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Date : 20040108

Dossier : T-83-02

Référence : 2004 CF 19

OTTAWA, (Ontario), ce 8ième jour de janvier 2004

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

                                                                 DANIEL LEPAGE

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                                   et

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                                     Défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE                     

[1]                 Daniel Lepage a été membre de l'armée de réserve de février 1968 à août 1993. Il souffre d'une chondromalacie au genou gauche, une condition pour laquelle il fît une demande de pension d'invalidité en 1998. Sa demande fut rejetée par le comité de révision du Tribunal des anciens combattants le 20 avril 2000. Il en appela de cette décision auprès du comité d'appel du Tribunal des anciens combattants (le « Tribunal » ) qui à nouveau rejeta sa demande. C'est cette décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.


[2]                 M. Lepage soumet que le Tribunal a erré en déterminant qu'il n'avait pas fait la preuve du lien de causalité entre sa condition et ses vingt-cinq ans de service militaire en temps de paix. Il soumet que le Tribunal a ignoré sans justification la preuve médicale non contredite qu'il avait soumise, et ce contrairement à l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (Révision et appel), L.C. [1995], c. 18 (la « Loi » ).

[3]                 La défenderesse soumet que le Tribunal n'a pas simplement écarté la preuve, au contraire, il l'a soupesée et jugée non vraisemblable particulièrement eu égard à l'absence de plaintes pendant le service militaire de M. Lepage.

[4]                 L'article 39 de la Loi édicte que :


39. In all proceedings under this Act, the Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

[my emphasis]

39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

[mes soulignés]


[5]                 Toutefois, cet article 39 ne libère pas M. Lepage de l'obligation d'établir par prépondérance des probabilités que sa condition au genou gauche est consécutive ou rattachée à son service militaire en temps de paix.

[6]                 Avant d'examiner la preuve soumise en l'espèce, la Cour note qu'elle appliquera la norme de la décision manifestement déraisonnable à l'égard de la décision du Tribunal sur cette question de fait et d'appréciation de la preuve (McTague c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 1559 (QL)). Dans son évaluation, la Cour tiendra naturellement compte que l'analyse de la preuve devait se faire en observant les principes énoncés à l'article 39 de la Loi. (MacDonald c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 346 (QL)).

[7]                 On peut résumer la preuve sur l'état du genou de M. Lepage comme suit:

i)          Témoignage de M. Lepage:

Durant sa carrière militaire de plus de 25 ans, il a participé à de multiples exercices qui demandaient beaucoup d'efforts physiques. Ses fonctions furent variées. Il fut instructeur-sergent de troupe, adjudant-maître d'escadron et adjudant-chef. Au début des années 80, il remarque de légers craquements à ses genoux. En 1985, il fait une chute en chargeant un camion (lettre d'un témoin, M. Simard, en date du 10 mars 1999 a aussi été déposée). Il est conduit à l'hôpital mais aucune maladie ou blessure particulière n'est diagnostiquée. On lui conseille de prendre du Tylenol pour calmer la douleur à son genou gauche. Lors de son examen de "libération" le 14 octobre 1993, il indique que le Dr Roberge, alors capitaine Roberge, note que ses genoux craquent. Il croit que celui-ci inscrit une remarque à cet effet dans son rapport. Mais ledit rapport d'examen de libération ne contient aucune telle mention.


ii)         En 1995, lors d'un examen de routine de sa condition lombaire (pour laquelle M. Lepage reçoit une pension), le médecin-examinateur note dans son rapport que: "la flexion des deux genoux se fait à 125o , extension 0o avec craquements importants et douleur."

iii)         M. Lepage dépose sa demande de pension pour sa condition au genou gauche le 15 juillet 1998. Le 31 août 1998, le médecin du ministère des anciens combattants l'examine et diagnostique une chondromalacie au genou gauche avec "douleur intermittente, craquements lors de mouvements, pire après immobilisation prolongée."

iv)        Le 30 mars 2000, un orthopédiste, le Dr Cloutier, procède à une expertise et évalue le déficit anatomo-physiologique ( « DAP » ) à 2% dans le genou gauche.

v)         M. Lepage a aussi soumis trois nouvelles pièces au Tribunal soit ; une note du Dr Roberge du 7 juin 2001, une lettre de la même date et une lettre du 23 août 2001 du même médecin. Dans ces documents, le Dr Roberge indique qu'il ne fait "aucun doute que le syndrome fémoro-patellaire bilatéral et la chondromalacie rotulienne (davantage au genou droit mais aussi existante à gauche) dont est affligé M. Lepage, sont des conséquences directes et consécutives à des tâches répétitives et à divers travaux effectués au cours de ses années de service militaire (1968 à 1993)". Il dit aussi que selon lui, il n'existe, par ailleurs à l'histoire de ce patient, aucun autre élément causal (travail ou sport quelconque) pouvant expliquer cette condition au niveau des genoux. Dans sa note du 7 juin (pièce 2), le Dr Roberge mentionne "...à son examen de libération le 14 octobre 1993, j'ai malheureusement omis de signaler cette condition qui était présente alors".

.

[8]                 Donc, M. Lepage souffre de chondromalacie à son genou gauche et cette condition est assez mineure en ce qu'elle n'impliquait en 2000, qu'un degré d'incapacité ( « DAP » ) de 2%.

[9]                 Le rapport du Dr Roberge et de l'orthopédiste, le Dr Cloutier, indique cette condition est progressive et que ces principaux symptômes sont des craquements accompagnés de douleurs intermittentes dans certaines positions. Présumément, si M. Lepage était affligé d'une incapacité en 1993, celle-ci impliquait un DAP de moins de 2%.

[10]            Il appert aussi, de la correspondance du Dr Roberge, que cette condition est due à des mouvements répétitifs et non à un accident ou une blessure significative.

[11]              Dans les circonstances, était-il manifestement déraisonnable de conclure, comme l'a fait le Tribunal en disant :

[...]

Le Tribunal a pris en considération toute la preuve au dossier et est d'avis que l'appelant n'a pas subi de blessure significative dans l'exécution de ses fonctions militaires. En effet, il n'y a aucune preuve de plaintes reliées au genou suite à l'incident de 1985 ni pendant son service ou à sa libération en 1993. Le diagnostic de la chondromalacie du genou gauche a été rendu en 1998, cinq ans après sa libération. L'opinion du Dr Roberge que l'affection en appel était présente en 1993, n'est pas soutenue par les faits au dossier étant donnée [sic] l'absence de plaintes pendant tout le service militaire de l'appelant.

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que la chondromalacie du genou gauche n'a pas été causée ni aggravée de façon permanente par le service[...]

[12]            Eu égard à la preuve au dossier (voir paragraphes 7 v) et 9 ci-dessus), l'absence d'une blessure significative ne semble pas pertinente. De plus, même si un diagnostic n'a été fait qu'en août 1998, soit après dépôt de la demande de pension, les symptômes de la maladie avaient déjà été notés par un autre médecin agissant pour le ministère des anciens combattants en 1995.


[13]            M. Lepage et le Dr Roberge indiquent que les genoux de M. Lepage craquaient en octobre 1993. Cette preuve est rejetée comme non vraisemblable parce que le dossier militaire ne contient aucune plainte à ce sujet. Il n'y a aucune preuve médicale au dossier indiquant que l'on devrait normalement s'attendre à ce qu'une personne affligée d'une condition semblable s'en plaigne.

[14]            À cet effet, la Cour note à nouveau que, bien que les symptômes de la maladie aient été clairement documentés à partir du 28 avril 1995 par le Dr Claude Boutet, M. Lepage n'a déposé de demande de pension que trois ans plus tard.

[15]            Dans ces circonstances, le bon sens et la logique permettent-ils de conclure comme le Tribunal l'a fait que M. Lepage se serait sûrement plaint si sa condition existait avant sa libération en 1993. Je ne le crois pas.

[16]            Compte tenu de la preuve et l'article 39 de la Loi, la Cour conclut que l'explication donnée par le Tribunal pour mettre de côté le témoignage de M. Lepage et la note du Dr Roberge est manifestement déraisonnable.


[17]            Dans sa décision, le Tribunal ne commente aucunement l'opinion du Dr Roberge sur la "causalité" soit que la chondromalacie est due à des gestes répétitifs pendant une certaine période de temps par opposition à un accident ou une blessure et qu'il ne peut l'expliquer par les activités de M. Lepage depuis 1993. À l'audition les parties ont confirmé que le Tribunal ne disposait d'aucune preuve au dossier sur les activités de M. Lepage depuis 1993 qui lui aurait permis de discréditer cette opinion.    Aucune autre théorie n'est documentée au dossier.

[18]            Ici encore, la Cour ne voit pas comment, dans ces circonstances, on peut conclure que les prescriptions de l'article 39 ont été respectées.

[19]            La Cour n'a pas à décider si la demande de pension de M. Lepage est valide ou non. Elle doit seulement déterminer si le Tribunal a fait une erreur révisable qui justifie que le dossier soit reconsidéré par un comité d'appel différemment constitué. Comme le juge Blais dans Bernier c. Canada (Procureur Général) [2003] A.C.F. no 62 (QL) (une affaire qui impliquait aussi une demande de pension d'un autre adjudant-chef en raison d'une chondromalacie aux genoux), je dois conclure que la preuve soumise par le demandeur a été rejetée de façon arbitraire et abusive et que la décision du Tribunal doit être annulée.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier est renvoyé pour considération par un comité d'appel différemment constitué.

"Johanne Gauthier"   

Juge            


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                 T-83-02

INTITULÉ :              DANIEL LEPAGE c. PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                QUÉBEC

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 04 JUIN 2003

MOTIFSDE L'ORDONNANCE : L'HONORABLE JUGE GAUTHIER

ET ORDONNANCE

DATE DES MOTIFS :                                     LE 8 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Me Odette Lacroix                                               POUR LE DEMANDEUR

Me Bernard Letarte                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Odette Lacroix                                               POUR LE DEMANDEUR

Heenan Blaikie Aubut

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR


                                                  

                                 COUR FÉDÉRALE

Date : 20040108

Dossier : T-83-02

Entre :

DANIEL LEPAGE

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                              

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                           


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