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Date : 20231206


Dossier : IMM-5171-22

Référence : 2023 CF 1643

Montréal (Québec), le 6 décembre 2023

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

LAAYDIA LAHSAYNI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Montréal (Québec), le 6 décembre 2023).

[1] Madame Lahsayni sollicite le contrôle judiciaire du refus de sa demande de dispense pour considérations humanitaires [CH]. J’accueille sa demande, puisque l’agente n’a pas saisi le véritable fondement de la demande et a procédé à une analyse compartimentée.

[2] Madame Lahsayni est citoyenne du Maroc. Sa fille est résidente permanente du Canada et habite à Montréal. En novembre 2020, en l’espace d’une semaine, le mari, le fils et deux belles-sœurs de Mme Lahsayni sont décédées de la COVID-19. Le fils adoptif de Mme Lahsayni était le seul héritier de la maison familiale. Il en a expulsé sa mère adoptive sur le champ. N’ayant plus de soutien ni de ressources au Maroc, Mme Lahsayni est venue au Canada. Elle réside chez sa fille.

[3] Trancher une demande CH comporte une part importante de discrétion. Pour encadrer l’exercice de cette discrétion, les lignes directrices précisent les principaux facteurs qu’un agent peut considérer, comme l’établissement au Canada ou les difficultés en cas de retour dans le pays d’origine. De plus, l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, prévoit que l’agent doit considérer le meilleur intérêt de tout enfant concerné.

[4] Ces lignes directrices ont sans doute été développées en ayant à l’esprit le cas fréquent de personnes qui demeurent au Canada après le refus de leur demande d’asile. Elles peuvent être moins bien adaptées pour traiter d’autres types de cas. Elles ne constituent pas « le seul énoncé possible des considérations d’ordre humanitaire qui justifient l’exercice du pouvoir discrétionnaire » : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au paragraphe 31, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy].

[5] En l’espèce, l’agente a consacré une portion importante de ses motifs à se demander si Mme Lahsayni avait démontré son établissement au Canada. Elle conclut que celle-ci n’a pas démontré son autonomie financière et que cela constitue un facteur négatif. Elle aborde également la question de la détresse psychologique de Mme Lahsayni et conclut que celle-ci peut recevoir des soins au Maroc. Enfin, l’agente conclut que Mme Lahsayni n’a pas fourni de documentation concernant son éviction de la maison familiale et que, de toute manière, sa fille peut l’aider financièrement.

[6] J’estime que la décision est déraisonnable. La segmentation de l’analyse fait que l’agente n’aborde jamais de front la véritable question, c’est-à-dire de savoir si une dispense CH est justifiée par la situation concrète dans laquelle Mme Lahsayni se trouve à la suite de la mort de ses proches, de son éviction de la maison familiale et de la perte de ses ressources financières au Maroc. Les motifs de la décision ne témoignent pas non plus de l’empathie dont il faut faire preuve dans l’examen d’une demande CH. Bref, l’agente n’a pas examiné la situation dans son ensemble, comme l’exige l’arrêt Kanthasamy.

[7] L’emploi de catégories préétablies pour analyser la demande a aussi empêché l’agente de saisir l’essence des arguments soulevés par Mme Lahsayni concernant sa dépendance financière à sa fille. D’une part, l’agente affirme qu’elle ne sait pas si cette dernière apporte actuellement un soutien financier à sa mère, alors que la preuve révèle que la mère habite chez la fille. D’autre part, elle conclut que la fille pourrait continuer d’envoyer de l’argent à sa mère si celle-ci retourne au Maroc. En plus de se contredire, l’agente ne semble pas apprécier le fait qu’il sera beaucoup plus difficile pour la fille d’aider sa mère si celle-ci retourne au Maroc, puisqu’elle devra payer non seulement son logement à Montréal, mais aussi celui de sa mère au Maroc.

[8] Enfin, l’agente ne semble pas tenir compte de l’affidavit que Mme Lahsayni avait fourni au soutien de sa demande CH. Cet affidavit explique comment celle-ci serait personnellement affectée en cas de retour au Maroc. En particulier, elle affirme qu’il lui sera impossible de trouver du travail, ce que la preuve objective corrobore. À supposer que l’agente ait exigé que Mme Lahsayni présente des preuves additionnelles afin de corroborer son affidavit, il est difficile de comprendre comment des preuves documentaires peuvent être disponibles pour prouver une absence de ressources. L’agente n’a pas énoncé de doutes quant à la crédibilité de Mme Lahsayni.

[9] Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire de Mme Lahsayni sera accueillie.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision rendue le 18 mai 2022 concernant la demande de dispense pour considérations humanitaires présentée par la demanderesse est annulée.

  3. L’affaire est retournée à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

  4. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5171-22

 

INTITULÉ :

LAAYDIA LAHSAYNI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 décembre 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 décembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Aghiles Bandou

 

Pour la demanderesse

 

Aboubacar Touré

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau d’aide juridique

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Sous-procureure générale du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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