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Date : 20221220


Dossier : T-1140-22

Référence : 2022 CF 1769

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2022

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

COLLINS NJOROGE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, qui n’est pas représenté par un avocat, a sollicité par écrit, [traduction] « en vertu des articles 55 et 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], des pouvoirs pléniers et inhérents de la Cour ou de l’autorité que confère à cette dernière le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou la Convention relative aux droits des personnes handicapées, une ordonnance de dispense de l’application du paragraphe 51(2) des Règles ou de l’application des Lignes directrices générales consolidées en ce qui concerne l’appel qui a été signifié — mais qui n’a pas encore été déposé — contre la décision rendue par le protonotaire Horne le 11 octobre 2022, ainsi que des ordonnances accessoires enjoignant (i) au greffe d’accepter le dépôt de l’appel et (ii) au procureur général du Canada [le PGC] de déposer sa réponse à l’appel, le cas échéant, conformément aux Règles ».

[2] Malgré le verbiage utilisé dans la demande, il ne fait aucun doute que le demandeur cherche en fait à obtenir une prorogation du délai pour interjeter appel de l’ordonnance que le juge adjoint Trent Horne [le juge adjoint Horne] a rendue le 11 octobre 2022.

[3] Le demandeur sollicite également ce qu’il appelle des ordonnances accessoires, à savoir :

  • a)une ordonnance enjoignant à la Commission canadienne des droits de la personne [la CCDP] de présenter une requête officielle pour l’obtention d’une ordonnance de cessation d’occuper à l’égard de l’avocate au dossier, au titre de l’article 125 des Règles;

  • b)une ordonnance rendant public le jugement de la Cour;

  • c)une ordonnance adjugeant des dépens spéciaux contre le défendeur et son avocate, que le défendeur s’oppose ou non à la requête.

[4] Comme je l’explique plus en détail ci‑dessous, la demande de prorogation du délai pour interjeter appel de l’ordonnance du juge adjoint Horne est rejetée parce que le demandeur n’a pas satisfait au critère applicable aux prorogations de délai. Le demandeur n’a pas non plus réussi à prouver qu’il a droit aux autres mesures demandées dans l’avis de requête.

II. Contexte

[5] Un examen détaillé du contexte procédural est nécessaire afin de situer la présente requête dans son contexte.

[6] L’instance au principal est une demande de contrôle judiciaire que le demandeur a présentée pour contester la décision du 22 avril 2022 par laquelle la CCDP a refusé de traiter sa plainte contre la Gendarmerie royale du Canada [la GRC] au motif qu’elle était frivole. Lorsque l’instance a été introduite, le 3 juin 2022, seul le procureur général du Canada [le PGC] était désigné à titre de défendeur.

A. Différend relatif au dossier certifié du tribunal

[7] L’avis de demande comportait également une demande, présentée au titre de l’article 317 des Règles, pour que la CCDP transmette au demandeur et au greffe des copies certifiées des documents suivants qui étaient en sa possession :

[traduction]

1. toute la correspondance écrite (non caviardée) — envoyée ou reçue par la CCDP, le demandeur, la GRC, le PGC ou l’agent de la GRC — relative à la plainte;

2. toute la correspondance interne relative à la plainte.

[8] Le 27 juin 2022, conformément à l’article 318 des Règles, la CCDP a transmis des copies certifiées des documents qui étaient en sa possession au moment où elle a rendu sa décision concernant la plainte relative aux droits de la personne déposée par le demandeur contre la GRC. Dans une lettre d’accompagnement, Me Sophia Karantonis, qui était à l’époque avocate à la Division des services juridiques de la CCDP, a déclaré que cette dernière s’opposait, pour quatre raisons distinctes, à la production de tous les autres documents qui étaient en sa possession et que le demandeur voulait obtenir. Elle a cependant indiqué que la CCDP serait disposée à revoir sa réponse si les parties n’en étaient pas satisfaites. Me Karantonis a également fait savoir qu’elle représenterait la CCDP dans la présente affaire et a demandé que toute correspondance ou demande de renseignements future destinée à la CCDP soit envoyée à son attention.

[9] Dans une lettre du 5 juillet 2022, le demandeur a sollicité des directives de la Cour sur la façon de présenter des observations concernant l’opposition formulée par la CCDP. La question a été renvoyée à la juge Angela Furlanetto, qui a conclu qu’une gestion de l’instance serait avantageuse pour faciliter l’établissement du calendrier et le règlement des questions interlocutoires en suspens. Le 13 juillet 2022, la juge Furlanetto a donc ordonné que l’instance soit gérée à titre d’instance à gestion spéciale et qu’elle soit renvoyée au juge en chef pour qu’il nomme un juge responsable de la gestion de l’instance.

[10] Le 19 juillet 2022, le juge en chef a nommé le juge adjoint Horne à titre de juge responsable de la gestion de l’instance.

[11] Le 22 juillet 2022, le demandeur a écrit à la Cour après que les parties ont échoué à s’entendre sur un calendrier, sur la façon de procéder quant à la présentation des observations au sujet de l’opposition soulevée par la CCDP conformément à l’article 318 des Règles, ou sur la façon de traiter la requête anticipée du demandeur pour que la CCDP soit constituée comme partie défenderesse.

[12] Le 25 juillet 2022, le juge adjoint Horne a fixé la tenue d’une conférence de gestion de l’instance au 26 août 2022.

[13] Après avoir entendu les parties et Me Karantonis le 26 août 2022, le juge adjoint Horne a donné la directive suivante :

[traduction]

À la suite de la conférence de gestion de l’instance tenue le 26 août 2022, j’ordonne que toute requête du demandeur en modification de l’avis de demande (y compris toute requête visant à ce que la Commission canadienne des droits de la personne soit constituée comme partie) soit présentée par écrit et soit signifiée et déposée au plus tard le 31 août 2022. Les documents de réponse à la requête doivent être signifiés et déposés au plus tard le 21 septembre 2022. La partie intimée dans la requête peut demander l’audition de la requête dans ses prétentions écrites (art 369(2) des Règles). Les prétentions écrites en réponse du demandeur (s’il y a lieu) doivent être signifiées et déposées au plus tard le 29 septembre 2022.

[14] Plus tard le même jour, le demandeur a présenté au greffe une demande informelle de prorogation du délai afin de pouvoir respecter la directive; on lui a cependant demandé de rédiger une lettre officielle à l’appui de sa demande.

[15] Le 29 août 2022, le demandeur a écrit au greffe pour demander que le juge adjoint Horne proroge le délai pour le dépôt de sa requête et fasse passer l’échéance du 31 août au lundi 5 septembre 2022. Ni l’avocate du défendeur ni Me Karantonis n’ont été consultées avant que le demandeur présente cette demande. Néanmoins, le juge adjoint Horne a prorogé le délai de signification et de dépôt de la requête en modification du demandeur et a fait passer l’échéance au 6 septembre 2022 puisque le 5 septembre était un jour férié.

B. Requête du demandeur en modification de l’avis de demande et en constitution de la CCDP comme partie défenderesse

[16] Le 6 septembre 2022, le demandeur a déposé sa requête en autorisation de modifier l’avis de demande au titre de l’article 75 des Règles et de faire constituer la CCDP comme partie défenderesse en vertu de l’alinéa 104(1)b) des Règles. Je m’arrête ici pour noter qu’aucun affidavit n’a été déposé à l’appui de cette requête. Le dossier de requête contient simplement les observations écrites du demandeur et une ébauche d’acte de procédure dans laquelle les modifications proposées à la demande du demandeur au titre de l’article 317 des Règles sont soulignées. Elles sont reproduites ci‑dessous :

[traduction]

1. toute la correspondance écrite (non caviardée) — envoyée ou reçue par la CCDP, le demandeur, la GRC, le PGC ou l’agent de la GRC — relative à la plainte, y compris :

(i) les documents demandés à la CCDP dans mes demandes d’information du 2 mars 2022 et du 9 mai 2022 sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information,

(ii) les documents demandés dans mes demandes de divulgation du 3 et du 21 mars 2022, avant que la CCDP rende sa décision définitive;

2. toute la correspondance interne de la CCDP relative à la plainte, y compris les documents existants créés par la CCDP ou ses agents au moyen des systèmes électroniques de gestion des dossiers, y compris Horizon.

[Souligné dans l’original.]

C. Ordonnance visée par l’appel

[17] Après avoir reçu les dossiers de réponse du défendeur et de la CCDP, ainsi que les observations écrites du demandeur en réponse aux dossiers de réponse, le juge adjoint Horne a statué par écrit sur la requête du demandeur le 11 octobre 2022 au moyen d’une ordonnance accompagnée de motifs détaillés. En bref, le juge adjoint a autorisé le demandeur à modifier le point 2 de la demande qu’il a présentée au titre de l’article 317 des Règles; toutefois, les autres mesures demandées dans l’avis de requête ont été refusées et des dépens de 800 $ ont été adjugés au défendeur, indépendamment de l’issue de la cause.

[18] Le juge adjoint Horne a rejeté les arguments du demandeur selon lesquels la CCDP devrait être constituée comme partie défenderesse à l’instance en vertu de l’article 104 des Règles. Il a fait observer qu’aucune loi fédérale n’exige que la CCDP soit désignée à titre de défenderesse dans la présente instance et que l’alinéa 303(1)a) des Règles exclut en fait expressément de la liste des défendeurs l’office fédéral visé par la demande.

[19] En ce qui concerne la jurisprudence applicable, le juge adjoint Horne a pris en compte l’arrêt Hicks c Canada (Procureur général), 2019 CAF 311 [Hicks], dans lequel la Cour d’appel fédérale a confirmé ce qui suit au paragraphe 10 : « Un tribunal administratif se doit d’être impartial — même après avoir rendu une décision — car l’affaire peut lui être renvoyée après que l’appel a été tranché. » Renvoyant au paragraphe 11 de l’arrêt Hicks, le juge adjoint Horne a conclu que, si la CCDP a un rôle à jouer en l’espèce, c’est en tant qu’intervenante qu’elle doit le faire.

[20] Le juge adjoint Horne n’était pas persuadé que les règles ou la jurisprudence invoquées par le demandeur laissaient place à la constitution discrétionnaire de l’office national comme partie défenderesse. Il a déclaré que, même si l’article 104 des Règles lui conférait un tel pouvoir discrétionnaire, il ne l’exercerait pas dans la requête puisque la présence de la CCDP n’était pas nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance.

[21] En ce qui concerne la demande d’autorisation du demandeur de modifier la demande qu’il a présentée au titre de l’article 317 des Règles, le juge adjoint Horne a noté que l’article 75 des Règles prévoit que la Cour peut à tout moment autoriser une partie à modifier un document aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties. Il a ensuite renvoyé à l’arrêt Canada c Pomeroy Acquireco Ltd., 2021 CAF 187 [Pomeroy], dans lequel la Cour d’appel fédérale a confirmé, au paragraphe 4, que « [l]a règle générale est que la modification devrait être autorisée à tout stade de l’action si elle aide le tribunal à trancher les véritables questions en litige entre les parties, pourvu que cette autorisation ne cause pas à l’autre partie une injustice que des dépens ne pourraient réparer et qu’elle serve les intérêts de la justice ».

[22] Le juge adjoint Horne a pris en compte l’objet de l’article 317 des Règles et les limites de son application, tels que la Cour d’appel fédérale les a examinés dans l’affaire Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128, y compris :

  • l’article 317 des Règles joue un rôle limité (au para 106);

  • l’article 317 des Règles a l’effet que prévoit son libellé. Les seuls documents accessibles en vertu de cet article sont ceux qui sont « pertinents quant à la demande » et « en la possession » du décideur administratif, et de lui seul (au para 107);

  • la jurisprudence a établi à maintes reprises que ne sont visés par l’article 317 des Règles que les documents devant le décideur administratif avant qu’il rende sa décision (au para 112);

  • l’article 317 des Règles ne sert pas la même fonction que la communication de la preuve dans une action (au para 115).

[23] Le juge adjoint Horne a également fait référence au récent arrêt Canada (Ministre de la Santé) c Preventous Collaborative Health, 2022 CAF 153 [Preventous], dans lequel la Cour d’appel fédérale a examiné le droit d’une tierce partie qui conteste une décision d’accéder au dossier interne de l’office fédéral. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’article 317 des Règles, qui exige d’un décideur visé par une demande de contrôle judiciaire qu’il fournisse le dossier relatif à la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire, ne s’applique pas aux demandes fondées sur l’article 44 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 [la LAI]. Il en est ainsi parce que les demandes fondées sur l’article 44 constituent un nouveau « recours en révision » devant la Cour fédérale, et non un contrôle judiciaire. La Cour d’appel fédérale a confirmé que l’article 317 des Règles est un outil à usage limité pour l’obtention du dossier d’un administrateur dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Preventous, au para 10.

[24] Le juge adjoint Horne a donc conclu qu’il n’était pas approprié d’avoir recours, dans une demande de contrôle judiciaire, à une demande au titre de l’article 317 des Règles pour contourner les procédures et les délais de prescription prévus dans la LAI, et que les modifications proposées en ce sens étaient inappropriées à première vue, n’avaient aucune chance d’être acceptées et devaient être refusées.

[25] En ce qui concerne la modification proposée visant l’ajout du point 1(ii), le juge adjoint Horne a noté que les documents de la requête du demandeur ne contenaient aucun renseignement sur les dossiers en question ou sur la façon dont les dossiers pouvaient être liés à la décision faisant l’objet du contrôle. Il a conclu qu’en l’absence de tels renseignements, la modification devait être refusée.

[26] Enfin, le juge adjoint Horne a autorisé le demandeur à modifier le point 2 de sa demande présentée au titre de l’article 317 des Règles concernant la correspondance interne de la CCDP, y compris les documents créés à l’aide du système de gestion des dossiers « Horizon ».

[27] En ce qui concerne les dépens afférents à la requête, le juge adjoint Horne a noté que le défendeur avait eu gain de cause sur presque toutes les questions de la requête, que le demandeur n’avait fourni aucune explication quant à la raison pour laquelle la modification autorisée n’avait pas été initialement incluse dans l’avis de demande, et que le fait de réexaminer la demande présentée au titre de l’article 317 des Règles aurait pour effet d’augmenter les coûts de l’instance et de retarder cette dernière. Compte tenu de ces facteurs, le juge adjoint Horne a conclu que des dépens de 800 $ devaient être adjugés au défendeur, quelle que soit l’issue de la cause.

D. Tentative du demandeur de porter l’ordonnance du juge adjoint Horne en appel

[28] Le 20 octobre 2022, le demandeur a écrit au greffe pour l’informer de son intention de porter l’ordonnance en appel. Dans sa lettre, le demandeur a reconnu que la date limite pour porter l’ordonnance en appel au titre de l’article 51 des Règles était le lendemain. Le demandeur a déclaré qu’il n’allait pas bien en raison du trouble de déficit de l’attention/hyperactivité dont il souffre et a demandé un délai supplémentaire de deux semaines pour signifier et déposer les documents requis. Il a également demandé que la lettre soit portée à l’attention du juge adjoint Horne [traduction] « pour qu’il sache [qu’il n’est] pas en mesure de déposer une requête en récusation le jour suivant, comme [il] l’[a] mentionné dans [s]a lettre du 12 octobre 2022 ».

[29] Le même jour, la CCDP a transmis au greffe, avec copie au demandeur et à l’avocate du défendeur, une lettre concernant une erreur typographique dans l’ordonnance du juge adjoint Horne. La lettre était signée par Me Ikram Warsame, une collègue de Me Karantonis à la Division des services juridiques de la CCDP.

[30] Le 3 novembre 2022, le demandeur a signifié au défendeur un dossier de requête en appel de l’ordonnance du juge adjoint Horne. On ne sait pas avec certitude si le dossier a été signifié à la CCDP.

[31] Le 4 novembre 2022, l’avocate du défendeur a envoyé un courriel au demandeur et à Me Warsame pour leur demander s’ils étaient disponibles pour une conférence de gestion de l’instance dans le but d’obtenir des conseils de la Cour sur la meilleure façon de procéder avec la requête en appel du demandeur, qui semblait être hors délai. Quelques minutes plus tard, le demandeur a envoyé la réponse suivante :

[traduction]

Il est regrettable que le PGC soulève maintenant la question du respect des délais alors qu’il connaît depuis le 20 octobre 2022 les intentions du demandeur et les circonstances qui ont donné lieu au retard de deux semaines. Dans le même ordre d’idées, vous avez personnellement demandé des prorogations de délai — pour des raisons médicales — auxquelles je ne me suis pas opposé. Les compromis raisonnables constituent un effort mutuel.

Eu égard à ce qui précède, une conférence de gestion de l’instance est, avec tout le respect que je vous dois, inutile et ne servira qu’à retarder indûment le règlement des questions en litige sur le fond.

Veuillez également noter qu’avant de recevoir votre courriel ci‑dessous, j’ignorais que Me Karantonis (en copie ci‑dessous) s’était officiellement retirée en tant qu’avocate de la CCDP dans la présente affaire. Je demande une confirmation rapide de ce renseignement.

[Souligné dans l’original.]

[32] Le 7 novembre 2022, l’avocate du défendeur a écrit au greffe pour demander une conférence de gestion de l’instance. Elle a noté qu’il était difficile de savoir si le dossier de requête du demandeur avait été accepté pour dépôt et a indiqué que le défendeur sollicitait des conseils de la Cour.

[33] Le 8 novembre 2022, le demandeur a envoyé un courriel à Me Karantonis, avec une copie à Me Warsame, lui demandant à nouveau de lui fournir [traduction] « toute communication officielle » concernant son retrait en tant qu’avocate inscrite au dossier dans l’instance.

[34] Le 9 novembre 2022, le juge Patrick Gleeson a ordonné la tenue d’une conférence de gestion de l’instance le lendemain et a demandé que les parties l’informent immédiatement si elles n’étaient pas disponibles. Le demandeur a rapidement répondu qu’il n’était pas disponible, mais a renoncé à son droit d’assister à la conférence, déclarant qu’il s’appuierait plutôt sur le contenu de son courriel du 4 novembre 2022.

[35] Le 9 novembre 2022, le demandeur et Me Warsame se sont échangé une série de courriels. Tout a commencé par un courriel dans lequel Me Warsame informait le demandeur qu’elle allait agir en qualité d’avocate de la CCDP et précisait que toute correspondance devait être adressée à son attention. Elle a également informé le demandeur que la CCDP n’était pas une partie à l’instance et que son rôle se limitait aux demandes présentées au titre de l’article 317 des Règles.

[36] Ce courriel a donné lieu à la réponse suivante de la part du demandeur :

[traduction]

Comme vous le savez, la question de savoir si la CCDP est ou non une défenderesse appropriée dans le dossier T‑1140‑22 est contestée. L’appel dont la Cour est actuellement saisie est fondé, du moins en partie, sur les observations faites par Me Karantonis (en copie ci‑dessus) en sa qualité d’avocate de la CCDP.

Par souci de clarté, je suis d’avis que Me Karantonis a besoin de l’autorisation de la Cour avant de pouvoir se retirer du dossier et cesser d’agir en qualité d’avocate de la CCDP. En l’absence d’une ordonnance de la Cour à cet effet, je ne suis pas en mesure de reconnaître Me Warsame comme l’avocate de la CCDP en l’espèce.

[37] Me Warsame a répondu que, puisque Me Karantonis ne travaille plus à la CCDP, les courriels qui lui sont adressés ne sont pas transmis à l’office fédéral.

[38] La réponse n’a pas convaincu le demandeur. Selon lui, la marche à suivre consisterait à présenter une requête fondée sur l’article 125 des Règles afin que la Cour puisse décider s’il est approprié que Me Karantonis soit autorisée à se retirer du dossier.

[39] Le 10 novembre 2022, le juge Gleeson a présidé une brève conférence de gestion de l’instance avec l’avocate du défendeur et Me Warsame. À la fin de la conférence, l’avocate du défendeur a informé le juge Gleeson qu’elle ferait un suivi en envoyant une lettre au greffe pour confirmer les instructions quant au consentement du défendeur à l’égard de la demande informelle de prorogation de délai du demandeur. Plus tard ce jour‑là, elle a écrit au greffe pour confirmer que le défendeur ne consentait pas à la prorogation et que, si le demandeur présentait une requête en prorogation de délai, le défendeur s’y opposerait.

[40] Le juge Gleeson a ensuite donné une directive de vive voix qui porte en partie ce qui suit :

[traduction]

[…] Comme le défendeur a refusé de consentir à la demande informelle du demandeur concernant la prise de mesures, ou de ne pas s’y opposer, la Cour exige du demandeur qu’il présente une requête officielle (voir les Lignes directrices générales consolidées de la Cour du 8 juin 2022, aux para 4‑7). Dans ces circonstances, le greffe conservera le dossier de requête du demandeur présenté au titre de l’article 51 des Règles, mais il n’en acceptera pas le dépôt.

E. Requête du demandeur sollicitant une prorogation du délai pour interjeter appel et d’autres mesures

[41] Le 22 novembre 2022, le demandeur a déposé la présente requête. À l’appui de cette requête, il a produit un long affidavit dans lequel il se décrit comme un défenseur de l’intérêt public, [traduction] « motivé à contribuer de manière significative à la protection des plaideurs, qu’ils soient représentés par un avocat ou non, et à l’élimination des comportements, des politiques, des pratiques et des décisions arbitraires et discriminatoires ». Dans ses observations écrites, le demandeur fait valoir que [traduction] « la principale question […] est celle de savoir s’il est dans l’intérêt de la justice qu’un plaideur racisé qui vit avec un handicap et qui n’est pas représenté par un avocat soit tenu de présenter une requête officielle pour demander la prise de mesures en raison d’un retard de deux semaines compte tenu (i) du fait que le défendeur — qui est censé être le protecteur de l’intérêt public et de la primauté du droit — ne s’est pas opposé à la demande en temps opportun, selon la procédure ou autrement, ce qui a entraîné des coûts, des retards et d’autres préjudices inutiles; et (ii) du fait que le greffe n’a pas agi conformément aux Règles ».

[42] Le défendeur et la CCDP ont tous deux déposé des dossiers de réponse. Le défendeur fait valoir que la requête devrait être rejetée dans son intégralité. La CCDP s’oppose à la demande du demandeur visant l’obtention d’une ordonnance enjoignant à la CCDP de déposer une requête sollicitant une ordonnance de cessation d’occuper visant son ancienne avocate, au titre de l’article 125 des Règles. La CCDP ne prend pas position à l’égard des autres demandes du demandeur.

[43] Le demandeur n’a pas déposé d’observations écrites en réplique. Il a plutôt soumis une lettre le 6 décembre 2022 dans laquelle il exprimait son opinion selon laquelle le fait de répliquer au dossier de réponse du défendeur [traduction] « pourrait être interprété, compte tenu des violations apparentes des principes de justice naturelle et d’équité procédurale, comme une renonciation aux droits procéduraux que [lui] garantissent le droit canadien et le droit international des droits de la personne ».

III. Questions à trancher

[44] Les questions à trancher dans la présente requête sont les suivantes :

  1. Le demandeur devrait‑il se voir accorder une prorogation de délai — et ainsi être dispensé de l’obligation prévue au paragraphe 51(2) des Règles — pour le dépôt de son avis de requête au titre de l’article 51 des Règles?

  2. Le demandeur devrait‑il se voir accorder l’une ou l’autre des ordonnances accessoires qu’il a sollicitées, à savoir :

  1. une ordonnance enjoignant à la CCDP de présenter une requête sollicitant une ordonnance de cessation d’occuper visant Me Sophia Karantonis en tant qu’avocate inscrite au dossier;

  2. une ordonnance rendant public le jugement de la Cour;

  3. une ordonnance adjugeant des dépens contre le défendeur et son avocate?

IV. Analyse

[45] Le demandeur a soulevé de nombreux arguments dans ses observations écrites. Bien que je n’aie pas jugé nécessaire de faire mention de tous les arguments dans les présents motifs, le demandeur peut être assuré que je les ai tous soigneusement examinés et que j’ai étudié tous les documents qu’il a déposés à l’appui de la requête.

A. Réponse du défendeur à la signification tardive par le demandeur de la requête présentée au titre de l’article 51 des Règles

[46] Avant d’examiner les questions dont je fais mention ci‑dessus, je souhaite parler de la plainte du demandeur selon laquelle le défendeur a tardé à contester sa demande de prorogation du délai pour interjeter appel et ne s’est pas conformé au paragraphe 58(2) des Règles, qui exige qu’une partie qui présente une requête au titre du paragraphe 58(1) des Règles le fasse le plus tôt possible après avoir pris connaissance de l’irrégularité. Selon le demandeur, le comportement du défendeur était [traduction] « non seulement inadmissible et répréhensible compte tenu de son rôle particulier dans les instances de droit public, mais il a aussi pour effet de créer ou de perpétuer le fardeau disproportionné auquel sont confrontées les parties marginalisées, y compris le demandeur ». À mon avis, cet argument est sans fondement.

[47] En réalité, il n’y a aucune irrégularité en l’espèce. Le paragraphe 51(2) des Règles exige expressément qu’un avis de requête soit déposé pour que l’ordonnance d’un protonotaire (aujourd’hui, un juge adjoint) soit portée en appel, et que cet avis soit à la fois signifié et déposé dans les 10 jours suivant la date de l’ordonnance frappée d’appel.

[48] L’article 8 des Règles confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de proroger tout délai prévu par les Règles, mais uniquement sur présentation d’une requête. Bien qu’il soit possible de demander à la Cour par lettre d’être exempté de l’obligation de déposer une requête officielle en prorogation de délai, cette procédure informelle n’est possible que si toutes les parties donnent leur consentement ou ne s’y opposent pas : Lignes directrices générales consolidées, 8 juin 2022 (Demandes informelles en redressement interlocutoire) [les Lignes directrices]. Le paragraphe 5 des Lignes directrices indique clairement que la lettre de demande de redressement interlocutoire doit confirmer que toutes les parties ont donné leur consentement à la demande ou ne s’y opposent pas.

[49] Les éléments de preuve dont je dispose démontrent que le demandeur n’a pas consulté l’avocate du défendeur avant d’envoyer sa lettre au greffe le 20 octobre 2022 pour demander que le délai pour présenter sa requête en appel soit prorogé de deux semaines. Le demandeur n’a pas suivi la procédure appropriée pour la présentation d’une requête en prorogation de délai conformément au paragraphe 51(2) des Règles. Il n’a pas non plus présenté de lettre qui répond aux exigences énoncées dans les Lignes directrices. Comme il n’a pas demandé la prorogation de délai de la manière appropriée, le demandeur ne peut se plaindre d’un retard qu’il attribue au défendeur, mais qu’il a lui‑même causé.

[50] Le demandeur a pu se bercer de l’idée qu’il serait autorisé à aller de l’avant parce que le juge adjoint Horne avait accueilli une demande informelle similaire visant la prorogation du délai pour déposer une requête, sans que le demandeur obtienne le consentement du défendeur. Cependant, il n’aurait pas dû supposer que la demande informelle de prorogation de délai qu’il a adressée à la Cour en termes généraux serait traitée de la même manière que celle adressée au juge responsable de la gestion de l’instance, qui a une connaissance approfondie de l’instance et qui dispose d’une grande latitude pour la gérer.

[51] Comme il était vraisemblable qu’un juge traite la demande du demandeur puisqu’il s’agissait d’un appel contre l’ordonnance d’un juge adjoint, il était raisonnable pour le défendeur d’attendre de savoir si la Cour était prête à traiter la demande lacunaire. Ce n’est qu’après la signification du dossier de requête présenté au titre de l’article 51 des Règles que le défendeur a réalisé que le demandeur avait pris une mesure non conforme aux Règles. Comme le démontre le dossier, l’avocate du défendeur a agi promptement pour solliciter les conseils de la Cour sur la meilleure façon de procéder puisqu’elle n’était pas en mesure de savoir, d’après les entrées dans le Système de gestion des instances de la Cour, si le dossier de requête du demandeur avait été accepté pour dépôt.

[52] Le demandeur a eu l’occasion de convaincre la Cour, lors de la conférence de gestion de l’instance convoquée par le juge Gleeson, que le défendeur agissait de manière déraisonnable et qu’une prorogation de délai devait être accordée de manière informelle. Il l’a fait en s’appuyant sur les arguments écrits qu’il avait soulevés dans son courriel du 4 novembre 2022, qui sont reproduits au paragraphe 31 ci‑dessus. Il s’agit essentiellement des mêmes arguments que ceux qu’il a présentés devant moi. Le juge Gleeson a décidé qu’une requête officielle était nécessaire. Mon collègue n’ayant pas accepté les arguments du demandeur, je ne suis pas prêt à revenir sur sa décision d’ordre procédural.

B. Le demandeur devrait‑il se voir accorder une prorogation de délai — et ainsi être dispensé de l’obligation prévue au paragraphe 51(2) des Règles — pour le dépôt de son avis de requête au titre de l’article 51 des Règles?

[53] Le demandeur souhaite être dispensé de l’obligation de respecter le délai de 10 jours pour interjeter appel prévue au paragraphe 51(2) des Règles. Pour ce faire, il s’appuie sur l’article 55 des Règles, qui permet à la Cour de modifier une règle ou d’exempter une partie ou une personne de son application dans des circonstances spéciales.

[54] Toutefois, l’article 55 des Règles est une règle générale, tandis que l’article 8 est une règle précise qui régit les requêtes en prorogation de délai. Étant donné que l’article 8 des Règles s’applique directement à la question en litige, il faut l’appliquer : Koch c Borgatti (Succession), 2022 CAF 201 au para 70.

[55] Au paragraphe 3 de l’arrêt souvent invoqué Canada (Procureur général) c Hennelly, [1999] ACF no 846 (QL), 1999 CanLII 8190 (CAF) [Hennelly], la Cour d’appel fédérale a énoncé les facteurs dont doit tenir compte une partie qui demande la prorogation d’un délai prévu par les Règles. Les quatre facteurs que la Cour d’appel fédérale a énoncés visent à déterminer si la partie qui demande la prorogation du délai peut démontrer : (i) qu’elle a l’intention constante de poursuivre sa demande; (ii) que la demande est bien fondée; (iii) que le délai ne cause aucun préjudice; et (iv) qu’une explication raisonnable justifie le délai.

[56] La demande de prorogation de délai du demandeur repose uniquement sur le facteur du bien‑fondé de son appel puisque le défendeur, à juste titre, ne conteste pas l’établissement des trois autres facteurs énoncés dans l’arrêt Hennelly.

[57] Le demandeur a inclus son projet de dossier de requête au titre de l’article 51 des Règles en tant que pièce dans la présente requête. J’ai donc à ma disposition la preuve et tous les arguments du demandeur en appel.

[58] La norme de contrôle qui s’applique à une requête présentée au titre de l’article 51 des Règles est la norme applicable en appel énoncée dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, à savoir la norme de la décision correcte pour les questions de droit, et la norme de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit, sauf si une question de droit isolable est soulevée.

[59] Il ressort de la lecture des observations écrites du demandeur à l’appui de son appel que ce dernier ne conteste ni les motifs ni les conclusions du juge adjoint Horne. En fait, le demandeur n’a relevé aucune erreur commise par le juge adjoint Horne dans l’ordonnance, et encore moins une erreur manifeste et dominante.

[60] Le demandeur fonde plutôt sa requête présentée au titre de l’article 51 des Règles sur des allégations de crainte de partialité et de manquement à l’équité procédurale. Il affirme que le juge adjoint Horne avait statué sur la requête au préalable parce qu’il n’avait pas compris ses arguments ou qu’il les avait mal interprétés, et qu’il ne les avait pas évalués ou n’en avait pas fait mention dans ses motifs.

[61] Il s’agit là de questions de droit; par conséquent, la norme qui s’appliquerait est celle de la décision correcte. La Cour doit être convaincue que l’obligation d’équité procédurale a été respectée. Pour y parvenir, elle doit établir si la procédure était juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances.

[62] Le demandeur allègue que le juge adjoint Horne a fait preuve de partialité fondée sur sa race, son origine ethnique ou son handicap. Cependant, les motifs invoqués à l’appui d’une allégation de partialité ou d’une crainte raisonnable de partialité doivent être graves et précis. Il existe une forte présomption en faveur de l’impartialité judiciaire, et le droit n’envisage pas à la légère ou de manière inconsidérée la possibilité qu’un juge dont le serment professionnel et l’autorité reposent sur cette présomption fasse preuve de partialité.

[63] Le critère à appliquer à la question de la crainte raisonnable de partialité, énoncé dans l’arrêt Committe for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, 1976 CanLII 2, [1978] 1 RCS 369 à la p 394, est bien établi en droit :

[À] quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

[64] Dans le dossier dont je dispose, le demandeur n’a pas relevé de détails dans l’ordonnance ou les décisions antérieures du juge adjoint Horne le concernant qui démontreraient une crainte de partialité. Le demandeur s’est contenté de s’identifier comme membre d’une minorité raciale et personne en situation de handicap, et de renvoyer à des décisions ayant fait jurisprudence. La preuve montrant que le juge adjoint Horne était de quelque manière que ce soit enclin à privilégier une issue en particulier est insuffisante. Au contraire, il ressort des quelques échanges que le juge adjoint Horne a eus avec le demandeur qu’il était très sensible au fait que ce dernier n’était pas représenté par un avocat et qu’il était disposé à prendre des mesures d’adaptation s’il le lui demandait.

[65] En ce qui concerne l’argument du demandeur selon lequel l’obligation d’équité procédurale n’a pas été respectée, la preuve qu’il a présentée ne permet pas d’établir un lien entre son allégation selon laquelle ses arguments n’ont pas été entendus et les décisions, motifs ou actions du juge adjoint Horne.

[66] En clair, le juge adjoint Horne n’était pas tenu de mentionner dans sa décision chacun des faits ou arguments soulevés par le demandeur. L’absence de motifs détaillés ne justifie pas en soi un nouvel examen ou un contrôle selon la norme de la décision correcte, pas plus qu’elle n’invite la Cour à s’écarter du principe de la retenue dont elle doit faire preuve à l’égard des conclusions d’un juge adjoint : Maximova c Canada (Procureur général), 2017 CAF 230 au para 11.

[67] En l’espèce, je suis convaincu que le juge adjoint Horne a examiné les éléments de preuve et les arguments qui étaient pertinents au regard des questions soulevées dans la requête dont il était saisi, comme en témoignent les motifs détaillés dans lesquels il explique comment il est parvenu à ses conclusions. Le demandeur se plaint que le juge adjoint Horne a fait référence à des arrêts récents de la Cour d’appel fédérale rendus dans les affaires Pomeroy et McCain Foods Limited c J.R. Simplot Company, 2021 CAF 4, auxquels les parties n’ont pas fait référence; je n’y vois cependant pas d’injustice puisque le juge adjoint a renvoyé à ces arrêts, ainsi qu’à d’autres décisions, pour décrire des principes généraux établis depuis longtemps.

[68] Le demandeur se contente de formuler des allégations sans fondement de partialité et de manquement à l’équité procédurale. En l’absence d’élément de preuve à l’appui des allégations graves de partialité ou de manquement à l’équité procédurale, j’estime que le demandeur n’a pas réussi à établir le bien-fondé de son appel.

[69] Le demandeur n’a pas réussi à présenter des arguments solides établissant que son appel est fondé ou qu’il repose sur les autres motifs susmentionnés. Dans ces circonstances, il ne servirait à rien de permettre que l’appel suive son cours puisqu’il n’aurait pour effet que de retarder une issue inévitable. La demande de prorogation de délai du demandeur pour le dépôt de son dossier de requête en appel de l’ordonnance du juge adjoint Horne doit donc être rejetée.

C. Le demandeur devrait‑il se voir accorder l’une ou l’autre des ordonnances accessoires qu’il a sollicitées?

(1) La CCDP devrait‑elle être tenue de déposer une requête officielle pour obtenir une ordonnance de cessation d’occuper visant Me Karantonis au titre de l’article 125 des Règles?

[70] Le demandeur sollicite une ordonnance enjoignant à la CCDP de présenter une requête officielle au titre de l’article 125 des Règles, s’il est prévu que Me Karantonis cesse d’occuper son rôle d’avocate inscrite au dossier, afin qu’il soit plus facile pour la Cour de décider si cette cessation d’occuper est appropriée. L’article 125 est rédigé en ces termes :

125 (1) Lorsque l’avocat inscrit au dossier ne représente plus une partie et que celle‑ci n’a pas effectué le changement conformément à la règle 124, la Cour peut, sur requête de l’avocat, rendre une ordonnance de cessation d’occuper.

125 (1) Where a solicitor of record ceases to act for a party and the party has not changed its solicitor of record in accordance with rule 124, the Court may, on a motion of the solicitor, order that the solicitor be removed from the record.

[71] Selon le demandeur, son raisonnement repose sur la primauté du droit, comme en témoignent l’article 125 des Règles et la jurisprudence de la Cour. Je ne partage pas cet avis.

[72] Les faits en l’espèce sont très semblables à ceux dans l’affaire Pidasheva c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 2068. Dans cette affaire, les demandeurs s’étaient opposés à ce que l’avocate inscrite au dossier soit remplacée par une autre sans préavis, et ce, même si les deux avocates travaillaient pour le ministère de la Justice. Au paragraphe 7, la Cour a affirmé qu’il était « impensable que la Cour impose au [s]ous‑[p]rocureur général du Canada l’obligation de déposer un avis de changement d’avocat et de le faire signifier à l’autre partie chaque fois qu’un procureur différent du ministère de la Justice est appelé à se pencher sur le dossier ou à comparaître en cour pour représenter le [s]ous‑[p]rocureur général du Canada ». Au paragraphe 6, elle a indiqué que « l’avocat de l’intimé a toujours été et demeure le [s]ous‑[p]rocureur général du Canada, quelle que soit la personne qui remplisse ce rôle ».

[73] Le même raisonnement s’applique en l’espèce. Rien n’oblige une partie à demander l’autorisation de retirer un avocat inscrit au dossier, ni même à signifier et à déposer un avis de changement d’avocat au moyen de la formule 124A chaque fois qu’un avocat différent de la même organisation gouvernementale est chargé de traiter une affaire devant la Cour.

[74] Selon la preuve dont je dispose, Me Karantonis ne travaille plus pour la CCDP et le dossier du demandeur a été transféré à Me Warsame, une autre avocate de la CCDP. Le 20 octobre 2022, Me Warsame a écrit aux parties au nom de la CCDP et a présenté une lettre au greffe. Je conviens avec la CCDP que, puisqu’elle a pris cette mesure, Me Warsame est réputée être l’avocate inscrite au dossier pour la CCDP : voir l’article 123 des Règles.

[75] Le 9 novembre 2022, Me Warsame a informé le demandeur qu’elle agirait à titre d’avocate de la CCDP. À mon avis, l’argument du demandeur est excessivement technique et dénué de tout fondement pratique. Le changement d’avocate n’a eu aucun effet négatif sur le demandeur puisqu’il pouvait facilement communiquer avec la CCDP par courriel et à la même adresse professionnelle qu’il le faisait avec Me Karantonis.

[76] Pour les motifs ci-dessus, je conclus que l’article 125 des Règles ne s’applique pas aux faits de l’espèce et que la CCDP n’est pas tenue de présenter une requête officielle au titre de l’article 125 des Règles pour changer l’avocat inscrit au dossier.

(2) Faut‑il rendre une ordonnance rendant public le jugement de la Cour?

[77] Le demandeur souhaite obtenir une ordonnance rendant public le jugement de la Cour — y compris les conclusions essentielles, la preuve et le raisonnement juridique. Il est extrêmement difficile de comprendre la raison pour laquelle une telle ordonnance est demandée.

[78] En règle générale, les décisions de la Cour sont des documents publics, sauf si une disposition législative ou une ordonnance de la cour en interdit l’accès au public. Aucune ordonnance de confidentialité ou interdiction de publication n’est demandée ou anticipée en l’espèce.

[79] Dans ces circonstances, j’estime que cette ordonnance n’est pas nécessaire.

(3) Une ordonnance relative aux dépens devrait‑elle être rendue contre le défendeur et son avocate?

[80] Le demandeur sollicite une ordonnance adjugeant des dépens spéciaux contre le défendeur et son avocate, que le défendeur s’oppose ou non à la requête.

[81] Le demandeur se fonde sur le paragraphe 400(3) des Règles, qui porte, entre autres, que « la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance » est un facteur pertinent à prendre en compte dans l’adjudication des dépens, tout comme l’est toute mesure prise au cours de l’instance qui était « inappropriée, vexatoire ou inutile ». Il s’appuie également sur le paragraphe 404(1), qui prévoit que, « [l]orsque, dans une instance, des frais ont été engagés abusivement ou sans raison valable ou que des frais ont été occasionnés du fait d’un retard injustifié ou de quelque autre inconduite ou manquement, la Cour peut rendre l’une des ordonnances suivantes contre l’avocat qu’elle considère comme responsable, qu’il s’agisse de responsabilité personnelle ou de responsabilité du fait de ses préposés ou mandataires ».

[82] Le demandeur affirme que la conduite du défendeur qui a donné lieu à la présente requête peut être qualifiée à juste titre de déraisonnable, frivole, vexatoire, inadmissible et répréhensible, et qu’elle devrait justifier l’adjudication de dépens spéciaux. Il fait également valoir que la Cour devrait exprimer publiquement sa désapprobation à l’égard de la conduite du défendeur dans l’instance. Par ailleurs, il affirme que les actions et omissions de l’avocate du défendeur sont incompatibles avec le devoir d’honnêteté et de franchise de l’avocat en tant qu’officier de justice et selon le Code de déontologie du Barreau de l’Ontario, notamment l’article 3.2‑7.

[83] J’estime que ces arguments sont dénués de fondement. Premièrement, le défendeur a eu entièrement gain de cause en ce qui concerne la requête. Deuxièmement, contrairement aux affirmations du demandeur, la preuve dont je dispose montre que l’avocate du défendeur a adopté des positions raisonnables tout au long du litige et qu’elle a fait preuve de patience et d’équité dans ses rapports avec le demandeur.

[84] Enfin, le défendeur fait valoir que, compte tenu des problèmes de santé allégués du demandeur, les dépens de la présente requête devraient être assumés par chaque partie. À mon avis, il s’agit d’une position des plus raisonnable.

V. Conclusion

[85] Pour les motifs exposés ci‑dessus, la requête du demandeur est rejetée sans dépens.

 


ORDONNANCE dans le dossier T-1140-22

LA COUR REND L’ORDONNANCE SUIVANTE :

1. La requête est rejetée.

2. Chaque partie assume ses propres dépens afférents à la requête.

B

« Roger R. Lafreniѐre »

En blanc

Juge

Traduction certifiée conforme

Karyne St-Onge, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T-1140-22

INTITULÉ :

COLLINS NJOROGE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 20 décembre 2022

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Collins Njoroge

 

le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Nicole Walton

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Ikram Warsame

POUR LE TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Division des services juridiques

Tribunal canadien des droits de la personne

Ottawa (Ontario)

POUR LE TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

 

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