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Date : 20231129


Dossier : IMM-10940-22

Référence : 2023 CF 1596

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2023

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

HELIA SHAERI
ET FARZAD SHAERI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse principale dans la présente demande de contrôle judiciaire est une étudiante originaire d’Iran. Elle a présenté une demande de permis d’études dans le but de venir faire des études secondaires en Colombie-Britannique. Son père, le deuxième demandeur, a déposé une demande de visa de résident temporaire [VRT] afin de pouvoir rester avec elle pendant environ deux mois pour l’aider à s’installer, avant de retourner en Iran auprès de sa femme et de son autre enfant.

[2] Le 24 octobre 2022, un agent des visas d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [l’agent des visas ou l’agent] a rejeté les deux demandes parce qu’il n’était pas convaincu que le père et sa fille quitteraient le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, ainsi que le requièrent les alinéas 179b) et 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. Pour en arriver à sa décision de rejeter la demande de permis d’études de la demanderesse principale, l’agent des visas a pris en considération les deux facteurs principaux suivants : 1) le manque d’explications et de détails en ce qui concerne les avantages que des études coûteuses au Canada procureraient à la demanderesse principale; 2) le manque de liens familiaux importants de celle-ci hors du Canada, ainsi que ses liens avec l’Iran qui se retrouveraient affaiblis, puisque son père l’accompagnerait au Canada. Par conséquent, la demande de VRT du père a elle aussi été rejetée.

[3] Les demandeurs contestent maintenant les deux décisions de rejet. Cela dit, les parties reconnaissent que la présente demande de contrôle judiciaire porte principalement sur la décision de rejeter la demande de permis d’études de la demanderesse principale, vu que le rejet de la demande de VRT du père en découle.

[4] Lorsque la Cour examine la décision d’un agent des visas de rejeter une demande de permis d’études, elle doit appliquer avec déférence la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 23-25; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 aux para 8-9. Cette norme exige de la Cour qu’elle détermine si la décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et si elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov au para 85. Lorsqu’elle effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit s’abstenir de rendre sa propre décision sur la demande de visa. Elle peut seulement infirmer la décision de rejeter un visa si cette dernière souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence : Vavilov au para 100.

[5] Plus tôt cette année, le juge Pentney a passé en revue les différents principes énoncés dans les nombreux jugements rendus par la Cour à l’issue du contrôle judiciaire de décisions portant sur les permis d’études : Nesarzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 568 aux para 5-9. Je souscris à son exposé clair de ces principes, qui reflètent les diverses observations soumises par les parties sur les principes applicables en l’espèce, et que je reproduis ici sans les renvois à la jurisprudence ou à la loi :

[traduction]

Une décision raisonnable doit expliquer le résultat, compte tenu du droit et des faits essentiels.

L’arrêt Vavilov cherche à renforcer une « culture de la justification » exigeant que le décideur fournisse une explication logique du résultat et qu’il soit attentif aux observations des parties, mais il exige également que le contexte de la prise de décision soit pris en compte.

Les agents des visas font face à un déluge de demandes, et leurs motifs n’ont pas besoin d’être longs ou détaillés. Toutefois, leurs motifs doivent exposer les éléments clés de leur analyse et répondre à l’essentiel des observations du demandeur sur les points les plus pertinents.

Il incombe au demandeur de convaincre l’agent qu’il satisfait aux exigences de la loi qui s’applique à l’examen des visas d’étudiant, y compris le fait qu’il quittera le pays à la fin de son séjour autorisé.

Les agents des visas doivent prendre en compte les facteurs d’incitation et d’attraction qui pourraient amener un demandeur à dépasser la durée de validité de son visa et à rester au Canada, ou qui l’encourageraient à retourner dans son pays d’origine.

[6] Après avoir appliqué les principes qui précèdent, je conclus que la décision de l’agent des visas de rejeter la demande de permis d’études de la demanderesse principale était déraisonnable. En effet, dans son analyse du facteur des [traduction] « liens familiaux », l’agent n’a pas exposé son raisonnement d’une manière qui tienne compte du contenu de la demande, ni qui soit conforme aux contraintes factuelles ayant une incidence sur la décision. Le facteur des liens familiaux est l’un des deux principaux éléments ayant mené l’agent des visas à conclure que la demanderesse ne quitterait pas le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. C’est pourquoi le caractère déraisonnable de l’analyse de cette question mine la décision dans son ensemble.

[7] Comme c’est habituellement le cas, la décision de l’agent des visas en ce qui concerne les liens familiaux figure dans la lettre de refus envoyée à la demanderesse principale, de même que dans les notes du Système mondial de gestion des cas [SMGC], où l’agent des visas expose plus en détail son raisonnement sur la question. Dans la lettre, il indique que l’un des facteurs dont il a tenu compte pour rejeter la demande est le fait que la demanderesse principale [TRADUCTION] « […] n’[a] pas de liens familiaux importants hors du Canada ». Sur la question des liens familiaux, les notes consignées dans le SMGC sont ainsi rédigées intégralement : [TRADUCTION] « Elle sera accompagnée par son père. Comme il est prévu que la famille immédiate de la cliente l’accompagne au Canada, les liens avec l’Iran sont affaiblis puisque la motivation de la cliente à retourner dans son pays d’origine diminuera en raison de la présence de sa famille immédiate au Canada. »

[8] Comme le soulignent les demandeurs, la déclaration faite par l’agent des visas dans la lettre de refus, selon laquelle la demanderesse n’avait pas de [TRADUCTION] « liens familiaux importants hors du Canada », est tout simplement contraire à l’information contenue dans le dossier dont il disposait, car le frère et la mère de la demanderesse principale resteraient en Iran. Les notes du SMGC contiennent quelques précisions sur le raisonnement de l’agent des visas, mais elles ne résolvent pas la contradiction évidente entre le fait que deux des membres de la famille immédiate de la demanderesse principale resteraient en Iran et la déclaration de l’agent selon laquelle elle n’a pas de [TRADUCTION] « liens familiaux importants hors du Canada ».

[9] Deux autres problèmes se posent dans les notes du SMGC. Premièrement, sur le plan factuel, les notes montrent la compréhension qu’avait l’agent des visas du fait que le père [traduction] « résidera[it] avec » la demanderesse principale au Canada. Cette affirmation ne tient pas compte de la nature des demandes sous-jacentes. Il était indiqué dans ces dernières que le père comptait rester au Canada pendant environ deux mois avant de retourner en Iran, et non qu’il résiderait avec sa fille tout au long de la période de séjour. L’agent n’explique pas en quoi le fait que le père accompagnerait la demanderesse principale pour l’aider à s’installer aurait pour effet de réduire la probabilité qu’elle retourne en Iran à la fin de l’année scolaire.

[10] Deuxièmement, en estimant que la demanderesse principale serait moins motivée à retourner dans son pays d’origine parce qu’elle voyagerait avec son père, l’agent des visas n’a pas tenu compte des autres membres de sa famille immédiate restés en Iran ni de la motivation positive qu’elle aurait à les y retrouver. Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que l’agent a limité de façon déraisonnable son analyse des facteurs d’incitation et d’attraction lorsqu’il a seulement tenu compte du voyage du père au Canada, tout en ignorant le fait que la mère et le frère demeureraient en Iran : Vahdati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1083 au para 10, Seyedsalehi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1250 au para 9, Nesarzadeh au para 9, citant Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 au para 14 et Ocran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 175 au para 23.

[11] Par conséquent, je conclus que l’analyse, par l’agent des visas, des liens familiaux importants de la demanderesse principale est déraisonnable, car elle manque de justification, d’intelligibilité et de transparence. Comme je l’ai déjà mentionné, il s’agit de l’un des deux principaux facteurs sur lesquels l’agent s’est fondé pour rejeter la demande. J’estime donc que la décision dans son ensemble est déraisonnable, et ce, indépendamment des arguments des parties sur l’évaluation, faite par l’agent, du coût des études de la demanderesse principale au Canada et des avantages que celles-ci lui apporteraient.

[12] La décision de rejeter la demande de permis d’études de la demanderesse principale doit donc être annulée. En outre, puisque la décision de rejeter la demande de VRT du père découle de celle de rejeter la demande de permis d’études, elle doit également être annulée. Les deux demandes doivent être renvoyées à un autre agent pour nouvelle décision.

[13] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier. Je conviens que l’affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.


JUGEMENT dans le dossier IMM-10940-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les décisions, datées du 24 octobre 2022 et rejetant respectivement la demande de permis d’études d’Helia Shaeri et la demande de visa de résident temporaire de Farzad Shaeri, sont annulées. Les demandes sont renvoyées à un autre agent pour nouvelle décision.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-10940-22

INTITULÉ :

HELIA SHAERI ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 SEPTEMBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 29 NOVEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

POUR LES DEMANDEURS

Ely-Anna Hidalgo-Simpson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

North Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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