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Date : 20231127


Dossier : IMM-2055-22

Référence : 2023 CF 1572

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

MIR AMIR MOHAMMAD TOUFAN KESHMIRI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Mir Amir Mohammad Toufan Keshmiri, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 17 février 2022 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la « SAI ») a confirmé la décision de l’agent des visas de rejeter la demande de parrainage de l’épouse du demandeur au titre du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le « RIPR »). La SAI a conclu que l’épouse du demandeur s’était engagée dans la relation en vue principalement d’acquérir un statut ou un privilège au Canada.

[2] Le demandeur soutient que la décision de la SAI est déraisonnable au motif qu’elle se fonde sur des présomptions, qu’elle dépasse la portée du mandat confié à la SAI dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), et qu’elle fait fi de la jurisprudence de notre Cour énonçant les facteurs pertinents pour l’évaluation de l’authenticité du mariage.

[3] Bien que je sois sensible à la situation du demandeur, en particulier du fait qu’il n’était pas représenté par un avocat à l’audition de la demande en l’espèce, je considère, pour les motifs exposés ci-dessous, que la décision de la SAI est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire en l’espèce sera rejetée.

II. Faits

A. Le demandeur

[4] Le demandeur est un citoyen canadien âgé de 42 ans. Son épouse, Nareerat Keshmiri (Mme « Keshmiri »), est une citoyenne de la Thaïlande âgée de 41 ans.

[5] Le demandeur a été marié deux fois : un premier mariage s’est étendu de juillet 2008 à décembre 2010, puis un deuxième a duré de décembre 2013 à février 2015. Il s’agit du premier mariage de Mme Keshmiri.

[6] En septembre 2014, le couple a fait connaissance sur le site de rencontres « ThaiFriendly ». Le demandeur prétend qu’il utilisait ThaiFriendly pour parler à des Thaïlandais et faire des recherches sur la Thaïlande en prévision d’un voyage dans ce pays. Mme Keshmiri affirme qu’elle fréquentait le site pour améliorer son anglais. Selon le demandeur, ils ont tous deux commencé rapidement à s’échanger des messages textes, presque tous les jours.

[7] Moins de trois semaines après avoir rencontré Mme Keshmiri en ligne, le demandeur a commencé à lui envoyer de l’argent. Il y a eu un premier virement de 54 $ CA le 26 septembre 2014, suivi d’autres virements, la même année, soit 54 $ le 3 octobre; 53,89 $ le 14 novembre; 269 $ et 147 $ les 19 et 26 décembre, respectivement. En janvier 2015, le demandeur a commencé à envoyer à Mme Keshmiri environ 850 $ par mois, car elle lui avait dit qu’elle avait perdu son emploi. Ce montant est passé à environ 1200 $ par mois en septembre 2015. Le demandeur a déclaré qu’il soutenait encore financièrement Mme Keshmiri au moment de la décision de la SAI.

[8] Le 22 octobre 2014, Mme Keshmiri a reçu un passeport thaïlandais, six semaines après son premier contact avec le demandeur. Le 18 février 2015, elle a demandé un visa de visiteur pour le Canada; c’était environ cinq mois après son premier contact avec le demandeur. Ce visa lui a été refusé parce qu’elle n’avait jamais voyagé et que ses antécédents professionnels étaient instables.

[9] Le demandeur et Mme Keshmiri se sont rencontrés en Thaïlande à trois reprises : il y a eu une première visite de quatre semaines en juin et juillet 2015, une deuxième de dix jours en octobre 2016 et une dernière de deux semaines en novembre 2018, en présence du père du demandeur.

[10] Le demandeur précise avoir demandé Mme Keshmiri en mariage au mois de janvier 2016. Elle a accepté, et ils se sont mariés en Thaïlande le 11 octobre 2016.

[11] En octobre 2018, le demandeur a présenté une demande de parrainage, qui a été refusée le 10 février 2020.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[12] La SAI a rejeté l’appel dans une décision datée du 17 février 2022. Elle a conclu que le mariage était authentique, mais qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège.

[13] La SAI a fait plusieurs constatations qui remettaient en question la motivation derrière ce mariage. Elle doutait du fait que le demandeur ait fréquenté le site ThaiFriendly simplement pour en savoir plus sur la Thaïlande, compte tenu de sa récente séparation et de l’existence d’autres sites Web et ressources permettant de connaître le pays. La SAI ne croyait pas non plus Mme Keshmiri, quand elle affirmait utiliser le site seulement pour apprendre l’anglais, vu qu’il y existe d’autres façons de pratiquer l’anglais sans passer par un site de rencontres.

[14] La SAI a conclu que Mme Keshmiri profitait financièrement de cette relation mais que les motifs du demandeur n’étaient pas clairs. Elle a reconnu que le demandeur a procuré une aide financière à Mme Keshmiri tôt au cours de leur fréquentation, ce qui montrait l’aspect transactionnel de la relation.

[15] La SAI était d’avis que la demande de passeport présentée par Mme Keshmiri alors qu’elle connaissait le demandeur depuis juste un peu plus d’un mois et sa demande de visa de visiteur lui permettant de voyager en dehors de sa province natale au Vietnam pour la première fois de sa vie après cinq mois de communication avec le demandeur portaient fortement à croire que Mme Keshmiri s’était engagée dans la relation principalement afin d’obtenir un statut au Canada. Consciente que Mme Keshmiri avait trompé les autorités canadiennes de l’immigration sur ses antécédents professionnels à plusieurs reprises, la SAI a conclu que Mme Keshmiri « voulait voir quelles seraient ses conditions de vie éventuelles au Canada avant de nouer des liens plus étroits avec [le demandeur] ».

[16] La SAI a examiné les antécédents de mariage du demandeur et son témoignage au sujet de sa relation puis en a conclu que le demandeur éprouvait un amour sincère pour Mme Keshmiri mais qu’il « semblait enclin à tomber amoureux facilement ». Selon la SAI, il ressort de la preuve que Mme Keshmiri éprouve « une affection sincère » pour le demandeur et que l’intérêt porté par la famille élargie au mariage confirmait l’authenticité de celui-ci.

[17] La SAI a donc conclu que le mariage était authentique, mais qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège; elle a donc rejeté l’appel du demandeur.

III. Question en litige et norme de contrôle

[18] La seule question en litige dans le présent contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SAI est raisonnable.

[19] La norme de contrôle n’est pas contestée. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16–17, 23–25). Je suis d’accord.

[20] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12–13, 75, 85). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, aussi bien le résultat obtenu que le raisonnement suivi, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision qui est raisonnable dans son ensemble est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier présenté au décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes qui sont visées par celle-ci (Vavilov, aux para 88–90, 94, 133–135).

[21] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision, ou les préoccupations qu’elle soulève, ne justifient pas toutes une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne doit pas modifier les conclusions de fait tirées par celui-ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ni accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100). Bien qu’un décideur ne soit pas tenu de répondre à tous les arguments ou de mentionner chaque élément de preuve, le caractère raisonnable d’une décision peut être remis en question lorsque la décision ne « réussi[t pas] à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux » (Vavilov, au para 128).

IV. Analyse

[22] Le demandeur soutient que la SAI a caractérisé de façon déraisonnable le mariage et mis en doute les motifs sous-tendant les souhaits de voyage de Mme Keshmiri et qu’elle aurait aussi excédé son mandat en affirmant qu’il était « enclin à tomber amoureux facilement ». Je ne suis pas de cet avis. Prise dans son ensemble et compte tenu des contraintes juridiques et factuelles, la décision de la SAI est justifiée, transparente et intelligible (Vavilov, aux para 15, 99–101).

[23] Le défendeur est d’avis que la SAI a tiré des conclusions raisonnables sur les intentions de Mme Keshmiri au regard des éléments de preuve dont elle disposait, notamment la précipitation de Mme Keshmiri à obtenir un passeport et à demander un visa de visiteur canadien après avoir rencontré le requérant, la communication de fausses informations dans sa demande de visa et son désir de voyager pour rendre visite au requérant seulement cinq mois après son premier contact avec lui. Le défendeur fait valoir en outre que la SAI a le droit de prendre le [traduction] « contexte général » en considération lorsqu’elle doit rendre une décision au titre du paragraphe 4(1) du RIPR.

[24] J’abonde dans le même sens que le défendeur. La SAI a raisonnablement conclu qu’il n’y avait aucune raison crédible justifiant que Mme Keshmiri demande un passeport en octobre 2014 alors qu’elle ne connaissait le requérant que depuis un mois environ et qu’elle n’avait que de « bons » sentiments à son égard. Le fait que Mme Keshmiri n’ait jamais quitté sa ville natale de Pattaya avant de rencontrer le demandeur confirme la justesse de cette conclusion. En outre, elle a décrit le demandeur comme étant un « ami de la famille » dans sa demande de visa après avoir admis qu’elle éprouvait des sentiments amoureux pour lui, ce qui empêche de croire qu’il n’y avait aucune intention cachée derrière son souhait de se rendre au Canada.

[25] Je considère que le demandeur ne fournit aucune preuve contredisant ces conclusions, et ces incohérences de même que les fausses informations données par Mme Keshmiri aux autorités de l’immigration possèdent un « lien rationnel » et sont « en soi suffisamment importantes » dans le contexte de l’article 4(1) du RIPR pour qu’on mette en doute la crédibilité de Mme Keshmiri (Kambanda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1267 au para 42). De plus, compte tenu du témoignage du demandeur au sujet de la situation financière difficile de Mme Keshmiri à l’époque et de l’intention déclarée du demandeur de se rendre en Thaïlande, la conclusion de la SAI – soit que Mme Keshmiri a avancé des raisons non crédibles pour expliquer son voyage au Canada et qu’elle cherchait à se rendre au Canada pour évaluer les perspectives d’immigration – est justifiée, transparente et intelligible (Vavilov, au para 15).

[26] Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire que la SAI n’a pas outrepassé la portée de l’analyse qu’elle était tenue de faire. Le demandeur n’a pas présenté d’arguments juridiques ni d’éléments de preuve à l’appui de ses observations. Comme le montre l’analyse ci-dessus, la SAI a raisonnablement estimé qu’il existait des éléments de preuve directs permettant de déduire que le mariage en l’espèce avait été contracté pour l’acquisition d’un statut. Je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

V. Conclusion

[27] La demande de contrôle judiciaire en l’espèce sera rejetée. La décision de la SAI est justifiée, transparente et intelligible. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je suis d’accord que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2055-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1. La demande de contrôle judiciaire en l’espèce est rejetée.

2. Aucune question n’est certifiée.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2055-22

INTITULÉ :

MIR AMIR MOHAMMAD TOUFAN KESHMIRI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 AOÛT 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 27 novembre 2023

COMPARUTIONS :

Toufan Keshmiri

(pour son propre compte)

 

POUR LE DEMANDEUR

David Cranton

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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