éviter un préjudice, et selon qu’elles sont obligatoires ou discrétionnaires. L’exception catégorielle est celle qui s’applique à tous les documents appartenant à la même catégorie. Par contraste, l’exception visant à éviter un préjudice ne s’applique que s’il y a préjudice ou risque de préjudice. Certaines exceptions sont obligatoires : s’il est établi que le document en cause est visé par l’exception, le responsable de l’institution n’aura pas le pouvoir discrétionnaire de décider de le communiquer; il devra refuser de le faire, sous réserve seulement de l’application de l’une ou l’autre des dispositions dérogatoires, tel le par. 20(6). Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas à nous préoccuper de cette question. D’autres exceptions sont discrétionnaires : si l’on conclut au départ que le dossier est visé par l’exception prévue par la loi, le responsable aura le pouvoir discrétionnaire de décider s’il communiquera ou non le document en cause.

[22] L’exception prévue pour les interdictions fondées sur d’autres lois contre la communication de renseignements, qui figure au paragraphe 24(1) de la LAI, est de nature impérative, en ce sens que « [l]e responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la communication est restreinte en vertu d’une disposition figurant à l’annexe II » (Merck, aux para 24, 98).

[23] Par contraste, les exceptions que prévoit le paragraphe 18.1(1) de la LAI sont de nature discrétionnaire :

Intérêts économiques de certaines institutions fédérales

18.1 (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser de communiquer des documents qui contiennent des secrets industriels ou des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques qui appartiennent à l’une ou l’autre des institutions ci‑après et qui sont traités par elle de façon constante comme étant de nature confidentielle :

a) la Société canadienne des postes;

b) Exportation et développement Canada;

c) l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public;

d) VIA Rail Canada Inc.

[24] Dans les affaires mettant en cause l’application de la LAI, il est reconnu que la LAI offre un droit substantiel d’accès aux auteurs d’une demande, à qui l’on doit donner accès, sur demande, à tout document relevant d’une institution fédérale, sous réserve uniquement des exceptions précises et limitées qui sont énoncées dans la LAI.

[25] La communication des renseignements demandés ne peut être refusée que dans des cas précis et limités, et « lorsque deux interprétations sont possibles, la Cour doit, vu l’intention déclarée du législateur, choisir celle qui porte le moins atteinte au droit d’accès du public. C’est seulement de cette façon que la réalisation de l’objet de la Loi est possible » (Rubin, au para 23).

IV. Analyse

A. Quelle est la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer, et à qui incombe le fardeau de la preuve?

[26] Selon l’article 44.1 de la LAI, un recours fondé sur l’article 41 qui découle de la LAI doit être jugé comme une nouvelle affaire.

[27] Cela étant, un recours fondé sur l’article 41 comme en l’espèce, dont la Cour fédérale est saisie, n’est pas une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative; il faut plutôt qu’il soit « entendu […] comme une nouvelle affaire ». Pour ce faire, la Cour joue le rôle d’une cour de première instance pour procéder à un examen nouveau et indépendant de toute l’affaire, ce qui permet aux parties de présenter de nouveaux éléments de preuve, et la Cour peut entendre de nouveaux arguments et tirer ses propres conclusions, et le juge peut ordonner les réparations qu’il estime nécessaires (voir Preventous Collaborative Health v Canada (Health), 2020 CanLII 103848 (CF) au para 21; Canada (Santé) c Preventous Collaborative Health, 2022 CAF 153 au para 14; Merck, aux para 250‑251).

[28] Le paragraphe 48(1) de la LAI impose à l’institution fédérale concernée la charge d’établir le bien‑fondé du refus de communiquer les renseignements caviardés. EDC a donc le fardeau d’établir que les renseignements caviardés, selon le cas :

  • appartiennent à EDC et ont été traités par elle de façon constante comme étant de nature confidentielle, au sens du paragraphe 18.1(1) de la LAI;

  • ont été recueillis par EDC sur ses clients en vertu de l’article 24.3 de la LDE, ce qui limite ainsi leur communication et, par ricochet, autorise EDC à en refuser la communication en vertu du paragraphe 24(1) de la LAI.

[29] Notre Cour doit décider s’il est interdit à EDC de communiquer les documents en vertu du paragraphe 24(1) de la LAI ou si elle est autorisée à refuser de communiquer les renseignements en vertu de l’alinéa 18.1(1)b) de la LAI. Et, s’il est décidé qu’EDC est autorisée à refuser de communiquer les renseignements en vertu de l’alinéa 18.1(1)b), elle doit de plus établir que sa décision discrétionnaire de le faire était raisonnable (Husky Oil Operations Limited c Canada‑Terre‑Neuve‑et‑Labrador des hydrocarbures extracôtiers, 2018 CAF 10 au para 62).

B. EDC a‑t‑elle établi que la communication des renseignements caviardés est restreinte par le paragraphe 24(1) de la LAI et le paragraphe 24.3(1) de la LDE?

[30] Le paragraphe 24(1) de la LAI est une exception impérative qui exige que les institutions fédérales refusent de communiquer des renseignements dont la divulgation est restreinte par une disposition figurant à l’annexe II de la Loi.

[31] L’annexe II de la LAI incorpore par renvoi l’article 24.3 de la LDE, dont le texte est le suivant, en français et en anglais :

Renseignements protégés

24.3 (1) Sous réserve du paragraphe (2), les renseignements recueillis par la Société sur ses clients sont confidentiels et aucun administrateur, dirigeant, mandataire, conseiller, expert ou employé de celle‑ci ne peut sciemment les communiquer ou les laisser communiquer ou y donner accès ou permettre à quiconque d’y donner accès. [...]

Privileged information

24.3 (1) Subject to subsection (2), all information obtained by the Corporation in relation to its customers is privileged and a director, officer, employee or agent of, or adviser or consultant to, the Corporation must not knowingly communicate, disclose or make available the information, or permit it to be communicated, disclosed or made available. [...]

 

[32] Comme il a été mentionné plus tôt, cette question dépend de l’interprétation législative du paragraphe 24.3(1) de la LDE et plus particulièrement des mots « recueillis par ». Selon l’interprétation que fait EDC du paragraphe 24.3(1), les mots « les renseignements recueillis par la Société sur ses clients » sont d’une portée suffisante pour englober tous les renseignements relatifs à un client qui ont été recueillis dans le cadre de la tenue de son compte auprès d’EDC, et cela inclut les renseignements caviardés.

[33] Après examen de la jurisprudence et pour bon nombre des raisons que le commissaire a invoquées à la section C de son mémoire des faits et du droit, la Cour souscrit à l’interprétation que fait le commissaire du paragraphe 24.3(1) de la LDE et à la conclusion selon laquelle EDC a appliqué erronément cette exception pour justifier le refus de communiquer les renseignements caviardés. La Cour résumera et analysera chacune de ces raisons successivement ci‑après et, par souci d’efficacité, elle a emprunté certains passages figurant dans le mémoire des faits et du droit du commissaire.

[34] L’applicabilité du paragraphe 24.3(1) de la LDE dépend de la question de savoir si EDC a établi que les numéros de police et les montants maximums d’assurance sont des renseignements « recueillis par [EDC] sur ses clients », peu importe la preuve d’EDC que c’est elle qui a créé les renseignements.

(1) Les renseignements caviardés en litige ont été créés par EDC

[35] La preuve d’EDC est qu’elle [TRADUCTION] « attribue les numéros de police et les transmet à ses clients. Ces derniers n’ont pas le droit ou la capacité de changer ou de modifier leurs numéros de police. EDC se sert de ces numéros dans le cadre de son système de gestion financière interne, et ils restent en sa possession ou sous son contrôle ».

[36] Pour ce qui est des montants maximums pour la responsabilité, EDC indique qu’elle [TRADUCTION] « est la seule partie qui peut fixer la limite de la police, et le client n’a connaissance de cette limite qu’une fois qu’EDC lui en fait part ». Il s’ensuit qu’EDC crée ces chiffres (les numéros) dans le cadre de ses propres processus et évaluations internes.

[37] Comme c’est EDC qui a créé les renseignements caviardés susmentionnés, ceux‑ci n’auraient pas pu exister antérieurement. Cela étant, les renseignements caviardés n’ont pas été « recueillis par » / « obtained by » EDC de façon à tomber sous le coup de l’article 24.3 de la LDE.

(2) Les mots « recueillis par » selon leur sens grammatical et ordinaire

[38] En anglais, le mot « obtain » est défini comme suit au site Dictionary.com : « to come into possession of; get, acquire, or procure », ce qui dénote qu’il s’agit d’une chose qui « came into possession of » ou que cette chose « gotten or acquired » existait déjà (Collins English Dictionary, sub verbo « obtain », en ligne : www.dictionary.com/browse/obtain). En français, le mot « recueillir » est défini comme suit dans les dictionnaires en ligne Le Larousse et Le Robert : « rassembler des choses », « obtenir pour soi », « recevoir », « acquérir » (Larousse, sub verbo « recueillir », en ligne : dictionnaire.lerobert.com/definition/recueillir; Le Robert Dico en Ligne, sub verbo « recueillir », en ligne : dictionnaire.lerobert.com/definition/recueillir). Là encore, le mot français « recueillir » sous‑entend une fois de plus que les choses qui sont « recueilli[e]s » existaient déjà au moment du « rassemblage ».

[39] Dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54, la Cour suprême du Canada a écrit, au paragraphe 10 :

[…] Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[40] Ni la version anglaise ni la version française du paragraphe 24.3(1) de la LDE n’étayent la position d’EDC selon laquelle des renseignements qu’elle a elle‑même créés, attribués et transmis sont « recueillis par » / « obtained by » elle au sens ordinaire de ces mots et dans le contexte plus large dans lequel ils figurent.

[41] Les mots « recueillis par » / « obtained by » ne peuvent pas être interprétés d’une manière à ce point large pour qu’ils englobent [TRADUCTION] « tous renseignements sur les clients » [traduction] « quelle que soit la façon dont ils sont recueillis, et quelle que soit leur situation par rapport aux clients », comme l’a plaidé EDC (mémoire de A, page 10, paragraphe 28), et cela inclut les renseignements caviardés qui ont été créés, attribués et transmis par EDC. Souscrire à l’interprétation que fait EDC du paragraphe 24.3(1) oblige à interpréter la loi d’une manière qui exclut entièrement les mots « recueillis par », et cela prive essentiellement ces mots de tout leur sens.

[42] Au paragraphe 45 de l’arrêt Placer Dome Canada Ltd. c Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, la Cour suprême du Canada a écrit que « [c]haque mot d’une loi est présumé avoir un sens et jouer un rôle précis dans la réalisation de l’objectif du législateur ». Les tribunaux devraient donc éviter d’adopter des interprétations qui dépouillent une partie d’une loi de tout son sens. Le législateur a donc voulu que les mots « recueillis par » / « obtained by » visent un certain but dans l’interprétation de cette disposition.

[43] Si le législateur avait voulu que le paragraphe 24.3(1) soit interprété de façon à vouloir dire que [TRADUCTION] « tous les renseignements sur ses clients sont protégés », comme le laisse entendre EDC, il aurait pu aisément le faire en omettant les mots « recueillis par la Société » / « obtained by the Corporation » au moment de l’adoption de cette disposition. Mais il ne l’a pas fait; les mots « recueillis par la Société » doivent servir à quelque chose.

(3) Le paragraphe 24.3(1) de la LDE est compatible avec les dispositions de la LAI

[44] En 2007, l’article 24.3 a été ajouté à la LDE et intégré par renvoi au paragraphe 24(1) de la LAI. Ce fait, de pair avec l’introduction de l’alinéa 18.1(1)b) de la LAI, a fait en sorte qu’EDC est devenue assujettie au droit d’accès que prévoit la Loi. Ces modifications faisaient suite à l’adoption du projet de loi C‑2 sous le régime de la Loi fédérale sur la responsabilité, qui a apporté un certain nombre d’autres changements à la LAI.

[45] L’un de ces autres changements a été l’inclusion d’un certain nombre d’exceptions supplémentaires au droit d’accès, dont un grand nombre font une distinction explicite entre les renseignements « recueillis » et les renseignements « créés » par les institutions fédérales assujetties à la LAI (art 16.1(1), 16.2(1), 16.3(1), 16.4(1) et 16.6) .

[46] À titre d’exemple, voici ce qu’on peut lire à l’article 16.1 de la LAI (non souligné dans l’original) :

Documents se rapportant à des examens,

enquêtes ou vérifications

16.1 (1) Sont tenus de refuser de communiquer

les documents qui contiennent des

renseignements créés ou obtenus par eux ou

pour leur compte dans le cadre de tout examen,

enquête ou vérification faits par eux ou sous leur autorité :

a) le vérificateur général du Canada;

b) le commissaire aux langues officielles du

Canada;

c) le Commissaire à 1’information;

d) le Commissaire à la protection de la vie

privée.

Records relating to investigations, examinations and audits

16.1 (1) The following heads of government

institutions shall refuse to disclose any record

requested under this Part that contains information that was obtained or created by them or on their behalf in the course of an investigation, examination or audit conducted by them or under their authority :

(a) the Auditor General of Canada;

(b) the Commissioner of Official Languages for Canada;

(c) the Information Commissioner; and

(d) the Privacy Commissioner.

[47] Comme l’a fait remarquer le commissaire, on ne peut faire abstraction de l’omission, par le législateur, du mot « créés » au paragraphe 24.3(1) de la LDE, alors qu’en même temps il a décidé, aux paragraphes 16.1(1), 16.2(1), 16.3(1) et 16.4(1) de la LAI, de faire distinctement référence aux « renseignements créés ou obtenus par » diverses institutions. Il faudrait considérer que cela veut dire que le législateur entendait limiter ce qui serait interdit de communiquer en vertu du paragraphe 24.3(1).

[48] Cela s’appuie également sur l’inclusion supplémentaire, par le législateur, de l’alinéa 18.1(1)b) à la LAI, qui désigne EDC à titre d’institution fédérale assujettie à la LAI, un point analysé plus en détail ci‑après, où il est question des renseignements qui appartiennent à EDC elle‑même, par contraste avec les renseignements recueillis par EDC sur ses clients.

[49] Les deux dispositions sont importantes, car elles dénotent qu’il y a une distinction dans la manière dont sont traités les propres renseignements d’EDC (art 18.1(1)b) de la LAI) et ceux qu’elle détient sur ses clients (art 24.3(1) de la LDE). Les propres renseignements d’EDC ne peuvent pas tomber automatiquement sous le coup de l’article 24.3 de la LDE.

[50] Une interprétation aussi large de l’article 24.3 de la LDE, si elle était retenue, risquerait de rendre l’alinéa 18.1(1)b) de la LAI redondant et donc vide de sens, et le priverait de sa nature discrétionnaire.

[51] EDC fait valoir que le fait d’attribuer le sens grammatical et ordinaire des mots « recueillis par » / « obtained by » EDC sur ses clients au paragraphe 24.3(1) de la LDE rendrait superflu l’alinéa 20(1)b) de la LAI. Les mots « renseignements […] fournis à une institution fédérale par un tiers » (c’est ce qu’on peut lire à l’alinéa 20(1)b) de la LAI) exigent que ces renseignements soient fournis par le tiers à une institution gouvernementale.

[52] La Cour est convaincue d’après la preuve que l’interprétation correcte des mots « sur ses clients » doit vouloir dire les renseignements qui viennent des clients d’EDC ou qui les concernent. Comme l’a déclaré le président et chef de la direction d’EDC à l’époque, Rob Wright, devant le Comité parlementaire au moment de la revue et de l’examen du projet de loi C‑2 (lequel a mené à l’introduction de l’article 24.3 de la LDE) le 10 mai 2006 : « [l’]article 24 nous oblige – en fait, nous dérogerions à la Loi sur l’expansion des exportations [aujourd’hui la Loi sur le développement des exportations] si nous divulguions de l’information que nous recevons de nos clients, et au sujet de nos clients, au point de risquer de nuire à leurs intérêts commerciaux ».

[53] De plus, le passage « les renseignements recueillis par EDC sur ses clients » englobe non seulement les renseignements qui émanent de ses clients ou que ceux‑ci lui fournissent, mais aussi ceux qu’EDC obtient sur ses clients d’un tiers. Chaque disposition prévoit un critère différent pour justifier son application.

[54] Il a été conclu antérieurement que, si les renseignements sont le résultat d’une négociation entre les parties, on ne peut pas dire qu’ils ont été « fournis à une institution fédérale » (Société canadienne des postes c Commission de la capitale nationale, 2002 CFPI 700 [Postes Canada] au para 14, citant la décision Halifax Development Ltd v Canada (Minister of Public Works & Government Services), 1994 CarswellNat 3178, [1994] ACF no 2035 au para 3). En fait, conclure autrement soustrairait essentiellement à la communication chaque contrat négocié avec une institution fédérale, et le public n’aurait pas accès à ces renseignements.

[55] Logiquement, si les renseignements qui découlent de négociations entre les parties ne sont pas « fournis à » EDC pour l’application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI, les renseignements nouvellement créés, qui ne reposent qu’en partie sur les renseignements concernant les clients, ne pourraient pas non plus être « recueillis par » EDC pour l’application du paragraphe 24.3(1) de la LDE. Selon mon interprétation, les mots « fournis à », à l’alinéa 20(1)b) de la LAI, et « recueillis par », au paragraphe 24.3(1) de la LDE, sont synonymes pour cette raison.

[56] En conséquence, comme c’est le cas pour de nombreuses exceptions au droit d’accès que prévoit la LAI, bien qu’il puisse y avoir un certain chevauchement dans la portée du paragraphe 24.3(1) et du paragraphe 20(1), cette double portée n’est pas parallèle au point de justifier l’inclusion des mots « créés par » EDC au paragraphe 24.3(1) de la LDE.

(4) Le paragraphe 24.3(1) n’est pas une codification du devoir du secret professionnel du banquier qu’impose la common law

[57] EDC n’a fourni à la Cour aucune source législative à l’appui de son argument selon lequel le paragraphe 24.3(1) de la LDE témoigne d’une intention de codifier le devoir du secret professionnel du banquier qu’impose la common law. Aux paragraphes 27 à 30 de son mémoire, EDC fait valoir que l’article 24.3 de la LDE devrait accorder aux renseignements relatifs aux clients, [TRADUCTION] « quelle que soit la manière dont ils sont recueillis » par elle, le même genre et le même degré de protection que ceux qu’offre le paragraphe 37(1) de la Loi sur la Banque de développement du Canada (la LBDC).

[58] Il ne ressort pas du témoignage de M. Wright d’EDC, que le paragraphe 24.3(1) entendait protéger de manière globale tous les renseignements placés sous le contrôle d’EDC, indépendamment de la question de savoir s’ils étaient créés par EDC et ne révéleraient aucun renseignement commercial confidentiel sur les clients.

[59] Le témoignage de M. Wright a trait à la protection, par la disposition proposée, des renseignements commerciaux confidentiels recueillis des clients d’EDC. Selon M. Wright : « [l’article 24.3 proposé continuerait] […] de protéger des renseignements commerciaux confidentiels de nos clients contre leur publication » et qu’une disposition analogue de la LBDC a « […] réussi [pour la Banque de développement du Canada] à protéger l’information que fournissent [ses] clients […] ». Il a parlé du besoin qu’EDC obtienne « beaucoup de renseignements commerciaux confidentiels de nos clients […] » afin de pouvoir fournir ses services et a prévenu qu’à moins qu’EDC puisse garantir à ses clients qu’il protégera « l’information [qui lui est fournie] en toute confidentialité », 60 % du travail qu’accomplit EDC avec des partenaires à l’étranger n’aura pas lieu.

[60] De plus, je conviens avec le commissaire que les commentaires du ministre Baird ne traitent pas d’un élargissement de la portée de l’article 24.3 en vue d’inclure le devoir du secret professionnel du banquier qu’impose la common law, comme il est allégué dans les observations d’EDC. Ses commentaires traitent du fait qu’il ne faudrait pas que les exportateurs canadiens se heurtent à des obstacles en matière de compétitivité sur la scène mondiale parce que leurs renseignements sont assujettis à la LAI, mais ils ne soutiennent pas l’argument d’EDC selon lequel les renseignements en litige étaient conçus pour tomber sous le coup de l’article 24.3. À cet égard, les observations qu’EDC a soumises à la Cour n’expliquent pas de quelle façon la divulgation des numéros de police et des montants maximums pour la responsabilité qui sont exclusivement attribués et transmis par EDC au sujet de clients non identifiés créerait pour les exportateurs canadiens des obstacles en matière de compétitivité sur la scène mondiale.

[61] Le fait qu’EDC invoque la décision Re Application by Export Development Canada, 2016 ONCJ 74 [le renvoi d’EDC] de la Cour de justice de l’Ontario n’appuie pas non plus son interprétation large du paragraphe 24.3(1) ou l’applicabilité du devoir du secret professionnel du banquier qu’impose la common law. Même si, dans cette décision, la Cour a fait renvoi à l’historique législatif de l’article 24.3, ces références n’étayent pas l’argument selon lequel cette disposition était conçue pour élargir le sens ordinaire des mots « recueillis par ». Au contraire, le renvoi d’EDC ne formule aucune opinion sur le sens de cette formulation particulière.

[62] Le renvoi d’EDC avait trait à la question de savoir si le paragraphe 24.3(1) de la LDE évitait à EDC de se conformer à une ordonnance de production rendue par la Cour de justice de l’Ontario dans le cadre d’une enquête de la GRC. La Cour a déclaré que le paragraphe 24.3(2) de la LDE plaçait EDC dans la même situation que n’importe quelle autre institution financière vis‑à‑vis de son obligation de se conformer à une ordonnance judiciaire valablement rendue. Nulle part dans cette décision la Cour fait‑elle mention du devoir du secret professionnel du banquier qu’impose la common law, et encore moins laisse‑t‑elle entendre que le paragraphe 24.3(1) était destiné à protéger globalement tous les renseignements concernant de quelque manière les clients d’EDC, peu importe que ces renseignements aient été créés par EDC et ne révèlent aucun renseignement commercial confidentiel sur les clients.

[63] De plus, la jurisprudence relative au paragraphe 37(1) de la LBDC qu’invoque EDC, et dont le libellé est semblable à celui de l’article 24.3, n’étaye pas son interprétation large. Dans la décision Agence du revenu du Québec c Banque de développement du Canada, 2013 QCCQ 5202 [Agence du revenu], la Banque défenderesse, se fondant sur le paragraphe 37(1) de la LBDC, refusait de produire l’intégralité des documents que cherchait à obtenir l’Agence demanderesse :

Tous les documents concernant la cause # 700‑22‑025767‑111 centre [sic] Pompe à béton Pierre Pilon inc. et Pierre Pilon, dont un jugement a été accordé en faveur de la Banque de Développement du Canada le 2012‑02‑20 pour une somme de 51 946,37 $. Ainsi que tous les documents liés à la saisie et à la vente des actifs de la société, dont la liste des actifs et 1’état des débours.

[64] Le commissaire a raison de dire que la Cour du Québec a ordonné la production de ces documents, concluant que les renseignements n’avaient pas été recueillis par la Banque sur son client, mais plutôt qu’ils tombaient sous le coup de procédures d’exécution d’un jugement contre un débiteur, dans le cadre desquelles la Banque avait eu gain de cause contre son client.

[65] Même si les renseignements se rapportaient clairement à un client en particulier, la Cour du Québec a conclu qu’il ne s’agissait pas de renseignements recueillis par la Banque sur son client. L’affaire Agence du revenu montre qu’il y a des limites à ce que l’article 37 de la LBDC englobe réellement, ce qui ne cadre pas avec l’argument d’EDC selon lequel l’article 24.3 s’applique de la même façon à [TRADUCTION] « tous les renseignements relatifs à un client qui ont été recueillis dans le cadre de la tenue de son compte ».

[66] Enfin, l’argument d’EDC selon lequel le paragraphe 24.3(1) de la LDE exige qu’elle protège tout renseignement qu’elle recueille sur ses clients dans le cadre de la [TRADUCTION] « tenue de ses comptes », est également difficile à concilier avec la Politique d’EDC, qui décrit divers types de renseignements associés à la [TRADUCTION] « tenue de ses comptes » qu’EDC divulguera. Aux termes de la section 3.5.2 de cette Politique, cela consiste à faire rapport sur « l’information sur toutes les transactions de financement individuelles faisant l’objet d’un contrat » dans la catégorie de l’« assurance risques politiques (aux prêteurs) », ce qui fait partie des renseignements qui sont en litige dans le présent recours.

(5) Conclusion

[67] Je conviens avec le commissaire que le paragraphe 24.3(1) ne peut pas être interprété comme incluant les documents créés par EDC. S’il s’agissait là de l’intention du législateur, le mot « créés » apparaîtrait dans ce paragraphe. Quoi qu’il en soit, même si la Cour disposait de deux interprétations différentes, comme il est mentionné dans la décision Rubin au paragraphe 23 il me faut considérer que le paragraphe 24.3(1) ne porte pas atteinte au droit d’accès du public aux renseignements.

[68] En fait, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Macdonell c Québec (Commission d’accès à l’information), 2022 CSC 71, a cité au paragraphe 18 la décision Rubin pour dire :

Il importe de souligner que cela ne signifie pas que la Cour doit remanier les exceptions prévues par la Loi afin de créer des exceptions plus limitées. Un tribunal doit toujours travailler avec le libellé qui lui a été soumis. Si le sens est manifeste, il n’appartient pas à la Cour ou à un autre tribunal de le modifier.

[69] Pour les besoins du présent contexte, la Cour interprète les mots « renseignements recueillis par la Société sur ses clients » comme étant les [TRADUCTION] « renseignements sur un client d’EDC qui sont recueillis par EDC ou fournis à elle ». Les renseignements que crée EDC ne peuvent pas être recueillis par EDC ou fournis à elle, et ils sont donc exclus de la portée de l’article 24.3. EDC ne peut pas se fonder sur cet article pour ce qui est des renseignements caviardés.

C. EDC a‑t‑elle établi qu’elle était autorisée à exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer les renseignements caviardés en vertu de l’alinéa 18.1(1)b) de la LAI?

(1) Interprétation

[70] Je signale que l’alinéa 18.1(1)b) de la LAI n’a jamais été interprété par un tribunal quelconque, mais il convient d’attirer l’attention sur les similitudes de forme et de fonction frappantes entre les alinéas 18.1(1)b) et 20(1)a) et b) de la LAI. Le texte des alinéas 20(1)a) et b), présenté sous la forme d’un seul bloc, est le suivant :

Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant des secrets industriels de tiers, des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers; […]

[71] Lorsqu’on lit ces deux dispositions en parallèle, on ne relève que deux différences essentielles. Premièrement, l’article 18.1 est de nature permissive tandis que le paragraphe 20(1) est de nature impérative. Deuxièmement, l’article 18.1 s’applique aux renseignements qui appartiennent aux institutions énumérées, tandis que le paragraphe 20(1) s’applique aux renseignements fournis à une institution fédérale par un tiers. Pour illustrer ce point, consulter les versions condensées des deux dispositions 18.1 et 20(1) ci‑après, dans lesquelles certains éléments sont soulignés et les éléments communs sont en italiques :

Intérêts économiques de certaines institutions fédérales

18.1 (1) : Le responsable d’une institution fédérale peut refuser de communiquer des documents qui contiennent des secrets industriels ou des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques qui appartiennent à l’une ou l’autre des institutions ci‑après et qui sont traités par elle de façon constante comme étant de nature confidentielle […]

 

Renseignements de tiers

20 (1) : Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant des secrets industriels de tiers; des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante […]

[72] Gardant ces deux réserves à l’esprit, la teneur des renseignements qui devraient être visés par les deux dispositions (secrets industriels ou renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques) est la même, tout comme leur traitement (traités de façon constante comme état de nature confidentielle).

[73] Vu les similitudes frappantes entre l’article 18.1 et les alinéas 20(1)a) et b) de la LAI, de même que le caractère inédit de la présente analyse, si l’on veut formuler un critère pour l’application de l’article 18.1 le point de départ logique est le critère qui s’applique à l’alinéa 20(1)b), lequel exige que l’on satisfasse aux quatre éléments qui suivent :

  1. il s’agit de renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques, selon le sens courant de ces termes;

  2. ils sont de nature confidentielle, suivant un critère objectif qui tient compte du contenu des renseignements, de leurs objets et des conditions dans lesquelles ils ont été préparés et communiqués;

  3. ils sont fournis à une institution fédérale par un tiers;

  4. ils sont traités d’une manière confidentielle de façon constante par ce tiers.

Canada (Commissariat à l’information) c Calian Ltd, 2017 CAF 135 [Calian] au para 51, citant Air Atonabee Ltd c Canada (Ministre des Transports), [1989] ACF no 453 au para 34 [Air Atonabee], résumé dans St. Joseph Corp c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2002 CFPI 274 au para 41 [St‑Joseph].

[74] Comme cela a été fait dans la foule d’affaires qui ont suivi la décision Air Atonabee, il est obligatoire de satisfaire aux quatre éléments pour qu’une institution fédérale invoque l’alinéa 20(1)b) de la LAI pour refuser de divulguer des renseignements (voir, par exemple, Postes Canada, au para 10).

[75] Étant donné qu’il n’existe aucune interprétation antérieure de l’article 18.1 de la LAI, la présente analyse doit revêtir la forme d’un nouvel exercice d’interprétation législative. Cela veut dire que la Cour doit tenir compte de la méthode moderne d’interprétation législative, que le juge Martin de la Cour suprême du Canada a décrite en ces termes :

Cette analyse, qui s’intéresse à l’intention du législateur, est guidée par les mots que le législateur a choisi d’employer, par la façon dont il souhaitait atteindre ses objectifs et par le régime qu’il a mis en place. Selon la méthode moderne d’interprétation législative, le sens des mots et expressions est interprété en contexte et eu égard à l’économie de la loi dans laquelle ils sont employés. De plus, le législateur est présumé vouloir que les dispositions qu’il adopte soient interprétées de façon harmonieuse et qu’elles soient interprétées et appliquées de manière à former un tout cohérent qui respecte les multiples objectifs du législateur et donne un objet et un sens à chacune d’elles. Dans la présente affaire, où le litige concerne de multiples objets de la loi et l’interaction entre au moins deux dispositions législatives, l’économie de la loi et les objectifs qui sous‑tendent chacune des dispositions applicables revêtent une importance particulière.

R c Rafilovich, 2019 CSC 51 au para 20, citant Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 RCS 27, au para 21, et ATCO Gas & Pipelines Ltd c Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4 au para 48.

[76] Outre les mots, les expressions, l’intention et l’économie de la disposition, le titre de cette dernière en fait partie aussi et peut servir à l’interpréter (Pierre‑André Côté, The Interpretation of Legislation in Canada, 4e éd., à la p 63, citant O’Connor v Nova Scotia Telephone Co (1893), 22 RCS 276 aux p 292‑293).

[77] Le titre de l’article 18.1 de la LAI est « Intérêts économiques de certaines institutions fédérales », ce qui est différent du titre de l’article 20 « Renseignements de tiers » et de l’article 24.3 de la LDE « Renseignements protégés ». Il est peut‑être évident que l’article 20 de la LAI et l’article 24.3 de la LDE ont expressément trait à la protection des renseignements de nature confidentielle qui sont recueillis par EDC ou fournis à elle, mais le titre de l’article 18.1 de la LAI donne fortement à penser que cette disposition vise à protéger les intérêts économiques d’EDC. Cela amène à se demander quels sont ses intérêts économiques.

[78] L’article 18 de la LAI est intitulé « Intérêts économiques du Canada », et ce titre a été interprété en première instance dans la décision Calian, où le juge Brown a statué que rien ne permettait d’arriver à la conclusion que la divulgation demandée « a) nuis[ait] à la compétitivité d’une institution gouvernementale ou b) entrav[ait] des négociations menées par une institution gouvernementale en vue de contrats ou à d’autres fins » (Calian Ltd c Canada (Procureur général), 2015 CF 1392 au para 112). Il est possible d’extrapoler de cette conclusion négative que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’une demande de divulgation qui mettrait en cause des intérêts économiques nuise à la compétitivité de l’entité ou entrave des négociations contractuelles ou d’autre nature.

[79] Comme il a déjà été mentionné plus tôt, le paragraphe 10(1) de la LDE indique qu’EDC a pour mission :

  • a)de soutenir et de développer, directement ou indirectement, l’activité commerciale intérieure, à la demande du ministre et du ministre des Finances, pour la période qu’ils précisent;

  • b)de soutenir et de développer, directement ou indirectement, le commerce extérieur du Canada ainsi que la capacité du pays d’y participer et de profiter des débouchés offerts sur le marché international;

  • c)de fournir, directement ou indirectement, du financement de développement et d’autres formes de soutien du développement, d’une manière compatible avec les priorités du Canada en matière de développement international.

[80] Cette triple mission est complétée par une directive donnée au paragraphe 10(1.02) de la LDE, qui exige qu’EDC exerce sa mission « de manière à complémenter l’offre de produits et services disponibles auprès des institutions financières commerciales et des fournisseurs d’assurance commerciaux ».

[81] À la lecture de la mission d’EDC et de la manière dont celle‑ci en exécute les trois éléments, il est évident que les intérêts économiques d’EDC doivent être liés à sa compétitivité ou à ses négociations contractuelles ou d’autre nature, relativement à la complémentarité de l’offre de produits et de services disponibles auprès des institutions financières commerciales et des fournisseurs d’assurance commerciaux, et ce, d’une manière qui soutient ou développe, directement ou indirectement :

  • A.l’activité commerciale intérieure à la demande du ministre et du ministre des Finances;

  • B.le commerce extérieur du Canada ainsi que la capacité du pays d’y participer tout en profitant des débouchés offerts sur le marché international;

  • C.du financement de développement et d’autres formes de soutien du développement, d’une manière compatible avec les priorités du Canada en matière de développement international.

[82] Pour que des renseignements soient visés par l’article 18.1 de la LAI, il faut qu’il y ait un lien raisonnable entre les renseignements demandés et les intérêts économiques d’EDC, comme il est souligné ci‑dessus. Sans un tel lien, les renseignements demandés ne tomberaient pas sous le coup de cette disposition.

[83] En apportant les modifications nécessaires au critère énoncé dans la décision Calian en vue d’en établir un pour l’article 18.1, les quatre éléments auxquels il est nécessaire de satisfaire pour qu’une société d’État puisse exercer comme il faut son pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer des documents en vertu de l’article 18.1 de la LAI sont les suivants :

  • 1.des secrets industriels ou les renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques, au sens courant de ces termes;

  • 2.pour lesquels il existe un lien raisonnable entre les renseignements demandés et les intérêts économiques de la Société;

  • 3.qui appartiennent à l’une des sociétés énumérées au paragraphe 18.1(1);

  • 4.qui ont été traités de manière constante comme confidentiels.

[84] À l’instar du critère qui s’applique à l’alinéa 20(1)b), la structure et le libellé de l’article 18.1 donnent à penser que le fait de ne pas satisfaire à l’un de ces éléments empêcherait EDC de se fonder sur l’article 18.1 pour exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser de communiquer des renseignements.

(2) Les renseignements commerciaux

[85] La Cour convient avec les deux parties que les renseignements caviardés qui sont en litige sont de nature commerciale.

(3) L’existence d’un lien raisonnable avec les intérêts économiques d’EDC

[86] Dans sa Politique, à la section 3.5.4 intitulée « Traitement des renseignements confidentiels sur les transactions », EDC énumère trois types de renseignements qui sont liés à sa compétitivité commerciale :

  • A.Information dont la divulgation pourrait être préjudiciable aux intérêts économiques du Canada.

  • B.Comptes rendus officiels, délibérations et dossiers du Conseil d’administration d’EDC et de ses comités, y compris les documents et présentations créés à leur intention.

  • C.Information financière, commerciale ou exclusive dont la divulgation pourrait nuire aux activités d’EDC sur le marché financier ou le marché des capitaux, ou à laquelle ces marchés pourraient être sensibles, ou dont la divulgation pourrait nuire à la position concurrentielle d’EDC.

[87] Ces catégories, bien qu’elles aient été conçues par EDC à des fins internes telles que sa Politique, donnent un aperçu du genre de renseignements que traite EDC et qu’elle considère comme liés à ses intérêts économiques.

[88] Les renseignements indiqués au point A correspondraient entièrement aux renseignements définis qui touchent les intérêts économiques du Canada, au sens de l’article 18.1 de la LAI.

[89] Le point B, qui englobe les documents, les comptes rendus officiels, les délibérations et les dossiers du Conseil d’administration d’EDC et de ses comités, y compris ceux créés à leur intention sont vraisemblablement de nature hautement confidentielle et d’une grande portée, ce qui inclurait tous les types de renseignements dont dispose EDC. Les renseignements dont il est question au point B auraient donc un lien raisonnable avec ses intérêts économiques.

[90] Le point C requiert une certaine interprétation. Les renseignements financiers, commerciaux ou exclusifs sont d’une grande portée pour une institution qui s’occupe presque uniquement de produits financiers, d’entreprises et de renseignements exclusifs. La mise en garde qui s’impose à l’égard de ces termes généraux est qu’EDC semble indiquer que ces renseignements seraient visés si l’on [traduction] « pouvait prouver qu’ils nuisent aux activités d’EDC sur le marché financier ou le marché des capitaux, qu’ils pourraient être sensibles pour ces marchés, ou qu’ils pourraient nuire à la compétitivité d’EDC ». Cette mise en garde est, elle aussi, large et vague. Cependant, M. Wright a donné un aperçu de la portée de l’article 18.1 qui devrait éclairer le sens véritable du point C :

[traduction]
Je pense que [l’article 24 de la LDE] et [l’article 18.1 de la LAI] reconnaissent que nous avons en place des systèmes commerciaux pour évaluer les risques, fixer nos prix et évaluer des marchés différents. Là encore, cela permet à [EDC] d’offrir pour ces systèmes des protections supplémentaires.

[91] Un autre exemple de ce qui devrait être protégé par l’article 18.1 de la LAI a été donné au Sénat lors d’une réunion d’un comité tenue le 21 septembre 2006 :

[…] le nouvel article 18.1 de la [LAI] entérinera la nécessité pour EDC de protéger ses documents concernant des secrets commerciaux et des informations financières, commerciales, scientifiques et techniques.

Permettez‑moi de vous donner un exemple. À titre d’assureur important des créances d’exportateurs canadiens de toutes tailles, Exportation et développement Canada [EDC] a mis au point ses propres systèmes d’évaluation et de cotation des risques de crédit de milliers d’acheteurs internationaux. Ces systèmes sont le moteur dont dépendent les exportateurs pour obtenir des décisions opportunes d’EDC et que nous utilisons pour gérer des milliards de dollars d’exposition aux risques. Ils font partie intégrante de notre arsenal compétitif et, en fin de compte, de celui des exportateurs canadiens. Si ce système, avec ses processus et les informations utilisées pour analyser le risque, n’était pas protégé, EDC aurait immédiatement du mal à continuer ses activités.
[Non souligné dans l’original.]

[92] À l’évidence, l’article 18.1 de la LAI n’a pas été conçu pour mettre toute forme de renseignements à l’abri du regard du public. En fait, il semble que, contrairement à l’article 24.3 de la LDE, l’article 18.1 de la LAI ne concerne aucunement les renseignements relatifs aux clients. Cette disposition a pour objet de protéger les systèmes commerciaux qu’EDC met au point et dont elle se sert dans sa quête des intérêts économiques susmentionnés, de même que les renseignements qui sont utilisés pour créer et administrer ces systèmes commerciaux.

[93] Pour préciser la ligne de démarcation entre ces dispositions, la Cour croit comprendre que le processus d’information d’EDC et le flux de ses renseignements sont qu’EDC obtenait sur ses clients des renseignements, qui étaient protégés en vertu de l’article 24.3 de la LDE. Ces renseignements étaient « alimentés » dans les systèmes exclusifs d’EDC, lesquels étaient créés et tenus à jour à l’aide de renseignements en vue d’évaluer les risques, de fixer des prix et d’évaluer des marchés, des renseignements qui tomberaient tous sous le coup de l’article 18.1 de la LAI. Les « extrants » de ce processus (p. ex., les montants maximums pour la responsabilité), c’est‑à‑dire le résultat de l’« alimentation » dans les systèmes exclusifs d’EDC de renseignements sur les clients recueillis par EDC, ne relèveraient d’aucune de ces deux dispositions, sauf si EDC pouvait établir, dans le cadre d’une contestation comme la présente, que les renseignements en litige pourraient révéler les renseignements bruts sur les clients ou les systèmes eux‑mêmes.

[94] Les renseignements caviardés, formés de numéros de police et de montants maximums pour la responsabilité, sont des « extrants » des systèmes exclusifs d’EDC. Dans l’affidavit de Marc Deschênes, une explication des méthodes d’EDC est fournie – et je ne m’étendrai pas sur elle – mais les systèmes comme ceux‑là sont la portée prévue de l’article 18.1 de la LAI. Ils font partie intégrante de la capacité d’EDC d’exécuter sa mission et ils ont donc un lien raisonnable avec ses intérêts économiques. Dans le contexte des montants maximums pour la responsabilité, à moins qu’EDC puisse démontrer que ces systèmes peuvent être décompilés et divulgués simplement par la révélation des résultats obtenus par eux, ses intérêts économiques ne sont pas mis en danger juste parce que le montant maximum pour la responsabilité a été divulgué. J’ai passé en revue l’affidavit de Marc Deschênes, et la communication des numéros de police et des montants maximums pour la responsabilité ne révélera pas les systèmes exclusifs ou les autres renseignements confidentiels d’EDC. Pour ces raisons, les renseignements caviardés n’ont aucun lien avec les intérêts économiques d’EDC et ne peuvent pas être protégés en vertu de l’article 18.1 de la LAI.

(4) L’appartenance à EDC

[95] Les mots « qui appartiennent à », à l’article 18.1, n’ont jamais été interprétés et même si la Cour a été orientée vers des interprétations de ce passage dans d’autres contextes et en lien avec d’autres lois, notre Cour est d’avis que la nature des renseignements « qui appartiennent à » une institution fédérale particulière nécessite une analyse factuelle et qu’ils devraient être examinés dans le contexte de chaque affaire qui parvient devant les tribunaux. Il faut dire toutefois que les mots « qui appartiennent à » dénotent qu’il y a un droit de propriété sur les renseignements en question. Dans le contexte de la LAI, et surtout de l’article 18.1, qui ne fait état que de quatre institutions précises dans un effort pour protéger leurs intérêts économiques, la Cour doit interpréter ce droit de propriété comme étant « exclusif ».

[96] En l’espèce, la preuve d’EDC est que les renseignements caviardés ont été créés exclusivement par elle lors de l’alimentation dans l’un de ses systèmes exclusifs de renseignements sur les clients. Comme EDC a elle‑même créé les renseignements caviardés, il s’agit là d’un cas évident où le droit de propriété d’EDC sur des renseignements caviardés nouvellement créés est établi. EDC a créé elle‑même les renseignements caviardés en se servant de ses systèmes exclusifs, et de ce fait, ces renseignements « appartiennent à » elle. Pour ces raisons, les renseignements caviardés sont la propriété d’EDC et répondent à ce critère de l’article 18.1 de la LAI.

(5) Ont été traités de façon constante comme étant de nature confidentielle

[97] La preuve d’EDC sur la manière dont elle traite les renseignements caviardés révèle que ces renseignements s’inscrivent dans le second volet important de ses activités (les assurances) et elle présente en détail les services financiers applicables (en l’espèce : assurance risques politiques, assurance‑caution de bonne fin, garantie‑caution de bonne fin ou assurance frustration de contrat), ainsi que le plafond de garantie accordé (affidavit de Mme Davison, au paragraphe 10).

[98] EDC laisse entendre qu’il ressort de la section 3.5.4 de sa Politique qu’elle traite de façon constante les renseignements comme étant confidentiels. La section 3.5.4, intitulée « Traitement des renseignements confidentiels sur les transactions » énumère notamment deux types de renseignements confidentiels sur les clients :

  • A.Information financière, commerciale ou exclusive, propriété intellectuelle ou autre information à caractère privé qui a été communiquée à EDC sous le sceau de la confidentialité;

  • B.Information financière, commerciale ou exclusive d’un tiers qui ne peut être publiée sans sa permission;

et, notamment, les renseignements d’EDC confidentiels qui suivent :

C. Information financière, commerciale ou exclusive dont la divulgation pourrait nuire aux activités d’EDC sur le marché financier ou le marché des capitaux, ou à laquelle ces marchés pourraient être sensibles, ou dont la divulgation pourrait nuire à la position concurrentielle d’EDC.

[99] Avant d’entreprendre l’analyse du reste des éléments de preuve produits, il convient de signaler que la section 3.5.4 de la Politique d’EDC semble ne pas s’appliquer aux renseignements demandés qui sont en litige, et ce, pour la même raison qu’EDC ne peut pas invoquer le paragraphe 24.3(1) de la LDE. Les renseignements demandés n’ont pas été communiqués à EDC et il ne s’agissait pas de renseignements financiers ou commerciaux ou d’autres renseignements exclusifs de tiers; en fait, de son propre aveu, EDC a créé les renseignements demandés, de sorte que les renseignements du type A et du type B qui précèdent ne s’appliquent pas. Le type B ou le type C ne s’appliquerait pas non plus aux renseignements découlant d’échanges ou de négociations avec des tiers, y compris des clients, sauf si EDC peut montrer effectivement que tous ces renseignements pourraient nuire aux tiers, aux activités d’EDC au sein des marchés financiers ou de capitaux ou à la compétitivité d’EDC.

[100] Comble de malheur pour EDC, la section 3.5.2 de la même Politique, intitulée « Divulgation d’information sur les transactions individuelles », autorise expressément EDC à communiquer des renseignements sur toutes les « transactions de financement individuelles faisant l’objet d’un contrat » liées à l’« assurance risques politiques », qui constitue l’un des services financiers applicables auxquels appartiennent les renseignements caviardés (affidavit de Mme Davison, au paragraphe 10). Plus précisément, la section 3.5.2 autorise à divulguer, notamment, le nom de l’entreprise canadienne bénéficiant du soutien financier d’EDC, le pays de destination du soutien, une description de la transaction commerciale et une série de fourchettes dans lesquelles tombe le montant du soutien financier d’EDC. Le commissaire signale à juste titre que le simple fait de suivre cette politique permettrait à EDC de divulguer au moins la majeure partie des renseignements demandés, relativement aux polices d’assurance risques politiques. Cela étant, la section 3.5.2 de la Politique contredirait l’argument d’EDC selon lequel [TRADUCTION] « il n’existe aucune preuve devant la Cour que les renseignements contestés qui se rapportent à des comptes de clients ont été divulgués par EDC, contrairement à sa propre politique ».

[101] EDC n’est pas non plus parvenue à montrer qu’il se pourrait que les renseignements nuisent aux marchés financiers ou de capitaux ou à sa compétitivité. Elle soutient que l’on [TRADUCTION] « pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle subisse un préjudice considérable sur le plan de sa situation financière et de sa réputation » en communiquant les renseignements caviardés (mémoire de A, au paragraphe 80). Le seul argument à l’appui de cette croyance est qu’il [TRADUCTION] « est possible que des clients ne fassent pas affaire avec EDC si elle n’est pas en mesure d’offrir une assurance capable de protéger les renseignements financiers qui sont en sa possession » (mémoire de A, au paragraphe 80).

[102] La Cour ne considère pas cela comme raisonnable; les clients d’EDC s’attendraient à ce que celle‑ci suive ses propres politiques, y compris la Politique, qui permet expressément de divulguer des renseignements sur les clients d’EDC. EDC semble faire valoir que le fait de se conformer à sa propre Politique causerait un préjudice considérable sur le plan de sa situation financière et de sa réputation, et il s’agit là d’une thèse à laquelle la Cour ne peut souscrire. Du propre aveu d’EDC, la section 3.5.4 de la Politique peut ne pas s’appliquer aux renseignements demandés, la section 3.5.4 de la Politique, telle qu’elle est rédigée à l’heure actuelle, ne pourrait pas s’appliquer aux renseignements créés par EDC, et la section 3.5.2 de la Politique permet expressément de divulguer des renseignements sur des transactions individuelles dans ce volet d’activités d’EDC. De plus, EDC n’a pas réussi à prouver que le fait de se conformer à la demande du commissaire et à sa propre Politique pourrait causer un préjudice quelconque sur le plan de ses finances ou de sa réputation, et encore moins nuire potentiellement à ses activités au sein des marchés financiers ou de capitaux, une situation à laquelle ces marchés peuvent être sensibles, ou que cela pourrait nuire à sa compétitivité. À l’instar de ce qu’a déclaré l’honorable juge Kelen dans la décision Postes Canada au paragraphe 19, je « [me] serai[s] attendue à ce que (EDC) ait conclu une entente de confidentialité afin de protéger la communication de renseignements financiers qui risqueraient vraisemblablement d’occasionner des pertes financières ou de causer un préjudice à sa compétitivité ».

[103] Dans la décision Calian, rendue en première instance et confirmée par la Cour d’appel fédérale, le juge saisi de la demande a conclu qu’étant donné qu’un tiers avait compris que des renseignements fournis à une institution fédérale pourraient être partagés avec d’autres ministères fédéraux en raison d’une clause de divulgation restreinte, ce tiers n’avait pas établi que les renseignements étaient traités de façon constante comme étant confidentiels (voir Calian, aux para 52‑54).

[104] Selon la jurisprudence interprétant cette exigence pour l’alinéa 20(1)b), il a été énoncé dans la décision Postes Canada que le traitement constant doit être étayé par une preuve montrant la prise de « mesures prudentes et constantes afin de limiter l’accès à l’information » (Postes Canada, aux para 11‑14). Notamment dans l’affaire Postes Canada, l’absence d’une entente de confidentialité concernant les renseignements en question a soulevé cette préoccupation. Dans cette affaire, la Cour a estimé, au départ, que la conclusion d’une entente de confidentialité concernant les renseignements (et, de ce fait, la capacité d’en produire une) aurait établi une pratique consistant à traiter de façon constante les renseignements en question comme étant confidentiels (Postes Canada, au para 19). Dans la présente demande, EDC n’a produit aucune preuve qu’elle a conclu une entente de confidentialité avec l’un quelconque de ses clients, dont ceux qui font l’objet de renseignements caviardés.

[105] EDC n’a fourni aucune preuve qu’elle a traité de façon constante les renseignements comme confidentiels, à part la section 3.5.4 de sa Politique. Sans l’existence d’une entente de confidentialité, le fait qu’EDC communique les renseignements à ses clients sans aucun avis ou sans aucune restriction quant à l’usage qu’en feraient ensuite ces clients, ou quant à la diffusion, par ces clients, des renseignements à d’autres tiers, jette un doute sur la thèse selon laquelle EDC a traité de manière constante les renseignements caviardés comme confidentiels. Après avoir conclu que la section 3.5.2 de la Politique mine cette thèse, et reconnu qu’EDC n’a rien d’autre à offrir à l’appui de cette thèse, EDC n’est donc pas parvenue à établir qu’elle traite de manière constante les renseignements comme confidentiels.

(6) Conclusion

[106] Comme la Cour conclut qu’EDC n’est pas parvenue à s’acquitter de son fardeau de prouver que les renseignements caviardés ont un lien raisonnable avec ses intérêts économiques, pas plus qu’elle n’a fourni une preuve suffisante qui montre qu’elle traite de manière constante les renseignements caviardés comme confidentiels, EDC ne peut pas protéger les renseignements caviardés en vertu de l’article 18.1 de la LAI.

D. Si les renseignements caviardés répondent aux exigences de l’alinéa 18.1(1)b) de la LAI, le responsable d’EDC a‑t‑il exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire en décidant de refuser de communiquer les renseignements caviardés?

[107] La Cour n’étant pas convaincue que les renseignements caviardés répondent aux exigences de l’alinéa 18.1(1)b) de la LAI, il n’est nul besoin qu’elle examine si EDC a exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire pour refuser de communiquer les renseignements caviardés.

V. Conclusion

[108] L’article 24.3 de la LDE exige qu’EDC refuse de communiquer les renseignements qu’elle a recueillis ou qui lui ont été fournis et qui viennent d’un client d’EDC ou qui le concernent. La source de ces renseignements doit être externe à EDC. Les renseignements qu’EDC crée, soit exclusivement soit conjointement avec une autre partie, ne sont pas protégés par l’article 24.3 de la LDE. Comme EDC a créé les renseignements caviardés, ceux‑ci ne sont pas protégés par l’article 24.3 de la LDE.

[109] L’article 18.1 de la LAI permet à EDC de refuser de communiquer des secrets industriels ou des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques qui ont un lien raisonnable avec ses intérêts économiques, qui lui appartiennent exclusivement et qu’elle traite d’une manière constante comme confidentiels. L’EDC a convaincu notre Cour que les renseignements caviardés lui appartiennent, mais elle n’est pas parvenue à prouver que ces renseignements ont un lien raisonnable avec ses intérêts économiques, ni qu’elle a traité de manière constante les renseignements caviardés comme confidentiels. Dans ce contexte, les renseignements caviardés ne peuvent pas être protégés en vertu de l’article 18.1 de la LAI.

[110] La Cour ordonnera qu’EDC communique les renseignements caviardés, auxquels aucune exception ne s’applique.

[111] Pour ce qui est des dépens, les parties s’entendent pour dire qu’il ne convient d’en adjuger aucuns car la présente demande soulève une question d’interprétation législative nouvelle. La Cour est d’accord, et elle n’adjugera pas de dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‑1793‑22

LA COUR STATUE :

  • a)La demande est rejetée.

  • b)La demanderesse communiquera les renseignements caviardés dans les trente (30) jours suivant la date du présent jugement, conformément à l’article 49 de la Loi sur l’accès à l’information.

  • c)Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Ekaterina Tsimberis »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

C. Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1793‑22

 

INTITULÉ :

EXPORTATION ET DÉVELOPPEMENT CANADA c COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 9 mai 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge TSIMBERIS

 

DATE DES MOTIFS :

le 21 novembre 2023

 

COMPARUTIONS :

JENNA ANNE DE JONG

SIMON GOLLISH

 

pour le demandeur

 

RACHELLE NADEAU

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA LLP

OTTAWA (ONTARIO)

 

pour le demandeur

 

LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

GATINEAU (QUÉBEC)

 

POUR LE défendeur

 

 

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